DécouVerte Lille Sud, une évocation de l’urbanisme des années 30 à nos jours
Rendez-vous au métro CHU Eurasanté pour une découVerte à travers Lille Sud, du sud au nord, avec une balade un peu plus longue que d’habitude (4,2 km), toujours guidée par Dominique Plancke. La température est tout à fait estivale.
Ici, avant le 20 ème siècle, nous somme sur l’ancien territoire d’Esquermes, et sur les cartes n’apparaissent que quelques grands axes vers le sud de Lille mais aussi le hameau du Chou, rue de l’Arbrisseau. Ce n’est qu’à partir de 1864 avec l’ouverture du Cimetière du Sud (qui remplace ceux de Wazemmes et d’Esquermes), qu’on assiste à un début d’urbanisation entre les fortifications, qui seront arasées entre les deux guerres mondiales, et le cimetière (avec l’installation de marbriers et d’horticulteurs), puis à la construction de la cité des fleurs autour de l’église du Coeur Immaculé de Marie rue du Transvaal (reconstruite après la 2ème guerre).
A l’est du quartier, c’est l’usine Tudor installée depuis 1880 à Faches-Thumesnil qui traverse la rue et s’installe rue du Faubourg d’Arras en 1921. Elle y est toujours et y fabrique toujours des batteries, même si elle a pris ensuite le nom de Ceac puis d’Exide.
Les premiers HBM
Entre les deux guerres, la Ville de Lille engage de 1931 à 1934 un programme d’HBM (Habitations à Bon Marché, ancêtres des HLM) avec les HBM du Faubourg des Postes, qui donne sur la rue du Faubourg des Postes et le groupe des 400 maisons qui lui s’accroche à la rue du Faubourg d’Arras. Mais il n’y a pas de liaisons entre les deux. Le reste ce sont des champs, des catiches pour l’exploitation de la craie, qui accuillent ensuite des champignonnières, et quelques entreprises s’installent le long des grands axes et le long de la voie ferrée au nord du quartier. Les années 30 voient aussi le début de la construction de la Cité hospitalière, qui sera interrompue par la deuxième guerre mondiale et ne s’achèvera qu’au début des années 50. Ce secteur sud de Lille (Lille, Loos, Haubourdin) est aussi une zone de combats intenses du 25 au 31 mai 40, c’est la bataille de Lille qui retardera l’avancée des troupes allemandes vers la côte et permettra sans doute le relatif succès de l’opération Dynamo.
Des bidonvilles de l’après guerre aux grands ensembles
Les conditions de logement à Lille à la fin de la seconde guerre mondiale sont exécrables : 1904 immeubles ont été détruits par le conflit et la moitié du parc immobilier existant ne possède ni eau ni électricité. Avec la croissance démographique taudis et bidonvilles s’agglutinent aux portes de Lille sur l’emplacement des anciennes fortifications. Il faut attendre l’élection d’Augustin Laurent en 1955 pour qu’un vaste programme de logements soit établi sur la base du plan directeur d’aménagement de Lille conçu par Théodore Leveau en 1950 (qui reprend en partie le plan d’agrandissement imaginé en 1931 par Emile Dubuisson).
7000 logements sont construits entre 1955 et 1971. Avec les anciennes fortifications, le sud de Lille est le premier concerné et devient un territoire d’immeubles bâtis selon les principes de l’architecture moderne. S’alignent alors, plantés au sein d’espaces verts de médiocre qualité des immeubles, avec des parkings, mais sans trottoirs, et sans liens entre eux.
La rue des Mésanges
Cet engagement lillois pour la construction de logements répond aussi au véritable choc psychologique intervenu au niveau national en 1954 : le terrible hiver et l’action de l’abbé Pierre engagent le gouvernement à lancer une politique de logement volontariste. Un programme de « Logements économiques de première nécessité » (LEPN) est lancé en juillet 1955 : il s’agit de petites cités d’urgence sous la forme de pavillons en bandes, comme ceux de la rue des Mésanges à Lille Sud (ou la cité des tabacs dans le Vieux-Lille ou le Petit-Maroc à Fives). Mais la plupart de ces réalisations précaires sont de qualité extrêmement médiocres et se transforment en taudis insalubres dès l’année suivante. La priorité est donnée alors résolument à l’habitat collectif de grande taille et à la préfabrication en béton, comme seule solution au manque de logements en France.
