Françafrique – Commission Transnationale https://transnationale.eelv.fr Un site utilisant Réseau Europe Ecologie Les Verts Wed, 04 Apr 2018 15:09:09 +0000 fr-FR hourly 1 François Hollande et les affaires étrangères: un an sans assez de changement https://transnationale.eelv.fr/2013/05/22/francois-hollande-et-les-affaires-etrangeres-un-an-sans-assez-de-changement/ Wed, 22 May 2013 17:51:59 +0000 http://transnationale.eelv.fr/?p=3526 Lire la suite]]> Un changement de style et de méthode incontestable par rapport à son prédécesseur Nicolas Sarkozy, des avancées positives en cours et de belles prises de parole, mais une vision d’ensemble peu claire sur les grands enjeux internationaux et sur le rôle de la France au plan international.

Sur les trois dossiers sur lesquels François Hollande s’est le plus investi, le Mali, la Syrie et l’Europe, il est possible de voir les nouvelles orientations par rapport au gouvernement précédent et incontestablement un changement dans la méthode.

Là où la continuité est la plus perceptible, c’est concernant la diplomatie économique que Nicolas Sarkozy avait fortement initiée. Aujourd’hui, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius approfondit cette politique difficilement conciliable avec les principes de l’écologie politique dans les relations internationales. Pour EELV, le pragmatisme économique prioritaire s’accommode mal avec le message que la France devrait porter : celui de la défense des droits humains, de la valorisation du droit international dans la relation entre les nations et de la transition écologique à l’échelle mondiale.

Bref, un bilan contrasté entre un vrai « changement » dans la forme et des conservatismes dans le fond.

Pour le positif, bien entendu, la nomination de l’écologiste Pascal Canfin comme Ministre délégué au développement, afin notamment d’en finir avec la « coopération » synonyme de Françafrique et de réseaux parallèles tout au long de la Ve République:

Pour le bilan de Pascal Canfin, voir sur son site :

http://www.pascalcanfin.fr/mes-realisations/

A son arrivée au pouvoir, en mai 2012, François Hollande était attendu au tournant en matière de politique étrangère car le sujet avait été peu traité au cours de sa campagne électorale. Tout au long de celle-ci, le camp de Nicolas Sarkozy n’avait eu de cesse de lui faire un procès en amateurisme, soulignant le manque d’expérience à l’international du candidat Hollande.

Or, un an après, aux yeux de l’opinion et de la majorité de la classe politique, c’est sans doute sur l’international que beaucoup reconnaissent au Président de la République un certain succès et un bilan plutôt positif. Cela est dû en grande partie à la « réussite » de l’opération Serval au Mali.

Le Mali comme affirmation d’un volontarisme présidentiel

Environ quatre mois après le lancement de l’opération Serval, toutes celles et ceux qui prédisaient un enlisement à l’afghane doivent reconnaître que les forces françaises, officiellement en appui de l’armée malienne, ont réussi à repousser les djihadistes d’Aqmi (al-Qaida au Maghreb islamique), d’Ansar Dine et du Mujao (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest) des principales villes du nord du Mali. Cependant, ces groupes armés ont été considérablement affaiblis mais sont loin d’être totalement dissous et l’ensemble du pays n’est pas sécurisé. Certains terroristes se sont réfugiés en Libye et dans d’autres pays limitrophes, tandis que d’autres se fondent dans la population malienne, rendant extrêmement difficile leur identification. La fin de l’intervention militaire n’est pas la fin de la « guerre ». Résultat, beaucoup craignent aujourd’hui un retour des « islamistes » dès que les troupes françaises seront parties. Le récent attentat suicide à Gao, de même que les représailles terroristes contre les intérêts français (comme l’attentat de l’ambassade de France en Libye) montrent que la stabilité du pays n’est pas acquise.

Concernant le bilan humain de cette opération, la mort de six soldats français est à déplorer, contre celle d’au moins 600 djihadistes. Plus de 200 soldats maliens et au moins une centaine de soldats tchadiens ont également péri dans les opérations, sans parler de la population civile, pour laquelle peu d’informations circulent. Les blessés maliens, civils et militaires, sont nombreux et le manque de soins a été dénoncé par des ONG. Les réfugiés ne sont pas encore rentrés chez eux et leurs besoins restent très importants. Comme tout action militaire, l’intervention française est source sur le terrain de destructions et de dégâts des routes et des infrastructures, surtout dans la région du nord. Le bilan écologique reste à faire et la reconstruction est à envisager. De même que le déminage de larges zones du Sahel, où un soldat français a perdu la vie à cause d’un engin explosif trouvé sur une route proche de l’Algérie.

Une critique à émettre concerne le manque de transparence dans l’information et les difficultés qu’ont rencontrées les journalistes pour parvenir à couvrir la réalité des combats entre l’armée française et l’armée malienne contre les groupes rebelles. Et toute guerre « silencieuse », se déroulant loin des caméras, porte en elle le risque de dérapages et d’exactions, ce que soulignait dans un rapport de février 2013 Amnesty International après trois semaines de combats ainsi que les informations données plus récemment par Human Rights Watch.

Concernant le calendrier, François Hollande a annoncé en avril le retrait des cents premiers soldats français, sur les quatre mille présents. Deux mille autres devrait suivre d’ici la fin août. A la fin de l’année, il ne devrait plus rester que mille soldats français, réunis au sein d’une force de stabilisation de l’ONU, la Minusma (Mission intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali). En attendant, la prépondérance des forces tchadiennes questionne le paradoxe de vouloir rétablir une démocratie au Mali en relégitimant le régime si peu démocratique du Tchad.

L’initiative de la France a réussi davantage a posteriori, obtenant rapidement de la part des Nations Unies le déploiement de la Minusma.

De nombreuses interrogations se posent face à la volonté française de vouloir coûte que coûte organiser des élections nationales en juillet 2013, calendrier semblant intenable à l’heure actuelle pour de nombreux acteurs de la politique et de la société civile malienne, y compris parmi les Touaregs, ainsi que pour de nombreux observateurs.

Car la restauration de l’intégrité territoriale du Mali n’est pas du tout acquise, notamment dans la ville de Kidal. Le très grand nombre de réfugiés à l’étranger pose également la question non résolue du recensement pour ces élections. La faiblesse du pouvoir politique malien et de son armée suscite des inquiétudes concernant la suite du processus de reconstruction de l’Etat malien. Nombre d’associations et de partis politiques maliens pointent le risque d’élections formelles remettant le pouvoir au même personnel politique discrédité.

Au final, si François Hollande a pu se doter d’une image de Président volontariste avec cette opération au Mali, de nombreuses questions restent en suspens quant à l’avenir du pays et de son processus de reconstruction institutionnelle. Les moyens mis à disposition en termes de projets de développement, pour une fois bien réels, sont tout de même encore assez faibles (la France 280 millions d’euros, l’Europe 525 millions). Les besoins pour un développement qui puisse contribuer à la paix dans le Nord et même dans le Sud sont immenses et les effets ne se verront pas de suite. Sans parler du retour possible de certains réflexes « françafricains » de la part de firmes françaises concernant les importantes ressources naturelles de la zone et les « marchés » que va ouvrir la nécessaire reconstruction. Le véritable changement consistera à favoriser autant que faire se peut la prise en charge locale de ce vaste chantier, pour un véritable développement endogène et écologique (ce à quoi s’emploie le ministère du Développement), seul à même d’empêcher de nouveaux conflits.

Une Françafrique réellement terminée?

