La biopiraterie? C’est comme une deuxième arrivée de Christophe Collomb

Bonjour,

Suite à la conférence sur la biopiraterie organisée par Catherine Grèze au Parlement européen jeudi dernier, voici ci-dessous un article paru ce jour dans Carré d’info.
L’article est suivi de son intervention

Pour rappel, Vandana Shiva lance une quinzaine d’actions pour la Liberté des Semences du 2 octobre (anniversaire de Gandhi) au 16 octobre (Journée mondiale de l’Alimentation). Pour plus d’information vous pouvez vous rendre sur le site Seed Freedom .

Bonne lecture !
Fanny Thibert
Attachée parlementaire locale Catherine Grèze
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Illustration Copyright - Photo CC

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Députée européenne Europe-Ecologie du Sud-Ouest, Catherine Grèze a fait de la lutte contre la biopiraterie son combat au Parlement Européen. Cette pratique, légale, amène peu à peu à une privatisation du vivant et conduit à des aberrations pour les écologistes : interdiction de replanter ou royalties sur ses propres semences. En pointe sur le sujet, la députée nous détaille les enjeux liés à ce qu’elle nomme, « la biopiraterie. »

 

Qu’est-ce que la biopiraterie ?

C’est un véritable pillage industriel des ressources naturelles et des savoirs des pays du Sud. Vandana Shiva[1], grande figure de la lutte contre la biopiraterie, la définit comme « un déni du travail millénaire de millions de personnes et de cerveaux travaillant pour le bien de l’humanité.«

 

Ces « pirates du vivant » proviennent majoritairement de trois secteurs : le secteur pharmaceutique, la cosmétologie et l’agroalimentaire.

 

Parmi les différentes définitions existantes, celle qui est le plus souvent mentionnée est « l’appropriation, l’exploitation et la commercialisation illégitimes de ressources biologiques et des connaissances traditionnelles qui y sont associées, par le biais de brevets, par des firmes privées du génie génétique sans consultation ni compensation pour les populations qui ont initialement développés ces connaissances.«

 

S’il y a une biopiraterie, il y a donc des biopirates?

Ces « pirates du vivant » proviennent majoritairement de trois secteurs : le secteur pharmaceutique, la cosmétologie et l’agroalimentaire. Ils font du profit à partir de produits naturels librement disponibles, en copiant les techniques des peuples ruraux ou autochtones qui les utilisent au quotidien pour manger ou se soigner depuis des générations.

 

Illustration épi de blé - Photo CC

 

Certains évoquent une nouvelle forme de colonisation? Pourquoi ce terme?

C’est une sorte de ruée vers l’or vert, un accaparement des richesses sans aucune contrepartie qui n’est pas sans rappeler effectivement les temps coloniaux.

Cherchez l’erreur : 90 % du patrimoine biologique mondial se trouve dans les pays dits « en voie de développement », quand 97 % des brevets sont détenus par les pays industrialisés. Près de 70 000 brevetssont déposés chaque année, dont plus de 10 500 sur des organismes vivants.

 

 Près de 70 000 brevets sont déposés chaque année, dont plus de 10 500 sur des organismes vivants.

 

 Au delà du matériel, des connaissances partagées semblent concernées?

Vandana Shiva parle de « colonisation des savoirs ». Elle explique parfaitement ce néo-colonialisme, cette« deuxième arrivée de Christophe Colomb«  :

« Le devoir d’incorporer les sauvages dans le christianisme s’est mué en devoir d’incorporer les économies locales et nationales dans le marché global et les systèmes non-occidentaux de connaissances dans le réductionnisme de la science et de la technologie occidentales. Nous sommes dans une version séculaire du même projet de colonisation. Il suffit d’appartenir à une culture non-occidentale, avec un système de connaissance différent,  pour perdre une partie de ses droits ».

 

Pourriez-vous détailler un exemple concret?

Le cas « Enola » est emblématique. Un citoyen des Etats-Unis, propriétaire d’une société de semences, dénommé Larry Proctor Haricot se promène sur un marché au Mexique avec sa femme et achète quelques haricots jaune. En avril 1999, il obtint un brevet de l’Office des brevets américains pour ce haricot jaune mexicain. Son brevet lui accorde les droits de propriété exclusifs d’une variété de haricot qu’il intitula « Enola », prénom de sa femme.

 

« Un paysan mexicain peut être, d’un point de vue légal, condamné à devoir des royalties à une entreprise américaine pour cultiver les haricots de ses ancêtres. »

 

Cette décision est l’un des exemples les plus scandaleux de biopiraterie dans l’histoire de la propriété intellectuelle qui a plongé les agriculteurs mexicains dans une détresse bien compréhensible : ils ont dû, à partir de ce moment là, payer des royalties… à Monsieur Proctor ! Les brevets déposés sur les végétaux font l’objet d’une compétition acharnée entre multinationales. Conséquences : un paysan mexicain peut être, d’un point de vue légal, condamné à devoir des royalties à une entreprise américaine pour cultiver les haricots de ses ancêtres.

