Tribune : « 17 octobre 1961, ni vengeance, ni repentance, mais justice, vérité et réconciliation des peuples »
Le 17 octobre 1961, la République a été salie par un crime d’Etat. Ce jour là, un massacre organisé en pleine rue de la capitale a été perpétré, piloté par le Ministre de l’Intérieur Roger Frey, le Préfet de Police Maurice Papon et couvert par Michel Debré Premier Ministre et le Président de la république Charles de Gaulle.
Les faits sont connus : Le couvre feu imposé en France exclusivement aux Français Musulmans a été décrété le 5 octobre. Il l’a été au moment même où les négociations entre la France et le GPRA, le gouvernement provisoire algérien reprenaient après avoir été interrompu suite à la demande de la France , refusée par le FLN, d’amputer l’Algérie indépendante du Sahara et de ses richesse pétrolières.
Pour avoir manifesté pacifiquement à Paris contre le couvre feu discriminatoire qui leur avait été imposé par Maurice Papon, Préfet de police de Paris, des centaines d’Algériens perdirent la vie, tirés à vue, noyés , victimes d’une violence et d’une brutalité extrêmes des forces de police. Dans les jours qui suivirent, des milliers de manifestants furent arrêtés, emprisonnés, torturés ou, pour nombre d’entre eux, refoulés en Algérie.
50 ans après on ne connaît pas le nombre exact des victimes.
50 ans après, la France n’a toujours pas reconnu sa responsabilité dans ce crime d’Etat.
50 ans après si Maurice Papon a été jugé et condamné pour avoir organisé la déportation d’enfants juifs durant la seconde Guerre Mondiale, aucun membre de l’administration n’a été poursuivi pour ce crime qui a tué en une nuit plus d’êtres humains que la tuerie de la Place Tien AN Men en 1989.
Le sang répandu dans la Seine fait honte à la France.
On ne construit pas la République sur des mensonges, des falsifications et des occultations. Le 17 octobre 1961 fait partie à jamais de notre mémoire collective. Les peuples algérien et français ont besoin de la connaître la vérité . La génération des anciens appelés de la guerre d’Algérie, les enfants des pieds noirs et des harkis ont besoins de la connaître La jeunesse des quartiers populaires a besoin de connaître ce qu’ont subi leurs grands parents pour mieux comprendre le poids des séquelles de l’histoire. Les victimes oubliées du 17 octobre 1961 travaillaient, habitaient et vivaient en France. Ils ont été tués en France par des policiers français. Reconnaître les crimes du 17 octobre 1961, c’est aussi contribuer à l’apaisement des plaies ouvertes par l’accumulation des discriminations, des contrôles d’identité transformés en chasse aux facies Si nous ne faisons pas toute la lumière sur les guerres coloniales et leur héritage nous ajouterons aux injustices sociales le poids des discriminations mémorielles.
Aujourd’hui plus de 60 villes ont des monuments, des stèles, des plaques de rue à la gloire des anciens de l’OAS. La mémoire de la guerre d’Algérie devient un enjeu politique. Les nostalgiques de l’Algérie Française et de l’OAS. célèbrent les « bienfaits de la colonisation », commémorent le putsch des généraux à Alger contre la République , organisent une Fondation pour la mémoire de la Guerre d’Algérie.
Je refuse pour ma part que nous soyons entrainés dans une guerre des mémoires qui encourage le racisme dont sont victimes aujourd’hui nombre de citoyens ou de ressortissants d’origine maghrébine ou des anciennes colonies, y compris sous la forme de violences policières récurrentes, parfois meurtrières En 2012, l’Algérie fêtera cinquante ans d’une indépendance. Nous devons construire de nouveaux rapports entre la France et l’Algérie , entre le Maghreb et l’Europe. Pour cela commençons par reconnaître officiellement les massacres commis par la Police Parisienne le 17 octobre 1961 et les jours suivants, comme un crime d’Etat. Organisons la liberté d’accès aux archives effective pour tous, historiens et citoyens, afin que les historiens des deux rives de la Méditerranée coopèrent à la construction d’une mémoire apaisée.
La République a reconnu sa responsabilité dans la chasse aux juifs sous Vichy ; Elle l’a reconnue dans l’esclavage. Elle doit reconnaître aux victimes du 17 octobre et à leurs enfants et petits enfants , qu’elle a failli. Elle en ressortira grandie.
Eva Joly