Monsieur le Président, loin des caricatures simplistes, le TGV n’est pas l’ennemi des écologistes, loin de là. Il a démontré en France et ailleurs qu’il pouvait être pertinent pour concurrencer l’avion sur des trajets moyennes distances, de centre-ville à centre-ville.

Gardons donc bien à l’esprit que ce qui pose problème, ce n’est pas forcément l’outil TGV en soit, c’est l’absence de réflexion globale sur la politique des transports, sur son financement et sur l’articulation des modes de déplacement. Des sujets qui jusqu’à présent ont été traités par-dessus la jambe, ce qui nous conduit malheureusement là où nous sommes aujourd’hui : dans l’impasse la plus totale. Vers un triple échec économique, social et environnemental.

Economique car les secteurs industriels liés aux transports se portent mal. Social car le service public de transport se dégrade, y compris en milieu urbain. La sécurité routière et ferroviaire aussi (cf. le drame de Bretigny). Ecologique, car sous le prétexte fallacieux de protéger les plus faibles, le refus d’une fiscalité écologique en faveur des transports alternatifs à la route empêche de financer les investissements nécessaires pour répondre à la demande de transport, des plus pauvres notamment.

La politique de l’autruche a assez duré. Il faut savoir faire un bilan et en tirer de bonnes conclusions pour arrêter l’hémorragie. On ne peut pas prétendre jouer les bons gestionnaires lorsque l’on sacrifie le réseau ferroviaire et le service public des transports.

Il est grand temps de mettre un terme à cette politique de faux-semblant en faveur des transports durables, d’arrêter les effets d’annonces, les promesses électorales et les mesures démagogiques, anti-pédagogiques, des promenades gratuites sur l’autoroute de Mme Royal, en passant par la gratuité des transports pour tous et partout, la libéralisation du transport en autocar, et les projets inutiles et dispendieux, comme Notre Dame des Landes ou la LGV Poitiers Limoges. Tout ceci concourt au sous-investissement dans le service public de transport et à sa casse.

Monsieur le Président, mes chers collègues, les rapports de la Commission Mobilité 21, de la Cour des Comptes, et tant d’autres avant, ne doivent plus servir à caler des tables bancales, il faut les lire, il faut s’en inspirer ! Il faut les avoir toujours à l’esprit quand il s’agit de prendre des décisions qui impacteront la vie de nos territoires et de nos citoyens pour plusieurs décennies.

Oui, la Cour des Comptes a raison de rappeler que « La croissance du trafic TGV s’est depuis l’origine faite au détriment des autres trains longues distances dont la fréquentation a été divisée par 5 au cours des 30 dernières années ».

Oui elle remet les pendules à l’heure quand elle avertit la société et les élus « qu’on rénove quinze kilomètres de lignes classiques pour le coût d’un seul kilomètre de LGV nouvelle ».

Oui elle met le doigt où il faut quand elle tire la sonnette d’alarme en affirmant qu’elle « a constaté les effets négatifs d’éviction des ressources financières sur le reste du réseau ».

Oui son constat est sans appel quand elle conclut qu’ « il n’est aujourd’hui plus possible de poursuivre une politique de « tout TGV » a fortiori si l’on entend entreprendre parallèlement une rénovation accélérée du réseau classique, tant il est désormais avéré que ce dernier a été négligé pendant 30 ans et réclame désormais, pour une mise à niveau, des investissements incompatibles avec la poursuite du développement des lignes à grande vitesse. »

Oui la Cour des Comptes et la Commission Mobilité 21 sont au cœur du sujet quand elles nous alertent sur les carences et les incohérences du financement du système ferroviaire en France.

En Europe, tous les réseaux ferroviaires nécessitent des subventions publiques importantes, en moyenne 50%. En Suède et au Danemark ce taux de subvention est supérieur à 90%, au Royaume Uni il est de 61%. En Allemagne, en Espagne et en Italie il est proche de 50%. La France est l’un des pays où ce taux est le plus faible, avec 32% en 2013.

Au-delà de cette réalité, que faut-il retenir ?

Que « les choix de l’État ne sont pas financés en l’état actuel » comme le rappelle la Cour des Comptes. Il manque 15 à 18 Md€ d’euros de recettes nouvelles au minimum pour les financer. A titre de comparaison, il faudrait multiplier par 2 les crédits en faveur du transport fluvial et il manque chaque année 50M€ pour le simple entretien des routes nationales d’après la Commission Duron.

Ainsi, sans réforme fiscale d’envergure, sans changement des priorités, de la route vers le rail, et en se privant par exemple des recettes de l’éco-taxe poids, on ne peut que foncer chaque jour un peu plus dans le mur et ce sont les citoyens, les plus pauvres notamment, qui en paient les pots cassés.

Nous sommes véritablement dans une impasse financière et « la société française ne peut pas faire l’économie d’un débat sur le financement des infrastructures et singulièrement d’une réflexion approfondie sur les modalités de financement des grands projets » selon la Commission Mobilité 21.

La dette ferroviaire est un poison qui profite aux banques et dont on ne se débarrasse pas avec un traitement palliatif. Elle atteindra plus de 60 Md€ en 2025, soit 51 Md€ pour RFF et 9 Md€ pour la SNCF. Chaque année RFF s’endette de 1,5 Md€ supplémentaires pour financer la construction de nouvelles LGV, ce qui handicape sérieusement RFF dans ses missions d’entretien, de régénération, de modernisation et de développement du réseau ferroviaire.

