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Ecologie : la France bloquée par ses élites

samedi 7 mai 2016, par Patrick Polverelli

A l’heure où nombre d’observateurs glosent sur le supposé conservatisme de la jeunesse et des organisations syndicales opposées à la « loi travail », je veux dire que les conservateurs ne sont pas forcément ceux que l’on croit. J’en veux pour preuve l’incroyable retard pris par notre pays en matière d’écologie. Disons les choses clairement : alors que foisonnent les initiatives qui démontrent que se lève une nouvelle génération consciente de notre responsabilité face à l’environnement, de notre interdépendance dans les écosystèmes, et donc de notre destinée commune, la transition écologique demeure freinée par des élites dépassées. Ces élites défendent une vision productiviste archaïque, sans réinterroger la notion de croissance et sans comprendre la nécessité de modifier nos manières de produire, de consommer, de nous déplacer, d’habiter. Les bloqueurs ne sont pas les manifestants de Nuit debout, mais les tenants de la technostructure persuadés de détenir seuls la vérité du pays. Ceux-là mêmes qui voulaient me dissuader de mettre en place l’encadrement des loyers et écoutaient davantage les lobbys que les citoyens ; les mêmes ont abandonné les banlieues et trahi le monde rural. Comment attendre d’eux qu’ils intègrent l’impératif écologique, le grand devoir de notre temps ?

A la vérité, l’écologie nécessite un grand virage. Mais comme dans tout processus de transformation de cette importance, il serait naïf de croire que tout le monde souhaite que ce tournant advienne. L’écologie est l’adversaire de la rente parce qu’elle présuppose une mise en commun des ressources et affronte la logique d’accaparement et de prédation qui anime le stade actuel du capitalisme. Et c’est ce qui effraie les rentiers du système. Préoccupés par le maintien de leur position dominante, ils font mine de ne pas voir que leur système ruine le vivant et mène donc l’humanité et la planète vers l’abîme. Au lieu donc de courir après un introuvable consensus écologique, le gouvernement aurait dû assumer les antagonismes qui opposent partisans et détracteurs des solutions écologiques.

Mais ce gouvernement pense, avec trente ans de retard, que l’histoire s’est achevée avec la chute du mur de Berlin. De là découle sa course vers l’orthodoxie : droite et gauche raisonnables devraient partager l’essentiel et s’opposer à la marge. D’une certaine manière, nous voyons poindre à nouveau l’illusion d’une gauche balladurienne, engoncée dans les contours étroits du prétendu cercle de la raison qu’elle partage en colocation idéologique avec la droite libérale. Or, si le clivage gauche-droite est dépassé, ce n’est pas en raison de l’épuisement de ce qu’on appelait jadis la question de classe (elle demeure tragiquement valide), mais bien parce que le paradigme écologiste définit de nouvelles questions qui interrogent notre existence elle-même. Réinvention

L’écologie est le nouvel horizon du progrès. Ce n’est pas seulement une voie de salut, mais aussi un chemin de réinvention. Face à l’urgence climatique, au péril nucléaire, aux menaces qui pèsent sur la biodiversité, il n’est plus temps de tergiverser. Alors, pardon de l’écrire, mais comment, au regard du gouffre entre les exigences environnementales de la période et l’immobilisme gouvernemental, ne pas désespérer de la triste politique menée par un président de la République que nous avons contribué à faire élire ? C’est un incroyable gâchis. Nous pouvions faire de ce quinquennat celui du sursaut écologique, c’est aujourd’hui le quinquennat de l’enlisement. Je ne dis pas que rien n’a été fait : je dis que le cap choisi n’est pas le bon, fixé par des cartographes incapables de lire l’inédit du monde.

Après m’avoir fait reproche d’avoir choisi la participation gouvernementale, on m’a fait reproche d’avoir quitté une coalition qui ne menait pas la politique que nous avions contractualisée. Que n’ai-je entendu alors sur ma prétendue gauchisation ! Parce que j’ai voulu proposer un autre chemin, m’affirmer en solidarité avec la gauche européenne de Podemos et Syriza tout en posant la nécessité absolue de conduire un grand virage écologique, on m’a caricaturée. Peu m’importe.

A la vérité, une écologie libre pose problème parce qu’elle fait mentir les pronostics établis. Une écologie aux ordres plaît davantage aux conservateurs. C’est une promesse de conformisme, une ambition sans contenu, une politique sans transcendance. Or, qui ne voit que c’est précisément cette absence de transcendance qui tue notre République ? Les Français désespèrent de la politique parce que les politiques menées sont sans horizon, sans souffle, sans vision projetant un avenir meilleur. L’idéal européen lui-même est en train de mourir sous les coups conjugués des amis de la finance et des nationaux-populistes.

Il nous faut ouvrir une voie nouvelle. Je m’y emploie, avec d’autres. Depuis longtemps déjà, je plaide ainsi pour une refondation écologique de notre République, basée sur la logique des biens communs. La première avancée serait d’inscrire l’impératif de lutte contre le dérèglement climatique dans notre Constitution. J’ai formulé cette proposition il y a quelque temps déjà. On m’a alors opposé qu’il ne fallait pas toucher à la Constitution. Mais nous sortons de l’odieux feuilleton de la déchéance de nationalité. J’affirme qu’il serait plus essentiel, plus digne et plus conforme au sens de l’histoire de déclarer que notre République est désormais une République écologique qui se préoccupe de la préservation du vivant, de la nature et des droits des générations futures.

Cécile Duflot