Eva Joly répond aux questions d’Attac sur la crise et les questions financières
Eva Joly répond aux questions d’Attac sur la crise et les questions financières
Retrouvez les réponses d’Eva Joly au questionnaire d’Attac aux candidats et candidates à l’élection présidentielle
Objet : Réponse aux questions d’ATTAC aux candidat-e-s à l’élection présidentielle
Madame Trouvé,
Tout d’abord merci pour votre questionnaire qui permet à chaque candidat d’entrer dans le détail de ses propositions sur les sujets financiers. Ceux ci sont déterminants mais, je trouve, trop peu présents dans le débat politique.
Néanmoins, nous ne devons pas oublier que la crise financière est l’expression d’une crise plus globale, sociale et écologique qui oblige nos sociétés à revoir leurs modes de production et de consommation. Le développement de la finance a permis de mettre en place des mécanismes complexes pour capter une richesse produite par ailleurs, de déconnecter le lieu de production de richesse et celui de son exploitation. Par exemple, le crédit « subprime » a permis de prolonger le rythme de consommation des ménages américains en remplaçant des salaires par un accès facilité au crédit. Le ralentissement de la croissance en 2007, la hausse des taux d’intérêts, la hausse du prix de l’essence ont provoqué des défauts de paiements en chaîne et une crise systémique.
Par ailleurs, vous parlez souvent du G20 dans votre questionnaire. Pour moi, le G20 ne doit pas être le lieu des décisions importantes pour l’humanité du fait de l’exclusion d’un trop grand nombre de pays. Je défends le multilatéralisme et l’ONU, comme lieu privilégié de négociation.
1 Régulation financière
Je partage votre constat sur la trop grande faiblesse de la réponse actuelle à la crise financière de 2008, dont nous ne sommes toujours pas sorti. Elle est la résultante de la nouvelle ère du capitalisme, le néolibéralisme dont les méthodes et les objectifs sont bien identifiées : marchandisation généralisée étendue à toute la planète, liberté d’action des investisseurs et des grandes entreprises multinationales. Je récuse cet intégrisme libre-échangiste qui s’est traduit par l’ouverture de toutes les frontières commerciales, la disparition des obstacles aux échanges de bien et de services, indépendamment de toute considération sociale, écologique et de droits humains. Mon niveau d’ambition est simple : instaurer de nouvelles règles du jeu face à la vague néolibérale au début des années 80 pour s’opposer à la domination du capital sur le travail et la nature, et à la domination des pays riches sur les autres.
Malgré les grands discours les combats concrets pour encadrer la finance avancent peu. La pseudo « fin des paradis fiscaux « s’est révélée un leurre. , les bonus ont retrouvé leur niveau d’avant la crise, les produits dérivés sont toujours échangés de manière opaque, de nouveaux produits continuent de voir le jour, comme les fameux ETF, qui accentuent l’empreinte de la finance sur l’économie réelle, ou le « trading de haute fréquence (HFT) » dont les volumes ont plus que triplé depuis 2008 !
Dans ce contexte mes priorités seront les suivantes
– Séparer les activités de « banques d’affaires » et de banques de dépôts. L’argent du contribuable ne doit en aucun cas servir à sauver la partie « finance de marché » des banques. Le seul moyen de garantir cela est de séparer les activités. Mais en menant cette réforme à bien il faudra être attentif à ce que ne soit pas le pretexte pour abandonner toute réforme de la finance de marché. Ce n’est pas parce que cette activité ne doit pas être sauvée par l’argent du contribuable qu’elle doit prospérer librement car elle est par ailleurs largement prédatrice de l’économie réelle
– Par ailleurs, nous proposons la création d’un pôle public bancaire autour de la banque postale. Mais nous devons aussi empêcher que l’épargne populaire soit captée par la finance de marché. C’est pour cela que nous prônons également la création d’un pôle financier public autour de la Caisse de Dépôts et Consignation. Le démantèlement de Dexia va dans ce sens.
– Interdire les CDS notamment sur les dettes souveraines. Ces produits sont profondément pervers car ils reposent sur la fiction selon laquelle les marchés peuvent s’auto assurer alors que nous le voyons tous les jours les vrais assureurs des risques pris ce sont les contribuables ou les Banques centrales. Nous sommes ainsi dans la situation absurde où des banques européennes vendent de l’assurance contre le risque de faillite de l’Italie alors que l’on sait que ces memes banques feraient immédiatement faillite si l’Italie venait à devoir faire un défaut partiel.
