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vendredi 15 décembre 2006
Les Verts de l’Ile de France s’adressent aux élu du plateaux de Saclay à propos de l’opération d’urbanisme d’intérêt national (OIN)
Lettre ouverte à mesdames et messieurs les élus du plateau de Saclay,
Alors que la Région a entrepris l’élaboration de son schéma directeur, qui doit définir les grandes orientations du développement à long terme de l’Ile de France, le gouvernement de Monsieur de Villepin a décidé de réaliser une grande opération d’urbanisme d’intérêt national (OIN) sur le plateau de Saclay. Cette décision pose un problème de forme et un problème de fond.
De forme d’abord : l’Etat dessaisit la région de sa compétence nouvellement acquise d’établir son schéma directeur. A travers ce projet d’OIN, veut imposer ses propres orientations d’aménagement du territoire. Curieuse façon de reconnaître la décentralisation.
Le préfet nous dit : l’Etat n’impose rien, il concerte et tout cela se fera dans un esprit de partenariat. C’est vrai, il réunit les élus, il les écoute ou fait semblant, il a même nommé deux garants, MM. Chabason et Glowinski, pour preuve de sa bonne foi. Il s’apprête aujourd’hui à lancer un concours international d’idées d’urbanisme, sous le pilotage d’un comité regroupant les décideurs politiques. Demain, il définira le parti d’aménagement, dans le même esprit de concertation institutionnalisée. On nous demande même notre avis sur la consultation du concours. Mais cela, c’est le côté face, c’est pour l’apparence. La réalité est tout autre.
Sur le fond : l’Etat défend pour la région Ile de France un projet largement contradictoire avec les orientations que le Conseil régional a adoptées en juin dernier. Plus l’élaboration du SDRIF avance, plus ce projet prend consistance et entre en conflit avec lui.
Au nom de la compétition économique entre les grandes métropoles européennes, ce projet entend développer l’Ile de France au détriment des autres régions, attirer dans l’Ouest parisien les sièges sociaux des firmes multinationales (voir le projet grandiose d’extension de La Défense), concentrer le développement régional sur quelques pôles dits d’ « excellence », dans une pure logique de profit financier. Cette politique ne peut qu’aggraver encore les déséquilibres énormes, sociaux et territoriaux, que connaît notre région, ainsi que la pression sur les ressources et sur les milieux naturels, au détriment de la qualité de vie de la majorité des franciliens.
C’est au nom de ce projet que l’Etat veut nous imposer cette OIN sur le plateau de Saclay, comme il veut nous imposer ailleurs ses autoroutes, notamment l’A12 ou l’A104, pourtant largement rejetées par la population qui s’est exprimée dans les débats publics.
Ce projet, présenté comme procédant d’une vision de progrès, nous conduit en réalité dans le mur, car il est aveugle aux grands enjeux auxquels notre société et notre région en particulier sont d’ores et déjà confrontées : une hausse durable du prix du pétrole, le vieillissement de la population, l’ampleur des phénomènes de précarité, d’exclusion et de discriminations, qui sont pour une bonne part à l’origine de la révolte des banlieues de novembre 2005, mais qui se traduisent aussi par le décrochement silencieux de certaines parties de la grande couronne. Il aggrave les déséquilibres internes à notre région, il accroît sa dépendance à l’automobile, il s’oppose au maintien et au développement d’une agriculture de proximité, nécessaire pour assurer l’alimentation des franciliens sans augmenter l’effet de serre lié aux transports. On peut, par ailleurs, s’interroger sur le risque potentiel que pourraient représenter les trois réacteurs expérimentaux du CEA pour des populations et des activités venant s’installer à proximité.
C’est aussi pour ces raisons, de fond cette fois, que nous ne voulons pas de cette OIN. Car si l’Etat fait mine de concerter, s’il laisse entendre que le projet reste ouvert, il suffit de lire le contenu de cahier des charges du concours d’idées et les documents issus de la Mission de préfiguration pour se convaincre que le projet d’OIN est déjà à peu près bouclé. Du reste, l’objet du concours est bien encadré : il s’agit « de recueillir des idées, des références, des propositions organisées par thèmes », bref, d’habiller le futur projet d’aménagement sur lequel les élus seront consultés, afin de le rendre plus présentable. Et gageons que nous aurons alors de beaux discours sur la « haute qualité environnementale », le « parc naturel urbain », le « développement durable », car il s’agit d’un exercice désormais imposé !
Quel projet de l’Etat ? 100.000 emplois, 80.000 logements sur 30 ans, nous dit-on, grand pôle mondial de haute technologie. Il semble cependant que le chiffre de logements ne comptabilise que ceux qui sont destinés à accueillir le surcroît de population liée à ces emplois, et que la réalité soit plutôt proche de 150.000 logements (soit 5.000 par an) - sans que l’on sache très bien dans quelles proportions ces nouveaux logements remplacent des logements démolis ou ayant changé de destination. Sur ces 100.000 emplois, 30 à 40.000 correspondraient au projet scientifique de haute technologie et seraient localisés sur le plateau ; 20 à 30.000 emplois de sièges sociaux et de tertiaire supérieur seraient concentrés dans les grands centres - Massy, St Quentin, Versailles ; le reste - artisanat, services aux particuliers et aux entreprises - serait réparti sur l’ensemble du territoire.
