Discours d’Eva Joly devant la Confédération Générale des Petites et Moyennes entreprises

Mesdames, Messieurs,
Monsieur le Président,

Je vous remercie pour votre mot d’introduction. Je suis touchée par les qualités que vous m’attribuez, le courage et la ténacité. Mais, ne vous inquiétez pas, j’ai aussi entendu les critiques : certaines de mes propositions vous font lever les cheveux sur la tête. Alors je ne vais pas me défiler et vous parler de ces propositions, précisément. Car si nous sommes parfois en désaccord, je crois que nous devons aussi bien nous écouter pour lever, je l’espère, certaines incompréhensions.

Mais avant cela, je voudrais en introduction vous dire deux mots sur ce que j’appelle le « marronnier des PME ». Un « marronnier », c’est un sujet récurrent, un sujet qui ressort régulièrement à la Une des journaux, à l’image de ces hebdos qui redécouvrent tous les 6 mois qu’il y a des Franc Maçons en France. Et bien moi, je veux vous parler du « marronnier des PME » en période électorale.

Pendant les campagnes électorales, il est de bon ton de dire que les PME sont l’avenir de l’économie française. PME, PME, PME. Les candidats n’ont que ce mot là à la bouche. Et après les élections, on revient au statu quo. Pourquoi ? Car la France et les grands partis politiques sont restés profondément jacobins. Pour eux, lte progrès c’est forcément les grands groupes, qu’il s’agisse de Total, d’Areva ou d’EDF, pour ne parler que d’énergie. Regardez le crédit impôt recherche : qui en bénéficie ? Les grands groupes essentiellement, avec un effet d’aubaine terrible.

Regarder du côté des grands groupes, c’est dans les gènes des partis politiques jacobins. C’est donc dans les gènes de tous les partis politiques, sauf celui que je représente, celui de l’écologie politique. Les TPE et les PME correspondent au modèle de société décentralisé que nous défendons.

C’est pourquoi, et c’est peut être une surprise pour vous, mon premier déplacement de campagne, en août 2011, je l’ai effectué auprès de PME auvergnates. Et en particulier auprès d’une PME, Sélectis, qui créé de la richesse et de l’emploi en triant et recyclant les déchets du bâtiment. Une PME écologique donc, mais qui souffre de la concurrence déloyale d’un grand groupe du secteur, Véolia, qui enfouit dans sa décharge des déchets non triés malgré les engagements du Grenelle.

Alors on peut m’expliquer qu’il faut aider les PME ET les grands groupes, qu’il faut construire des synergies. Mais trop souvent, ce que j’observe, c’est que les PME passent toujours après. Je veux inverser cet ordre de priorité. C’est pourquoi je porte depuis le début de ma campagne l’idée d’un Pacte pour les PME.

Il s’agit évidemment de recentrer le crédit impôt recherche sur ces structures, grâce au rétablissement du plafonnement à 50 M€ des montants éligibles au CIR. Il s’agit aussi de mettre en place une déclinaison française, et à terme européenne, du « Small Business Act » américain, qui réserve ncertains marchés publics aux PME. Ce dispositif a fait la preuve de son efficacité et est parfaitement documenté : il n’y a aucune raison de ne pas le décliner en France et en Europe, si ce n’est l’intérêt de grands groupes qui ont su jusque là bloquer toute initiative ambitieuse en ce sens.

Plus précisément, parmi les mesures de ce Small Business Act, je souhaite réserver les marchés publics d’un montant inférieur à environ 70.000 € aux PME. Sauf bien sûr lorsque l’acheteur public peut établir qu’aucune d’entre elles ne peut offrir les produits ou services attendus. Je dois aussi préciser que ce sujet est trop sérieux pour faire l’objet de rodomontades et de déclarations menaçantes envers l’Europe. Pour convaincre nos partenaires européens, la mise en demeure n’est pas la plus efficace des méthodes.

