Eva Joly répond à l’UNEF et à l’UGICT CGT sur l’emploi des jeunes
Monsieur le Président,
Dans une société de progrès, la jeunesse, comme les chercheurs ou les artistes, doivent faire preuve d’impertinence, inventer et ré-inventer le monde, le critiquer. Alors que la société française est plongée dans le doute, par la conjonction de multiples crises, nous avons besoin plus que jamais de ce regard décalé, nous avons besoin de nouvelles voies.
A l’heure où certains posent le débat en terme de devoirs et de droits, voilà pour moi quel est le devoir principal de la jeunesse : elle doit ouvrir le champ des possibles. Et pour cela, elle doit être libre. Son autonomie, c’est son droit. Son impertinence, son devoir.
Mais comment être autonome quand on est précaire, quand on cumule études, emplois, stages, logement précaires. Comment être autonome quand le système sélectionne très tôt une soi-disant élite, et sanctionne ceux qui ont connu des échecs ou on pris des voies détournées, et en subissent longtemps les conséquences. La jeunesse n’est pas une variable d’ajustement, c’est un » investissement » pour notre société, notre avenir.
Face à cela, je pose deux principes fondamentaux : l’accès de toutes et tous à de bonnes conditions d’étude, et le droit inaliénable à l’erreur.
Depuis 10 ans la proportion d’une classe d’âge qui accède aux études supérieures a diminué en France alors qu’elle augmente en Allemagne. Alors pour renverser cette tendance, il faut donner les moyens financiers aux étudiants. Cela passe par une allocation d’autonomie.
Cette allocation d’autonomie doit bénéficier à tous les jeunes, et en particulier à ceux en difficulté d’insertion. Il n’est plus acceptable que 300 000 jeunes au chômage ne bénéficient d’aucune indemnisation ni minima social. Je veux une véritable politique de droit commun qui permette de prendre en compte tous les jeunes.
Mon souhait est que l’Etat et les collectivités locales se fixent un objectif clair, et évidemment débloquent les moyens nécessaires. L’objectif, c’est d’offrir à chaque jeune un suivi et une aide à l’orientation et l’insertion. « Un jeune = Un projet », le terme de projet étant pris au sens large : études supérieures, formation pro, alternance, réinsertion, service civique, etc. La formule doit être complétée : Un jeune = un projet et un revenu, avec l’introduction de l’allocation d’autonomie sans
Paris, le 13 avril 2012
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conditions.
Pour lutter contre la précarisation des contrats de travail, je propose la suppression de tous les dispositifs incitant au travail précaire et l’encadrement strict des stages (droit du travail, protection sociale) et de leur rémunération (portée au minimum à 50% du
SMIC). Cette avancée contribuera à mettre fin à la précarisation de l’emploi des jeunes, et à refaire du stage et de l’alternance une étape vers un emploi stable.
L’émancipation de la jeunesse passe aussi par le logement. Véritable clé de voute des conditions de vie étudiantes, le logement étudiant ne doit pas être le grand oublié. En plus de l’encadrement des loyers, qui bénéficiera particulièrement aux petites surfaces, je souhaite la construction de 50 000 logements étudiants sur le quinquennat et la rénovation 70 000.
N’oublions pas également la problématique de la santé : les inégalités de soin qui touchent les jeunes, tout autant que les inégalités de prévention. Au-delà de la suppression des franchises médicales et d’un investissement fort en matière de prévention environnementale (pollution de l’air, pollution chimique, alimentation, etc), j’appelle au renforcement des centres de santé universitaires ou au développement de l’alimentation bio et de qualité dans les restaurants universitaires – à tarif constant.
Évidemment, un accès de tous aux études supérieures ne peut se concevoir que dans un système d’enseignement supérieur gratuit. Mais l’accès à tous signifie aussi une réforme en profondeur des méthodes pédagogiques. Nous devons adapter les méthodes pédagogiques à tous les publics. Ce n’est en effet pas qu’aux étudiants de s’adapter au système d’enseignement mais au système de prendre en compte la diversité de ses publics.
Compléter les cours magistraux, développer le travail en équipe, le monitorat, le tutorat… Les pistes sont nombreuses. Cela passe par une révision des taux d’encadrement. Cela passe aussi par un renouvèlement de la démocratie au sein des universités. Développons le référendum d’initiative étudiante, augmentons la place des étudiants et des élus des personnels dans les Conseils d’administration. Nos universités fonctionnaient sur un système d’auto-gestion, d’auto- determination, des immenses coopératives. Relançons cette dynamique. Cela implique évidemment de remplacer la loi LRU pour retrouver un mode de décision transparent et collégial. A ce titre, j’appelle à l’organisation des Etats Généraux de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche pour retrouver le chemin du dialogue et de la confiance.
Vous le savez, les jeunes français sont parmi les plus stressés du monde. Ce stress est lié à l’élistisme, à l’hyper sélection et à l’absence de droit à l’erreur. Je veux donner le droit à l’erreur, le droit de rater, le droit de recommencer, de partir de travailler et de revenir. C’est pourquoi je défends l’idée d’un crédit formation de 8 années. Un crédit qui donnera corps à l’objectif de formation tout au long de la vie et qui bénéficiera d’autant plus à ceux qui ont arrêté tôt leurs études.
Je ne suis pas opposée à l’excellence. Donner les moyens de leur art et de leur talent aux plus brillants d’entre nous, c’est aussi permettre l’exploration et la découverte de nouveaux horizons pour notre société. Mais l’excellence ne peut pas être l’alibi du pire.
Je refuse que l’excellence soit l’alibi de la ségrégation. Notre système d’excellence est aujourd’hui un système de reproduction des classes sociales qui exclut les classes populaires, les jeunes des banlieues et ceux issus de l’immigration. C’est un gâchis des intelligences, des talents et des volontés. Je refuse une excellence qui sert d’alibi à la pénurie. Un certain nombre de nos grandes écoles forment une jolie carte postale de l’enseignement supérieur français. Mais cette carte postale
cache mal une réalité plus triste. La réalité c’est que notre effort en la matière est inférieur à la moyenne de l’Union européenne. La réalité, c’est qu’un étudiant « coûte » moins qu’un lycéen et pratiquement deux fois moins qu’un élève de grande école. J’ai le sentiment là aussi d’un gâchis considérable.
Je veux en finir avec ce double système. Je veux fusionner les Grandes Ecoles et les Universités. Il faut être ouvert sur les modalités et le rythme de convergence, mais voilà le chemin que je trace.
Rendre effectif le droit de recommencer, de partir, de travailler et de revenir, c’est aussi pour moi développer les années de césure. Cette « gap year », cette année de transition, n’a pas sa place dans les traditions françaises, où l’école apparaît trop comme une course contre la montre où chaque année qui ne serait pas consacrée à engranger des « bonnes notes » est considérée comme un « retard ». Mais dans beaucoup de pays, il est d’usage que les jeunes interrompent leur scolarité durant une ou deux années, entre quinze et vingt ans, pour prendre du recul et vivre une expérience personnelle forte. Ce peut être un service civique, chantier humanitaire, un engagement associatif, un voyage ou une découverte du monde du travail.
Ces expériences, je veux les soutenir, car c’est aussi grâce à elles que les jeunes trouvent leur voie et ré-inventent notre société. C’est aussi grâce à elles qu’ils peuvent remplir leur vrai devoir : bousculer nos préjugés, élargir le champ des possibles.
En espérant avoir répondu à vos interrogations, je vous prie d’agréer mes salutations sincères. Eva Joly