Claude Taleb : «Bousculons les situations acquises»
Publié le vendredi 12 avril 2013 à 08H00 – Paris Normandie
«La duplicité et la cupidité de ceux des plus hauts responsables de l’Etat ou du monde économique qui sont pris la main dans le pot de confiture discréditentelles tous les autres ? Je ne joindrai pas ma voix à celles qui, à droite et à gauche, font leur miel des affaires. Ils espèrent en toucher les dividendes électoraux. Rêvent-ils vraiment de rejouer les mauvais films du XXe siècle ? Je ne me résigne pas à l’idée que tant de nos concitoyens, qui savent que la démocratie est l’un de nos biens communs les plus précieux, soient réduits à encaisser avec la rage du désespoir la livraison médiatique quotidienne des fuites, des « offshore leaks ».
Les condamnations morales ou la mise à l’écart des fautifs ne suffiront pas à rétablir la confiance. Le mal est plus profond. Il faut certes changer la façon d’exercer le pouvoir. Il faut aussi changer de politiques.
« Il est décidément difficile de rapprocher les citoyens de la démocratie quand ceux qui exercent le pouvoir n’agissent que pour le conserver »
Depuis les années Reagan-Thatcher, les esprits d’une génération de gouvernants se sont laissé coloniser par les gourous de la finance. Nous en payons aujourd’hui le prix. Les extravagantes dérives affairistes sont le sommet de l’iceberg. La fraude fiscale coûte, chaque année, cinquante milliards d’euros au budget de l’Etat. Le ministre du Développement, Pascal Canfin, a posé le diagnostic : « Les paradis fiscaux sont une menace pour la démocratie. Ils ruinent la confiance que l’on peut avoir dans l’impôt. Les grandes entreprises en paient moins que les PME, les très riches s’en exonèrent par rapport aux classes moyennes. Les gens se sentent floués. Le contrat social qui fonde la démocratie est remis en cause ».
L‘ambition d‘une France décentralisée ? Six mois après, le roi est nu !
Refaire de la finance un instrument et non un but en soi ; créer une prospérité nouvelle porteuse d’emplois : c’est ainsi que la crédibilité des pouvoirs publics pourra être restaurée, sous réserve qu’ils soient radicalement remaniés.
Les tergiversations ne sont pas de mise. L’interdiction du cumul d’un mandat de parlementaire et de maire ou de président d’un exécutif local est incontournable dès 2014. Mais cette réforme ne saurait être l’arbre qui cache la forêt du renoncement à refonder la République. Je sais à quel point ces débats institutionnels paraissent surannés au vu des difficultés du quotidien, quand le chômage menace, quand la planète manque d’air et d’eau potable. Le développement de la démocratie, à tous les niveaux, est pourtant une condition du changement des politiques.
Le moment est venu de bousculer les situations acquises. Débloquer le fameux « millefeuille » institutionnel qui opacifie l’action publique et agit comme un frein au changement. Créer une démocratie à l’image de la société de la connaissance et de l’information, promesse du XXIe siècle.
Rêvons un instant : dans une République enfin apaisée, les étrangers qui résident dans notre pays voteront aux élections locales. L’Europe sera un bien commun. Le Sénat deviendra une véritable assemblée des territoires plutôt que de notables. Les électeurs connaîtront les responsabilités respectives de la commune, de l’intercommunalité, du Département, de la Région, et éliront leurs représentants au suffrage universel. La diversité des opinions sera valorisée comme un atout et sera représentée dans toutes les assemblées.
Le 13 septembre, recevant les présidents de Région, le président de la République a soulevé l’espoir et l’ambition d’une France décentralisée et régionalisée. Six mois plus tard, le roi est nu. La nouvelle est passée inaperçue, le 26 mars, couverte par le vacarme des aveux de Cahuzac : l’acte 3 de la décentralisation est reporté aux calendes grecques. L’annonce du statu quo avait opportunément été confiée au président du Sénat. Les conservateurs membres des grands corps d’Etat jaloux de leurs prérogatives, partisans des bons vieux départements dessinés en 1790, cumulards divers ont été entendus.
Il est décidément difficile de rapprocher les citoyens de la démocratie quand ceux qui exercent le pouvoir n’agissent que pour le conserver. La seule « évolution » prévue est la création de métropoles (Paris Lyon Marseille), dont les présidents, dotés de pouvoirs exorbitants, seront élus par leurs pairs (les maires). Le sénateur-maire de Lyon, partisan déclaré du cumul des mandats, s’y voit déjà. Il a davantage l’oreille du gouvernement que ceux des socialistes qui souhaitent une décentralisation qui rime avec démocratie. Exit la simplification. Exit la régionalisation.
La transition vers une société solidaire et économe des ressources et de l’énergie nécessite de mettre l’imagination au pouvoir. Elle appelle aussi une action publique plus efficace avec des collectivités locales qui portent déjà plus de 70 % de l’investissement public.
Est-ce compatible avec le maintien de la « clause générale de compétences », qui laisse chaque collectivité libre de mener une politique publique, au delà des compétences qui lui sont imparties par la loi ? L’intention paraît louable, relève de la liberté des élus. Dans les faits, elle produit des doublons. Question de prestige : chacun veut ainsi montrer qu’il s’engage pour le développement économique, mais personne ne se précipite pour s’occuper des populations fragiles ou précaires ou pour financer les associations qui sont tellement essentielles au lien social.
Pourquoi ne pas fusionner dans une collectivité unique ?
Il serait à minima d’intérêt public qu’une réforme répartisse les responsabilités. Des départements confortés dans leurs missions de solidarité (jeunesse, santé, vieillissement) avec les moyens nécessaires. Des régions chargées de piloter le changement de monde : la formation, l’économie, la transition écologique.
L’audace commanderait de choisir plus franchement l’option régionale. L’histoire récente plaide en faveur de ce choix. La présidence verte de Marie Blandin a permis aux habitants du Nord-Pas de Calais d’expérimenter des politiques innovantes en matière de transports (TER), d’environnement, de préventionsanté qui ont laissé des traces et inspiré les autres régions. Le mode de scrutin garantit depuis des majorités paritaires et stables tout en préservant la représentation de la diversité politique. Elus dans les régions depuis vingt ans, les écologistes ont pu convaincre d’initier et essaimer la sobriété énergétique, les énergies renouvelables, l’économie sociale et solidaire…
Prenons en acte : la proposition de fusion des deux départements et de la Région Alsace n’a pas convaincu les électeurs. Nul ne devrait toutefois, à mon sens, se réjouir ou se dédouaner qu’un débat mal mené se soit conclu par une abstention massive. Et la question reste posée.
En HauteNormandie, c’est notre chance, la Région, l’Eure et la Seine Maritime ont appris à agir de concert depuis plusieurs années. Pourquoi ne pas fusionner dans une collectivité unique ? Ce serait une chance pour porter avec plus de force un projet de développement endogène, local, responsable, de solidarité et de prospérité partagées.
Ce serait aussi une opportunité formidable de faire de notre région un laboratoire démocratique. Les habitants ne confondraient plus conseil général et conseil régional. Les élus ne cumuleraient plus un mandat dans ces deux assemblées. La concurrence entre collectivités serait épargnée à tous. Les électeurs pourraient y trouver une motivation nouvelle pour coconstruire les projets et s’inviter de nouveau dans le débat électoral. Chiche ? »
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