Qu’est ce qu’elle a ma gueule?
Les Inrocks publient mercredi une interview d’Eva Joly. Quelques extraits de l’entretien, dans lequel la candidate écolo dénonce racisme et misogynie et se dit plus motivée que jamais. Retrouvez la version intégrale de l’interview dans les Inrocks n°837 en kiosque mercredi et disponible dès maintenant à cette adresse.
Comment avez-vous réagi à l’éditorial de Patrick Besson dans Le Point qui moque votre accent ?
Sa tribune m’a atteinte, révoltée, parce qu’elle me renvoie à mon histoire. J’ai toujours été l’exclue. Quand j’étais jeune fille au pair dans la famille Joly, celle de mon ex-mari, j’ai expliqué du haut de mes 20 ans à mon futur beau-père, un ophtalmologiste reconnu, que la forme de médecine qu’il incarnait n’avait pas beaucoup d’avenir. J’avais l’impression de lui apporter une connaissance supplémentaire. Mais sa réaction a été très violente. Il me voyait comme la communiste qui débarquait de Moscou ! Ce décalage m’a toujours poursuivie. Magistrate, je ne m’habillais pas comme mes collègues, ne pensais pas comme eux. J’ai dû faire un vrai travail d’adaptation. Avant, finalement, d’avoir assez de volonté et de courage pour ne pas faire comme tout le monde…
Pourquoi la parole est-elle si haineuse, si décomplexée, à votre encontre?
Je ne corresponds pas au modèle de l’homme ou de la femme politique classique. Je n’ai pas les bonnes origines sociales, pas le bon parcours. Je suis étrangère. Pas seulement à cause de mes origines norvégiennes, mais aussi à cause de mon parcours dans la société civile et mes transgressions. Je ne pense pas que les défilés militaires incarnent la nation, ni que le nom des mutins ne doit pas être sur les stèles. Je cumule les “handicaps” : je suis une femme plus très jeune, au parcours atypique, dotée d’un accent qui rappelle qu’elle vient d’ailleurs. On peut me mépriser ou m’exclure facilement, sans tenir compte de ce que je dis. Les attaques à mon encontre viennent exclusivement d’hommes de 50 à 60 ans, blancs, qui pour beaucoup ont fait l’ENA. Ils sont au chaud, entre eux, et ne comprennent pas bien ce que je viens faire dans leur monde. Face à moi, le club des vieux mâles éditorialistes, en accord avec le milieu politique, se contracte dans un réflexe conservateur. Leurs réactions très violentes sont disproportionnées par rapport au message que je porte. Quand j’ai lu cette tribune qui s’attaquait à mon accent, je me suis rappelée de ce que m’avait dit un de ceux que j’ai mis en examen…
Qui ça ?
Un patron de banque. Jean-Maxime Lévêque du Crédit lyonnais, pour être précise. Je lui ai demandé s’il trouvait normal que sa banque fasse autant de pertes à la suite de crédits accordés à des membres de sa famille. Il m’a répondu: “Madame Joly, je vous répondrai lorsque votre concordance des temps sera parfaite.” Patrick Besson me nie en tant que personne. Il ne parle pas de mes idées, de mes discours, des déplacements que je fais. Il s’en prend à quelque chose que je ne peux pas changer, mon accent. J’ai eu un moment de découragement, puis de révolte. Le milieu continue de réagir comme il l’a toujours fait, en rejetant la différence, en excluant ceux qui ne sont pas bien nés et en préservant ses intérêts. Dans les faits, en France, tout se passe à l’inverse de la devise de la République. Moi, je suis armée pour supporter ces attaques parce que je m’entraîne depuis des années. Mais lorsque ce mépris s’exerce contre les personnes en difficulté, qui vivent dans des HLM, je le ressens au plus profond de moi. Je veux le combattre.
Vous avez dit que le droit de veto à l’ONU est “un privilège dépassé, réservé à quelques pays”. Pour François Hollande, cela revient à “brader les intérêts du pays”…
Nous ne sommes plus en 1945. Le monde a changé. Moderniser l’ONU est un objectif partagé par tous. En 2004, nous avons voté avec l’UMP et les socialistes une résolution au Parlement européen sur la réforme du Conseil de sécurité et l’admission de nouvelles puissances. Aujourd’hui, le Conseil est impuissant à régler le conflit au Moyen-Orient à cause de l’opposition des Etats-Unis et impuissant à régler celui de la Syrie à cause de la Russie. La position de François Hollande me rend triste. Il sacrifie un objectif important pour la paix dans le monde au nom de quelques voix dans l’élection à venir. C’est du court-termisme.
La France devrait-elle abandonner son droit de veto ou est-ce un processus de long terme ?
C’est un processus. La réforme du Conseil de sécurité et l’intégration d’autres puissances autour de la table sont dans l’accord d’EE-LV avec le PS. Dans cette affaire, le problème est le détricotage de l’accord.
Vous trouvez que les socialistes ont une lecture biaisée de l’accord qu’ils ont signé avec vous ?
Sur le point du droit de veto, il n’y a pas beaucoup de marge d’interprétation. De manière générale, François Hollande a un peu le même positionnement que moi : “Le parti, c’est une chose et moi, c’en est une autre.”
Après votre interview avec Jean-Michel Aphatie, et votre refus d’appeler explicitement à voter Hollande qui a déclenché la démission précipitée de votre porte-parole Yannick Jadot, est-ce que vous pouvez dire aujourd’hui plus sereinement que vous souhaitez la victoire du candidat socialiste en 2012 ?
Bien sûr que c’est possible de le dire. Je souhaite la victoire de la gauche. Nous ne pouvons gagner qu’ensemble. François Hollande ne peut gagner que s’il engrange plein de voix écologistes, celles des gens qui ont envie de voter pour moi au premier tour.
Reconnaissez-vous le chemin intellectuel qu’a fait le nucléariste et industrialiste François Hollande en proposant de passer de 75 à 50 % de nucléaire dans la production énergétique ?
C’est son intelligence. Après Fukushima, alors que le monde entier abandonne le nucléaire, faire de la France le seul pays qui s’y accroche est un aveuglement. Je le crédite d’avoir été attentif au monde et à l’absurdité du mix énergétique français. Quelles sont les limites que vous imposez à votre candidature ? A quel moment estimez-vous raisonnable de vous retirer ? Vous voulez dire que le ridicule tue ? Que s’il y avait encore des éditos qui me ridiculisent je devrais abandonner ? Ce serait mal me connaître. Dans ma vie personnelle, dans mes vies professionnelles, je n’ai jamais cédé face aux pressions ou aux difficultés.
Recueilli par Marc Beaugé, Anne Laffeter et Thomas Legrand