Sur le volet de la Françafrique justement, alors que des actes forts ont été accomplis en début de mandat, dont le fameux discours de Dakar du Président Hollande le 12 octobre 2012 (« Le temps de la Françafrique est révolu« ), on a pu malheureusement observer suite à l’intervention au Mali un certain infléchissement dans les principes et un rapprochement avec des chefs d’Etat absolument infréquentables, ce au motif d’un besoin de soutien pour l’opération malienne, comme le président dictateur du Tchad Idriss Déby. La France avait notamment besoin des soldats tchadiens et de leur expérience des milieux désertiques pour la réussite de l’opération Serval. François Hollande a également reçu deux chefs d’Etat symboles de la Françafrique et poursuivis par la justice française dans le cadre de l’affaire des biens mal acquis : le président du Gabon Ali Bongo et celui du Congo Denis Sassou Nguesso. En octobre 2012, le Président de la République a par ailleurs assisté au sommet de la Francophonie à Kinshasa dans un contexte post-électoral tendu et sur fond de critiques quant à la situation des droits de l’homme en République Démocratique du Congo. Il a également reçu trois fois le président ivoirien Alassane Ouattara, deux fois le Sénégalais Macky Sall ou encore Thomas Boni Yayi, président du Bénin, marquant une volonté d’implication très forte en Afrique. Au positif donc, des relations apaisées et normalisées, avec la disparition de la « cellule Afrique » de l’Elysée et des intermédiaires véreux, marquant une rupture avec le précédent quinquennat, lorsque Claude Guéant, alors secrétaire général de l’Elysée, grillait la politesse au Ministre des Affaires étrangères de l’époque Bernard Kouchner pour négocier directement à l’étranger en toute opacité et en dehors du processus démocratique. Au négatif, la continuation de liens avec des chefs d’Etat infréquentables sans véritable discours structurant de rupture et de dénonciation sur la situation des droits humains catastrophiques dans certains Etats africains partenaires historiques de la France.

Pour expliquer ce bilan africain en demi-teinte, François hollande s’est sans doute retrouvé les mains liées par l’opération militaire au Mali. Le besoin de soldats de tous les pays d’Afrique francophone pour appuyer et succéder au contingent français au Mali a obligé Paris à des concessions vis-à-vis de régimes autoritaires qui ont mis des conditions à leur coopération militaire. EELV veut croire qu’une telle compromission aurait pu être évitée et que l’intervention au nom du rétablissement de la démocratie au Mali aurait pu générer une exigence de démocratie également dans les autres pays d’Afrique francophone. En effet, au Gabon, au Togo, à Djibouti, opposition politique et société civile conjuguent aujourd’hui leurs efforts pour représenter des alternatives crédibles aux pouvoirs dynastiques en place depuis des décennies. C’est à ces forces vives qu’il faut garantir des élections crédibles, c’est avec elles qu’il faut construire l’avenir des relations franco-africaines. Il est encore possible de le faire, d’autant qu’aucune d’entre elles n’a exprimé son opposition à l’intervention française au Mali. L’argumentaire « malien » sur la nécessité de renforcer la démocratie et les droits humains aurait été par exemple bienvenu concernant le Togo ou les élections législatives tronquées à Djibouti. Beaucoup d’ONG de solidarité internationale sont ainsi déçues de cette première année concernant nos liens avec le continent africain.Au crédit de François Hollande toutefois, sachons saluer le discours historique qu’il a tenu devant le Parlement algérien le 20 décembre 2012, discours dans lequel le Président français a qualifié le système colonial instauré en Algérie par la France comme « profondément injuste et brutal ». Il y a reconnu les « souffrances » du peuple algérien, citant notamment « les massacres de Sétif, de Guelma et de Kherrata » qui « demeurent ancrés dans la mémoire et dans la conscience des Algériens ». Ce fut un moment où la République française a enfin reconnu sa responsabilité historique vis-à-vis des heures sombres de son histoire. Les cris d’orfraie poussés alors par les représentants de la droite française la plus réactionnaire et les derniers défenseurs de l’Algérie française constituaient un bon indicateur de la justesse des mots choisis par le Président Hollande.

Promesse tenue sur l’Afghanistan

François Hollande a accéléré le retrait des 4 000 soldats français en Afghanistan, comme il s’y était engagé pendant la campagne. 2000 soldats ont d’ores et déjà quitté le pays depuis juin 2012, et se sont notamment retirés de la région de Kapisa, dans l’est du pays, là où 54 militaires ont péri dans des attaques menées par les talibans. Depuis le début des opérations en Afghanistan en 2001, 88 soldats français sont morts. Il reste encore environ 1 400 soldats mobilisés à Kaboul pour assurer la formation de l’armée et de la police afghanes. Au delà de cet engagement tenu du Président de la République, la situation globale du pays est catastrophique. Hormis dans les centres urbains plus ou moins sécurisés, l’Otan a échoué à vaincre l’insurrection, et pire, face à un gouvernement afghan considéré comme corrompu et illégitime, les talibans risquent de reprendre le pouvoir après le départ des troupes occidentales.

Au final, cette guerre de plus de douze années risque d’avoir été menée pour rien et le gouvernement actuel ne peut pas s’épargner de faire un bilan politique de cette intervention menée au nom de la lutte contre le « terrorisme » et de revoir la stratégie militaire et politique menée par l’Otan.

Palestine : une reconnaissance très attendue à l’ONU mais une politique française incohérente

« Je soutiendrai la reconnaissance internationale de l’État palestinien« . C’était la proposition n° 59 du candidat Hollande. Le président français a tenu parole en novembre dernier en votant pour l’admission de la Palestine à l’Assemblée générale de l’ONU en tant qu’État non membre.

Mais même si l’État palestinien a été reconnu comme Etat à l’ONU par 138 Etats, sur le terrain, la colonisation israélienne s’est accélérée, Tel-Aviv ayant fait part d’un projet de construction de 3 000 logements supplémentaires en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Près de 350 000 colons sont d’ores et déjà en Cisjordanie. La proposition n° 59 du candidat Hollande disait également vouloir prendre des « initiatives pour favoriser, par de nouvelles négociations, la paix et la sécurité entre Israël et la Palestine« . Ce vœu pieu est resté lettre morte. Le gouvernement français continue à laisser Israël passer outre le droit international et toutes les résolutions onusiennes. C’est dans la continuité de la politique française depuis des années.

Pire, en novembre 2012, lorsqu’il a reçu le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu, François Hollande a fait preuve d’un soutien à la politique israélienne malgré l’absence de volonté de paix de la part de ce faucon historique.

La France n’a pris aucune initiative au niveau européen et n’est pour le moment pas suffisamment à l’initiative pour relancer le processus de paix dans la région, processus totalement bloqué depuis des années. Le Président français aurait pourtant tout à y gagner. La résolution de ce conflit israélo-palestinien est primordial pour la paix dans le monde et la crédibilité occidentale vis-à-vis des peuples de la région. Là encore, des pas en avant suivis de reculs dommageables pour réussir à incarner le changement. Sur ce dossier, le manque de fermeté dans les convictions apparaît au grand jour. Les écologistes, favorables à la reconnaissance de la Palestine à l’ONU, attendent surtout une reconnaissance de la part de la France de l’Etat de Palestine. Ils attendent aussi une action française au sein de l’UE afin que l’accord d’association avec Israël soit suspendu tant que ce dernier ne respecte pas les clauses de l’accord lui-même et le droit international en général. Ils attendent enfin que le vote de la résolution à l’ONU soit suivi d’effets et que cesse l’impunité totale dont jouit actuellement Israël dans le monde.

Aveu d’impuissance en Syrie

François Hollande a tenté dès le début de son mandat d’être en pointe sur le dossier syrien, accusé par Nicolas Sarkozy d’immobilisme en comparaison de l’action de ce dernier en Libye (lorsque l’on voit les derniers soubresauts des enquêtes judiciaires concernant les liens de la Sarkozie avec l’ancien régime de Kadhafi, cela peut légitimement faire sourire). La France a ainsi été parmi les premiers pays occidentaux à financer une aide humanitaire en direction des comités révolutionnaires locaux et la première à reconnaître la Coalition nationale syrienne comme représentant du peuple syrien.

Par la suite, en accord avec le Royaume-Uni, la France a déclaré vouloir livrer unilatéralement des armes à l’opposition syrienne, mais Londres et Paris ont finalement renoncé face à l’absence de totale de consensus au sein de l’Union européenne.

