Les mâles sont en rues

La ville, pensée par et pour les hommes, ne laisse pas de place aux femmes. Exemple à Bordeaux.

C’est une visite de Bordeaux sans cannelés, mais chaussée de «lunettes du genre», celles que propose Yves Raibaud, géographe, spécialiste de la place des femmes dans la ville. Il a mené plusieurs études à Bordeaux et dans son agglomération depuis dix ans. Son constat : quelle que soit la commune, «la ville appartient aux hommes. Tout est fait pour favoriser leur présence». De quoi faire prospérer le harcèlement de rue. Pour le géographe, «tout se tient : plus les hommes sont présents, plus ils vont développer un sentiment d’impunité». A la manière des «marches exploratoires», ces sorties organisées par des femmes pour identifier ce qui cause leur malaise dans la rue, Yves Raibaud, qui se présente comme un «féministe convaincu», plaide pour que les politiques publiques leur fassent de la place. Déambulation dans Bordeaux en trois étapes.

Quais des garçons

Premier arrêt quais de la Monnaie et des Chartrons. Sur le city-stade au bord de la Garonne, un groupe de garçons tape le ballon. Aucune fille ne joue avec eux. Une poignée d’entre elles sont juste spectatrices, assises sur des bancs. Même scène au skate-park du quai des Chartrons. Pas une fille en rollers ou sur un BMX. Seuls les garçons enchaînent des figures. «On dit que les filles peuvent elles aussi faire du skate ou du foot, commente le géographe. Mais deux fois plus de garçons que de filles profitent des équipements publics de loisirs pour les jeunes.» A partir de la sixième, la désertion des filles est massive dans les lieux de loisirs. «C’est progressif, la mixité se réduit avec l’âge. A l’adolescence, on n’encourage plus les filles à sortir.» Pourtant les activités mixtes existent, «mais il y a une grande inégalité dans l’attribution de moyens, souligne notre guide. En moyenne, 75% du budget loisir des communes bénéficie à des activités masculines. Cela institutionnalise la présence des garçons dans la rue. C’est comme dans une cour de récréation : dès qu’on y installe un terrain de foot, les garçons deviennent plus légitimes à être au milieu, à occuper tout l’espace».

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REPÈRES

«Ici zone sans relou»

Le 25 avril, le collectif Stop Harcèlement de rue inaugurait une première zone «safe» rue de Lappe, près de la place de la Bastille à Paris, pour dénoncer les comportements sexistes dans la rue. Après ce premier test, des «zones sans relou» pourraient se multiplier dans la capitale. Ce collectif avait déjà placardé le 8 mars des affiches «Je ne suis pas ta jolie»«Ma minijupe ne veut pas dire oui» ou «Me siffler n’est pas un compliment».

25,6% des femmes de 14 ans et plus disent s’être parfois senties en insécurité dans leur quartier ou leur village, selon une enquête de l’Insee de 2012.

Les «marches exploratoires» entre femmes sont nées au début des années 90 à Montréal et à Toronto. Puis, en France, ces actions de sensibilisation sont apparues à Paris, à Arcueil (Val-de-Marne) et à Lille. Le ministère de la Ville appelle, depuis 2013, à leur généralisation.

Anne-Claire GENTHIALON

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