Ne laissons pas Chatel saper l’école, résistons !

Par ALAIN REFALO Enseignant du primaire

L’école de la République est en train de mourir sous les coups de boutoir d’une institution qui montre chaque jour son mépris pour les enseignants, les parents et les élèves. Le général en chef de la rue de Grenelle, à la suite de son prédécesseur, mène depuis son arrivée au ministère une guerre sans merci pour achever l’école issue des Lumières. Il saigne, il détruit, il appauvrit, et il s’en félicite, fier de pouvoir à son tour saper davantage les fondements de l’école émancipatrice ! Cette guerre, reconnaissons-le, il est en train de la gagner, faute d’enseignants résistants. Le laisserons-nous accomplir impunément cette basse besogne ou lui opposerons-nous enfin toute la force de notre conscience révoltée ?

Sa force à lui, il la tient de notre permanente soumission. Sans notre coupable obéissance, lui et ses zélés exécutants académiques ne pourraient rien. Notre silence face au démantèlement méthodique de l’école publique, silence justifié par le soit-disant devoir d’obéissance et de réserve du fonctionnaire, est désormais synonyme de capitulation. Nous avons capitulé avant même de résister, alors qu’il suffirait de ne plus les soutenir pour que cessent ces attaques destructrices du service public d’éducation. La Boétie, reviens, les syndicats n’ont toujours rien compris.

C’est ce choix d’une résistance éthique et responsable qu’ont fait des milliers d’enseignants du primaire qui, dès novembre 2008, n’ont pas voulu être les complices de cette politique criminelle qui tue le métier d’enseignant, qui tue le désir d’enseigner et le plaisir d’apprendre, qui tue l’espérance du progrès pour tous. Depuis trois ans, en conscience et en dépit des pressions, parfois des sanctions et des retraits de salaire, ils refusent d’obéir et le font savoir à leur hiérarchie. Ils ne veulent pas être les instruments du fallacieux «pilotage par les résultats». Ils ne prêtent pas leur concours à cet esprit de compétition si éloigné des valeurs de l’éducation.

La nocivité attestée des contre-réformes imposées à l’école légitime largement cette résistance. La semaine de quatre jours, généralisée par Xavier Darcos, est largement condamnée dans les rapports officiels car reconnue épuisante pour les élèves. Les nouveaux programmes, élitistes et d’un autre âge, ne sont pas appliqués car inapplicables à la lettre. Le dispositif de «l’aide personnalisée» en remplacement de l’aide spécialisée n’est d’aucune efficacité pour les élèves en difficulté et s’avère du saupoudrage. Les évaluations nationales n’ont plus aucune crédibilité comme le montre le dernier rapport du Haut Comité pour l’Education. Quant au «livret personnel de compétences», nouveau fichier informatisé du contrôle social, il révèle toute la volonté du pouvoir de soumettre l’école aux exigences croissantes d’une économie libérale qui n’a que faire de l’humain. Au nom de cette politique qui sacrifie l’école sur l’autel des économies budgétaires, des dizaines de milliers de postes sont supprimés, des centaines de classes ferment et les nouveaux enseignants ne bénéficient plus aujourd’hui d’aucune formation professionnelle.

Pour faire appliquer coûte que coûte toutes ces «réformes» contraires aux valeurs de l’école de la République, l’administration n’a lésiné sur aucun moyen de propagande, mais aussi de pression et de contrôle sur les enseignants. Cette hiérarchie arrogante et incompétente qui n’a que le mot «performance» à la bouche n’a de cesse d’écraser les enseignants sous de la paperasse et des tableaux illisibles à remplir pour alimenter des statistiques vides de sens. Cette déshumanisation du métier conjuguée à la difficulté croissante d’enseigner entraîne le désarroi, le stress, la démotivation, la souffrance et la désespérance de nombreux enseignants et de beaucoup d’élèves. Il faudra un jour que tous ceux qui sont responsables de ce désastre humain rendent des comptes à la nation.

J’ai été sanctionné en juillet 2009 par un tribunal académique à Toulouse, notamment pour «incitation à la désobéissance collective»,notion juridique par ailleurs inconnue. Je persiste et signe. Car plus que jamais nous avons le devoir de prendre la parole pour dénoncer l’imposture du discours officiel. Nous avons un devoir d’insoumission collective à ces «réformes» scélérates. Il s’agit de ne pas se prêter au mal que nous condamnons. L’indignation ponctuelle, comme celle de demain, ne suffira pas. Nous avons besoin d’une résistance permanente, quotidienne, qui s’articule sur deux piliers : une stratégie de non-coopération et un programme constructif pour l’avenir de l’école.

Lors des prochaines échéances électorales, les partis politiques qui aspirent à réaliser l’alternance devront remettre l’école au centre d’un projet de société solidaire. En écoutant enfin ceux qui la font vivre chaque jour contre toutes les forces rétrogrades qui rêvent de la voir disparaître.

Auteur de : «Résister et enseigner de façon éthique et responsable», éd. Golias, 2011.

Un commentaire pour “Ne laissons pas Chatel saper l’école, résistons !”

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