La gauche serait folle de ne pas sortir du nucléaire – Le Monde

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| 18.10.11 |  »La gauche serait folle de ne pas sortir du nucléaire »

Désignée candidate d’Europe-Ecologie-Les Verts en juillet, Eva Joly prévient les socialistes qu’ils devront prendre des engagements clairs sur la sortie du nucléaire et la réforme des institutions pour pouvoir former un gouvernement de coalition avec les écologistes.

L’ancienne juge d’instruction s’en prend également à la « République des amis et des obligés », mise en place, selon elle, par Nicolas Sarkozy. La candidate écologiste estime que le chef de l’Etat « doit venir témoigner devant les juges » dans l’affaire Karachi.
François Hollande, candidat désigné du PS, n’a pas parlé de sortie du nucléaire comme vous l’exigiez, et ne vous a fait aucune concession pendant l’entre-deux-tours des primaires. Etes-vous pessimiste pour la suite des négociations avec les socialistes ?
Mettons les choses au clair. C’est une primaire socialiste qui vient d’avoir lieu. Pas le premier tour de l’élection présidentielle. Je félicite François Hollande de sa victoire mais après la question des personnes, vient le temps des projets. Mon rôle n’est pas celui des marchandages avec la gauche, mais de porter mes valeurs et mes propositions devant les électeurs.
Les écologistes ont majoritairement soutenu Martine Aubry. Pour vous, François Hollande, est-ce la « gauche molle » ?
Je me garderai bien d’employer ces adjectifs. Ce n’est pas à moi de juger les socialistes entre eux. A propos de la social-démocratie, je parlerais davantage d’une « gauche ancienne », qui croit encore au toujours plus. Je pense que les écologistes portent des réponses plus adaptées à notre temps. Le renouveau, c’est nous.
Que se passera-t-il si François Hollande ne se prononce pas pour une « sortie du nucléaire » ?
Pour le coup, ce ne serait pas la « gauche molle » mais la « gauche folle ». Je me rends ce soir à Fukushima: après une telle catastrophe, ce serait irresponsable de persister dans le nucléaire.

Vous parlez beaucoup de VIe République, d’éthique. Est-ce bien ce que les électeurs attendent d’une candidate écologiste à la présidentielle ?
Le premier chantier écologique, c’est de dépolluer la République. Si on veut s’attaquer aux maux de la planète, il faut mettre en place une République exemplaire et redonner le pouvoir aux citoyens. Je veux une République de la parité, de la proportionnelle et du droit de vote pour tous.
Un accord doit être signé entre vos deux formations en novembre. Quels sont les points sur lesquels vous ne transigerez pas?
Il faudra présenter un calendrier de sortie du nucléaire, l’abandon de certains grands travaux devenus absurdes comme l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, en Loire-Atlantique. Il faudra aussi de profondes réformes, comme l’introduction de la proportionnelle. Je ne serai pas ministre dans un gouvernement qui n’inscrit pas ces réformes tout en haut de son programme, et aucun membre d’EELV ne le sera non plus.
Depuis quelques mois, les « affaires » mettant en cause des proches du chef de l’Etat se multiplient, comment l’expliquez-vous ?
Ces « affaires » qui polluent notre vie politique ne constituent pas, hélas, un phénomène récent. Rappelez-vous Urba, Elf, la mairie de Paris, les frégates de Taïwan, Karachi… Le cas Chirac est emblématique: il a distribué des prébendes comme maire de Paris, n’a pu être poursuivi du fait de son immunité présidentielle, puis, au moment de le juger, le parquet, aux ordres du pouvoir, a plaidé en sa faveur! Pourquoi n’arrive-t-on pas à se débarrasser de ce fléau ?
Pour en finir avec les affaires, il faudrait avoir le courage de mettre un terme à cette insupportable connivence entre le politique et le judiciaire. Il est inadmissible que le parquet soit aujourd’hui aux mains de l’Elysée.
Le phénomène s’est-il encore aggravé ? 
Oui, et c’est pour lutter contre ça que je fais de la politique! Nicolas Sarkozy n’hésite pas à nommer ses copains où bon lui semble, les conflits d’intérêts sont devenus la norme. Sans compter qu’aucun pays au monde n’est marqué par une telle confusion entre le pouvoir, les médias et la commande publique. C’est la République des amis et des obligés.
Vous estimez donc que le sentiment d’impunité règne au sommet de l’Etat…
Oui. Gérard Longuet est devenu ministre de la défense, alors que les non-lieux dont il a bénéficié sont simplement dus à un découpage astucieux des dossiers le visant. Même chose pour les hauts fonctionnaires. Le procureur Courroye est toujours en place, comme le patron de la DCRI, Bernard Squarcini [le directeur central du renseignement intérieur a été mis en examen lundi 17 octobre]. Ils sont indéboulonnables, étouffent les affaires, sont décorés par le chef de l’Etat.
Faut-il mettre en place des lois plus strictes ?
Il faut créer en France une procédure d’impeachment, c’est-à-dire mettre fin à l’immunité du président de la République, et reprendre les idées de Martin Hirsch en matière de conflits d’intérêts. Enfin, tout homme politique mis en examen doit être mis à l’écart. Je suis pour une inéligibilité pendant dix ans de tout responsable politique qui aura été condamné pour blanchiment ou corruption.
Les magistrats peuvent-ils travailler sereinement dans ce climat? 
Le pouvoir n’a pas eu la peau des juges d’instruction. Heureusement. Regardez, dans l’affaire Bettencourt, les moyens utilisés par Philippe Courroye pour poursuivre ceux qui ont courageusement révélé des délits, comme l’ex-comptable Claire Thibout, plutôt que les coupables. C’est du jamais vu, une honte absolue pour la magistrature française. Il s’agit de détourner les institutions pour protéger Nicolas Sarkozy. Et Philippe Courroye est un instrument au service du chef de l’Etat.
Soutenez-vous la juge Isabelle Prévost-Desprez, dont les propos mettant en cause Nicolas Sarkozy et le procureur de Nanterre Philippe Courroye ont fait scandale?
Bien sûr. Je connais bien cette femme, elle est travailleuse, courageuse et intelligente.
Nicolas Sarkozy s’était pourtant fait élire sur le thème de la « République irréprochable »?
L’exemplarité en politique ne se décrète pas, elle se prouve. Qui est Sarkozy? Son parrain politique n’est autre que Charles Pasqua. Ses meilleurs amis s’appellent Patrick Balkany, Brice Hortefeux, Thierry Gaubert, Nicolas Bazire, tous impliqués dans des scandales…
Nicolas Sarkozy est-il personnellement impliqué dans les dossiers Karachi ou Bettencourt ? 
Je n’ai pas, contrairement au chef de l’Etat, eu accès au dossier judiciaire. Mais qui peut croire que son nom ne serait pas cité dans le dossier Karachi? Un rapport de la police luxembourgeoise dit clairement qu’il a approuvé la création d’une société off shore, Heine, destinée à véhiculer les commissions, puis les rétrocommissions. Dans l’affaire Bettencourt, son nom est également cité à de multiples reprises. Nicolas Sarkozy doit venir témoigner devant les juges. Si j’étais présidente, je mettrais fin à cette idée que le président doit être au-dessus des lois.
Propos recueillis par Anne-Sophie Mercier, Gérard Davet et Fabrice Lhomme

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