Ne cherchez pas le chemin de la Paix. La Paix est le chemin.

Hier, dans l’intense lumière du soleil basque, j’ai partagé avec des milliers et des milliers de personnes une journée de joie et d’émotion, une de celles qui justifie toute notre militance.
 
L’ETA est désarmée.
 
Ces quelques mots semblent presque irréels pour qui a suivi ce lourd et douloureux dossier depuis des décennies.
En faisant à Bayonne, en fin d’après midi, le bilan de ces dernières semaines dans la fraicheur d’une grande salle du Musée du Pays Basque qui servait de QG à l’opération, entre tension et rires, on se demandait si on ne rêvait pas.
 
Txetx (Etcheverry) nous racontait comment il avait gardé ces dernières nuits, à côté de son lit, une bouteille d’alcool à brûler et un briquet pour pouvoir détruire en quelques secondes – en cas de soudaine « tentative de déstabilisation » des forces de l’ordre – les renseignements précieux dont il était un des rares dépositaires. Sacré bonhomme que mon ami Txetx qui a toujours été notre compagnon de route, de nos lointaines européennes de 2004 où un “abertzale » était en pointe sur notre liste, jusqu’à la folle et géniale aventure d’Alternatiba et de Bizi dont il est une des principales pièces maîtresses.
 
Les Artisans de la Paix n’ont pas fini de se raconter cette journée commencée au petit matin quand ils sont allés superviser la restitution de l’arsenal dans les diverses caches, souvent enterrées en pleine nature. Elles allaient être révélées deux heures plus tard lors d’une très sobre conférence de presse, où les coordonnées des lieux ont été officiellement remises aux observateurs internationaux. José (Bové) en rigole encore en se rappelant le “selfie” de lui et François (Dufour) qu’il a envoyé à… Matignon (!) en direct d’une des “zones de désarmement” (lieux de stockage) dûment balisées en attendant l’arrivée des gendarmes. Notons que pour le coup, le gouvernement français a – enfin – joué le jeu en « laissant faire » le processus, après avoir tenté de le faire échouer, il y a quelques semaines, lors de sa rafle de Louhossoa (honte éternelle au sieur Le Roux, l’éphémère et pitoyable ministre de l’Intérieur qui avait cru récolter des miettes de gloire en “portant un coup à l’ETA” (sic), alors qu’il venait juste de faire incarcérer cinq Artisans de la Paix). Hier, la maréchaussée était infiniment plus cool, un de ses capitaines allant jusqu’à remercier (ce que n’a quand même pas osé faire la Place Beauvau) cette Société Civile qui, seule, a permis cette restitution qui était impossible à concevoir pour les derniers “ettaras » s’ils avaient eu Paris ou Madrid en face d’eux. La droite post franquiste au pouvoir en Espagne reste, elle, bloquée dans ses anciens schémas binaires. Pour Rajoy, il s’agit simplement de “sa » victoire (?) alors qu’il n’a rien fait d’autre que dresser mille embûches sur le chemin qui a mené à la journée d’hier.
 
Ainsi, plus de six ans après l’annonce par l’ETA de la fin de la lutte armée, ce 8 avril 2017 marque une étape cruciale et décisive dont la portée historique n’a échappé à personne, même si des interprétations plus ou moins fondées demeurent de part et d’autres des Pyrénées, et ailleurs (voir la mini revue de presse en annexe). Mais le chemin est encore long avant la paix des consciences. Il faudra pour cela, par un dialogue sans tabou mais marqué au sceau d’une justice apaisée et constructive, tenter d’estomper les cruelles cicatrices des attentats (ceux de l’ETA, comme ceux des commandos paramilitaires espagnols, les GAL) et affronter avec lucidité et (auto?)détermination les séquelles du franquisme. Le premier et indispensable pas à franchir – la foule d’hier l’a scandé à maintes reprises – sera le rapprochement des lieux de détention des centaines de prisonniers de ce conflit, afin d’être tout simplement conforme au droit international. Ensuite il faudra – enfin – concevoir l’Euskadi non pas comme une “écharde” complexe fichée aux frontières de deux États, mais comme un évident lien transpyrénéen, fécond de solidarités et de richesses culturelles, mais aussi créateur d’une nouvelle approche de l’Europe, où l’intergouvernemental ne sera plus l’alpha et l’oméga. Ceux qui sont, comme les écologistes, porteurs d’une telle vision émancipée de la refondation européenne, ont sans doute beaucoup à dire pour nourrir ce débat…
 