Le document issu des ateliers d’été 2005 donne un aperçu déjà précis du projet d’aménagement, dont la colonne vertébrale serait constituée par un transport en commun lourd traversant le plateau en son milieu, structurant une urbanisation dans un rayon de 800 mètres autour de chaque gare, avec ce qu’il faut de nouvelles liaisons routières pour assurer la circulation d’ensemble. Cet axe lourd apparaît ainsi comme le coeur de l’urbanisation nouvelle.
Avec au moins 200.000 habitants supplémentaires (le territoire couvert par l’OIN en compte aujourd’hui 650.000), l’accroissement des circulations qui en résultera, les routes nouvelles qu’il faudra bien construire, c’en sera donc fini du plateau agricole, même si l’on nous promet aujourd’hui que 2.300 hectares de terres agricoles seront préservés. Mais que valent des terres agricoles encerclées et sillonnées par l’urbanisation et les infrastructures ? Il faut être bien conscient que si le projet d’OIN, tel que le conçoit l’Etat, est mené à son terme, c’en sera fini de tout un pan de la « Ceinture Verte », que les schémas directeurs antérieurs avaient voulu protéger - avec une efficacité toute relative, il faut bien le reconnaître.
Ce projet d’OIN sacrifie toute perspective de développer une agriculture de proximité sur le plateau de Saclay, une des terres les plus riches de France grâce à sa géologie particulière (argiles + 4 mètres de limon fertile), qui permet une culture sans arrosage, régule et protège les vallées de la Bièvre et de l’Yvette contre les inondations. Cette agriculture de proximité, loin d’être un rêve passéiste, est un grand projet d’avenir. Elle remplit une fonction économique, en contribuant à l’autosuffisance alimentaire de l’Ile de France et à l’adaptation urgente à la crise énergétique. Elle concourt à la qualité des paysages, facteur d’identité régionale. Elle remplit une fonction sociale, en offrant aux franciliens des espaces de respiration et de calme, en permettant de nouveaux rapports sociaux entre agriculteurs et citadins, dans le cadre par exemple des associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP). Mais au moins constitue-t-il une nécessité pour le développement de la recherche et répond-t-il à l’enjeu, réellement majeur en effet, de répondre aux besoins en logements des franciliens ? Ce n’est même pas le cas !
Une étude récente réalisée pour le compte du ministère de l’Equipement portant sur les parcs technologiques démontre que l’approche fonctionnaliste, qui tend à séparer les entreprises de haute technologie de l’espace urbain classique, est loin d’être le modèle le plus efficace, du point de vue même de la recherche. Il apparaît bien préférable de répartir ces activités sur un ensemble de petits pôles, étroitement imbriqués dans l’espace urbain existant, dans une logique de développement de la ville sur la ville.
La question se pose un peu dans les mêmes termes, s’agissant du logement. Il y a aujourd’hui une véritable crise du logement en Ile de France, qui touche non seulement les classes populaires, mais aussi de plus en plus les couches moyennes. Il est donc impératif d’en construire en nombre suffisant pour rattraper le retard. Mais le constat de ces besoins insatisfaits ne peut conduire à signer un chèque en blanc pour la construction de 5.000 nouveaux logements par an sur le territoire de l’OIN, évalués à partir d’une perspective d’emplois aléatoire et surtout sur la base d’un schéma d’aménagement qui conduirait à l’urbanisation progressive de l’essentiel du plateau. C’est inacceptable, la priorité doit aller à la densification des espaces déjà urbanisés, afin d’y apporter davantage de qualité urbaine et d’économiser les espaces naturels et agricoles, conformément aux orientations adoptées par la région en juin 2006.
Le plateau de Saclay, un espace sans projet ? De qui se moque-t-on ? En 2002 et 2003, une démarche patrimoniale a été portée sur ce plateau, avec le concours de la Caisse des dépôts et Consignations et du Conseil régional, par l’association « La terre et la cité ». Réalisée à partir d’une consultation approfondie de plus de 150 personnes, agriculteurs, chercheurs, collectivités, associations, entreprises, consommateurs, agences et services de l’Etat, elle a abouti à écarter deux scénarios : un scénario « négatif », ressemblant sur bien des points à celui que veut nous imposer l’Etat à travers l’OIN et aboutissant à une banalisation du territoire ; un scénario « tendanciel » conduisant à la suite de décisions erratiques au mitage du plateau et à la perte de son identité. Le scénario retenu, celui d’une gestion fine et durable du plateau de Saclay au bénéfice de tous, pourrait constituer la base d’un véritable projet pour ce territoire, dans l’intérêt général des franciliens, un projet porté par les acteurs du territoire et non pas imposé de l’extérieur. Aujourd’hui, un mouvement d’opposition au projet d’OIN commence à se développer dans la population. Derrière le projet d’OIN, une double question est posée. De fond : quel mode de développement voulons-nous pour notre région, pour nos enfants ? De forme : peut-on aujourd’hui imposer aux gens un projet qui va modifier profondément leur vie ? Le projet de l’Etat ne prend pas en compte les grands enjeux du long terme, les urgences environnementales et sociales et, derrière une concertation de façade, il est imposé d’en haut. Il est, pour toutes ces raisons, inacceptable.
Nous vous invitons à le faire savoir à l’Etat, en donnant votre avis sur le cahier des charges du concours d’idées, qui ne vise qu’à habiller un projet déjà ficelé dans ses orientations fondamentales. Nous vous invitons aussi à vous associer à une démarche citoyenne, visant à construire avec les acteurs et la population du territoire un projet alternatif.