L’eau est trop précieuse pour l’abandonner aux multinationales

« Je bois devant vous un verre d’eau précieuse ». Ces quelques mots de René Dumont, et le fameux verre d’eau qu’il avait bu à la télévision en pleine campagne présidentielle de 1974, avaient surpris. Qui à l’époque se souciait de la fragilité de l’eau ? Près de quarante ans plus tard, les inquiétudes soulevées par mon illustre prédécesseur, le premier candidat écologiste à l’élection présidentielle, restent plus que jamais d’actualité. Je partage totalement sa préoccupation pour l’eau, tant cet élément vital est au cœur des enjeux écologiques, démocratiques et  éthiques que je porte dans cette campagne.

 

L’eau, c’est d’abord un élément naturel au cœur de notre patrimoine écologique. A ce titre, je considère que nous avons le devoir de la protéger de toutes les pollutions. Malheureusement, la France fait plutôt partie de mauvais élèves : Bruxelles nous a récemment montré du doigt pour transposition insuffisante de la « directive nitrates », qui vise à protéger la qualité de l’eau en Europe. Je doute également que la France n’atteigne le « bon état écologique » de ses milieux aquatiques d’ici à 2015, contrairement aux engagements qui avaient été pris. A mes yeux, il est impératif d’impulser une nouvelle dynamique pour protéger la qualité de l’eau. Cela passe notamment par la transformation, avec et pour les paysans, de notre modèle agricole afin de réduire l’utilisation des intrants chimiques et de l’irrigation.

 

Il faut aussi se poser la question fondamentale de savoir comment l’on considère l’eau : est-ce avant tout l’or bleu, nécessaire à l’activité économique et à la croissance, source de toute les convoitises ? Ou au contraire, est-ce avant tout un bien commun de l’humanité, essentiel pour la vie sur terre de tous les êtres vivants ? Je penche évidemment pour la deuxième définition. L’eau c’est un droit. En France, il nous semble presque naturel, pour la majorité d’entre nous, un simple geste permet d’y accéder. Pourtant, plus d’un milliard d’individus à travers le monde en sont privés, sans compter les 2,5 milliards qui n’ont pas accès aux services d’assainissement de base. Dans de nombreux pays, ces chiffres sont synonymes d’épidémies, de mal-développement, et d’inégalités. En juillet 2010, l’ONU a enfin reconnu le droit d’accès à l’eau comme un droit fondamental de l’homme. Nous pourrions, à notre tour, graver ce droit dans le marbre de notre constitution. Pour en assurer l’application, je proposerai d’instaurer une tarification sociale progressive, afin que les factures d’eau ne pèsent pas sur les budgets des ménages les plus fragiles. Les 40 premiers litres d’eau, ceux dont nous ne pouvons pas nous passer, seront gratuits pour tous.

 

L’eau est donc, pour reprendre les mots de Danielle Mitterrand « un bien commun du vivant et de l’humanité ». C’est la raison pour laquelle je refuse qu’elle soit traitée comme une vulgaire marchandise. Notre responsabilité, c’est d’en assurer une gestion responsable et durable pour lutter contre toutes les pollutions. Notre responsabilité, c’est également d’en assurer une gestion solidaire, équitable, garante du droit à l’eau pour tous. Il nous faut donc privilégier une vision de long terme et écarter la logique du laisser-faire. Voyez ce que cela a donné en France : 3,15 euros le m3 à Marseille, où la gestion est privée, et 1,17 à Aix en Provence, où la gestion est publique ! L’Europe a des soupçons d’entente sur les prix entre les 3 grands groupes qui se partagent le marché français ! Et peut on vraiment compter sur eux pour réduire les fuites dans les réseaux de distribution, pour économiser l’eau, alors que chaque goutte d’eau a un prix aux yeux des entreprises, qu’elle soit gaspillée ou utilisée à bon escient.

 

C’est pourquoi je veux remettre en cause le recours systématique aux multinationales pour gérer notre eau. Au niveau mondial, je propose la création d’une nouvelle instance internationale, sous l’égide des Nations Unies, indépendante des multinationales de l’eau. Il n’est pas normal que le conseil mondial de l’eau, fondé par les deux plus grandes entreprises du secteur avec mille intérêts économiques liés à l’eau, se présente comme l’institution légitime et prétende élaborer la politique mondiale en la matière.

 

En France, je propose de consulter systématiquement, à chaque renouvellement de délégation de service public, les usagers du territoire concerné. L’État doit soutenir financièrement et techniquement toutes les collectivités souhaitant remettre en cause la gestion privée de l’eau. J’entends ainsi remettre en cause le poids de ce lobby de l’eau en France. L’eau est un bien commun, et l’intérêt général ne saurait être abandonné à des intérêts privés.

Eva Joly est candidate d’Europe Ecologie Les Verts aux élections présidentielles 2012

Crédits photos : Guillaume Duhamel / flickr – jim212jim

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