Retour à l’économie de rente

Article écrit par Jérome Gleizes (économiste, membre du bureau national d’EELV) et paru dans Politis le 5 juillet 2012, reproduit avec l’autorisation de l’auteur.

Dans ma précédente chronique (1), je m’inquiétais de l’incompréhension de François Hollande sur la nature de la crise. Manifestement, la gravité des derniers événements (échec du sommet de la Terre, révision à la baisse des prévisions de la croissance par l’INSEE, dépassement du seuil de 400 ppm pour les gaz à effets de serre, multiplication des plans sociaux, domination de la stratégie néomercantile de l’Allemagne…) et les premiers actes du gouvernement (autorisation d’exploitation pétrolière en Guyane et remplacement de Nicole Bricq, recul face à Merkel sur la mutualisation des dettes et l’embryon d’un budget fédéral renforcé, préparation d’un plan d’austérité de gauche…) aggravent l’inquiétude. Une mauvaise analyse des causes amène toujours à des erreurs de politique économique. La croissance ne se décrète pas. Elle est la résultante de conditions structurelles. La science économique étant elle-aussi en crise, n’aide pas le politique. Elle est dans l’incapacité d’analyser, se limitant à des projections certes sophistiquées mathématiquement mains incapables de définir les causalités sous-jacentes. Pourtant, il faudrait revenir aux principes de l’économie politique vieux de deux siècles.

 

Les limites monétaires de la croissance. Un lien existe entre richesse créée, croissance du PIB et masse monétaire en circulation. Les deux agrégats ne peuvent augmenter que simultanément. La masse monétaire augmente s’il y a plus de crédits accordés que de remboursements effectués ou si la balance commerciale est excédentaire. Un crédit est toujours un pari sur le futur. Va t-on générer suffisamment de revenus pour rembourser le crédit initial ? La crise est partie de l’étincelle des subprimes aux États-Unis, des crédits hypothécaires gagés sur la maison achetée. Depuis, la chute des dominos s’enchaîne pour atteindre aujourd’hui des États souverains. Car les dettes des uns étant les créances des autres, le non remboursement affaiblit les créanciers, incapables à leur tour de rembourser leurs dettes. Les dettes, notamment immobilières, se sont accumulées depuis la fin du XXe siècle sans générer suffisamment de croissance. Les paris insensés ont été perdus, mais les dettes restent toujours là. La croissance n’étant pas de retour les créanciers sont à la peine, puisant sur le patrimoine des débiteurs et sur la réduction de leurs revenus, entraînant ainsi un cycle dépressif comme le montre la situation grecque en récession continue depuis 2008. Mais comme cela reste insuffisant, les banques centrales injectent massivement des liquidités à un niveau historique inégalé sur le marché interbancaire. L’erreur de la crise des années 1930 n’est certes pas renouvelée, mais cela reste insuffisant pour sortir de la crise économique.L’implosion du système bancaire est évitée (retardée ?)mais il faudra bien un jour effacer une partie des dettes irrécouvrables.

 

Les limites physiques de la croissance. Les économies monétaires de production dans lesquelles nous vivons nécessitent une accumulation continue du capital, une croissance continue permettant de maintenir un niveau suffisant de profit. Au delà de la marchandisation du monde, le capitalisme a besoin d’étendre la notion de capital. La querelle des deux Cambridge sur l’agrégation du capital dans la fonction de production est loin d’être close. Tout devient du capital : les Savoirs, les Idées, la Nature, les biens communs. L’extension de la sphère du capital va de pair avec celle de la propriété. Les enclosures se multiplient. Mais cela bute sur les limites physiques de la Nature, sur celles de l’exploitation qui épuisent la ressource qu’elle soit humaine ou naturelle, sur la nécessité de la coopération pour préserver les biens communs et les faire prospérer. Le dernier avatar du capitalisme dans sa quête des moteurs de croissance, l’économie verte bute sur des antagonismes qui n’ont pas encore trouvé de compromis sociaux, d’équilibres géopolitiques. Cette absence de solutions laisse la place à l’économie de rente, basée sur l’exploitation de toutes les ressources, y compris financières.

 

(1) François Hollande et la croissance, Politis n° 1200, 26 avril 2012.

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