Avec mon Pacte pour les PME, je veux aussi moduler l’impôt sur les sociétés, en fonction des bénéfices, et limiter ce que les grands groupes appellent pudiquement l’optimisation fiscale, en instaurant un impôt plancher de 17%. J’ai vu votre proposition consistant à exempter d’impôt la part des bénéfices qui vont dans les fonds propres. C’est une idée intéressante, sous réserve que cet argent soit utilisé pour les coups durs, c’est à dire qu’il devra être obligatoirement employé en cas de crise pour préserver emploi.

Avec ce Pacte, je veux donc donner la priorité aux PME. Parce qu’elles correspondent au modèle décentralisé que les écologistes défendent. Mais aussi, tout simplement, car les PME sont les forces vives de la conversion écologique de notre économie.

Laissez moi vous parler un peu de la conversion écologique de l’économie. Je répondrai ainsi, je l’espère, à vos doutes concernant les emplois qu’elle peut créer ou concernant l’avenir des filières nucléaire et automobile.

Je vais prendre un exemple, celui de l’usine Bosch de Vénissieux. Dans cette usine, les salariés fabriquaient des pompes à injection pour les automobiles. Avec la baisse de la production à laquelle nous assistons, l’usine devait fermer. Les salariés se sont réunis et ont proposé un projet alternatif de conversion écologique : construire des panneaux solaires. Bosch a accepté, car ce groupe non financier a une vision de développement sur le long terme. Et les salariés, après avoir été formés quelques semaines dans les usines de panneaux solaires que Bosch a en Allemagne, produisent aujourd’hui en France.

L’avenir de l’industrie, c’est la conversion écologique de l’économie. C’est le développement des énergies renouvelables, c’est l’isolation des bâtiments, ce sont les éco-matériaux, la chimie verte, les transports collectifs. Il y a là un gisement de 500.000 emplois d’ici 2020. En prenant en compte les emplois qu’il faudra reconvertir avec la baisse progressive du nucléaire – je dis bien progressive – et l’adaptation de la filière automobile à la saturation du marché. Le gisement d’emplois verts est considérable parce que ces secteurs d’avenir sont beaucoup plus intensifs en travail. Et parce qu’il vaut mieux pour l’emploi produire du biogaz en France que d’importer du gaz russe. La conversion écologique n’est pas une menace pour l’emploi, c’est au contraire la solution. C’est un gisement considérable qui bénéficiera surtout aux PME.

Si vous y ajoutez les autres éléments de mon programme, que ce soit dans la construction de logements, les crèches ou la lutte contre la dépendance, c’est au final un million d’emplois que nous pouvons créer. Ce chiffre ne sort pas de nul part : c’est le résultat d’une étude consultable sur mon site internet.

J’entends également ce que vous dites sur les coûts « astronomiques » liés à l’écologie. Peut être faites vous implicitement référence à la sortie progressive du nucléaire que je défends. Quoiqu’il en soit, permettez moi de dire deux mots sur le coût de la sortie du nucléaire.

Malgré les mensonges du Figaro ou de M. Besson, j’espère que le débat qui a lieu depuis plus d’un an sur le nucléaire aura au moins permis de tordre le coup à une idée reçue. Comme le titrait Le Monde : « sortir du nucléaire coûte cher, y rester aussi ». Car pour rester dans le nucléaire, il faut injecter des milliards pour prolonger les réacteurs existants, et encore plus pour en construire de nouveaux. Savez vous combien va coûter l’EPR de Flamanville : 6 milliards d’euros. Deux fois plus que prévu. L’éolien est plus compétitif que l’EPR… La question est : où voulez vous investir des milliards. Dans le nucléaire ? Ou dans les économies d’énergie et les énergies renouvelables. Pour l’emploi, pour la planète, moi j’ai fait mon choix.

Permettez moi de revenir un instant sur le cas de l’usine Bosch de Vénissieux. Ce qu’il faut retenir de cette conversion, ce n’est pas seulement le passage de la sous-traitance automobile aux panneaux solaires. Ce sont les conditions qui ont permis cette réussite. Elles sont au nombre de deux : l’implication des salariés, et la logique économique de long terme. Bref, l’exact opposé du capitalisme financier qui domine en France.

