Redonner confiance à la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Discours prononcé par Eva Joly, le 1er octobre 2011 à Lyon, aux assises de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Seul le prononcé fait foi.

 

 

Certains considèrent que l’exercice d’une campagne présidentielle consiste à faire semblant de tout savoir. C’est une vanité puérile. Je considère pour ma part que c’est une chance de pouvoir se nourrir de la réflexion de ses propres amis.

Je voulais vous remercier de votre implication et me réjouir de la qualité de votre travail. Tout cela va être un matériau précieux pour affiner les propositions que je vais présenter aux Français.

ESR & Contre-pouvoirs

En préparant cette convention, en discutant avec les experts, une chose m’a
frappée: les similitudes qui existent entre les problématiques de la justice – et
vous savez que j’y suis sensible – et celles de l’enseignement supérieur et de la
recherche.

La principale de ces similitudes tient dans le fait que la recherche, les
universités, comme la justice, sont des lieux très importants de contre-
pouvoirs. Ce sont des lieux de défense des fondements d’une démocratie. Les
juges, les étudiants, les jeunes, les chercheurs, les artistes doivent pouvoir faire
preuve d’impertinence, inventer et ré-inventer, critiquer. Ils ouvrent le champ des
possibles, ils ouvrent des voies. Et aujourd’hui peut-être encore plus qu’hier, nous
avons besoin de ce regard décalé, indépendant, de ces nouvelles voies.

Pour ceux qui douteraient encore de l’importance de ces espaces de liberté, pensez
aux économistes qui doivent s’écarter des chemins orthodoxes pour comprendre la
crise, pour avoir un nouveau regard sur la croissance économique et les conditions
de notre prospérité. Pensez aux lanceurs d’alerte dont le rôle a été tellement
important, crucial même pour mettre dans le débat public des interrogations
fondamentales. Pensez à Gilles-Eric Seralini, André Cicolella, Rachel Carson.
Grâce à eux sont sortis des analyses contradictoires, gênantes, sur l’amiante,
l’éther glycol, les OGM ou l’état de l’environnement. Pensez aussi aux révoltes ou
aux révolutions douces qui sont nées ou ont grandi avec la jeunesse ou dans les
universités: Mai 68, le Printemps arabe, les révoltes grecques, le Chili…

tous à l’enseignement supérieur, dans de bonnes conditions, et tout au long
de la vie. Je veux garantir les conditions du dialogue et non de la dépendance
entre l’enseignement supérieur, la recherche et le monde de l’entreprise. Je
veux une recherche qui ne soit ni sous le joug du marché, ni sous celui de
l’Etat. Je veux inventer, avec vous, une nouvelle gouvernance qui laisse plus
de place aux territoires, à la société civile, à la jeunesse.

La jeunesse

Vous connaissez comme moi les chiffres de la précarité étudiante, vous connaissez
comme moi les parcours épuisants de ces jeunes qui cumulent études, emplois,
stages, logement précaires. Vous savez aussi comme moi que l’on peut rater ses
études pour de mauvaises raisons et subir ensuite longtemps en termes de carrière
professionnelle les conséquences de cet échec.

Face à cela, je pose deux principes fondamentaux? L’accès de tous à de
bonnes conditions d’étude et le droit inaliénable à reprendre des études

Depuis 10 ans la proportion d’une classe d’âge qui accède aux études supérieures
a diminué de 3 points en France alors qu’elle augmentait de 4 points dans le
même temps en Allemagne. Alors pour renverser cette tendance, il faut donner les
moyens financiers aux étudiants. Cela passe par une allocation d’autonomie. Cela
a un double avantage: créer plus de justice et permettre l’indépendance des jeunes.

Vous le savez, les jeunes français sont parmi les plus stressés du monde. Ce stress
est lié à l’élistisme, à l’hyper sélection et à l’absence de droit à l’erreur. Je veux
donner le droit à l’erreur, le droit de rater, le droit de recommencer, de partir de
travailler et de revenir. C’est pourquoi, couplé à l’allocation d’autonomie, je
reprends l’idée d’un crédit formation de 8 années. Un crédit utilisable tout au
long de la vie.