– Adopter en France l’équivalent de la loi FATCA votée par Obama en 2010 pour obliger toutes les institutions financières qui ouvrent un compte à un citoyen français ou à une entreprises à capitaux majoritairement français de le déclarer au fisc. Cette loi, qui entrera en vigueur aux Etats Unis en 2013, est un coup de massue sur le secret bancaire. Ce sera mon modèle pour la France.
– Elargir la liste française actuelle des paradis fiscaux et conditionner l’octroi de la licence bancaire au retrait de la banque des paradis fiscaux. Pour les pays étant susceptibles d’être sur la liste mais ayant une véritable activité économique (Philippines, Libéria, Suisse, Liban…) les banques devront prouver le lien entre leur présence et une activité économique réelle.
– Mettre fin à la fuite en avant des transactions ultra courtermistes en instaurant un temps minimum pour chaque transaction. Je note d’ailleurs que la taxe sur les transactions financières, si elle voit vraiment le jour, sera un outil puissant contre ces transactions.
– Limiter le levier (niveau d’endettement rapporté aux fonds propres) des fonds spéculatifs (hedge funds) ce qui diminuera considérablement leur pouvoir.
Mon programme comporte des dizaines d’autres mesures pour remettre la finance à sa place. Certaines peuvent se prendre directement au niveau national (séparation des banques de dépôt et d’affaires) d’autres doivent se prendre au niveau européen (interdiction des CDS par exemple). Je constate en tant que députée européenne le grand écart qui existe entre les discours de régulation du capitalisme financier et les positions de négociation de la France à Bruxelles. Je prends l’engagement devant vous de faire de ces questions une priorité absolue si je suis élue Présidente. Je m’engage également à me battre pour une modification des traités européens de façon à limiter davantage la circulation des capitaux. Mais je note quand même que la jurisprudence actuelle de la Cour de justice prévoit expressément qu’il est possible de limiter la liberté de circulation des capitaux car cette liberté « n’est pas absolue ». Si certains choix ne sont pas fait c’est d’abord par l’absence de volonté politique des gouvernements en place, soumis aux exigences des marchés. .
2 Financement des urgences sociales et écologiques
Tout d’abord permettez moi de marquer mon accord sur la façon dont vous mettez en avant les urgences écologiques et la nécessaire transition écologique. Trop souvent la crise actuelle fait oublier cette urgence alors qu’il s’agit, à nos yeux, d’une dimension absolument incontournable de toute politique de « sortie de crise ». Car la tache qui est devant nous n’est pas de restaurer les équilibres antérieurs mais bien d’inventer un nouveau modèle de développement. La crise écologique est le résultat des choix productivistes et de la priorité donnée aux profits . Il y a urgence à changer d’ère. La conscience d’un monde aux ressources limitées, épuisables doit commander les choix collectifs. Il ne s’agit pas d’une simple alternance mais d’un enjeu de civilisation.
Le financement des investissements nécessaires à la conversion écologique de notre économie représente un montant annuel d’environ 50 milliards d’euros. La plus grande partie de ces investissements, environ les deux tiers, relèvent des acteurs privés (ménages et entreprises). L’enjeu pour l’Etat est, à ce niveau, de mettre en place des normes écologiques plus ambitieuses qui obligent les entreprises à investir et à innover pour continuer à vendre leurs produits sur le marché. Il s’agit par exemple des normes de consommation des véhicules, de tous les biens intermédiaires, des normes d’isolation des batiments, etc… Reste environ 15 à 20 milliards d’argent public qui doit venir financer les investissements publics verts, aider les ménages les moins aisés à modifier progressivement leur consommation et aider certaines entreprises ou certains secteurs à convertir leur mode de production. Ces investissements peuvent avoir plusieurs sources de financement : une fiscalité écologique basée sur une taxe sur les énergies non renouvelables (énergie et fossiles) et une réorientation de dépenses publiques existantes. Pour plus de détails sur tous ces aspects je vous renvoie au contre budget que j’ai présenté récemment . J’insiste sur le fait que ces investissements peuvent se réaliser sans endettement public supplémentaire.
