Réponse d’Eva Joly à l’interpellation de l’Ardhis et des Amoureux au ban public
Madame, Monsieur,
Je tiens à vous remercier pour votre initiative visant à engager les candidat-e-s aux élections présidentielles sur le chemin des droits humains, notamment autour de la défense du droit des couples binationaux à mener une vie familiale normale.
Les piliers de l’Etat de droit, notamment le respect de l’indépendance de la justice et de la presse, l’égalité des citoyens dans l’accès aux droits, l’impartialité et la neutralité des institutions, ont été gravement mises en cause sous la présidence qui s’achève.
La France a été à plusieurs reprises pointée du doigt voire condamnée pour violation de ses obligations en matière de droits fondamentaux : le recours abusif à la force et l’impunité des forces de l’ordre, la maltraitance des détenu-e-s, la précarisation des conditions de séjour des étrangers, les expulsions forcées, les actes et propos racistes au sommet de l’Etat ont gravement entaché la réputation de la France « pays des droits de l’homme » et fragilisé les fondements de notre vivre-ensemble démocratique. De plus, en France, aujourd’hui, 3,5 millions de personnes sont discriminées et ne bénéficient pas des mêmes droits que leurs concitoyen-ne-s en raison de leur orientation sexuelle. Plusieurs milliers de personnes voient leurs droits au respect de la vie privée et à la maîtrise de leur parcours sanitaire bafoués, du seul fait de leur transidentité. Des plus hauts sommets de l’Etat jusqu’à à l’école, l’homophobie, la lesbophobie et la transphobie persistent sous des formes diverses et plus ou moins violentes. Réussir l’égalité des droits n’est donc pas seulement un impératif juridique mais une nécessité pour vivre ensemble dans une société respectueuse de chacun-e.
C’est pourquoi je m’engage à mettre en œuvre ou renforcer les organes et mécanismes nationaux européens et internationaux afin de garantir l’efficacité du système de protection des droits humains. Les institutions de l’Etat doivent retrouver la confiance des citoyens. Pour cela, elles doivent être rendues comptables de leurs éventuels manquements aux obligations d’impartialité, d’indépendance et de respect des droits fondamentaux.
Le respect de l’égalité sera inscrit au cœur de l’action de l’Etat, égalité entre les hommes et les femmes, reconnaissance du mariage des personnes de même sexe, autonomisation et pleine citoyenneté des personnes handicapées, égalité des droits entre travailleurs nationaux et immigrés et, notamment, politique de régularisation de leur séjour, droit de vote pour tous les résidents aux élections locales et nationales… L’égalité comme principe actif et une politique assumée de lutte contre les discriminations libèreront les énergies citoyennes et régénèreront les institutions.
Mon parcours personnel me rend particulièrement sensible à la situation des couples binationaux : en tombant amoureuse d’un français, je suis devenue amoureuse de la France qui m’a accueillie les bras ouverts et qui m’a permis de devenir française rapidement. Je suis très touchée et choquée par les situations des personnes victimes de réglementations et de procédures de plus en plus suspicieuses à leur égard, et qui les empêchent de vivre en famille et de s’épanouir. C’est donc naturellement et sans réserve que je m’engage sur vos 8 articles ainsi que sur les propositions concrètes qui en découlent.
Je n’accepte pas la gouvernance par la peur et le recours aux boucs émissaires revendiqués dans le discours de Grenoble, pas plus que le déni de droit dont sont victimes les personnes LGBT.
La crise profonde que nous traversons, financière, écologique et sociale est aussi une crise démocratique. Affronter les temps qui viennent exige la pleine participation de citoyens libres et égaux en droits. C’est mon pari d’avenir!
Vous trouverez en annexe des réponses plus précises aux propositions de votre plateforme de revendications.
Je vous prie d’agréer mes salutations sincères.
Eva Joly
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Réponses d’Eva Joly aux revendications de l’Ardhis et des Amoureux au ban public
Propositions 1, 2, 3 et 4.1
Sur les conditions du mariage, ou du PACS, les seuls critères acceptables sont ceux prévus par le Code civil (c’est-à-dire la volonté d’une union officielle, donc le consentement). Toutes les autres exigences sont totalement inappropriées et portent atteinte à la liberté individuelle de se marier (considérée comme une liberté fondamentale depuis une décision du Conseil constitutionnel de 1993) ou de se pacser.
En ce qui concerne l’accès au territoire, nous défendons une politique extrêmement ouverte de visa, leur unification, et une motivation des refus qui permette leur contestation réelle et non leur enlisement dans des procédures administratives.
Sur la possibilité de conclure des PACS ou des mariages dans les consulats, ce sont aujourd’hui les règles du droit international privé qui ont conduit le MAE à donner pour instructions aux consulats de ne pas célébrer ces unions. Nous sommes favorables à ce que le MAE donne instructions de célébrer ces pacs sans se préoccuper de la loi étrangère, car nous pensons que la France n’a pas à accréditer les droits étrangers plus restrictifs en matière de liberté individuelle et ce d’autant plus que des pacs sont célébrés sur le territoire national, y compris lorsque le droit national de l’étranger ne reconnait pas le pacs.
Nous défendons très généralement le droit à vivre en famille, que ce soit avec des Français ou des étrangers. Nous demandons les mêmes droits pour les conjoints d’étrangers que pour ceux des Français.
Proposition 4.2
Sans être opposée sur le fond à cette mesure, je note néanmoins les difficultés d’application qu’elle soulève. En effet, les Français ne sont pas considérés comme parents tant que l’enfant n’est pas né. La qualité de parent sur plan juridique ne s’acquiert que si l’enfant est né et viable. Ces questions méritent donc d’être approfondies, avec l’aide notamment des associations comme les vôtres.
Proposition 5
Nous demandons cette garantie de stabilité pour tous les étrangers.
Proposition 6
Il n’est pas acceptable que les droits soient restreints par des pratiques administratives. Pour contrer ces pratiques, nous pensons que le ministère de l’intérieur et son ministre devront à la fois montrer l’exemple, avec un discours clair sur le traitement non discriminatoire des populations que nous accueillons ; parallèlement, au delà des mots, le ministre devra donner des instructions de traitements claires aux agents pour que les pratiques arbitraires soient bannies, instructions dont la violation doit être assortie d’une sanction, pour être appliquées.
Proposition 7
Les questions que vous soulevez sont très justes. Il ne suffit pas de proclamer un droit ou une procédure encore faut-il l’encadrer dans un délai et que le non respect du délai ait des conséquences. Là aussi, il paraît logique et de bons sens de donner des instructions claires aux agents. Il sera sans doute aussi nécessaire de modifier les textes applicables afin de permettre un encadrement dans le temps accompagné de sanction en cas de non respect. En tout état de cause, une modification des textes devra être précédée d’une évaluation des pratiques afin de les connaître le plus complètement possible, mesurer les disparités et trouver les solutions les plus à même de résoudre les difficultés.
Proposition 8
Nous sommes d’accord pour aligner le régime des partenaire pacsés sur le régime des conjoints, c’est-à-dire la possibilité de faire une déclaration de nationalité après quatre ans de pacs comme pour le mariage. Nous sommes aussi d’accord pour supprimer la présomption de fraude qui a été créée en cas de séparation du couple dans l’année qui suit l’obtention de la nationalité française. La fraude ne saurait en effet se présumer, elle fait peser une suspicion parfaitement inutile et déplacée sur tous les couples binationaux. Il appartiendra au procureur de la République de démontrer cette fraude le cas échéant.