L’émancipation de la jeunesse passe aussi par le logement. Véritable clé de
voute des conditions de vie étudiantes, le logement étudiant ne doit pas être le
grand oublié des politiques d’aménagement du territoire, la dernière priorité du
financement des universités. On sait aujourd’hui que le CROUS est exsangue.
Engageons nous à construire 50 000 logements sur le quinquennat.

Évidemment cela va sans dire mais cela toujours mieux en le disant un accès
de tous aux études supérieures ne peut se concevoir que dans un système
d’enseignement supérieur gratuit. Mais l’accès à tous signifie aussi une réforme
en profondeur des méthodes pédagogiques. Nous devons adapter les méthodes

pédagogiques à tous les publics. Ce n’est en effet pas qu’aux étudiants de
s’adapter au système d’enseignement mais au système de prendre en compte la
diversité de ses publics. Compléter les cours magistraux, développer le travail en
équipe, le monitorat, le tutorat… Les pistes sont nombreuses. Cela passe par une
révision des taux d’encadrement, par une harmonisation et un rapprochement entre
grandes écoles et universités.

Les grandes écoles… Permettez moi de revenir sur une précédente intervention
que j’ai pu faire sur ce sujet. J’ai dit lors d’une précédente convention d’EELV
que je souhaitais la suppression des grandes écoles. Quelques personnes ont trouvé
ce propos excessif. C’est vrai que c’est une option assez radicale… Alors je vais
préciser pourquoi la situation actuelle m’est clairement insupportable.

Je ne suis pas opposée à l’excellence. Donner les moyens de leur art et de leur
talent aux plus brillants d’entre nous, c’est aussi permettre l’exploration et
la découverte de nouveaux horizons pour notre société. Mais l’excellence ne
peut pas être l’alibi du pire.

Je refuse que l’excellence soit l’alibi de la ségrégation. Notre système
d’excellence – dans les grandes écoles en particulier est aujourd’hui un système de
reproduction des classes sociales qui exclut les classes populaires, les jeunes des
banlieues et ceux issus de l’immigration.

J’ai regardé avec sympathie l’idée du « concours ZEP » à sciences Po. Le
simple fait d’avoir pris en compte cette réalité est déjà un acquis. Mais je pose
une question et je souhaite la mettre en rapport avec la problématique qui a été
développée ici sur l’innovation pédagogique dans l’enseignement supérieur. Ces
jeunes des ZEP à sciences po réussissent aussi bien que les autres. C’est donc très
bien. Mais pourquoi donc conserver un mode de sélection à l’entrée qui les exclue.
C’est le contenu des concours « classiques » qu’il faut réformer puisqu’il
empêche de reconnaître le talent de tous ces jeunes « moins bien nés ».

Je refuse une excellence qui conduit à la ségrégation. Je refuse une excellence
qui sert d’alibi à la pénurie. Un certain nombre de nos grandes écoles forment
une jolie carte postale de l’enseignement supérieur français. Mais cette carte
postale cache mal une réalité plus triste. La réalité c’est que notre effort en la
matière est inférieur à la moyenne de l’Union européenne. La réalité, c’est qu’un
étudiant « coûte » moins qu’un lycéen et pratiquement deux fois moins qu’un
élève de grande école. J’ai le sentiment là aussi d’un gâchis considérable.

Je refuse une excellence qui serve d’alibi à un système qui ne prend en
compte aucun des parcours de vie. Je vous ai dit mon regret d’un système qui
ne donne pas droit à l’erreur. Les grandes écoles en sont l’incarnation, avec un
concours couperet qui fige les élites de demain. C’est une autre cause du gâchis
des intelligences, des talents et des volontés.

Alors, faut il supprimer les grandes écoles ? En tous cas, je crois qu’il faut les
réformer, dans le cadre d’une grande refonte de notre système d’enseignement
supérieur qui permette l’accès de tous et toute la vie.

