Réponse d’Eva Joly à l’adresse de la FCPE

Monsieur le Président,

A propos d’enseignement, la campagne électorale s’est concentrée jusqu’à aujourd’hui sur la question des moyens budgétaires alloués à l’éducation nationale. Une question très importante, après la disparition de plus de 60000 postes d’enseignants sur 5 ans, à laquelle j’ai d’ores et déjà répondu par le souhait de recruter 20000 enseignants et cadres éducatifs supplémentaires. Je suis heureuse que l’interpellation de la FCPE me permette de plus développer mon projet pour l’Ecole. Car après avoir écouté beaucoup d’observateurs, je fais mienne l’idée qu’il faut refonder l’Ecole et le projet éducatif global de la société. Comme je l’ai constaté lors de la convention d’Europe Ecologie – les Verts sur l’Education à Lille en mai 2011, cela ne peut se faire qu’en associant à tous les niveaux quatre séries d’acteurs incontournables : les enseignants, les parents, les collectivités territoriales et les associations (mouvements pédagogiques et associations d’éducation populaire). Depuis plus d’un siècle, les parents qui sont les co-éducateurs des enfants sont régulièrement tenus en lisière de l’Ecole. Il suffit de visiter les autres écoles en Europe pour se convaincre que ce trait qui caractérise notre système éducatif n’est plus supportable.

 

Rythmes

Une première illustration en est donnée avec la reconsidération des rythmes de vie des enfants et des jeunes. Comme beaucoup, je suis convaincue qu’il faut revenir sur la décision imposant unilatéralement la semaine de 4 jours, mais les décisions ne doivent pas se limiter aux seules questions scolaires. De plus en plus de parents subissent un avenir incertain, des horaires flexibles, des temps de transport qui s’allongent. Il arrive aussi que les horaires des lycéens dépassent allègrement les 35 heures de cours par semaine, sans compter le travail personnel… Il faut fixer un cadre par la loi : des horaires maximum pour la journée en fonction du niveau d’enseignement, l’application immédiate de l’alternance de 7 semaines de cours (+/-1) et 2 semaines de vacances, de la pause méridienne de 90 minutes en commençant par l’école fondamentale. Sur la durée des vacances d’été, leur zonage, je compte mener un large débat public avant le vote d’une loi. L’application des mesures sur les rythmes de la journée et de la semaine doit se faire à l’échelle des bassins de vie, en s’appuyant sur des projets éducatifs locaux et sur des bureaux des temps. Enfin les décisions concernant les emplois du temps doivent être mieux partagées, notamment par des débats préalables dans les conseils d’école et les conseils d’administration.

 

Ecole fondamentale, pédagogie, orientation

Comment sortir de la logique de la mise en concurrence des établissements, de la logique sélective qui exclut les plus faibles et soumet les enfants de plus en plus tôt à un stress permanent ? Les écologistes sont ambitieux et je veux traduire l’ambition d’une scolarité commune pour tous les élèves par la création d’une école fondamentale de 6 à 16 ans. Là, il n’y aura ni orientation précoce, ni sélection. Au contraire, les élèves doivent apprendre à coopérer, à participer à des projets collectifs, à élaborer des projets personnels. Il ne faut pas attendre la majorité civique pour devenir citoyen, ni attendre d’avoir le bac pour être compétent. Les redoublements seront supprimés au profit d’une véritable pratique de l’alternance qui ne se limitera pas au seul domaine de l’insertion professionnelle : qu’il s’agisse de pratiques culturelles, sportives, scientifiques, de découvertes des métiers ou des voies de formation, les équipes pédagogiques doivent mettre en place des dispositifs d’alternance s’appuyant sur l’environnement de l’école (y compris les espaces numériques de travail qui doivent être ouverts). S’épanouir et construire sa liberté dans un monde de sollicitations consuméristes exacerbées passe par l’acquisition de la maitrise des outils qui nous entourent : l’éducation à l’image, aux réalités d’internet à la critique des informations est indispensable. Les « éducations à… » seront généralisées, car elles ont du sens pour les élèves, les parents, les autres acteurs éducatifs et permettent d’ouvrir à l’interdisciplinarité et à la complexité des connaissances. Tout comme l’acquisition de la capacité de s’épanouir par l’approche sensible des œuvres, le contact des artistes, ou le plaisir des productions collectives, est gage de la construction d’une société plus solidaire et plus apaisée. Dans les parcours au sein de l’école fondamentale, les groupes d’élèves pourront être variés en fonction des objectifs pédagogiques, des besoins et des projets. Les équipes pédagogiques fonctionnelles seront favorisées (une équipe d’enseignants prend en charge collectivement un groupe à taille humaine d’élèves hétérogènes sur une année ou un cycle). Les modalités d’évaluation seront profondément revues au profit d’évaluations terminales de fin de cycle. Le contrôle en cours de formation sera généralisé. La mobilité de tous les élèves sera favorisée avec des obligations de séjours scolaires dans tous les parcours d’élèves.

