« Je serai le dernier à partir »
Les derniers irréductibles au pied des cuves Picoty
Quelques photos, en noir et blanc et sépia. Du doigt, il montre ses enfants, ses neveux ou lui-même, les uns faisant du vélo sur un chemin caillouteux, les autres prenant simplement la pose. Les clichés les plus anciens dévoilent un décor champêtre. Certaines photos, prises au début des années 70, font apparaître en arrière-plan un vaste terrain vague, d’où ont surgi de grands bâtiments circulaires.
Là depuis quarante ans
« Ceux qui disent que les cuves étaient là avant nous sont des menteurs ! », réagit Louis Bernard. Âgé de 78 ans, originaire de Dompierre-sur-Mer, il demeure depuis plus de quarante ans au 36, rue des Sablons, au pied des grandes réserves d’essence barrées d’un arc-en-ciel, « dans une maison construite en 1920 ».
« Avant, j’ai aussi habité avec ma femme en haut de la rue. À l’époque, il y avait des baraquements en bois et, derrière, on allait à la chasse, aux champignons. Quand les cuves ont été construites, on ne nous a pas demandé notre avis. Mais moi, j’en ai rien à faire de leurs bacs, c’est juste les odeurs d’essence qui me dérangent », remarque le retraité, veuf et père de trois enfants, dont l’aîné a 51 ans. L’histoire de Laleu, des Chirons-Longs, de la Pallice, Louis Bernard en connaît un bout, de même que les familles qui y vivent.
« Il faudra le double »
Il n’envisage pas de finir sa vie ailleurs, bien que sa propriété (1 000 mètres carrés) figure dans la zone de délaissement et que la vétusté gagne le quartier. La voiture qui a défoncé le mur de sa maison, il y a trois mois, n’a fait qu’accroître son ire contre la mairie, à qui il demande en vain d’installer des ralentisseurs.
« Je ne veux pas partir. Pourquoi ça serait à nous de partir ? D’abord, avec la somme qu’on nous propose, on ne peut pas acheter ailleurs. Et eux là, en face [il pointe du doigt les cuves], il paraît qu’ils n’ont pas de sous, mais en attendant ils refont tous les bâtiments à neuf. Leur rêve, ce serait qu’il n’y ait plus personne à Laleu pour pouvoir rejoindre directement le port de commerce. »
« En 2015, leur contrat avec l’État arrive à terme, pourquoi est-ce qu’on ne les envoie pas ailleurs ? », interroge Louis Bernard. Même s’il voit peu à peu certains de ses voisins accepter de partir, il reste ferme. « Je veux rester. S’ils veulent vraiment me foutre dehors, il faudra qu’ils offrent le double de la valeur de la maison, plus les frais de notaires. Et je partirai au dernier moment, je serai le dernier ! », assure-t-il.
F. Zabalda (Sud-Ouest 13/11/2014)
(Photo: P Martineau)