 

 

Au-delà des problématiques induites dans les pays en développement, quelles peuvent-être les conséquences pour les agriculteurs et consommateurs de la région Midi-Pyrénées?

 

La menace de concentration des ressources agro-génétiques mondiales dans les mains de quelques firmes semencières et agrochimiques entraine des conséquences dramatiques pour les peuples autochtones des pays en développement mais également pour nos agriculteurs ici-même en Midi-Pyrénées. Le nombre croissant de brevets accordés par l’Office Européen des Brevets sur des gènes et sur des variétés végétales favorise une concentration rapide dans le secteur des semences.

 

Les brevets vont de pair avec une interdiction d’échanger des semences et de pratiquer des semences de fermes, qui consiste à garder une partie du grain récolté pour le replanter l’année suivante.

 

Les brevets conduisent à une mainmise de l’industrie des biotechnologies sur la production de semences, et les agriculteurs vont être confrontés à une baisse de l’offre de variétés, qu’ils devront en plus payer plus cher.Les brevets vont de pair avec une interdiction d’échanger des semences et de pratiquer des semences de fermes, qui consiste à garder une partie du grain récolté pour le replanter l’année suivante.

 

L’industrie fait tout pour faire criminaliser ces pratiques innovantes, au nom du respect de leur « propriété intellectuelle » que leur octroient les brevets !

 

De nombreux paysans de la région sont très actifs dans la mise au point de nouvelles variétés mieux adaptées à l’agriculture écologique et aux changements climatiques. L’industrie fait tout pour fairecriminaliser ces pratiques innovantes, au nom du respect de leur « propriété intellectuelle » que leur octroient les brevets ! Nous nous battons au Parlement européen pour le droit des paysans d’échanger et de réutiliser leurs semences.

 

De quelle manière comptez-vous attaquer ce problème?

En tant que députée européenne et coordinatrice de la commission du développement pour le groupe des Verts, j’ai par exemple envoyé une lettre à Catherine Ashton et déposé une question écrite au commissaire de l’environnement pour alerter et obliger la Commission à se positionner.

J’ai obtenu la charge d’être rapporteure pour le Parlement européen sur “les droits de propriété intellectuelle sur les ressources génétiques et leurs conséquences dans les pays en développement”. En lien permanent avec les ONG spécialisées et les représentants des peuples autochtones, je travaille actuellement à la finalisation de ce rapport qui permettra au Parlement européen de se positionner sur ce sujet.

NB : Réponses adressées par écrit par le service parlementaire de Catherine Grèze.

 

 

 

Présentation du Rapport de Catherine Grèze sur la biopiraterie

Commission du Développement

18 septembre 2012

 

Cher(e)s collègues,

 

En tant que rapporteure sur “les droits de propriété intellectuelle sur les ressources génétiques et leurs conséquences dans les pays en développement”, je tiens à nous féliciter collectivement, nous membres de la commission du Développement, d’avoir enfin obtenu la responsabilité d’un tel rapport d’initiative.

 

En effet, alors que 90% du patrimoine biologique mondial est détenu par les pays en développement, 97% des brevets sont détenus par les pays industrialisés. Les peuples autochtones et les plus démunis sont les victimes directes de cette pratique illégale qu’est la “biopiraterie”.

 

La réalité que cache cette notion un peu barbare est encore malheureusement largement méconnue. C’est un véritable pillage industriel des ressources naturelles et des savoirs des pays du sud, une injustice économique et morale et une menace pour la diversité du vivant.

 

Nous parlons ici d’un combat mené depuis des années par les pays en développement eux-mêmes, que nous avons relayé auprès de Madame Ashton en personne dès 2010.

Pour rappel, parmi les différentes définitions existantes, celle qui est le plus souvent mentionnée est “l’appropriation, l’exploitation et la commercialisation, illégitime de ressources biologiques et/ou des connaissances traditionnelles qui y sont associées, par le biais de brevets, par des firmes privées du génie génétique sans consultation ni compensation pour les populations qui ont initialement développés ces connaissances.”

 

On ne peut pas parler de biopiraterie sans mentionner le terme de “biopirates”. Ces “pirates du vivant” proviennent majoritairement de trois secteurs : le secteur pharmaceutique, la cosmétologie et l’agroalimentaire. Ils font du profit à partir de produits naturels librement disponibles en copiant les techniques des peuples ruraux ou autochtones qui les utilisent au quotidien pour manger ou se soigner depuis des générations.

 

Dans un contexte où les savoirs traditionnels sont à l’origine de bénéfices substantiels pour les entreprises, notamment dans les domaines des produits pharmaceutiques, des produits cosmétiques et de l’agriculture, la protection des savoirs traditionnels des communautés autochtones et locales représente un véritable défi pour lutter contre la biopiraterie liée aux activités de bioprospection. Le fait de permettre aux détenteurs de savoirs traditionnels de préserver, de contrôler et de protéger ces connaissances n’est pas seulement essentiel pour leur survie économique et culturelle, mais également pour le maintien d’une diversité biologique qui profite au monde entier.