Un dialogue ES & entreprises

Il faut garantir cet accès. Il faut aussi garantir les conditions du dialogue entre
l’enseignement supérieur et le monde de l’entreprise. Le dialogue et non la
dépendance.

Les universités sont des lieux d’éducation et non uniquement de formation à un
emploi. Non, les programmes ne doivent pas être co-construits avec les entreprises
comme le propose la commission européenne au parlement. Non, nous ne devons
pas avoir des licences professionnelles d’assistant gestionnaire RH en PME ou
de collaborateur comptable spécialisé en technologies de l’information. Oui au
développement de l’apprentissage mais non à l’hyper spécialisation sur un type
d’emploi et un seul parce qu’après il n’y a plus de possibilité de reconversion.

Saviez vous que, début septembre, la faculté de médecine de bordeaux a organisé
avec le laboratoire Sanofi une réunion pour les internes de médecine générale ?
Une réunion qui compte dans la validation de leur cycle d’étude. Je ne peux me
résoudre à la forte présence des laboratoires pharmaceutiques dans la formation
initiale de nos futurs médecins, car je veux que l’on tire ensemble les leçons du
médiator. Je ne peux me résoudre à un dialogue qui devienne une dépendance.

Dialogue Recherche & entreprises & Etat

C’est vrai pour l’enseignement supérieur, c’est vrai aussi pour la recherche.

La recherche est sans aucun doute le socle de la compréhension et de l’évolution
de notre société. Certes, une partie de son débouché s’oriente naturellement vers
l’économie. A cet égard, une coopération avec les entreprises est utile. Nous ne
vivons pas dans un monde éthéré. Quand je place la transition écologique de notre
économie au cœur du projet que je propose à notre pays, c’est aussi parce que
j’ai conviction que notre recherche va nous donner les moyens de transformer

l’économie, de changer les procès de production, de faire évoluer les rapports
sociaux au sein des firmes, de changer notre rapport au travail et son organisation.

Mais une fois dit cela, je veux aussi rappeler la nécessité absolue d’une autonomie
et de l’indépendance de la recherche. Une recherche caporalisée, par le marché
comme par l’état, c’est une recherche en voie de fossilisation. Je pense
évidemment à la recherche fondamentale. Mais je dis aussi cela parce que je vois
bien que le gouvernement a conduit ses réformes avec l’idée d’une recherche qui
doit obéir.

Les chercheurs aujourd’hui doivent sans cesse répondre à des appels à projet de
l’Etat. Ils sont transformés en super VRP, mallette à la main pour aller chercher
des contrats, des crédits auprès des entreprises ou de l’Agence Nationale de la
Recherche. La recherche n’a pas vocation à être sous le joug de l’état. Elle n’a
pas vocation à être sous l’omnipotence des marchés.

Indépendance par rapport aux marchés : les moyens financiers et le CIR

Forcément, en période de crise budgétaire, la question se pose : a-t-on les
moyens de se priver de financements privés ? Ma réponse est : oui, nous
avons les moyens. Surtout si nous réformons des outils comme le crédit impôt
recherche.

Au départ l’idée du CIR n’est pas mauvaise: développer la recherche au sein
des entreprises en leur permettant de diminuer leurs impôts. Le problème est
que ce crédit ne fait l’objet d’aucun contrôle quant à la réalité des recherches
effectuées. Résultat : un gigantesque effet d’aubaine et une nouvelle niche fiscale
qui bénéficie encore aux grandes entreprises. Vous vous demandiez où trouver
l’argent pour lancer les réformes? Eh bien voilà une piste. Diminuer ce crédit
impôt recherche en le recentrant sur les PME et en le soumettant à des conditions
sociales et environnementales. Car je préfère aider les entreprises qui produisent
localement et n’ont pas les moyens de recourir à des chercheurs. Car je sais que les
PME jouent un rôle majeur dans l’innovation. Car je préfère aider à l’émergence
de modes de production durables plutôt qu’au développement du dernier 4×4
diesel.

