Dans l’argot journalistique, on qualifie de marronnier un sujet qui revient régulièrement, et dont la presse peut tirer avantage pour meubler une période chiche en matière d’actualité - comme l’été. Pour les journalistes qui traitent un marronnier, tout le savoir-faire consiste à donner au sujet les atours de la nouveauté, de manière à en faire une "information". Pas évident, vous en conviendrez ! Heureusement, il est des coups de pouce fort opportuns.
C’est ainsi que, dans la profonde torpeur du mois d’août, la publication d’une étude britannique dans le très confidentiel American Journal of Clinical Nutrition a permis à plusieurs journaux de remettre le couvert sur un "débat" récurrent : les qualités nutritionnelles des aliments bio. Il n’en fallait pas plus à un quotidien comme Le Figaro pour fabriquer une information. Et aller jusqu’à en faire sa "Une", sous le titre Les bénéfices du bio en question.
Que nous dit cette étude ? Que les produits issus de l’agriculture biologique n’offrent pas d’avantages nutritionnels supérieurs à ceux issus de l’agriculture conventionnelle.
En tant qu’adjointe en charge de la santé environnementale et de la restauration scolaire - et scientifique de formation -, j’ai regardé ce travail d’un peu plus près...
Première remarque : les affirmations de l’équipe de chercheurs londonienne se basent sur une méta-analyse, autrement dit une étude d’études publiées au cours des 50 dernières années. Parmi les quelques 90 000 travaux scientifiques parus sur cette période, 162 ont été sélectionnés, et seulement 55 finalement analysés. Quels critères ont valu à telle étude d’être retenue, et à telle autre d’être écartée ? Je m’interroge...
Deuxième remarque : pour comparer les qualités nutritionnelles des produits de l’agriculture bio et des produits de l’agriculture industrielle, l’étude se base sur leur apport en éléments minéraux, tels que le calcium, le phosphore, le fer ou le magnésium. C’est passer sous silence que ces éléments représentent moins de 0,25 % du poids du fruit ou du légume consommé. Ainsi ne sont pas analysés ni comparés les 99,75% (*) restants du fruit ou du légume ! Ceux-ci comprennent l’eau et les matières organiques (glucides, lipides, protides). Lesquelles assurent l’apport énergétique, qui contribue à la qualité nutritionnelle d’un aliment... Quant aux viandes bio, il est démontré que leur teneur en lipides est moindre. Lipides source d’obésité, de diabète et de maladies cardio-vasculaires, première cause de mortalité dans notre pays...
Enfin, une troisième remarque : de nombreuses études attestent que les aliments produits par l’agriculture intensive sont moins riches en anti-oxydants, qui contribuent à la prévention du cancer. Encore un élément écarté par cette étude...
Vous l’aurez compris, il y a matière à émettre des doutes sur la validité scientifique d’un travail aussi partiel, donc partial.
Mais surtout, et j’en reviens aux médias, se focaliser sur les aspects nutritionnels, c’est faire diversion pour oublier l’essentiel : "le mode de production biologique, en proscrivant le recours aux produits phytosanitaires et de synthèse, élimine les risques associés à ces produits pour la santé humaine et concourt à une moindre pollution environnementale, notamment de la ressource en eau"... Ca n’est pas moi qui le dis, mais l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), dans une étude publiée en 2003.
Bref, un marronnier d’août est vraiment sec ! Pas de quoi me faire renoncer à notre politique d’introduction du bio dans les cantines et de développement de ce mode d’agriculture dans notre région !
(*) Les proportions mentionnées sont celles d’une pomme de terre. Elles sont voisines de celles de l’ensemble des légumes.
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