Après la période de scolarité obligatoire, je veux proposer aux jeunes de pouvoir réellement interrompre ou reprendre leur parcours pour vivre une expérience personnelle ou un engagement, qui peut être un service civique. Cette prise de recul sera investie par l’éducation populaire et devra être assortie de la garantie de pouvoir reprendre ses études au point où on les a laissées. Le baccalauréat fera une part importante à la validation d’unités capitalisables dans le cadre d’un système modulaire (chaque lycéen construit son parcours), à la présentation de travaux et à des épreuves ponctuelles transdisciplinaires.

 

Inégalités sociales et territoriales

Les inégalités minent la société française et, depuis 15 ans, notre école est devenue une des plus inégalitaires d’Europe. Il me parait donc urgent de refonder l’éducation prioritaire et ce, en lien avec les projets de territoires. Je défends l’idée d’un bouclier de service public qui doit s’appliquer en priorité dans les banlieues et territoires ruraux délaissés. Plutôt que de stigmatiser les établissements et les habitants des quartiers, il faut permettre un accès au droit commun dans le cadre d’une politique de la ville ambitieuse qui accompagne et associe les habitants, plutôt que de confier de coûteuses opérations de démolition-reconstruction aux seuls experts. Pour ce qui relève de l’enseignement, il faut une objectivation des moyens alloués : la première étape étant constituée par l’affichage des budgets consolidés des établissements, l’allocation de moyens humains supplémentaires à un échantillon resserré de la population scolaire (12.5% contre plus de 20% aujourd’hui). Je veux cesser ce scandale de l’affectation en éducation prioritaire d’enseignants à la fois inexpérimentés et non volontaires. Il faut proposer des horaires allégés aux enseignants affectés en échange de plus de formation ou plus de présence dans l’établissement auprès des élèves. Pour favoriser la mixité, la carte scolaire doit être rétablie, mais à l’échelle du bassin de vie, en évitant les ruptures préjudiciables (dont le palier de 6ème) et en favorisant les établissements à taille humaine et les transports scolaires de proximité.

 

Refonder le métier enseignant

Si la gauche et les écologistes l’emportent aux prochaines élections législatives, des dossiers urgents sont sur la table. La redéfinition du métier enseignant doit s’amorcer en même temps qu’il faut procéder à des recrutements ambitieux, à rebours de l’évolution menée depuis cinq ans. Je propose trois types de concours : le premier aura lieu après la licence et ouvrira sur deux années de formation professionnelle en alternance débouchant sur un mastère. Le deuxième type sera ouvert aux candidats déjà titulaires d’un mastère et le troisième à ceux qui auront une expérience professionnelle reconnue par la validation des acquis de l’expérience : ils donneront droit à une année de formation débouchant sur un mastère d’enseignement et une titularisation. La connaissance de l’enfant, de l’adolescent, de son développement et de son environnement, de l’approche non-violente des conflits, etc. ne pourront faire partie de la formation initiale des enseignants que si un temps suffisant est proposé et seulement après le concours. Je propose également que la place des parents dans l’éducation soit un axe obligatoire de formation initiale des enseignants. La formation initiale et continue des enseignants doivent être articulés à travers des pratiques éprouvées d’analyse de pratiques et la participation de tous les professionnels de l’éducation à des formations communes. Un plan de rattrapage sera nécessaire pour les enseignants qui ont été nommés depuis trois ans…

 

Maternelle

La politique en direction de la petite enfance doit faire partie des priorités : création d’un service public associatif et solidaire de la petite enfance s’appuyant sur les collectivités locales, ouverture de 400 000 places de crèches, obligation faite aux services publics d’accueillir, si les parents le souhaitent, tous les enfants de trois ans à l’école maternelle et les moins de trois ans dans l’éducation prioritaire. L’accueil des parents doit être particulièrement privilégié, de façon à faciliter les transitions et à réhabiliter les parents comme co-éducateurs pour toute la scolarité ! A l’école maternelle, l’enfant se développe et apprend à vivre avec les autres. Pour lui donner le goût d’apprendre, des situations d’apprentissage variées doivent lui être proposées notamment en vue de la maitrise du langage. Il faut donner à chacun les clés du savoir pour qu’il devienne élève.