Crédit impôt recherche, ANR, plan campus, plan pour les investissements
d’avenir… Il y a des moyens. Mais ils sont dédiés à la logique du « big is
beautifull », car la France rêve encore du retour des grands projets, comme
au XXe siècle. Car la France reste jacobine.

Une nouvelle gouvernance de enseignement supérieur et la recherche

L’enseignement supérieur et la recherche ne doivent pas avoir à choisir
entre le contrôle par les entreprises ou celui de l’Etat. Je veux inventer avec
vous une nouvelle gouvernance, qui donne toute sa place aux territoires, à la
société, à la jeunesse.

Commençons par faire discuter ensemble la science et la société. Faire
dialoguer science et société est important pour ne pas tomber dans le piège
scientiste de la solution facile du progrès technique. La recherche est là
pour développer nos technologies mais aussi pour nous donner les clés des
changements de comportements, d’organisation qui nous permettrons de voir
l’avenir sereinement. Créons les conditions du dialogue. Pourquoi financer autant
la recherche/innovation à destination des entreprises et non à destination des
associations? Il n’est pas moins légitime qu’une partie des budgets de la recherche
soit destinée à répondre à la demande sociale. Voyez le succès du dispositif
PICRI, les Partenariats institutions-citoyens pour la recherche et l’innovation, en
Ile-de-France. Souvenez vous de l’émergence de groupes de « profanes éclairés »
quand apparut le sida. En écho aux labels Carnot, attribués aux laboratoires
publics particulièrement engagés dans des partenariats avec les entreprises, je veux
que soit créé un nouveau label, avec les financements ad hoc, pour les laboratoires
qui coopèrent activement avec le monde associatif. Je veux développer les «
boutiques de science », les Conférence débats ouverts à tous dans les universités.

Je veux des universités coopératives et coopératrices. Je veux des universités
fortes pour pouvoir nouer des partenariats sereins avec les entreprises et les
pouvoirs publics, discuter avec les collectivités territoriales tout en restant
indépendantes et maitresses de leur destin. Cela passe par le développement de
réseaux régionaux, au sein desquels la recherche de synergie, la mutualisation
priment sur la compétition.

Je veux renouveler la démocratie au sein des universités. Développons le
référendum d’initiative étudiante, augmentons la place des étudiants et des élus
des personnels dans les Conseils d’administration. Nos universités fonctionnaient
sur un système d’auto-gestion, d’auto-determination, des immenses coopératives.
Relançons cette dynamique.

Car ces dernières années, sous couvert d’autonomie, c’est surtout une chaîne de
commandement qui s’installe – terme moins politiquement correct pour décrire
une « gouvernance forte ». Pour dire les choses encore plus crument : il y a risque
réel d’une retour en force de ce que l’on appelle le mandarinat. C’est une vision
cohérente avec la brutalité du pouvoir tel qu’il est conçu par Nicolas Sarkozy.

 

Conclusion : les urgences et les Etats Généraux

Quelques mots, pour conclure, sur la méthode. La cascade de réformes de ces
dernières années a « assommé » les acteurs de terrain. Il faudra donc des
mesures rapides et fortes pour leur redonner confiance. Il faudra un vaste plan
de résorption de la précarité. Il faudra rediriger les moyens de l’ANR et du CIR. Il
faudra augmenter les bourses étudiantes et travailler sur la démocratie interne.

Mais je veux aussi recréer les conditions d’une réflexion globale sur l’ESR. A la
brutalité du Président actuel, à la course à l’échalote des réformes, je veux opposer
le temps de la discussion et de la décision, avec tous les acteurs. Je veux des
Etats généraux de l’ESR avec les chercheurs, les enseignants, les syndicats, les
entreprises, les étudiants, les associations, les citoyens. Je veux que la grande
communauté de l’ESR redevienne actrice de son évolution, et non plus
victime. Car je fais confiance à cette communauté.

Redonner rapidement confiance à la communauté de l’enseignement
supérieur et de la recherche. Puis lui faire confiance pour se transformer.
Redonner confiance à la société et faire confiance à la société. Voilà un
concept qui serait une réponse radicale au sarkozysme.

Remonter