Je viens tout juste d’achever la lecture de ce livre de Raphaëlle Bacqué, consacré à François de Grossouvre. Je ne peux que vous recommander de vous le procurer au plus vite pour le lire à votre tour.
Avant d’ouvrir ce livre François de Grossouvre n’était pour moi qu’une silhouette mystérieuse qui est entourée de légendes et de spéculations sur le rôle qu’il a pu jouer à l’Elysée pendant les deux septennats de François Mitterand. J’ai lu à maintes reprises son nom évoqué dans des ouvrages consacrés au génocide du Rwanda, dans lesquels on s’interrogeait sur le lien qui pouvait exister entre sa mort par suicide dans un bureau de l’Elysée, et l’assassinat du Président Rwandais Juvénal Habyarimana qui se produisit lla veille, et qui fût le point de départ du génocide. Son implication directe dans les affaires de la « Françafrique », son lien avec les services secrets, et plus particulièrement avec Paul Barril qui a joué un rôle déterminant dans l’accompagnement des forces génocidaires.
En somme, je le connaissais pour sa mort et les légendes qui l’entouraient sans savoir précisément qui il était… En 1994 à la date de sa mort je n’étais pas aussi boulimique de la presse que je ne le suis devenu depuis, et je n’avais pas suivi de très près l’écho médiatique qui avait succédé à sa mort. Raphaëlle Bacqué propose par son enquête de découvrir ce personnage complexe qui semble tout droit sorti d’un roman de politique fiction, et qui fût l’un des plus proches collaborateurs de François Mitterrand. Elle détaille par le menu ce que l’on peut connaître de la relation de ces deux hommes qui ont été associés étroitement tout au long du parcours qui ménera François Mitterrand sur les marches du Panthéon en mai 1981. François de Grossouvre le riche industriel lyonnais issu de la bourgeoisie conservatrice, et qui fût dans sa jeunesse un proche d’Action Française, se liera d’amitié avec Mitterand dès la fin des années 50. Dès le départ l’on sent qu’il est fasciné par François Mitterrand et qu’il s’engage au service de cet homme plus qu’au service du projet politique qu’il est censé incarner.
En 1981 il est nommé conseiller spécial de l’Elysée, il obtient un bureau au plus proche du pouvoir, et devient naturellement un personnage incontournable étant donné l’amitié qui le lie au Président et les secrets qui s’y rattachent… Au delà du personnage, ce livre est vertigineux par l’atmosphère d’intrigues, d’ambiguités, de secrets et de détournements du pouvoir de la République au service de la protection des secrets d’un seul homme. De 1981 à 1994, l’Elysée semble s’être transformée progressivement en une reproduction moderne des intrigues de l’Empire Romain. François de Grossouvre propose lui-même au Président de loger sa deuxième famille, Anne et Mazarine Pingeot, dans un appartement appartenant à l’Elysée, en dessous de celui qu’il occupe lui-même avec sa maîtresse, il deviendra ainsi le gardien personnel du plus grand secret du chef de l’Etat.
Mais peu à peu, il s’avère incapable de travailler en coordination avec le cabinet de l’Elysée, il court-circuite les relations diplomatiques de l’Etat en intervenant personnellement auprès de chefs d’Etat en Afrique ou au Proche-Orient, des rivalités puis des conflits éclatent entre lui et les collaborateurs du Président. Sa relation personnelle avec François Mitterrand se trouve bouleversé dans le monde des courtisans qui gravitent autour du Chef de l’Etat, les flatteurs, les jaloux, les apparatchiks du Parti Socialiste et les conseillers qui l’entourent. Cet isolement qui s’empare de François Mitterrand est proprement vertigineux, malgré son talent à manipuler les autres il semble lui-même perdre contact avec la réalité de la responsabilité républicaine qui lui est confiée. Raphaëlle Bacqué lui prête pourtant une très belle phrase « Je sais où commence et ou finit le conseil désintéressé. Je sais où commence la flatterie qui, elle ne finit nulle part », il serait sage que tous les hommes embarqués dans la spirale des courtisans disposent d’une telle lucidité…
Pendant presque dix ans François de Grossouvre perdra pied dans l’estime de François Mitterrand, à chaque fois que leur relation se distend l’amertume monte d’un cran dans cet ex-intime. Au début des années 90, il aurait même rencontré plusieurs journalistes pour les alimenter des informations dont il disposait sur les arcanes sombres de l’Elysée, et le récit détaille sa rencontre secrète avec le juge Thierry Jean-Pierre pour lui détailler les dessous du mécanisme de financement occulte mis en place autour des fausses factures d’Urba. Pourtant, le chef de l’Etat n’aura pas le courage de mettre un terme à leur amitié et il conservera son apartement au quai Branly et son bureau à l’Elysée jusqu’à la fin de ses jours.
C’est sans doute la soumission affective à l’égard d’un seul homme et la perte de son influence sur lui qui l’améneront à mettre fin à ses jours au sein même de l’Elysée le 7 Avril 1994…
A la lecture de cet ouvrage, et si l’on considère comme vrai l’intégralité du récit (j’avoue que l’absence de notes en bas de page pour préciser l’origine des informations m’a manqué), il ne reste à une personne engagée en politique que deux possibilités d’action.
On peut considérer que la corruption morale qui s’empare des hommes en situation de pouvoir est incontournable, quelle que soit leur culture et leur grandeur politique, alors il faut rapidement prendre la poudre d’escampette, retourner à ses études, continuer de penser, d’agir et d’intervenir dans le débat public tout en se tenant à l’écart des lieux de pouvoir.
Mais l’on peut aussi continuer de penser qu’il existe des hommes et des femmes qui s’engagent sur la base de convictions politiques et de valeurs morales. Des personnes suffisamment lucides pour déjouer les pièges du pouvoir et de ses prétendants et sincères pour rendre compte aux personnes qui les ont élues et mettre en oeuvre les projets pour lesquels ils se sont engagés sur un mandat.
Aujourd’hui, je fais le choix de croire que la démocratie n’est pas un vain mot et que l’on ne doit pas laisser ses institutions aux mains de ceux qui en sont les premiers fossoyeurs. Et demain il sera toujours temps si nécessaire de tirer de nouvelles conclusions des enseignements de la vie…
Il nous faut changer la pratique politique sans pour autant être naïf, et changer les institutions héritées de la situation particulière de 1958. Un combat fondamental qui doit dépasser les engagements partisans et réunir tous ceux qui continuent de croire à la grandeur de la chose publique : « Res Publica ».
Pour en savoir plus sur François de Grossouvre : un article de Wikipedia qui vous donnera une idée des mystères de sa biographie.
Crédits I Nous contacter I Espace privé I Site propulsé par SPIP I RSS 2.0 |