La moitié des maisons de la petite rue des Mésanges, en impasse, est aujourd’hui murée. La collectivité préempte en effet les maisons au fur et à mesure qu’elles sont en vente. Récemment l’élu du quartier a confirmé que le mouvement allait se poursuivre mais qu’aucune expropriation n’était envisagée.
L’école Briand-Buisson a été récemment complètement rénovée et transformée. Dans un édifice monumental construit par l’architecte Gaston Secq en 1938, elle accueillait les enfants des groupes HBM récemment construits au Faubourg des Postes.
Dans le prolongement de l’école, la piscine Plein Sud, à la jolie façade en bois et métal conçue par le cabinet Béal et Blanckaert a remplacé la piscine tournesol de Lille Sud construite dans les années 70 rue François Coppée.
Jardin botanique et potager solidaire
Ce jardin, qui s’étend sur deux hectares dans l’enceinte de la Faculté de Pharmacie, fut créé en 1970, à l’initiative des laboratoires de Pharmacognosie et de Botanique. Il est composé d’une serre très riche en plantes de différentes régions tropicales et de 22 plates-bandes formant une « école de botanique » destinée aux étudiants, aux pharmaciens, aux médecins et au grand public.
Le potager de la Faculté de Pharmacie a ouvert ses portes en septembre à l’occasion des Journées du Patrimoine pour découvrir ce tout jeune jardin, conçu par le paysagiste Yann Lafolie, débuté il y a un an à l’initiative des étudiants en partenariat avec l’Atelier Solidaire. 120 variétés de plantes comestibles y poussent sans recours à la chimie de synthèse dont une collection de 60 variétés de tomates du monde entier et de nombreuses variétés régionales de choux, laitues, pommes de terres… Un exemple de permaculture urbaine pour tou-te-s les lillois-es. (Toute l’année, des ateliers de jardinage bio et de permaculture sont par ailleurs ouverts à tou-te-s le jeudi à 14h.)
En traversant la rue, nous entrons sur le territoire de la commune de Loos. Au 112 chemin des Postes, MSL (Médecins Solidarité Lille) a pour but de soigner toute personne ayant des difficultés financières ou administratives d’accès aux soins. Pour cela MSL propose des entrevues avec des assistants sociaux, des consultations de médecine générale, de pédiatrie en lien avec Pédiatres du Monde, des soins dentaires, des soins infirmiers, le tout gratuitement. Son action s’arrête à la porte de l’hospitalisation.
Rue Jules Vallès et rue André Gide : la Croisette symbole des grands ensembles des années 70
De 1953 à 1979, l’OPHLM de Lille dirigea une opération de grande ambition pour urbaniser les terrains entre le cimetière du sud et la commune de Loos. La résidence Léo Lagrange en 1969, les tours Loti et Péguy en 71 et enfin l’opération Gide Vallès avec 482 logements en 1971-72. Une urbanisation caricaturale des grands ensembles des années 60-70 avec des tours posées au milieu de parkings et de pelouses pelées, sans maillage urbain (3 tours sont situées rue André Gide à Lille et la quatrième rue Jules Vallès à Loos, ce que rend l’accès compliqué), et avec des services publics insuffisants. L’opération La Croisette prévoyait un centre commercial, une poste, une crèche et une école primaire. La crèche et l’école ont été construites, pas les commerces. L’organisation urbaine est incohérente, en 1973 l’opération est arrêtée, inachevée.
Le Grand Projet Urbain (GPU)
A partir des années 2000 de nombreuses études et projets sont lancés pour donner enfin un caractère urbain au quartier et désenclaver les résidences. Cela a abouti avec le Grand Projet Urbain à la création d’un nouveau réseau de rues : cinq nouvelles voies créées, la rue Jules Vallès totalement redessinée. L’axe Cannes-Wagner est aussi totalement réaménagé avec trottoirs plantées et voies cyclables.
Les travaux de résidentialisation ont permis de redonner un cadre et des limites aux espaces extérieurs associés à chacun des immeubles et de mieux séparer les espaces publics des espaces privés. Les parkings de chaque résidence sont aujourd’hui plus clairement définis et n’empiètent plus sur les espaces publics et les jardins.
Les espaces publics qui se résumaient à des pelouses sans qualité ont été repensés comme des espaces mieux définis , qui mettent en valeur le patrimoine végétal, avec des promenades comme celle avec les jets d’eau qui longe la rue Jules Vallès, des espaces de jeux, le jardin des cultures, etc..