Car quels sont les résultats du système dominant ? C’est M-Real ou Fralib. Les sites de production que ces entreprises ferment, et que j’ai visités, ont pourtant un avenir. Le site de M-Real peut produire de la pâte à papier recyclée, et utiliser des procédés très économes en énergie. Le site Fralib peut produire du thé bio en partenariat avec les agriculteurs locaux. Ces sites ont un avenir mais les actionnaires préfèrent les fermer. Ils pourraient les vendre, mais ils ne veulent pas, car ils veulent éviter de créer un concurrent. Alors ils les ferment purement et simplement. Et protègent ainsi leur pouvoir de marché.

Cela ne vous choque-t-il pas ? Moi si. C’est pourquoi je propose de réformer le droit pour obliger un actionnaire qui veut ferme un site à le mettre en vente. Permettez moi de répéter, car peut être est-ce par simple incompréhension que vos cheveux se dressent sur votre tête : il ne s’agit pas d’obliger un actionnaire à vendre son entreprise dans n’importe quelles conditions. Il s’agit d’obliger un actionnaire qui veut fermer un site à le mettre en vente. C’est pour moi une mesure de bon sens. C’est mieux que de voir le site et l’emploi disparaître !

Je vous disais que les conditions du succès de Bosch Vénissieux, c’est la logique économique de long terme plutôt que la finance, et c’est l’implication des salariés. Je veux que nous progressions ensemble sur ce dernier point.

Vous préconisez, si j’ai bien compris, la suppression « à titre exceptionnel » des seuils qui déclenchent certains droits pour les salariés. J’imagine que vous faites ici référence au seuil de 50 salariés. Ma logique n’est pas celle là. Si je comprends le besoin de « lisser » les effets de seuil, je suis contre la diminution du droit de salariés. Je veux au contraire renforcer la participation des salariés à la décision, notamment sur l’organisation du travail. Cela se passe en Allemagne, et je n’ai pas cru comprendre que les PME allemandes soient à genoux. Il est important que, dans les PME comme dans les grandes entreprises, on change les rapports de travail et l’on abandonne un modèle « purement hiérarchique ». Dans cette logique, j’ai proposé de réserver 50% des sièges des conseils d’administration des grandes entreprises aux représentants des salariés.

Sur ce dossier clef de la représentation des salariés, mais aussi de la représentativité des organisations syndicales, nous avons encore un long chemin à faire pour qu’un vrai dialogue social émerge en France. Je souhaite que ce chantier commence rapidement pour aboutir à des conclusions opérationnelles avant fin 2013.

Je voudrais finir par la dernière proposition des écologistes qui vous fait dresser les cheveux sur la tête. L’ouverture d’un débat sur les 32H. Honnêtement, je ne comprends pas le problème. Vous ne semblez pas avoir peur du débat. Et si vous avez lu attentivement mes déclarations, vous verrez que je ne propose pas une loi de réduction du temps de travail pour tous, mais que je veux soutenir les entreprises qui feraient ce choix. A l’image des 400 entreprises qui sont déjà passées aux 32 heures. C’est ce qu’a fait Mamie Nova sans augmenter le prix de ses yaourts. La clef de la réussite, c’est un dispositif souple. A l’image de Ducs de Gascogne, une entreprise de foie gras, où les salariés travaillent 4 jours par semaine pendant l’année, mais 5 voire 6 à l’approche des fêtes.

Je ne veux obliger personne : je veux inciter et accompagner la réduction du temps de travail. Je suis convaincue que nous pouvons nous rapprocher sur ce sujet, si nous allons au-delà des postures.

En fait, je suis convaincue que nous pouvons nous rapprocher sur beaucoup de sujets si nous allons au-delà des postures. J’espère que ce moment avec vous aura contribué à lever des ambiguïtés, des incompréhensions, et qu’il est le début d’un travail de fond qui continuera bien après l’élection présidentielle.

Je vous remercie.

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