 

Situation de handicap

Les enfants et les jeunes en situation de handicap ont un droit égal à l’éducation. A l’école d’abord où ils doivent pouvoir être accueillis selon des modalités compatibles avec leur handicap. Pour cela des aides pérennes doivent être instituées : les auxiliaires de vie scolaire doivent avoir un statut qui leur permet de se former, d’intervenir aussi dans des temps péri ou extrascolaires et de travailler dans la durée auprès d’élèves et d’équipes pédagogiques. Le climat de confiance est à ce prix.

 

 

Santé

Les comportements face à la santé sont déterminants pour les parcours de vie. L’éducation à la santé est un axe essentiel dont doivent s’emparer tous les acteurs éducatifs. Je souhaite créer des pôles régionaux d’éducation pour la santé et de promotion de la santé, incluant la santé scolaire, les services de PMI et les IREPS. La mission des personnels de santé qui doivent être présents dans les établissements scolaires est triple : dépistage, prévention et participation à la formation. S’agissant de l’éducation sexuelle et affective ou de la question des addictions, il est important de pouvoir répondre aux questions qui se posent quand elles se posent, notamment auprès des adolescent(e)s. Nous souhaitons que soit développée auprès des élèves la formation aux premiers secours, à l’alimentation (à travers la restauration collective), à l’hygiène (par la création de CHSCT).

 

Démocratie

Pour devenir citoyen, il faut apprendre à exercer des droits. Le fonctionnement des établissements doit devenir beaucoup plus démocratique. Les collégiens et lycéens doivent apprendre à débattre, à prendre des initiatives, à décider et à appliquer les décisions. Le statut des lycéens et des parents d’élèves doit être redéfini : droit effectif de réunion, accès à un local et à des possibilités de communication au sein de l’établissement. Leurs représentants doivent avoir des mandats d’au moins deux ans, permettant la formation qui doit être gratuite, la poursuite de projets pluriannuels. Dans les instances (conseils d’administration, bureaux, conseils de discipline), les différents collèges doivent être à égalité numérique (élèves, parents, enseignants, administration, collectivités et associations) et leurs présidents élus.

 

Gratuité

Enfin, il apparaît essentiel de remettre à plat les compétences des collectivités territoriales. La cohérence et la continuité éducatives l’exigent. Les conflits de légitimité entre collectivités et services de l’Etat, l’illisibilité des financements et des procédures, les inégalités de prise en charge permettent aux seuls initiés et experts de tirer leur épingle du jeu. Les propositions que vous faites concernant la gratuité ne seront réalisables qu’à la condition que soit opérée une véritable refondation des compétences à partir de l’existant. Aucune question ne doit être occultée : des ressources propres à l’exercice de la solidarité territoriale, de l’ouverture des locaux aux responsabilités partagées en matière de pédagogie ou de projet éducatif territorial… Je suis très attachée aux mécanismes de péréquation qui doivent être réellement appliqués pour permettre à chacun de bénéficier de droits élémentaires : accéder au logement, au transport mais aussi aux conditions d’une scolarité réussie pour tout ce qui touche aux équipements des élèves. Les aides sous conditions de ressources pour les dépenses incombant aux parents sont une piste qui pourrait être généralisée si la confidentialité est respectée et l’emploi des fichiers de données personnelles sérieusement cadré…

 

Laïcité

La question des valeurs qui guident l’action publique doit être clairement posée. Je privilégie la coopération plutôt que la compétition, la solidarité et la responsabilité plutôt que le cynisme assumé au nom du pragmatisme. Je ne veux pas faire du passé table rase : il faut s’appuyer sur les coopérations existantes, les capacités à innover et accompagner les plus faibles mais aussi l’attachement au service public. Je partage l’objectif d’ouvrir des établissements publics correspondants à la scolarité obligatoire, là où ils sont absents, et d’imposer plus d’exigences à l’enseignement privé sous contrat en matière de missions de service public (mixité sociale, conditions d’inscription). Je partage l’attachement d’Europe Ecologie Les Verts à la laïcité qui permet de faire vivre ensemble tous ceux qui sont différents par-delà leurs appartenances ou leurs apparences. Les temps et lieux d’éducation doivent donner l’occasion de rencontrer l’autre, d’écrire ensemble une page d’histoire. Bien loin des cléricatures qui pensent à notre place ou des intégrismes qui construisent des barrières de feu.

 

 

En espérant avoir répondu à vos interrogations, je vous prie d’agréer mes salutations sincères.

 

Eva Joly

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