tribune libre de Maryse Cambos Lavie sur l’agriculture
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Monsieur le Président, mes chers collègues,

Vous me donnez l’occasion, à travers la commission agriculture, et l’examen du budget 2016, d’exprimer ici une actualité agricole très brûlante d’une crise profonde qui se répète régulièrement et pour laquelle on ne trouve pas de solutions,  ou l’on est impuissant et comme l’a dit Jérôme Sourisseau : que pouvons-nous faire ?

Au delà de notre seule collectivité,  il est temps de réfléchir à l’avenir d’une autre agriculture.
Hier, les jeunes agriculteurs associés à la Fnsea 16, vous ont remis une motion que le Conseil a voté à l’unanimité. Je suis, comme vous tous, solidaire humainement des jeunes agriculteurs en difficulté, mais je ne suis pas solidaire de la disparition des paysans –  sont ils  pris dans un système qui les broient ? -. Un jour c’est l’apologie du libéralisme ( quand ça marche ) , le lendemain, c’est la quête des aides publiques (quand ça ne marche plus)  Je crois que nous sommes nombreux a avoir compris que cette économie ne tourne pas rond.  Ne marchons-nous pas sur la tête ?
Pourquoi ? Je vais essayer d’être concise et brève si possible, si vous permettez Mr le Président. Bien sûr, je ne peux ici, que présenter une vue d’ensemble sans trop entrer dans les détails. Mais cela devrait vous faire comprendre pourquoi nous en sommes là.
Le modèle agricole qui s’est imposé depuis des décennies ( et non pas depuis plusieurs mois comme écrit dans la motion ) est de plus en plus critiqué en raison de ses conséquences néfastes sur l’environnement, l’emploi, la santé humaine et animale.  Pourtant sa remise en cause est souvent écartée au nom de l’urgence alimentaire «  il serait le seul capable de nourrir l’humanité » cette affirmation péremptoire interdit tout débat et nous enferme dans une impasse dont il est urgent de sortir.
Le système agricole mis en place après la seconde guerre mondiale, qu’il ait ou n’ait pas été pertinent un jour,  est de toute façon profondément obsolète et s’enferme dans des contresens agronomiques et économiques intolérables.
Remettre en cause un système agricole ne signifie pas remettre en cause l’intégrité des humains qui le pratiquent. Certains agriculteurs conventionnels actuels entretiennent bien sûr ce modèle qui les arrange, voire leur offre une rente de situation ( l’exemple des marchés à terme, la spéculation). Mais beaucoup d’entre eux sont avant tout des victimes plus ou moins consentantes : premières victimes des pesticides qu’ils pulvérisent, dépendants d’un système bancaire qui les a poussés à s’endetter, ils sont la variable d’ajustement des spéculations mondiales sur les matières premières agricoles enfermés dans un mode de production qu’ils n’ont pas toujours choisi mais qui leur est présenté comme inéluctable. C’est ce dernier constat qui représente l’un des  principaux obstacles  à l’évolution de l’agriculture.
Il faut le dire aussi, les disparités ( entre autre de revenu) en agriculture sont scandaleuses ce qui rend la crise encore plus insupportable. Le mal est profond. On ne peut pas revendiquer d’un côté davantage de libéralisme et de compétitivité et de l’autre des soutiens publics.

L’ensemble de la super structure agro-alimentaire et agricole affirme inlassablement aux agriculteurs que cette agriculture dite »conventionnelle » serait une nécessité s’imposant à l’humanité si elle veut se nourrir. Cette propagande, car ce n’est pas autre chose qu’une propagande , étouffe les paysans et les prive de leur autonomie de pensée et d’action.