Sur la question des armes chimiques, François Hollande, comme le président américain Barack Obama, avait dès le mois d’août prévenu que l’utilisation d’un tel arsenal par Damas constituerait une « cause légitime d’intervention directe« . Or le régime de Bachar Al Assad semble bien aujourd’hui s’être servi d’armes chimiques contre son peuple et la communauté internationale ne réagit toujours pas fermement. Même si la France a fait preuve dans sa parole d’un certain courage politique, ce que nous enseigne le dossier syrien, c’est surtout la perte d’influence de Paris sur la région. Pour les écologistes prônant une véritable diplomatie européenne forte, le plus déplorable dans le dossier syrien est l’absence totale de vue et de volonté politique unifiée de l’Union européenne, et en particulier de sa Haute Représentante de l’UE pour les affaires étrangères, Catherine Ashton. Il est dommageable que le Président de la République française n’ait pas souligné la nécessité d’une approche européenne ferme et unifiée sur le conflit syrien.

Une diplomatie économique française dans la droite ligne des prédécesseurs de François Hollande

La France a rappelé à l’ONU le 15 février 2013 son soutien au «renforcement d’une gouvernance mondiale du développement durable et de l’environnement», objectif de la conférence de Rio de juin 2012.

Or les déplacements de François Hollande en Inde en février 2013 et en Chine en avril 2013 ont été uniquement axés sur les relations économiques, avec notamment des pré-contrats concernant de futures centrales nucléaires, en contradiction totale avec ces beaux objectifs. Un projet de centrale nucléaire en Inde (à Jaitapur) est particulièrement problématique, situé sur une faille sismique très instable (des manifestations de populations locales ont, d’ailleurs, été violemment réprimées). Quant à la Chine, son système étatique autoritaire ne devrait pas pouvoir bénéficier de la technologie nucléaire française, surtout de façon inconditionnelle. Lorsque l’on sait quel cas les autorités chinoises font des normes de sécurité dans d’autres secteurs, on peut être très inquiets pour l’avenir. La catastrophe de Fukushima n’a visiblement pas servi de leçon aux autorités françaises. Les récentes visites au Qatar et en Arabie Saoudite ont amplifié l’inquiétude devant la priorité affichée d’objectifs commerciaux au risque d’affaiblir le débat diplomatique pourtant crucial étant données la situation régionale et l’implication de ces pays.

Quelques avancées sont toutefois à noter concernant la gouvernance internationale, le représentant français à l’ONU ayant exprimé en avril dernier la volonté de Paris de réformer le Conseil de sécurité en donnant le statut de membre permanent à l’Allemagne, au Brésil, à l’Inde et au Japon, ainsi qu’à un pays africain.

Le plus grave semble finalement être la stratégie de Laurent Fabius, à la recherche de « relais de croissance » de la France partout sur la planète, dans un contexte économique national plus que déprimé. Le Ministre des Affaires étrangères a notamment modifié les termes de « coopération décentralisée » pour ceux d »action extérieure des collectivités locales« , dans une optique essentiellement économique. Les écologistes, souvent qualifiés de « doux rêveurs », se battent eux depuis des décennies pour que les droits humains priment sur les droits de l’homme d’affaire et que la realpolitik soit soumise à des principes vertueux tels que le respect des droits de l’homme, des normes démocratiques, de l’environnement et pour que les entreprises françaises à l’étranger respectent les règles internationales sociales et environnementales dans l’exploitation des ressources naturelles ou la production industrielle, pour un développement autonome et durable.

L’action de Pascal Canfin au développement, aussi positive soit-elle, pour notamment orienter l’aide publique au développement vers de réels projets économiques et sociaux durables pour et avec les populations locales, risque ainsi de se retrouver en contradiction avec une action diplomatique française uniquement tournée vers les résultats économiques et la signature de contrats à faible conditionnalité, selon une approche très néolibérale.

La majorité socialiste ne semble guère prendre en compte l’urgence écologique dans sa gestion des affaires étrangères. A l’heure où la raréfaction des ressources entraîne une course effrénée des industries extractives, amplifiant un peu plus le réchauffement climatique, la déforestation, la destruction de la biodiversité, et l’exploitation des populations, partout dans le monde et particulièrement en Afrique et en Amérique latine, on pourrait espérer que cela soit pris systématiquement en compte dans les accords commerciaux. Ce n’est guère le cas. Et si un groupe parlementaire s’est constitué sur la RSE (Responsabilité sociale des entreprises) à l’assemblée nationale à l’initiative d’une députée écologiste, il n’est pas certain que celui-ci parvienne à faire voter une loi.

Au final, ce qui est certain, c’est qu’il y a unvéritable changement de style entre un François Hollande apaisé, respectueux de ses interlocuteurs, qui tranche avec le style précipité, voire parfois agressif du président précédent, comportement qui avait notamment indisposé les autorités chinoises à plusieurs reprises.

Mais en dehors de la forme, nous pouvions nous attendre, de la part d’un Président de gauche élu sur l’idée de « changement », à une politique internationale cohérente, où les engagements soient suivis d’effets, les déclarations d’actes, et dans laquelle les alliances avec les puissances émergentes ou pétrolières ne soient pas seulement régies par un pragmatisme intéressé.

L’absence d’une véritable vision, tenant compte du monde multipolaire et complexe, de la revendication des peuples partout dans le monde à une autre redistribution des richesses, et à la liberté et la démocratie, aurait marqué le changement de doctrine.

De la même manière, avec la continuité dans la stratégie de défense qui est à maints égards l’adoption non critique de la vision américaine de la sécurité mondiale, le gouvernement actuel montre sa difficulté à penser les questions militaires et sécuritaires de la France dans un cadre européen et autonome.

Cependant, la France reste encore un espoir pour porter haut et fort ses valeurs des droits de l’Homme et de paix en Europe et dans le monde.

Comme écologistes, nous nous retrouvons un peu en porte à faux entre un ministre délégué issu de nos rangs qui tente de faire bouger les lignes sur le sujet fondamental des nouveaux rapports Nord –Sud et Sud-Sud, et qui mérite tout notre soutien, et une politique internationale du court terme en contradiction assez flagrante avec les valeurs et le programme que nous portons. Cette tension, inhérente à une participation gouvernementale minoritaire, porte en soi réussites et échecs. Si elle n’est donc pas évidente à expliquer aux militants écologistes, assez critiques sur l’action internationale de l’actuelle majorité, il faudra lors de la conférence de bilan d’EELV de l’été prochain en peser les avantages. Un anniversaire sans bougie donc, tout en conservant pour les écologistes la volonté de peser davantage pour amplifier le changement prôné pendant la campagne présidentielle, que la majorité actuelle ne brise pas toutes ses promesses sur le mur de la realpolitik et du droit des affaires, resté malheureusement prioritaire en ces temps de grave crise économique.

Commission Transnationale d’EELV, mai 2013

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Togo : engager la Franceet l’UE dans la transitionvers un Etat de droit https://transnationale.eelv.fr/2013/04/22/togo-engager-la-france-et-lunion-europeenne-dans-la-transition-vers-un-etat-de-droit/ https://transnationale.eelv.fr/2013/04/22/togo-engager-la-france-et-lunion-europeenne-dans-la-transition-vers-un-etat-de-droit/#comments Mon, 22 Apr 2013 20:59:11 +0000 http://transnationale.eelv.fr/?p=3516 Lire la suite]]> COMMUNIQUE

La France ne peut pas renouer avec les travers classiques de sa politique africaine. Ainsi attend-on des réactions fortes de Paris quand à Djibouti le gouvernement réprime l’opposition unie réclamant la vérité des urnes du dernier scrutin législatif, ou quand au Togo les principaux leaders de l’opposition sont interpellés à quelques semaines des élections législatives.

Au Togo, le silence de la France reviendrait à accepter la confiscation du pouvoir par un régime autoritaire et dynastique. Il n’est pas imaginable que ce silence soit lié à l’envoi de soldats togolais pour renforcer la force africaine devant succéder à l’armée française au Nord-Mali. De même que François Hollande engage la France dans la reconstruction d’un Etat de droit au Mali, il doit également l’engager, ainsi que l’Union européenne, dans la transition vers un Etat de droit au Togo.

EELV affirme son soutien aux Togolais/es qui luttent pour la démocratie et le respect des droits humains, contre les violences et emprisonnements que subit l’opposition togolaise. EELV a rencontré un des principaux partis d’opposition au Togo, l’ANC de Jean-Pierre Fabre, et appuie ses principales revendications démocratiques ainsi que la démarche unitaire du parti Afrique Togo Ecologie. Le décès le 15 avril à Dapaong, d’au moins un manifestant âgé de 12 ans est particulièrement inquiétant, tout comme les violences qui ont suivi.

