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Dans les catastrophes sociales de la SAM et de Bosch certains commentateurs ont pris la fâcheuse habitude de désigner les écologistes comme responsables de la crise automobile. L’un d’entre eux, Jean-Louis Chauzy, continue de penser comme il y a … 30 ans quand il a été élu pour la première fois à la tête du Comité économique, social et environnemental (CESER).
Ainsi la semaine dernière dans la presse, M. Chauzy a jugé « indigne » que « les Verts » défilent aux côtés des salariés de la SAM. Et de continuer en expliquant que ce « désordre a été provoqué avec cette diabolisation des moteurs thermiques ». Il s’est aussi félicité que le lobbying auprès du gouvernement ait empêché la fermeture de la Bosch … alors que 650 emplois sont perdus et que l’avenir du site n’est pas assuré. Ces propos relèvent à la fois de la caricature mais aussi d’une vision dépassée des enjeux industriels d’avenir. Ce que les écologistes trouvent indigne, comme de nombreux salariés, c’est que le gouvernement n’ait pas bougé le petit doigt à l’annonce de Renault de ne pas soutenir l’unique repreneur de la SAM.
Les véritables responsables: les multinationales et le gouvernement LREM
La mutation industrielle du secteur automobile est à l’œuvre depuis plusieurs années, et les dégâts sur les emplois ont atteint notre département de plein fouet.
Au lieu de sécuriser l’activité par des commandes, les groupes industriels donneurs d’ordre préfèrent délocaliser certaines productions par souci de rentabilité, comme on l’a vu à la Bosch et à la SAM. Ils exercent ainsi un pouvoir de vie et de mort sur certains de leurs fournisseurs. Ils n’ont pas non plus investi de manière à assurer le maintien d’une activité pérenne, que ce soit Bosch à Onet ou le groupe chinois Jinjiang à la SAM. Dans les deux cas, ces multinationales ont bénéficié d’aides publiques importantes, accordées par le gouvernement sans contreparties sociales. Les responsables politiques aveyronnais de La République En Marche (LREM) ne s’en offusquent pas, car ils soutiennent la conception libérale de M. Macron: l’Etat ne peut contrarier la libre entreprise, même quand les délocalisations ont des conséquences dramatiques.
Du maire de Rodez aux députés M. Mazars et Mme Blanc, jusqu’à M. Chauzy, les élus locaux préfèrent agiter depuis des années le « diesel bashing » comme origine de la crise. Tous engagés pour la réélection de M. Macron, ils sont bien en peine de critiquer l’inaction et le manque de vision du gouvernement sortant.
La politique industrielle de LREM : incohérente et socialement injuste
Comment en est-on arrivé là ? Prôner la sortie progressive des motorisations thermiques et défendre les emplois industriels n’est pas incompatible. La contradiction est de défendre le modèle actuel jusqu’à la corde, car le manque d’anticipation amène des mutations trop brutales et en conséquence des catastrophes sociales.
Les élus locaux oublient de rappeler les trois enjeux de la mutation en cours : la fin annoncée du pétrole, la nécessité de décarboner les transports pour cause d’urgence climatique, et la pollution de l’air, devenue un enjeu de santé publique avec 40 000 morts par an en France.
Les ventes de diesel chutent en France depuis plus de dix ans : de 73% des véhicules en 2012 à 30% en 2020 et 10% en 2025 … Et ce n’est pas la faute « des Verts ».
En effet, en 2012, une étude de l’Organisation mondiale de la santé classe le diesel comme « cancérogène certain », ce qui détourne durablement les consommateurs de cette technologie.
En 2016, suite au scandale de la tricherie aux contrôles diesel par Volkswagen, l’Allemagne annonce sa volonté de bannir les moteurs thermiques, diesel et essence, à l’horizon 2030, accélérant brutalement la chute du marché, qui reculait déjà partout dans le monde. Cet épisode signe le glas de cette technologie.
Pourtant, quelques mois auparavant, contre toute évidence, le ministre de l’économie M. Macron s’était lancé dans un plaidoyer en faveur du diesel lors d’une visite à l’usine Bosch d’Onet, affirmant qu’il était « au cœur de la politique industrielle française », puis que « l’avenir du diesel passait par l’innovation », grâce à laquelle il pouvait être plus propre que l’essence.
Avec constance, les élus locaux du dossier Bosch ont martelé ce discours auprès des Aveyronnais. En ce qui concerne le député M. Viala et le maire d’Onet M. Keroslian, on respectera leur cohérence, dans la ligne de leur parti Les Républicains, puisque leurs préoccupations écologiques sont bien maigres.
LREM a donné l’exemple le plus fort d’ « écologie punitive »
En 2017, c’est toujours le gouvernement de M. Macron, et non pas « les Verts », qui annonce la fin de la vente des motorisations thermiques pour 2040.
En 2018, le mouvement des gilets jaunes est initié par une taxe sur les carburants socialement injuste. C’est la grande erreur du quinquennat : une mesure pour orienter la transition écologique mais sans accompagner les plus fragiles. C’est donc LREM qui a donné l’exemple le plus fort d’« écologie punitive ».