Pour en venir plus spécifiquement à vos propositions :
– Sur les eurobonds: nous sommes favorables aux euro-obligations car il est cohérent lorsque l’on détient la même monnaie de mutualiser également les émissions de dettes publiques. Nous sommes donc favorables à un trésor européen émettant des obligations européennes pour financer les nouvelles dettes des Etats de la zone euro.
– Le bénéfice de ces euro-obligations sera double: un taux d’intérêt moyen plus faible, ce qui permettra de protéger de la spéculation des pays comme l’Espagne ou l’Italie et un meilleur (ou plus grand?) rapport de force avec les marchés financiers. Mais cette mutualisation de l’endettement doit aller de pair avec une plus grande mutualisation des politiques budgétaires, non pas à la demande des traders comme semble le supposer votre question, mais à la demande des pays comme l’Allemagne qui risque de voir leur propre taux d’intérêt augmenter. Cette mutualisation ne veut pas dire forcément une austérité généralisée mais un plus grand contrôle des engagements pris.
– Une modification du statut de la BCE est nécessaire, notamment pour lui permettre d’acheter des eurobonds et des titres de la dette publique des États européens. La crise récente a montré que dans des situations de crise, une banque centrale doit jouer le rôle de prêteur en dernier ressort. La BCE a été obligée de ne pas respecter à la lettre les traités : il faut en tirer les conséquences institutionnelles en réformant le statut de la BCE, en établissant un contrôle démocratique du parlement Européen sur la BCE.
– faire contribuer davantage les grandes entreprises, dont le taux d’imposition effectif n’est que de 8 %, est une nécessité absolue. La lutte contre les paradis fiscaux, le renversement de la charge de la preuve en matière de prix de transfert, l’imposition d’un taux d’imposition plancher sur le bénéfice brut, la réduction du crédit d’impot recherche, etc. font partie des propositions que je défends dans mon contre budget.
– Faire contribuer les catégories privilégiées est aussi une nécessité après des années d’une logique fiscale absurde consistant à favoriser les plus riches : fiscalité plus juste sur la succession des grands patrimoines, salaire maximum, forte taxation des revenus au-delà de 500 000 euros par an ou encore intégration des revenus du capital dans l’impôt sur le revenu. Voilà quelques unes des mesures qui figurent dans mon contre budget.
– Arrêter le recours au marché financier : le fait que les Etats soient obligés de passer par les banques privés qui placent ensuite la dette publique sur les marchés financiers pour se financer est effectivement un problème majeur. Je suis tout à fait favorable au retour à des emprunts publics qui permettent de retisser un lien direct entre l’Etat et ses citoyens et qui contournent les marchés financiers. Je suis également favorable à un financement direct par la BCE mais uniquement de certains investissements utiles à la conversion écologique.
En effet, je ne vois pas pourquoi la banque centrale devrait financer les dépenses militaires nationales ou l’investissement dans l’aéroport Notre Dame des Landes ! Enfin pour contourner les marchés financiers et réduire ainsi leur pouvoir actuel je suis favorable à la création d’un grand Livret Vert en complément du Livret A, géré par un pole financier public dont la mission serait de financer à bas taux les investissements verts des ménages (isolation des bâtiments…) et des entreprises
3. Banques
Concernant les banques j’ai déjà évoqué un certain nombre de mesures fortes dans le point 1 de votre questionnaire.
Je suis entièrement d’accord avec vos trois premières propositions. Je suis favorable à une sélectivité du crédit qui différencie le taux d’intérêt en fonction de l’utilité sociale et écologique du projet. Je pense également, et c’est un point important dans le débat actuel sur l’éventuelle recapitalisation des banques européennes, qu’il ne peut y avoir d’argent public sans prise de contrôle public. La mise sous tutelle des banques est un impératif politique majeur. L’austérité pour tous sauf pour les banques ce n’est tout simplement pas supportable. Mais je note comme vous que par le passé le simple contrôle public n’a pas suffit à modifier le comportement des banques et que les statuts actuels des banques coopératives et mutualistes ne sont pas non plus un modèle. Nous devons donc inventer une nouvelle organisation qui permet une représentation plus large des différentes parties prenantes. Le statut de Scic étant un héritage du passage des écologistes au gouvernement nous étudierons cette possibilité avec beaucoup d’intérêt.