EELV demande à la France et à l’Union européenne de s’impliquer pour favoriser des élections législatives honnêtes au Togo, déjà repoussées plusieurs fois. Il est notamment possible de condamner les arrestations arbitraires, et de conditionner les politiques de coopération au respect des recommandations de la Mission d’observation électorale de l’Union européenne émises lors des élections présidentielles de 2010.

Elise LOWY, Jean-Philippe MAGNEN, Porte-parole EELV

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Une brèche s’ouvre dans la Françafrique : Accompagner les acteurs d’une transition pacifique au Gabon https://transnationale.eelv.fr/2012/10/26/une-breche-souvre-dans-la-francafrique-accompagner-les-acteurs-dune-transition-pacifique-au-gabon/ Thu, 25 Oct 2012 22:26:29 +0000 http://transnationale.eelv.fr/?p=3220 Lire la suite]]> par Régis Essono *

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Notes Transnat n°4_Gabon

 

« Je veux que le 6 mai soit une bonne nouvelle pour les démocrates et une mauvaise pour les dictateurs »[1]

« Je romprai avec la Françafrique, en proposant une relation fondée sur l’égalité, la confiance et la solidarité »[2]

 

 

Ces deux fortes prises de position de François Hollande pendant la campagne électorale des dernières présidentielles expliquent sans doute en bonne partie le soulagement et la joie manifestés lors de sa victoire, le 6 mai dernier, par la plupart des populations des pays d’Afrique noire francophone, notamment au Gabon. C’est loin d’être un hasard si depuis l’installation à l’Elysée de François Hollande on note dans ce pays une forte aggravation de la tension. Il convient de procéder à un rapide examen de la situation avant d’en analyser les causes profondes et de voir comment EELV pourrait contribuer à une transition démocratique durable, pacifique et la plus rapide possible au Gabon.

 

Le règne d’Ali Bongo Ondimba : un pouvoir mal acquis, un bilan inquiétant

Le décès d’Omar Bongo Ondimba le 8 juin 2009, après 42 ans passés à la tête de l’Etat gabonais, entraîne l’organisation d’élections présidentielles anticipées qui font naître un espoir de renouveau démocratique se manifestant notamment par une participation massive des électeurs. Malheureusement, cet espoir sera non seulement réduit à néant par le coup d’Etat électoral commis en août 2009 par Ali Bongo Ondimba, le fils du défunt président, mais également noyé sous le sang de dizaines de Gabonais tués par les forces de l’ordre lors des émeutes survenues à Port-Gentil, la capitale économique, en réaction à cette mascarade électorale.

Arrivé au sommet de l’Etat dans des circonstances plus que contestables, Ali Bongo Ondimba ne tarde pas à se livrer à un exercice personnel du pouvoir :
–          réformes constitutionnelles douteuses concentrant encore plus les pouvoirs entre les mains présidentielles[3] ;
–          mise en place d’agences ne rendant de comptes qu’au seul chef de l’Etat et dépossédant les principaux ministères de l’essentiel de leurs missions ;
–          dépenses somptuaires et stériles sans contrôle du Parlement[4] qui sont d’autant plus mal vécues par les populations que des secteurs aussi vitaux que l’éducation ou la santé ne cessent de se dégrader, que les services de l’eau et de l’électricité fonctionnent de manière erratique ;
–          etc.

Le moins que l’on puisse dire est que le Gabon ne se caractérise pas par une gouvernance exemplaire et que la lutte contre la corruption n’y est pas des plus efficaces[5]. Ce n’est donc pas un hasard si aussi bien Barack Obama que François Hollande ont tenu à insister sur ces points lors des audiences qu’ils ont accordées chacun à Ali Bongo[6]. Le dossier des biens mal acquis (BMA) constitue l’exemple le plus connu de cette question ; même si la ligne de défense d’Ali Bongo consiste à refuser d’être tenu pour comptable de faits reprochés à feu son père, les scandales de l’hôtel particulier « Pozzo di Borgo »[7] ou encore du Boeing 777-236[8] ne plaident pas pour son innocence totale dans ce domaine.

C’est sans doute dans les domaines environnemental et minier que les manifestations de la mal gouvernance et de la corruption sont les plus importantes. Même si la situation était déjà particulièrement grave avant l’arrivée au pouvoir d’Ali Bongo[9], elle est loin de s’être arrangée après. Si le rôle néfaste de groupes français tels que Total, Bolloré, Rougier Océan ou Leroy Gabon est dénoncé depuis longtemps[10] dans la pollution ou la déforestation, c’est le groupe singapourien Olam qui cristallise actuellement les tensions : cette compagnie, qui connaît un essor particulier depuis l’arrivée au pouvoir d’Ali Bongo, est accusée de tentative d’accaparement de terres[11] et soupçonnée d’être essentiellement un outil de détournement massif de deniers publics pour le compte du pouvoir en place.

La mal gouvernance et le déficit de transparence dans le domaine des industries extractives sont tels que le Gabon est aujourd’hui menacé d’exclusion de l’Initiative pour la Transparence des industries extractives (EITI/ITIE)[12]. L’absence de transparence et de traçabilité des revenus pétroliers, par exemple, est loin d’être un souci anodin dans un pays où ces revenus représentent plus de 70 % du budget de l’Etat. En fait, cette opacité est dénoncée pour quasiment toutes les industries extractives du Gabon (manganèse, niobium, or, uranium, diamant…)

On peut également reprocher au pouvoir gabonais une certaine passivité coupable à l’égard des filiales gabonaises de groupes français, comme par exemple Areva ou Eramet, accusés de crimes environnementaux et d’atteinte aux droits humains[13].

Le pouvoir d’Ali Bongo Ondimba se caractérise également par de nombreuses violations des droits civils, civiques et politiques. Les médias proches du pouvoir semblent disposer d’un droit quasi illimité de mentir et diffamer et ne font au mieux l’objet que de sanctions symboliques tandis que ceux de l’opposition subissent une application des textes rigoureuse voire arbitraire et font fréquemment l’objet de suspensions y compris lorsqu’ils se bornent à relater des faits publics[14]. Le cas le plus grave concerne la chaîne de télévision d’opposition TV + : une partie de son matériel est confisquée à la Présidence depuis les élections de 2009, et la chaîne a fait l’objet de plusieurs agressions et tentatives d’incendie sans déclencher la moindre instruction judiciaire[15].

Les partis politiques d’opposition ne sont pas mieux lotis. Le plus important d’entre eux, l’Union Nationale (UN), a été dissous en juillet 2011 dans des conditions juridiques pour le moins discutables. Un de ses meetings, le 15 août dernier, a fait l’objet d’une répression violente qui s’est soldée par un mort et plusieurs blessés graves. Des actes d’intimidation du pouvoir à son égard ont été également constatés. D’autres partis politiques d’opposition sont menacés de dissolution pour avoir laissé des responsables de l’UN prendre la parole lors d’un meeting commun le 23 septembre dernier[16]. De plus, divers responsables de l’opposition ont été à plusieurs reprises empêchés de sortir du territoire alors même qu’ils ne font pas l’objet de la moindre procédure judiciaire.

Sur le plan social, la situation n’est pas meilleure. Les revendications syndicales reçoivent fréquemment de la part du pouvoir des réponses reposant sur la violence physique, morale (intimidations) ou économique (suspension arbitraire et illégale des salaires, notamment). En début d’année 2012, des manifestations d’étudiants ont été réprimées avec une grande violence. Depuis, le campus de Libreville est constamment occupé par des militaires, en violation des franchises universitaires, et les meneurs de la contestation, en plus d’actes de torture, ont fait l’objet de mesures judiciaires pour le moins disproportionnées.