Le GPU s’est aussi attaché à la réhabilitation des logements. Lors des concertations et diagnostics marchants, les habitants avaient souligné la vétusté des immeubles et la nécessité de prévoir des travaux notamment le ravalement de façade avec l’amélioration des isolations. Sur l’immeuble Léo Lagrange seront plus importants : la partie centrale de l’immeuble sera démolie tandis que les deux extrémités seront conservées. Cela s’est traduit par une opération de grande ampleur avec la démolition dans la patrimoine LMH de 200 logements, la réhabilitation de 1 396 logements (résidences Sylvère Verhulst, Porte du Sud, Epi de Soil, Gide Vallès, La Fontaine, Léo Lagrange et Pierre Loti) et la résidentialisation de 2 403 logements sur (Porte du Sud, Péguy, Sylvère Verhulst, Briqueterie, Epi de Soil, Pierre Loti, Léo Lagrange, Colette, Balzac, Michelet, Faubourg d’Arras et Gide Vallès).
Le jardin des cultures
Lise Daleux, adjointe au Maire EELV, en charge de la nature en ville nous présente ce jardin créé en 2013 qui a pris la place de pelouses informe. Il regroupe des espaces communs où interviennent plusieurs associations (Entreliane, Des Jardins et des Hommes ), et des parcelles individuelles de cultures potagères. Le tout est parfaitement respecté et entretenu depuis 4 ans.
Par la rue Madeleine Brès, qui fut la première femme médecin, le groupe rejoint la rue Wagner.
L’école Wagner complètement rénovée a été inaugurée le 1er septembre 2016 : les travaux, à hauteur de 13 millions d’euros, ont permis d’adapter les locaux aux enfants, de doter le bâtiment d’équipements numériques et d’y construire une salle de motricité et une serre spectaculaire.
La résidence de la Briqueterie : une réponse ratée aux échecs des grands ensembles.
La résidence de la Briqueterie représente une évolution de la construction des logements sociaux dans le quartier. Largement inspirée de l’expérience de l’Alma Gare à Roubaix, elle privilégie les circulations intérieures pour ses 203 logements avec le chemin des broutteux, des coursives, des arcades et un kiosque à musique. A peine achevée en 1983, elle se heurte à la réalité sociale du moment et au développement du trafic de drogue dans le quartier. Elle a aussi été pénalisée par son absence d’accroche au tissu urbain et a finalement fait l’objet dans le cadre du Grand Projet Urbain d’une profonde transformation par LMH ces dernières années.
Nous traversons le petit parc de la rue Pape-Carpantier pour rejoindre la rue de l’Asie.
Devant l’entrée du Cimetière du Sud ouvert en 1864 et qui s’étend maintenant sur 33 hectares, Lise Daleux nous explique la politique de la Ville pour supprimer l’utilisation des herbicides au glyphosate dans les jardins lillois. Dans les cimetières, leur utilisation a été progressivement réduite de 90%. Il a fallu faire œuvre de pédagogie et composer avec les réactions des visiteurs : « ça fait sale ». Les allées s’enherbent petit à petit.
Le plomb des batteries qui empoisonne le quartier
Depuis 1920 toute cette partie de Lille Sud est gravement contaminée par une pollution industrielle au plomb, due à l’entreprise TUDOR, devenue CEAC, puis Exide Technologies, qui y fabrique des batteries. Presqu’un siècle de pollution a complètement imprégné les sols alentour, au point qu’il est interdit d’y cultiver des légumes. Et les pollutions atmosphériques sont encore présentes, comme le démontre les études d’ATMO.
200 personnes travaillent encore dans cette usine qui a failli fermer il y a quelques années. Mais malgré les contraintes imposées par la préfecture à l’exploitant, on peut se demander si cette production industrielle est vraiment compatible avec les centaines de logements qui ont été construits à proximité, rue de l’Europe par exemple, ou avec l’école rue Victor Tilmant.
15 h 55 : Le Grand Sud
Le Parc Grand Sud a reçu en 2016 une victoire de bronze lors des Victoires du paysage. Il a été décrit par le jury comme «un écrin végétal qui valorise un quartier tout en favorisant le développement de la biodiversité». Nous grimpons sur le belvédère situé sur le toit de la salle du Grand Sud. La vue est ici assez étonnante sur l’ancien îlot des Fleuves (où se dressaient les « Biscottes ») et l’usine Exide, mais on peut aussi y découvrir le beffroi du siège de la région, la tour de Mons, le stade Pierre Mauroy ou l’église de Wazemmes. Etroit et tout en longueur le parc incite à la promenade et la découverte avec, ses massifs colorés, ses buttes et ses ambiances différentes.