Sans régler l’endettement du système ferroviaire, et compte tenu de la politique d’austérité menée aujourd’hui par le gouvernement (la droite nous promet encore pire) c’est une fois de plus les collectivités qui seraient amenées à rogner sur leurs investissements, sur les services publics locaux ou à s’endetter davantage pour financer de nouvelles LGV. Est-ce raisonnable quand on réclame à cor et à cris des sacrifices aux Français à qui l’on demande d’avoir de la patience ?

Les Auvergnats, en particulier les jeunes, sont très mécontents des infrastructures et de l’offre de transport dans notre région ; ils nous l’ont rappelé l’an dernier lors de l’actualisation du SRADDT. Et ce ne sont pas les dernières évolutions mises en place dans le cadre du service TER 2015 qui vont les faire changer d’avis, pas plus que les impacts attendus du sous-investissement de l’Etat sur le rail auvergnat dans le cadre du CPER.

Demain la liaison ferroviaire directe entre Clermont et Saint-Etienne sera fermée. Même chose pour la liaison Clermont / Le Mont Dore et l’Aubrac. Le Cévenol bénéficie d’un sursis pour plusieurs années mais qu’en sera-t-il après, avec la fusion des Régions notamment ? La liaison ferroviaire la plus courte et la plus directe entre Clermont, Ussel, Limoges et Bordeaux est déjà interrompue depuis ce mois de juillet. La loi Macron nous promet déjà des cars entre Lyon, Clermont et Toulouse et un car quotidien entre Lyon, Clermont et Bordeaux qui annihile tout espoir de rouvrir la liaison ferroviaire par Ussel ou par Montluçon, malgré les millions d’euros injectés par la puissance publique, notre collectivité notamment.

Plus de 130M€ doivent être mobilisés pour sauver nos liaisons interrégionales dans l’immédiat d’après le rapport de RFF et plus de 300M€ sur le long terme. Nous en sommes loin, très loin. Et vous nous proposez aujourd’hui dans ce contexte de nous prononcer sur une hypothétique LGV POCL et sur ses tracés, estimés à 13Md€, et en réalité certainement beaucoup plus au final ?

C’est complètement surréaliste même si d’autres collectivités l’ont fait avant nous.

Surréaliste tout d’abord car la LGV POCL n’a pas été classée comme un dossier prioritaire par la Commission Mobilité 21. La Commission Duron a classé ce projet dans une liste des projets secondaires devant voir le jour entre 2030 et 2050, sauf à prouver la saturation de la ligne Paris-Lyon existante. Or cette saturation n’est pas prouvée depuis et vous semblez oublier volontairement les travaux prévus dans les gares et les nœuds ferroviaires, à la Part Dieu par exemple, qui concentrent les principaux ralentissements de la ligne. Ces travaux prennent d’ailleurs une place importante dans le CPER de Rhône-Alpes.

Surréaliste ensuite, car de l’Association des Régions de France en passant par la SNCF, la Cour des Comptes et la Commission Mobilité 21, un consensus se dégage pour mettre en place une offre de transport intermédiaire entre le TGV et le TER, avec des trains circulant à bonne vitesse sur un réseau classique rénové.

Vous avez aujourd’hui devant vous un document publié par Ville, Rail et Transports qui effectue un large focus sur cette initiative. Il s’agit du Train à Haut Niveau de Service, un concept proposé par les écologistes, avec une proposition d’aménagement, évidemment à discuter largement.

Ce concept, nous vous avions proposé de l’étudier sérieusement et notre assemblée avait voté à l’unanimité un amendement pour concourir au lancement de la réflexion. Il n’y a eu aucune suite. Nous avons joué le jeu au départ en votant les crédits d’étude sur la LGV POCL, mais vous n’avez pas voulu en faire autant de votre côté avec cette étude alternative, c’est dommage.

Ce concept, ce train à haut niveau de service, permettrait en moins de 10 ans de désenclaver le Massif Central en combinant l’optimisation des lignes existantes et la construction de lignes nouvelles seulement là où elles sont nécessaires et utiles, notamment à la sortie Sud de Paris où le réseau est saturé.

Il s’agit d’une alternative trois ou quatre fois moins chère aux projets de LGV POCL et Poitiers Limoges.

Ce projet ferroviaire focalisé sur l’aménagement, le maillage, et l’équilibre du territoire offrirait enfin aux usagers un train rapide qui n’oublie personne, un train abordable pour les usagers.

Ce projet est à même de relier Clermont-Ferrand et Paris en 2h30 avec 2 arrêts à Moulins et Vichy en centre-ville.

Par ailleurs, nos territoires ruraux du Cœur de France seraient à nouveau desservis par des relations transversales injustement détournées par Paris. Car l’Auvergne ne doit pas être seulement reliée efficacement à Paris mais elle doit aussi rompre son isolement ferroviaire avec le reste du pays.

Cette étude alternative n’a pas bougé, elle risque de ne jamais bouger malgré son coût minime.

Aucune alternative à la LGV POCL ne sera donc étudiée et c’est donc au forceps, et avec des œillères, que POCL continuera son bout de chemin avec une incertitude manifeste sur sa crédibilité, sur sa pertinence, sur son financement, mais une seule certitude, celle de desservir, peut-être, un jour l’Auvergne, futur cul de sac ferroviaire.

Il y a dans ce débat sur le choix du tracé du POCL bien des contradictions et des grands écarts que nous vous laisseront assumer seuls. C’est pourquoi, nous voterons contre les 2 tracés LGV proposés.

 

Site des élus EELV Région Auvergne