Les principaux leaders de la partie de la société civile organisée qui dénonce les manquements du régime sont régulièrement la cible d’arrestations, d’intimidations, de menaces ou encore de campagnes médiatiques calomnieuses. En fin d’année dernière, peu de temps avant la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) de football co-organisée par le Gabon et la Guinée Equatoriale, un très grand nombre de personnes, très souvent parmi les plus démunies, ont été « déguerpies » de leurs maisons de manière souvent brutale et illégale, sans dédommagement ni relogement, sombrant ainsi encore plus dans la précarité. Suite à la manifestation du 15 août dernier réprimée très violemment par les forces de l’ordre, des dizaines de personnes ont été appréhendées : plusieurs dizaines d’entre elles ont été condamnées à de très lourdes peines lors de parodies de procès et ont été victimes d’actes de torture.

C’est dans ce contexte global qu’il faut apprécier le phénomène particulièrement morbide des crimes rituels. On désigne ainsi des assassinats accompagnés de prélèvements d’organes humains à des fins occultes. Il fait peu de doute pour la population et pour les spécialistes de ces phénomènes que ces crimes sont le plus souvent des crimes politiques d’autant plus insupportables que leurs auteurs agissent en toute impunité[17]. Il a fallu attendre qu’une télévision française diffuse en avril dernier un reportage sur ce sujet[18] pour que les autorités gabonaises fassent, pour la première fois, mine de s’intéresser à la question.

Ce tableau, loin d’être exhaustif, permet de comprendre pourquoi le climat socio-politique est particulièrement tendu au Gabon. Selon de nombreux observateurs de la société civile, la moindre étincelle peut déclencher une révolte populaire aux conséquences imprévisibles. Afin de ne pas en arriver là, il est urgent de trouver des solutions préventives et pacifiques.

 

Aux sources de la crise actuelle

            Les causes internes

Certaines analyses font remonter l’origine de la crise à l’année 1964. Au mois de février de cette année, un groupe de militaires a déposé, sans qu’un seul coup de feu soit échangé, le président gabonais d’alors, Léon Mba, car ce dernier se livrait à un exercice du pouvoir de moins en moins démocratique, et a aussitôt remis le pouvoir à des civils chargés d’assurer la transition. Léon Mba n’a dû son retour au pouvoir qu’à l’intervention militaire sanglante de la France. A partir de là, le Gabon n’a plus vraiment connu de vie démocratique. Pire, la dictature a été institutionnalisée à partir de 1967, avec l’arrivée au pouvoir d’Albert-Bernard Bongo[19] suite au décès de Léon Mba.

Mais la plupart des analyses font remonter les principales causes de la crise gabonaise aux années 1990. Afin de contenir de multiples mouvements sociaux et politiques suffisamment importants pour menacer de le faire chuter, Omar Bongo a consenti en 1990 la mise en place d’une conférence nationale – non souveraine[20] – qui a permis de poser les bases formelles d’un renouveau démocratique, avec notamment la restauration du multipartisme aboli par Omar Bongo dès son arrivée au pouvoir.

Mais, durant toute la décennie 1990 et le début des années 2000, toutes les promesses démocratiques de la conférence nationale ont été trahies :
–          persistance des scrutins électoraux truqués, notamment les présidentielles de 1993 et 1998 ;
–          élection présidentielle réduite à un seul tour pour des motifs spécieux ;
–          suppression de la limitation du nombre de mandats présidentiels renouvelables ;
–          etc.

Durant toute cette période, la quasi totalité des responsables de l’opposition ont accepté tour à tour de collaborer avec le pouvoir, la plupart du temps en acceptant des maroquins ministériels, et donc de cautionner ses forfaits. La conséquence de ces trahisons répétées est qu’aux crises sociales et économiques dans lesquelles le pays ne cesse de s’enfoncer depuis au moins la fin des années 1980, s’est ajoutée une crise politique se manifestant, entre autres, par une population n’ayant plus aucune confiance en ses élites politiques et ne participant plus que de manière marginale à la vie politique. Lors des élections présidentielles anticipées de 2009, la population a accordé une nouvelle chance à la classe politique en participant massivement à la campagne électorale et au scrutin. Elle a été une nouvelle fois déçue en constatant d’abord l’incapacité de l’opposition à présenter une candidature unique puis en se désolant devant le spectacle des deux principaux candidats de l’opposition André Mba Obame et Pierre Mamboundou revendiquant chacun la victoire, facilitant ainsi la prise de pouvoir d’Ali Bongo.

En fait, depuis les années 2000, la population place de plus en plus ses espoirs dans d’autres acteurs relevant de la société civile. Ce sont eux, bien plus que les partis politiques, qui vont déstabiliser le régime de feu Omar Bongo, à la fin de son règne, en dénonçant avec constance et force la mauvaise gouvernance, la corruption, le déficit démocratique, etc.[21] Ce sont encore eux qui vont porter les coups les plus rudes au nouveau pouvoir d’Ali Bongo. Afin de gagner en efficacité, les principales organisations de la société civile décident, en juillet 2011, de constituer une plateforme d’actions baptisée « Ca suffit comme ça !», directement inspirée du mouvement « Y’en a marre ! » du Sénégal. Dès le départ, le mouvement rencontre une adhésion populaire telle que tous les partis d’opposition ne peuvent qu’adhérer officiellement à son mot d’ordre appelant à boycotter les élections législatives de décembre 2011 du fait du refus du pouvoir de respecter son engagement à introduire la biométrie dans le processus électoral[22]. C’est en grande partie par les initiatives de la société civile regroupée autour de « Ca suffit comme ça ! » que la classe politique d’opposition a pu retrouver une certaine voix.

            La responsabilité de la France

Il n’est pas possible d’occulter la responsabilité de la France dans la situation actuelle du Gabon. Sans même revenir à la colonisation ni aux conditions discutables dans lesquelles l’indépendance a été octroyée à ce pays, on peut souligner le soutien actif dont le pouvoir gabonais a bénéficié de tous les gouvernements français alors même que la nature kleptocrate et répressive de ce pouvoir était connue de tous. Ce soutien actif de la France prend une forme encore moins soutenable sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Non seulement, ce dernier sera le seul chef d’Etat d’une démocratie occidentale à féliciter Ali Bongo lors de son coup de force électoral de 2009, alors qu’un contentieux électoral est en cours, mais il pousse le cynisme au cours de sa conférence de presse du 18 avril 2012 avec Macky Sall, le tout nouveau président sénégalais, jusqu’à qualifier l’accession au pouvoir d’Ali Bongo de modèle de transition démocratique.

La responsabilité la plus importante de la France réside sans doute dans l’ensemble de relations opaques et obscures qu’elle a initiées, encouragées et entretenues et qu’on désigne habituellement sous le vocable de « Françafrique »[23]. Le Gabon a en effet longtemps eu une place particulière, si ce n’est centrale, dans le dispositif françafricain, du fait notamment de l’importance stratégique de l’uranium gabonais pour l’industrie nucléaire française jusqu’à la fin des années 1990, de l’extraction par Total de la plus grande part des 230 000 barils de brut encore officiellement produits chaque jour au large du Gabon, mais aussi de l’exploitation du manganèse et du bois gabonais par des sociétés françaises.

La France ne peut donc pas se permettre de ne rien faire pour contribuer à résoudre la crise actuelle. Elle le peut d’autant moins que non seulement de nombreux Gabonais prennent le risque de défier le pouvoir gabonais en bonne partie parce qu’elles ont cru aux promesses de campagne du Président Hollande mais aussi parce que ce pouvoir, dans sa tentative de reprendre la main, se livre à diverses provocations anti-françaises souvent violentes. [24]

 

Quelles propositions pour EELV ?

Une évolution positive au Gabon constituerait donc un signal fort pour les autres pays d’Afrique équatoriale et plus généralement d’Afrique francophone. A un moment historique de transition politique en France et de maturité d’une union entre société civile et opposition politique au Gabon, EELV a un rôle important à jouer dans le cadre de ses axes d’action traditionnels pour favoriser cette évolution. Il peut notamment prendre des positions claires sous forme de communiqués, mais aussi par l’action de ses représentant/es au sein du Parlement européen ou du gouvernement français, sur les points suivants :

Gouvernance et corruption
–          Exiger une réelle transparence sur l’utilisation de l’argent de l’industrie extractive ;
–          Exiger la restitution des Biens Mal Acquis à un fonds géré conjointement par l’Etat gabonais et par des organisations représentatives de la société civile et de la diaspora.