Le Grand Sud offre 3800m² d’espaces utilisables pour le public, déclinés en 8 zones d’activités. Conçu par le cabinet d’architectes Lacaton et Vassal, ce bâtiment transparent inauguré en octobre 2013 propose des espaces modulables, dont une salle pouvant accueillir 600 personnes assises. Avec sa toiture jardin intégrée au parc, ses murs végétalisés, sa pompe à chaleur bi-énergie.
Rue Marguerite Duras, de nouvelles résidences ont remplacé le groupe Million ou Lopofa, des barres de logements de masse construites en 1957 avec les nouveaux procédés industrialisés de construction. Les 100 logements avaient permis alors de reloger les habitants de la cité d’urgence du sentier Jeanne Hachette (à l’emplacement du périphérique sud actuel).
Toute en longueur, la nouvelle place de la Méditerranée que les participants à la DécouVerte jugent trop minérale sera bordée de part et d’autre par de nouveaux programmes de logements réalisés par BPD Marignan, SIA et Escaut Habitat. Les rez-de-chaussée de ces nouvelles résidences doivent accueillir des commerces ainsi que des logements d’artistes. Dans le prolongement de la place, le mur du cimetière du Sud a été ouvert sur une largeur de 15 mètres « afin de proposer une perspective sur le cimetière militaire allemand de la Première guerre mondiale », mais pour l’instant l’horizon est bouché ! . La place est longée par deux rues est-ouest qui permettent de relier enfin la rue du faubourg des Postes à la rue du faubourg d’Arras.
La requalification du groupe Balzac Colette
L’ANRU a permis en 2012-2013 la requalification du site et résidentialisation des 434 logements de cette résidence construite en 1961. Cela a consisté en la récupération et le stockage des eaux pluviales, la végétalisation de la tour Balzac, la création de clôtures et de contrôles d’accès des voitures, la création d’abris à vélos et de locaux containers.
La concertation à la lilloise, c’est parfois une caricature !
Rue Baudin et rue Simons, de nombreuses maisons sont aujourd’hui murées. Ces rues témoins de l’urbanisation du quartier à la fin du 19 ème siècle et où a été ouvert un jardin partagé sont soumises à une opération d’urbanisme qui s’étendra sur 3 hectares. La concertation avec les habitants menée sur ce projet en 2015 a été caricaturale.
Lillenium, un projet archaïque qui survit sous perfusion de financements publics
Sur le Pont, face à l’Hôtel de Police, un grand trou s’est creusé depuis cet été dans l’argile et la craie. Depuis septembre 2012, tous les 6 mois environ, Vicity, le promoteur de ce centre commercial, annonçait le début imminent des travaux à Lille sud. En août 2017, des travaux de terrassement ont donc finalement débuté. Mais malgré l’apport massif de fonds publics via la Caisse des Dépôts et l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine on nous dit que le montage financier n’est toujours pas bouclé. Pour EELV, ce projet conçu il y a plus de 10 ans maintenant est dépassé, totalement anachronique et ne répondra pas aux besoins actuels des consommateurs. Depuis 6 ans le tissu commercial du quartier continue malheureusement de pérécliter en grande partie à cause de l’annonce de l’arrivée d’un mastodonte commercial qui ne permettra pas au commerce indépendant de survivre à proximité. Dans un marché en contraction, cet hypermarché et sa galerie vont d’ailleurs aussi concurrencer leurs homologues situés à Lomme ou à Wattignies. EELV continue à dénoncer aussi un projet qui nécessite des aménagements qui renforcent la place de l’automobile dans un quartier déjà saturé. Pour EELV il est encore temps de tourner la page d’un modèle d’urbanisme et de consommation daté du 20ème siècle et de réfléchir avec les lillois et les lilloises à une autre destination pour cette friche.
Prochaine DécouVerte samedi 16 décembre à 14 h 30
Pour en savoir plus :
– –
Photos de Marc Santré
Un grand merci pour ce résumé de la visite très intéressante d’un quartier en plein renouveau.
Merci également à Dominique Plancke et aux différents intervenants pour leurs explications et la découverte du patrimoine local.
Alain