 

Comme vous le savez, la protection et la conservation de la diversité génétique sont unélément clé de la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement. Les ressources génétiques sont particulièrement cruciales pour une agriculture durable et pour lasécurité alimentaire. Des exemples précis tirés de ces 20 dernières années, notamment le cas du haricot jaune “Enola” (aparté), apporte un éclairage nouveau sur le défi à relever en ce qui concerne l’utilisation illégale des ressources génétiques et des savoirs traditionnels dans les pays en développement.

Il faut également rappeler les difficultés posées par l’existence de droits de propriété intellectuelle portant sur les ressources génétiques et les savoirs traditionnels dans les pays en développement, en termes d’accès aux médicaments, de production de médicaments génériques et d’accès des agriculteurs aux semences.

 

La lutte contre la biopiraterie représente donc un défi important à relever pour l’Union. De telles pratiques vont à l’encontre des engagements de l’Union en matière d’éradication de la pauvreté et de protection de la biodiversité et à l’encontre du principe de la cohérence des politiques pour le développement, consacré à l’article 208 du traité de Lisbonne. La politique commerciale de l’Union européenne en matière de droits de propriété intellectuelle doit respecter l’objectif de cohérence des politiques pour le développement. Nous qui nous battons pour une meilleure cohérence des politiques pour le développement, il me semble tout à fait logique que nous soutenions les revendications, légitimes, de ces pays.

L’incohérence du contexte juridique international sur ce sujet est effarante. Nous sommes face à une architecture complexe de gouvernance multi-institutionnelle CDB, OMC, OMPI, OMS, FAO, etc. Il est absolument nécessaire de travailler pour qu’il y ait un système de gouvernance globale et cohérent sur cette question. Conformément au principe de la cohérence des politiques pour le développement, les institutions internationales doivent soutenir le système formé par la CDB et le protocole de Nagoya.

 

Les pays en développement qui mènent ce combat depuis tant d’années ont toujours proposé qu’une réglementation contraignante oblige les demandeurs de brevets à 3 choses :

– divulguer la source et l’origine des ressources génétiques et des savoirs traditionnelsutilisés dans l’invention,

– à apporter la preuve du consentement préalable en connaissance de cause des autorités compétentes du pays fournisseur

– et à fournir un certificat international d’origine démontrant le partage juste et équitable des avantages.

 

Nous pouvons nous faire les portes paroles au niveau européen de ces revendications légitimes. Le message central que nous devons porter est assez clair : il faut remettre la CDB et le Protocol de Nagoya “au milieu du village” et donc graviter autour de cette Convention qui met au cœur du débat les questions de l’accès et du partage des avantages. Elle permet et est construite autour d’un équilibre entre pays développés et pays en développement. Nous devons, nous commission du Développement, demander instamment à l’Union européenne et à ses États membres d’appeler à une ratification rapide du protocole de Nagoya afin de lutter contre la biopiraterie et de rétablir la justice et l’équité dans l’échange de ressources génétiques.

 

Enfin, la biopiraterie trouve ses sources dans l’insuffisance des réglementations et des mesures répressives dans les pays en développement et dans le manque de mécanismes de contrôle dans les pays développés. N’oublions donc pas le rôle fondamental de la coopération au développement de l’Union pour proposer aux pays en développement une aide concernant le renforcement des capacités juridiques et institutionnelles sur les questions d’accès et de partage des avantages.

 

En tant que rapporteure, je suis ouverte à la discussion avec tous mes collègues des autres groupes politiques pour que nous portions haut et fort les revendications des pays en développement et faire cesser ce pillage des ressources qui les ronge.

 

Aparté sur le cas Enola :

Le cas « Enola » est emblématique.Un citoyen des Etats-Unis, propriétaire d’une société de semences, dénommé Larry Proctor Haricot se promène sur un marché au Mexique avec sa femme et achète quelques haricots jaunes. En avril 1999, il obtint un brevet de l’Office des brevets américains pour ce haricot jaune mexicain. Son brevet lui accorde les droits de propriété exclusifs d’une variété de haricot qu’il intitula « Enola », prénom de sa femme.Cette décision est l’un des exemples les plus scandaleux de biopiraterie dans l’histoire de la propriété intellectuelle qui a plongé les agriculteurs mexicains dans une détresse bien compréhensible : ils ont dû, à partir de ce moment là, payer des royalties… à Monsieur Proctor ! Les brevets déposés sur les végétaux font l’objet d’une compétition acharnée entre multinationales. Conséquences : « Un paysan mexicain peut être, d’un point de vue légal, condamné à devoir des royalties à une entreprise américaine pour cultiver les haricots de ses ancêtres. »

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