Pluralisme démocratique
–          Soutenir l’exigence de transparence électorale, comprenant l’introduction de la biométrie telle que définie lors des accords d’Arambo en 2006 ;
–          Appeler à un accès équitable des partis politiques d’opposition aux médias publics ;
–          Exiger que les médias proches de l’opposition cessent de faire l’objet d’intimidations et de sanctions arbitraires.

Coopération, Développement, Responsabilité sociale et environnementale
–          Redéfinir les conditions de l’aide publique au développement afin qu’elle profite plus aux populations et structures locales et qu’elle soit au service d’un développement écologique et durable ;
–          Renforcer les contrôles et mesures d’impact en matière de responsabilité sociale et environnementale des projets ;
–          Rendre justice aux victimes des dégradations environnementales ayant engendré de graves répercussions sur la santé humaine et des déplacements forcés de population suite aux décennies d’exploitation insouciante de l’uranium et du manganèse par des sociétés françaises à proximité de villages gabonais.

Appui à la société civile
–          Soutenir la société civile dans ses actions de promotion de la gouvernance démocratique ;
–          Appui aux luttes syndicales, notamment lorsqu’elles sont révélatrices de pratiques condamnables.

Droits humains
–          Soutenir publiquement et au sein du gouvernement français la plainte déposée à la Cour Pénale Internationale concernant les tueries de Port-Gentil de septembre 2009 : ce serait aussi un message envoyé au pouvoir gabonais afin de le dissuader de faire un usage excessif de la force ;
–          Se pencher sur les conditions de jugement et de détention des personnes arrêtées suite à la répression du 15 août 2012, à l’aune notamment du Pacte international relatif aux Droits civils et politiques et de la Convention des Nations unies contre la Torture.

La présence militaire française
–          Poser une question parlementaire aux ministres de la Défense et des Affaires étrangères sur l’utilité de la présence militaire française au Gabon ;
–          Demander la création d’une mission d’information parlementaire sur le rôle et l’action de l’armée française au Gabon ;
–          Soutenir le retrait des effectifs militaires français du Gabon.

Appui à la conférence nationale

Proposée début juillet dernier par des membres de la société civile, de l’opposition et de la diaspora gabonaises, l’idée d’une conférence nationale souveraine comme moyen de sortir de la crise de manière pacifique est aujourd’hui largement acceptée et souhaitée par la population gabonaise. Mais elle se heurte à un refus et à une résistance acharnée et brutale du pouvoir gabonais. EELV pourrait soutenir cette conférence nationale souveraine en :
–          usant de son influence pour convaincre le pouvoir gabonais d’accepter cette proposition ;
–          accompagnant les différents acteurs dans l’organisation de cette concertation et dans la mise en œuvre des décisions qui en résulteront.

Régis Essono, le 20 octobre 2012

*Régis Essono est coopérateur EELV, membre de la Convention de la Diaspora Gabonaise en France et du collectif « Ca suffit comme ça ! »

Contact : regis_essono@mac.com


[1] Extrait du discours du 29 avril 2012 à Bercy

[2]Extrait du point n°58 du Projet présidentiel de François Hollande

[3]www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20101229092747/

[4]Un exemple récent est celui d’une course motonautique organisée en juillet dernier et dont le coût est compris entre 21 et 28 millions € sans que les populations ni même l’Etat n’y trouvent le moindre avantage

[5]www.gabonactu.com/ressources_g/actualites_gabon_2011.php?Article=1818

[6]www.france24.com/fr/20110610-barack-obama-presse-ali-bongo-lutte-contre-corruption-visite-washington-gabon ; www.elysee.fr/president/les-actualites/communiques-de-presse/2012/communique-entretien-entre-le-president-de-la.13543.html

[7]http://gabonreview.com/blog/les-mysteres-de-la-residence-pozzo-di-borgo/#axzz285fkRvQC
www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/ali-bongo-investit-dans-la-pierre-a-paris_895150.html

[8]http://lesindignesdugabon.org/index.php/communiques/116-le-777-236-un-boeing-mal-acquis-bma

[9]www.afrik.com/article8564.html

[13] Un procès a été intenté en 2011 à Eramet et sa filiale, Comilog, entre autres pour destruction de l’écosystème provoquant des déplacements massifs des populations, dégâts causés sur la santé des travailleurs et des populations locales ; concernant Areva, plusieurs études, notamment celles de Sherpa (2007) et de Brainforest (2010), ont montré que sa filiale Comuf a exploité jusqu’en 1999 des gisements d’uranium dans des conditions portant gravement atteinte à l’environnement et à la santé de ses employé/es, tout en cachant délibérément les informations dont elle disposait à ce sujet

[19] Il devient Omar Bongo en 1973, après sa conversion à l’islam.

[20] Cette conférence nationale était consultative et ses résolutions ne s’imposaient pas au pouvoir exécutif.

[21] On peut notamment mettre en exergue le rôle de Georges Mpaga, président de l’ONG « ROLBG » promouvant la bonne gouvernance et surtout celui de Marc Ona Essangui, président de l’ONG de défense de l’environnement Brainforest et coordinateur national de la coalition « Publiez ce que vous payez », qui font régulièrement l’objet de harcèlements et d’exactions du pouvoir, et qui se sont même faits arrêter de manière illégale et arbitraire en représailles contre leur implication dans la plainte contre les Biens Mal Acquis (BMA).

[22] Mot d’ordre suivi massivement, le taux d’abstention à ces élections dépassant nettement les 90 %.

[23] Le premier ouvrage de référence à propos de cette question est celui de François-Xavier Verschave, La Françafrique : Le plus long scandale de la République (Stock, 1998) ; pour une actualisation et une synthèse : http://survie.org/publications/brochures/article/petit-guide-de-la-francafrique

[24] Ainsi, le journal gouvernemental, L’Union, n’a pas hésité à traiter un diplomate français de « collabo fasciste du IIIe Reich » uniquement parce qu’il a commis le crime d’accorder un visa pour la France à des opposants et à des membres de la société civile ; L’Union a été presque plus aimable avec Pascal Canfin, qu’il a qualifié de « pôvre ex-pisse-copie bombardé par la grâce de son seigneur, chargé du développement au Quai d’Orsay » tout en jugeant utile de préciser que certains de ses compatriotes sont des pédophiles : http://gabonreview.com/blog/les-boulets-rouges-de-lunion-sur-la-france/#axzz22J1U2D1x

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Fin de la Françafrique? Place au développement… durable? https://transnationale.eelv.fr/2012/10/15/fin-de-la-francafrique-place-au-developpement-durable/ Mon, 15 Oct 2012 14:30:05 +0000 http://transnationale.eelv.fr/?p=3197 Lire la suite]]> EELV se félicite des positions de François Hollande appelant à tourner définitivement la page « Françafrique », dans un discours lucide en parfaite opposition à celui de son prédécesseur. Avec le nouveau gouvernement français, et, en première ligne, son ministre du développement Pascal Canfin, EELV appelle à l’invention d’une nouvelle politique de développement.

François Hollande a vanté à Dakar les richesses et potentialités de l’Afrique et rappelé la responsabilité de la France dans son « histoire cruelle ». Soulignant la nécessité de la démocratie, le président de la République s’est pourtant refusé à se poser en donneur de leçons, notant que les députées sénégalaises sont proportionnellement plus nombreuses que les françaises et reconnaissant que la montée des inégalités est une priorité partagée par les deux pays.

Sur le plan économique, EELV se félicite des orientations du gouvernement, concrétisées entre autres par la création d’un ministère du développement positionné en acteur-clé de la nouvelle « politique africaine » de la France et par les expressions fortes qui expriment désormais l’analyse de Paris : commerce équitable, autonomie alimentaire, juste prix pour ses ressources… EELV salue ainsi la défense courageuse par François Hollande du projet européen Itie – Initiative pour la transparence dans les industries extractives – qui pourraient concerner le pétrolier Total et Areva exploitant l »uranium du Niger.