Sous le grand chapiteau qui faisait face à la foule dense de la place Paul Bert, beaucoup de souvenirs se bousculaient dans ma mémoire, certains dont je n’avais guère pu parler jusqu’ici. La difficile création d’un « groupe informel » (le statut d’intergroupe nous avait été refusé) au Parlement Européen pour la paix au Pays Basque / les rencontres secrètes dans des caves du Petit Bayonne avec les associations de prisonniers / le fascinant et long tête à tête à Toulouse avec un des co-fondateurs (repenti) de l’ETA qui cherchait une « voie de sortie honorable” / les négociations sans fin pour que l’Hémicycle de Strasbourg vote solennellement – pour une des rares fois de son histoire – une résolution s’ingérant dans les affaires intérieures de deux États en soutenant le processus pacifique porté par la Société Civile / le meeting clef en Euskadi partagé avec Michel Rocard pour tenter un parallèle avec les accords de Kanaky / les longs procès pour la légalisation (victorieuse) de Euskal Herriko Laborantza Ganbara, la chambre d’agriculture basque pour lequel je fus plusieurs fois appelé à la barre / les invitations à des “cérémonies » plus ou moins clandestines avec des victimes des “deux bords” qui furent autant d’occasions de comprendre, de suggérer, d’infléchir / les incessants courriers, officiels ou non / les articles “passeurs d’idées” dans une presse peu lue, sauf dans “certains milieux” / les petites fêtes lors des avancées, les gros coups de blues lors des reculs, et les centaines de personnes croisées durant ces trois décennies, dont beaucoup, présentes hier et débordantes d’émotion, se serraient mutuellement dans les bras…
 
En fin de cérémonie – débutée par la forte déclaration des « deux Michel » (Berhocoirigoin en basque, Tubiana le traduisant en français) – le Manifeste de Bayonne, dont je me retrouve désormais un des 120 humbles référents, a été lu avec beaucoup de dignité par une Susan George toujours aussi impressionnante d’humanité, comme un appel à continuer le processus ici et ailleurs, partout où les tensions inter-communautaires semblent indépassables. Car ce qui s’est passé hier en Pays Basque recèle une part d’universel pouvant servir de matrice dans des dizaines de foyers de tension de par le monde.
 
Oui, hier était décidemment une belle journée, même si comme l’a rappelé Harold Good – vieux révérend nord irlandais venu à Bayonne pour participer à la fin de la dernière guerre civile au sein de l’Union Européenne – après l’ETA, ce sont les rancœurs qu’il nous faut désarmer…
Milesker bakegileak.
 
 
Gérard.
 
 
NB #1 : Grand merci à Euskal Herriko Berdeak (notamment Sophie et Martine) pour la gentillesse et l’efficacité de leur accueil.
NB #2 : En marge des cérémonies, j’ai abordé Jean Pierre Mignard (hollandais intime et néanmoins macroniste du premier cercle, venu là en voisin m’a-t-on dit) pour savoir qu’elle était – dans le cadre de la nécessaire relance européenne – la doctrine de son nouveau poulain sur l’avenir des eurorégions transfrontalières en général, et celui de l’Euskadi en particulier. Réponse (hilare) : “Aucune » (!). Il m’a laissé ses coordonnées pour en reparler – le cas échéant – “dans quelques mois”…
 
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