Concernant le dernier point, je suis ouverte à une discussion plus avancée car les banques françaises disposent déjà de beaucoup d’obligations françaises dans leurs comptes via notamment l’assurance vie. Je ne vois pas à ce stade en quoi une obligation supplémentaire serait de nature à changer la donne. D’autant que, comme vous, nous plaidons pour un développement des emprunts populaires.
4. Dette
J’estime que si la dette est une réalité qu’il faut combattre, le discours sur la dette repose en grande partie sur un mensonge, celui transmis par le biais des pressions faites par les Agences de notation, expression des marchés financiers, dont le discours récurrent est la lutte contre les dépenses publiques. Ce raisonnement, qui consiste à faire payer par les populations la crise financière due aux spéculateurs et aux cadeaux consentis aux grandes entreprises, nous enfonce dans la récession et sacrifie les investissements nécessaires à la conversion verte de l’économie.
Comme vous le savez j’ai voté contre la réforme du Pacte de stabilité et de croissance au Parlement européen. Ce nouveau pacte entraîne en effet toute l’Europe dans une austérité généralisée synonyme de régression sociale et de renoncement écologique. Pour autant je ne crois que la dette en soi soit une valeur écologique. Tout dépend de l’utilisation qui en est faite. S’endetter en baissant les impôts pour financer des dépenses militaires revient à créer à nos yeux une dette publique contre productive. Je ne défends pas les logiques keynésiennes pour elle-même. Toute dépense n’est pas bonne en soi parce qu’elle générerait de l’activité, source de revenu.
Cette lecture orthodoxe de Keynes est dangereuse car elle ne tient pas compte des finalités de ces activités et des conséquences sociales et environnementales.
Je constate que les causes de l’excès de dette publique sont triples : d’abord les baisses d’impôts réalisées depuis l’an 2000 qui coutent environ 100 milliards d’euros par an à l’Etat en manque à gagner. Revenir rapidement sur ces baisses d’impôts qui n’ont pour l’essentiel que bénéficier aux plus riches est une priorité. Deuxième cause : Depuis les années 70, les gouvernements ont décidé d’emprunter uniquement sur les marchés financiers pour éponger leurs déficits au lieu d’avoir recours aux banques centrales. Ils se sont mis sous leur emprise exclusive. Troisième cause : la dette de crise. Depuis 2008, la dette publique moyenne a augmenté de 20 points dans la zone euro. Parce que l’Etat a du jouer les pompiers pour sauver les banques puis sauver l’économie dans son ensemble. Il serait logique d’isoler ces 20 points de dette et de la faire rembourser progressivement par le secteur financier au moyen de différentes taxes (sur les profits, les bonus, les transactions financières…). Faire cela permettrait de redescendre immédiatement sous le seuil des 60 % en France et à des niveaux soutenables dans les pays les plus endettés. Le seul cas où une restructuration de la dette publique me semble inévitable est celui de la Grèce. Je soutiens depuis 2010 déjà la nécessaire restructuration avec non remboursement aux créditeurs privés d’environ la moitié de la dette actuelle.
Je suis donc très favorable à votre demande d’audit et je m’engage à la mettre en œuvre si je suis élue présidente.
Enfin, j’ajoute un élément essentiel pour les écologistes et sur lequel je serai attentive à votre position. Nous ne pensons ni possible ni souhaitable de revenir à des taux de croissance du PIB de 2 à 3 % par an. Dès lors nous devons poser la question de la dette dans un contexte de croissance faible. C’est pour cela que je ne suis pas favorable à une fuite en avant dans l’endettement public au motif que l’on remboursera demain grace aux « fruits de la croissance ». Ces fruits nous le savons sont de plus en plus empoisonnés, tant pour la planète que pour l’humanité. Cette nouvelle donne écologique doit nous amener à revoir en profondeur notre rapport à la dette, en y intégrant la dette écologique et une logique de soutenabilité globale, environnementale, sociale et financière. Par ailleurs, nous devons revoir notre manière de mesurer la croissance. Une croissance qui ne permettent pas la réduction des gaz à effets de serre, de réduire notre empreinte écologique condamnerait nos sociétés à une impasse. Une autre société est possible. Je me refuse à me satisfaire d’une alternance avec la droite mais je me bats pour une véritable alternative pour 2012.
Eva Joly