EELV reste cependant attentif à d’autres aspects du discours de François Hollande. La notion de croissance par exemple, qui, en Afrique plus qu’ailleurs, se fait au détriment de l’environnement et des populations. Ou encore « l ‘accompagnement » proposé dans les secteurs de l’agroalimentaire, des télécommunications et des services financiers qui ne doit pas favoriser les intérêts des grands groupes français mais un développement autonome et endogène.

Nous partageons également les inquiétudes du Président de la république sur « la crise alimentaire, le dérèglement climatique, les trafics, le fondamentalisme… » qui secouent nombre de pays africains et particulièrement le nord du Sahel. Mais, pour y répondre, il faudra s’attaquer aux causes profondes : mondialisation sans contrôle, spéculation effrénée, raréfaction et exploitation des ressources… c’est à dire remettre en cause notre modèle de développement, ici et là bas.
Au Mali, EELV estime ainsi que, en complément d’interventions d’urgence, il faut construire une réponse globale à la barbarie tant démocratique, qu’économique, environnementale et sociale.
Jean-Philippe MAGNEN et Elise Lowy, porte-parole

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Le changement avec le Gabon, c’est maintenant? https://transnationale.eelv.fr/2012/07/06/le-changement-avec-le-gabon-cest-maintenant/ Fri, 06 Jul 2012 17:45:59 +0000 http://transnationale.eelv.fr/?p=3109 Lire la suite]]> Crédits photo : MAL Langsdon/Reuters
EELV, en cohérence avec des représentants de l’opposition gabonaise, demande à François Hollande de faire de l’entretien qu’il aura ce jour avec Ali Bongo une étape de son engagement fort durant la campagne présidentielle, renouvelé dans le discours de politique générale du Premier ministre, de rupture avec la Françafrique.

François Hollande peut aujourd’hui confirmer l’espoir que l’alternance a suscité au sein de l’opposition gabonaise en affirmant notamment que la France ne cautionnera plus les coups d’Etat électoraux. Le message que peut et doit adresser la France ce jour aux oppositions démocratiques en lutte contre les pouvoirs autocratiques en Afrique et ailleurs doit être clair et ferme dans tous les domaines : électoraux, biens mal acquis, lutte contre la corruption, arrêt du pillage des ressources naturelles du Sud par le Nord, lutte contre l’évasion fiscale organisée par les multinationales, matraquages des oppositions…

Fidèle à ses engagements de toujours pour la démocratie en Afrique,  Europe Écologie Les Vert restera très mobilisée au côté de ceux qui luttent, souvent au péril de leur vie, tout au long de ce quinquennat comme lors des précédents.


Elise LOWY, Jean-Philippe MAGNEN,
Porte-parole
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Afrique subsaharienne : une coopération écologique pour mettre en valeur sur place les ressources du continent https://transnationale.eelv.fr/2011/11/01/afrique-subsaharienne-une-cooperation-ecologique-pour-mettre-en-valeur-sur-place-les-ressources-du-continent/ Tue, 01 Nov 2011 10:38:37 +0000 http://transnationale.eelv.fr/?p=3151 Lire la suite]]>

Contribution du groupe de travail Afrique / commission Transnationale au projet EELV 2012

Octobre 2011

 

« Je pars de l’idée que, de manière fondamentale, la planète est mal gérée »

Sony Labou Tansi

 

Les ressources naturelles africaines, enjeu géopolitique majeur

Situé au centre des deux très grands pôles industriels de la planète – l’Occident et l’Asie -, le continent africain est devenu, au cours des années 2000, le théâtre d’une compétition entre ces deux pôles pour les ressources naturelles, aussi bien renouvelables (forêts, textiles, denrées alimentaires…) que non-renouvelables (minéraux, métaux, matières énergétiques dont notamment le pétrole, le gaz naturel et l’uranium). L’importance économique de ces ressources naturelles est étrangement faible : leur commerce représente à peine 5 % du chiffre d’affaires mondial, une valeur si réduite, vu les énormes quantités échangées, qu’il fait suspecter que ces ressources sont largement sous-évaluées. Le PIB de l’Afrique, dont la production se structure autour de l’exploitation et de la vente de ces ressources naturelles le plus souvent brutes, ne dépasse pas lui-même 2 % du total mondial. Riche de ses foisonnantes ressources, l’Afrique n’en tire paradoxalement qu’une valeur réduite pour ses habitant/es.

Pourtant, sur le plan stratégique, ces ressources naturelles sont cruciales pour les économies industrialisées. A titre d’exemple, l’Afrique représente à elle seule plus de 80 % des réserves mondiales de colombo-tantalite

1, minerai clé dans la fabrication des téléphones portables ; 57 % de la production mondiale de cobalt, métal particulièrement utilisé dans l’industrie informatique et aéronautique ; 53 % de la production mondiale de diamant, dont l’usage industriel est indispensable dans le forage du pétrole ; 39 % de la production mondiale de manganèse, nécessaire dans la constitution de la plupart des aciers ; 21 % de la production mondiale d’or, valeur en hausse par temps de tempête financière ; 15,9 % de la production mondiale d’uranium, dont la quasi-totalité est exportée vers la France ; 12,5 % de la production mondiale de pétrole, dont une bonne part est expédiée vers les Etats-Unis (30% des importations de ce pays)2 ; 5 % de la production mondiale de bois, dont la moitié est exportée vers l’Asie3. Enfin, depuis le début de la décennie 2000, la plupart des pays africains ont fait l’objet d’offres d’achats géantes de terres agricoles émanant de gouvernements ou d’entreprises asiatiques, et portant au total sur plusieurs centaines de milliers de kilomètres carrés4.

Penser le fait militaire, penser le fait colonial

A vrai dire, cette situation n’est pas nouvelle. Depuis cinq siècles (la première carte européenne complète des contours de l’Afrique date de 1492), et plus encore depuis la colonisation de l’intérieur du continent à la fin du XIXe siècle, l’appropriation des ressources naturelles a été le facteur déterminant des relations entre les grandes puissances et l’Afrique. La colonisation peut se lire essentiellement comme une course entre les nations européennes, jadis dominantes, pour s’approprier les ressources naturelles du continent africain en vue d’alimenter leurs industries alors en plein essor. Cette course a d’emblée été ultra-violente, extrêmement militarisée. Elle a donné lieu aux premiers génocides (conquête française de l’Algérie entre 1830 et 1848, massacre des Herreros de Namibie par l’Allemagne en 1904), aux premiers travaux forcés générant des millions de morts (exploitation forcenée de l’Etat indépendant du Congo par le roi des Belges entre 1885 et 1908), aux premiers camps de concentration (invention britannique lors de la guerre des Boers en Afrique du Sud au tournant des XIXe et XXe siècles).

Ces pratiques, qui sont la honte de l’Europe, n’ont pas encore été suffisamment dites ni pensées – à ce titre, elles doivent urgemment trouver toute la place qui leur revient dans les manuels scolaires. C’est une des raisons pour lesquelles elles se sont reproduites au milieu du XXe siècle – l’uranium qui a servi à produire la bombe d’Hiroshima a été extrait au sud-est du Congo belge – et bien après la décolonisation. Les réseaux « françafricains », définis en 1998 par François-Xavier Verschave

5 comme un ensemble d’acteurs mafieux français et africains visant à confisquer les rentes liées à l’exploitation des ressources naturelles et à l’aide au développement, ont incarné le paroxysme de cette reproduction. Jusque dans les années 1990 au moins, et le plus souvent sur fond d’appropriation des ressources pétrolières contre un endettement farfelu, ils ont très largement encouragé les conflits les plus meurtriers survenus sur le continent africain : guerre du Biafra, relance de la guerre civile angolaise, répression par le pouvoir de Khartoum de la sécession sud-soudanaise, génocide des Tutsis au Rwanda et ses conséquences sur le conflit civil en RD Congo (1996-2003)… autant d’épisodes ruineux où les victimes civiles se comptent chaque fois, au moins, par centaines de milliers. Il est nécessaire de revenir sur ces pages hideuses de l’histoire liant la France voire l’Europe au continent africain, ainsi qu’EELV le demande depuis avril 2011 concernant l’implication de la France au Rwanda entre 1990 et 1994 (voir notre communiqué). Il est surtout urgent d’agir pour qu’elles ne se répètent pas.