Pour les élus LREM, l’exercice est compliqué : ils disent prendre la mesure des enjeux climatiques, et prônent en même temps un développement économique toujours dépendant des énergies fossiles. Ainsi en 2018, M. Teyssèdre et M. Mazars montent au créneau pour défendre le diesel face à la ministre LREM de la santé Agnès Buzyn qui annonce que cette motorisation doit disparaître de nos axes routiers. Ils osent affirmer « à Rodez, on est au rendez-vous de la transition écologique […] La ministre affiche un manque de connaissance et de recul puisqu’elle ne fait pas de différence avec le diesel nouvelle génération ».
En 2019, à l’instar de l’OMS, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) rend un avis qui recommande non seulement la promotion de technologies capables de réduire drastiquement l’émission de polluants, comme l’électrique, mais aussi et surtout la réduction du trafic.
L’Allemagne: un choix stratégique d’avenir pour les emplois du secteur automobile
En 2020, le gouvernement Merkel, qui ne comptait aucun « Vert », a soutenu la fin des moteurs thermiques dès 2035 (y compris des hybrides). Comment est-ce possible dans un pays où la part du secteur automobile dans l’emploi est supérieure à celle de la France (12% contre 8,5% ) ?
Le gouvernement allemand a choisi d’envoyer un signal politique fort et cohérent à ses industriels. Ils se sont alignés sur ce choix stratégique d’avenir pour transformer leurs emplois du secteur automobile, en misant sur le moteur électrique. Même si ce choix ne résoudra pas tous les problèmes environnementaux, tous les constructeurs allemands (BMW, Mercedes, Audi, Porsche …) ont pris ce virage. L’usine Volkswagen de Zwickau a basculé en deux ans sa production diesel à l’électrique, sans licenciements annoncés pour les 8.000 employés. Cette mutation ne se fera pas partout sans à-coups puisqu’un véhicule électrique nécessite moins de main d’œuvre qu’un véhicule thermique.
Raccourci mensonger
Mais à rebours du contexte international et du durcissement des normes depuis de nombreuses années, les élus de l’Aveyron laissent croire que le diesel serait une technologie d’avenir en livrant la bataille de la vignette Crit’Air 1 pour les nouvelles motorisations. Dans les pas de M. Macron, ils ont construit le récit du « diesel propre » et pressent alors le gouvernement d’arbitrer en ce sens … Mais cette décision n’est pas idéologique, elle résulte d’un travail scientifique. En décembre 2020, l’étude, malgré le constat de réels progrès en matière d’émission de CO2 et de particules fines pour les nouveaux diesels, souligne aussi des manquements persistants. Tout indique que cette technologie ne pourra pas respecter à l’avenir les normes appelées à encore se durcir. C’est la raison pour laquelle le gouvernement ne retient finalement pas la classification Crit’Air 1. La ministre LREM de la Transition écologique constate : « l’étude montre l’importance d’accélérer la transition vers la mobilité électrique ou électrifiée ».
M. Chauzy se demande dans sa récente intervention si la France doit « se suicider » alors qu’elle est « coupable de 0,9% des gaz à effet de serre dans le monde ? ». Quel raccourci mensonger alors que nous venons de voir que les politiques aux responsabilités en Aveyron, dans le sillage de M. Macron, sont allés droit dans le mur en ce qui concerne la filière automobile. Les écologistes pensent au contraire qu’il est irresponsable de refuser de faire face aux mutations qui s’imposent à tous.
La politique industrielle des écologistes : anticiper et accompagner
Quand les catastrophes sociales arrivent, les élus LREM pointent la responsabilité « des Verts » et se plaisent à les caricaturer en Amish qui s’éclairent à la bougie. Serait-ce pour faire oublier leur manque d’anticipation et d’accompagnement social, leur manque de vision stratégique et leur impuissance face à la désindustrialisation ?
Les écologistes proposent de sortir des moteurs thermiques en 2030 et de miser sur le développement d’une industrie du véhicule électrique française et européenne autonome. Ils préconisent également d’accompagner les consommateurs avec des aides à la conversion et enfin de changer les mobilités.
Un État à la fois stratège et protecteur
Lors de la transformation à opérer, des emplois vont être détruits et d’autres créés, pas forcément dans les mêmes domaines. La tâche est immense. C’est pourquoi les écologistes prônent un État à la fois stratège et protecteur. Stratège pour anticiper et accompagner les mutations industrielles avec une concertation d’Etat pour la reconversion des activités sur les secteurs porteurs d’avenir. Protecteur, en conditionnant les aides aux groupes industriels à des critères sociaux (de relocalisation et sécurisation des emplois) et environnementaux ; enfin en sécurisant les parcours des salariés touchés pendant cette période de mutation.
Dans le cas de la SAM, malgré les difficultés, il faut saluer les salariés qui ont su prendre ce virage, avec la moitié de leur activité tournée vers l’électrique. Avec leur bureau d’étude, ils possèdent des compétences qu’il faut sauvegarder. Yannick Jadot a proposé de nationaliser temporairement la SAM, ainsi que d’autres sites menacés, le temps de construire avec les salariés et les autres acteurs concernés un projet de reprise solide et durable.
Alors oui, n’en déplaise à M. Chauzy et ses amis, « les Verts » sont du côté des salariés et de leur lutte pour sauvegarder leurs sites de production, et ils continueront à défiler à leurs côtés.