Basé sur des erreurs agronomiques, des idées reçues et une inertie économique favorable aux multinationales – entre parenthèse-( un des dirigeants agricoles en col blanc , sans le nommer, dirige une ou des multinationales qu’il fait  fonctionner avec les producteurs de matière première agricole à bas prix) , ce prétendu modèle constitue l’un des mythes les plus enracinés et dangereux de notre société contemporaine.
Le monde agricole a perdu la main sur les filières. Ce sont les transformateurs et les distributeurs qui ont la main et obligent les paysans à produire toujours plus, à des prix bas (les agriculteurs qui manifestent devant les bases d’approvisionnement et les grandes enseignes de vente l’ont compris)  Ils ne se trompent pas de cible mais ce n’est pas suffisant. Ils doivent aussi comprendre que le piège de la dépendance qui s’est refermé sur eux vient de leur propre dirigeants agricoles et des satellites. Leur mot d’ordre se rejoignent dans une trinité infernale :
plus de compétitivité c a d capacité de vendre moins cher que les concurrents , ce qui suppose des prix inférieurs aux coûts de production, des charges externalisées et payées par d’autre et l’injonction permanente de nouvelles aides dans la chaîne de production
plus d’exportations c a d une part croissante de la production vendue sur les marchés mondiaux qui ne représentent que 7 % de la production mondiale globale et , sauf exception, sont des prix de braderie.
Plus de modernisation et d’innovation , qui sous une sonorité positive représente toujours plus d’investissements insupportables, plus d’industrialisation et d’artificialisation de l’agriculture plus de déshumanisation et de pertes d’emplois, plus d’ élimination des petites fermes qui pourtant, de nombreuses études le démontrent, sont les plus efficaces en emplois, en biodiversité, en paysage et en valeur ajoutée.

Savez vous ce que demande le syndicalisme agricole ? Il demande un plan de trois milliards d’euros pour des mesures de CT et MT : a CT allègement des charges sociales et fiscales et mise en place d’un plan de désendettement. Le plan déjà en place en 2009-2010 vient à peine d’être remboursé qu’il faut recommencer. A MT ,  pour des mesures  structurelles, soutien à l’investissement et à l’allègement des normes. Autrement dit : aide au désendettement pour le CT et aide à l’endettement pour le Moyen terme. C’est un puits sans fond.
Ainsi, l’agrandissement des tailles d’ateliers et l’accaparement des productions sont financés par des fonds publics. Voilà l’efficacité économique et sociale de l’agriculture industrielle qui est un puits sans fond et qui n’est plus capable de payer ses charges sociales et fiscales.
L’une des situations dénoncées dans les récentes manifestations a été la baisse du prix du lait suite à la suppression des quotas qui régulaient la production. Quel était le discours des dirigeants agricoles lorsque les quotas étaient en place ? Pour que la France puisse  exporter davantage  il faut supprimer les quotas, car cela entrave la compétitivité de la filière laitière. De même pour la production porcine qui n’est pas régulée et qui dispose d’ateliers toujours plus grands pour être compétitifs avec les Allemands. Je pourrais en citer d’autres.
Ce modèle est-il  prêt de changer ?  ( TAFTA en cours de négociation ouvrant les portes du libéralisme encore plus grandes- normes ICPE moins contraignantes- ) il n’en prend pas le chemin. Et demain, après demain,  nous serons encore impuissants pour venir en aide à des hommes et des femmes qui vont mourir .
Il faut changer de cap : il faut aller vers la maîtrise et la répartition des productions, le soutien à la qualité et le relocalisation des filières.
Il faut avoir le courage de dire que c’est l’échec d’un système libéral.
D’autres solutions existent :  déverrouiller toutes les portes des organismes de décision détenues par un seul syndicat et les ouvrir aussi à la société civile avec une autre vue d’esprit.
La clef est dans le renforcement de la durabilité des exploitations ( plus économes, plus autonomes) Elle est aussi dans la fin de la concurrence totalement faussée au sein de l’Europe ( le dumping social) les salaires scandaleusement bas.
La fiscalité agricole , basée sur une croissance qui est en berne, doit être réformée et plus juste .
Il faut réorienter la PAC, relocaliser la production…

Nous avons ici en Charente de formidables paysans qui montrent que l’on peut faire une agriculture respectueuse de l’environnement et rémunératrice (Civam, certaines coopératives de proximité, vente directe…),des collectivités qui achètent en circuit court ! Inspirons nous de ce qui marche.
Je pourrais continuer en vous donnant des exemples de réussite, mais pour conclure j’espère vous avoir apporté un éclairage sur les bonnes questions à se poser.
Monsieur le Président,  ce que je viens de dire me semble important pour instaurer un dialogue constructif fait de constats et de solutions.

Maryse LC le 11 février 2016, hémicycle Conseil Départemental