Transition énergétique en Europe, relations démilitarisées avec l’Afrique

Cela suppose une forte action en interne. La transition énergétique de la France et de l’Europe doit être engagée résolument, le plus vite possible, afin que la France – enfin sobre énergétiquement et convertie aux énergies renouvelables – ne soit plus tentée d’installer ou de prolonger militairement des régimes africains qui favorisent ses intérêts énergétiques cruciaux, ni même de « sécuriser » militairement les installations et le transport du pétrole produit par Total dans le Golfe de Guinée ou l’uranium extrait par Areva au Niger. Ces deux très grandes entreprises industrielles, largement détenues par des acteurs institutionnels publics français, devront être pilotées vers une reconversion dans la production d’énergies renouvelables et dans le démantèlement des centrales nucléaires. Parallèlement, il est nécessaire de réformer les institutions afin que l’Elysée ne puisse plus ordonner sans responsabilité les politiques militarisées qu’elle impulse notamment en Afrique. Mais cela suppose aussi une action externe, volontariste, sur le plan militaire : rendre enfin publics les accords secrets de défense passés et actuels liant la France et ses anciennes colonies depuis 1960, démanteler les trois bases françaises permanentes (Djibouti, Sénégal, Gabon) et deux dispositifs provisoires de très longue date (Tchad, Côte d’Ivoire), leur substituer éventuellement à court terme des dispositifs militaires européens – à la demande et en accord avec les gouvernements africains concernés – en vue de protéger des ressortissants européens et africains et non des installations économiques.

En matière militaire plus qu’en d’autres, la transparence doit être de mise. Toute exportation d’armes de la France vers un pays africain, quel que soit sont calibre et son type, fera donc l’objet d’une publication. Le gouvernement français travaillera en étroite collaboration avec Amnesty International ou toute autre organisation impliquée dans la limitation des armes dans les pays du Sud. Pour éviter le mélange des genres, la France et ses différentes institutions de coopération (ministères, AFD, etc.), y compris les ONG françaises, devront rendre publics annuellement les objectifs de leur aide et les montants financiers accordés. Ces chiffres seront communiqués, dans chacun des pays concernés, aux médias et en particulier aux médias en langues nationales. Enfin, l’effacement de larges pans de la dette des pays africains – notamment celles qui ont été contractées auprès de prêteurs européens ou occidentaux pour financer des armes, ou au mieux l’acheminement via de grandes infrastructures des matières premières africaines vers l’industrie de transformation européenne – devra également être programmé.

Coopération apaisée, coopération participative

Une fois cette démilitarisation des relations franco et euro-africaines opérée, en quoi les transformer ? D’abord en une forme de coopération apaisée, qui viserait en Europe comme en Afrique la satisfaction simple des besoins vitaux (notamment souveraineté alimentaire et autonomie énergétique), une coopération dont les buts et les modalités seraient participatifs, définis par les Africains eux-mêmes : non pas les Etats africains, mais plutôt leurs habitant/es. La France et l’Europe ont en effet la chance d’accueillir sur leur territoire une diaspora africaine qui se compte en millions de résidents. Le montant des transferts de fonds de cette diaspora vers l’Afrique dépasse largement l’Aide publique au développement fournie par la plupart des pays européens. Une partie des taxes souvent exorbitantes prélevées sur ces transferts sera utilisée pour financer des projets ou des microprojets de développement, au lieu de financer comme aujourd’hui certains aspects de la politique de l’immigration des gouvernements européens. Ces migrants, souvent regroupés en associations, seront le relais privilégié d’une coopération non pas inter-étatique favorisant la concentration des flux financiers entre les mains de réseaux industriels oligarchiques, mais au contraire d’une coopération décentralisée, multiple et artisanale, au plus proche des villages où les besoins vitaux (en eau potable, en agriculture familiale biologique, en électricité ou en chaleur solaire, en recyclage et gestion des déchets, en exploitation durable des ressources forestières, etc.) seront exprimés par les habitants – et notamment par les habitantes, tant les femmes africaines sont précisément au fait de ce que peuvent être les besoins d’une communauté. Pour que l’aide internationale puisse aller au plus près des populations concernées, la France s’engagera à appuyer de manière méthodique, systématique et forte les processus de décentralisation et de déconcentration dans tous les pays avec lesquels elle coopérera.

Cette politique ne pourra être efficace que si les montants engagés sont conséquents : le fameux chiffre de 0,7 % du PIB pourrait enfin être atteint en affectant les ressources dégagées par une taxe sur les transactions financières à l’aide publique au développement. Elle suppose, en France et en Europe, le développement d’une filière de petits acteurs industriels dans des domaines d’excellence écologique et de lutte contre le changement climatique (entre autres les énergies renouvelables) : la politique fédérale allemande d’aide au développement des PME à l’international pourrait en être le modèle.

Pour les projets plus importants concernant les infrastructures (parcs d’éoliennes, centrales solaires, hôpitaux, ponts, voies ferrées, routes…), les grandes entreprises françaises et européennes impliquées auront obligation de mettre en place des industries locales de transformation des matières premières nécessaires au projet, en prenant en charge la formation des cadres africains. Cette mesure, qui favoriserait à chaque occurrence le développement d’une économie africaine locale, serait aussi une réponse européenne non-militarisée à la très attractive coopération chinoise actuelle qui livre volontiers des infrastructures clés en main en échange d’un contrat d’exploitation exclusive de certaines ressources naturelles. Pour les entreprises européennes impliquées dans l’extraction minière en Afrique, un renforcement contractuel de la Responsabilité sociale et environnementale est le minimum qui peut être demandé par des Etats européens ; ceux-ci s’engageront à accompagner la réforme des codes miniers des Etats africains afin qu’ils soient justes sur les plans économique, social et environnemental. L’enjeu, dans tous les cas, est de faire bénéficier aux populations locales des richesses qui sont durablement tirées de ou créées sur leur sol.

La coopération apaisée passe bien évidemment par un volet culturel accru : les centres culturels français, notamment, doivent se développer pour multiplier chez les jeunes Africain/es les expériences culturelles rares et les points d’accès à la langue française. Celle-ci est en effet la meilleure garantie que les échanges entre la France et l’Afrique se pérennisent et que les jeunes Africains conservent le désir d’aller étudier en France. Aujourd’hui l’Afrique est le continent qui compte le plus de locuteurs francophones : cette communauté culturelle doit être entretenue car elle contribue à enrichir les langues et les êtres de part et d’autre de la Méditerranée. Dans cette optique, il pourrait également être utile de favoriser l’accès des Français et Européens d’origine africaine aux fonctions de diplomates français et européens.

ONG, organisations sous-régionales, médias, mouvements écologistes africains : pas de politique efficace sans relais

Enfin, la France et l’Union européenne pourront prendre une série d’initiatives de coopération visant à protéger les peuples là où l’exploitation violente des ressources naturelles – mais aussi le dépôt des déchets industriels français – les met en danger. Là, le travail des gouvernements européens devra opérer en lien avec quelques grandes ONG européennes spécialisées : Survival (Royaume-Uni), qui milite pour la criminalisation de l’exploitation effrénée des ressources naturelles dès lors qu’elle en vient à mettre en danger les conditions de vie d’un peuple (Bushmen du Botswana, Hadzabe de Tanzanie…) – à ce titre, un travail sur la redéfinition du crime de génocide pourra être envisagé avec la Cour pénale internationale (CPI) ; Global Witness (Royaume-Uni), qui prône des mécanismes de certification d’origine des ressources naturelles pour interdire le commerce de matières premières issues de conflits (Processus de Kimberley et commerce du diamant brut, colombo-tantalite des Kivus en RD Congo, etc.) ; CCFD-Terre solidaire (France), qui lutte contre la corruption prédatrice des élites africaines au sein de la plateforme « Publiez ce que vous payez » ; réseau Fatal Transactions (Pays-Bas), qui ambitionne de transformer le commerce meurtrier des ressources naturelles en un commerce équitable « contribuant vraiment à la paix durable et à la reconstruction en Afrique » ; etc. La France et l’Union européenne, en relation avec l’Union africaine, les Nations unies et des ONG africaines, favoriseront aussi l’implantation d’espaces de dialogue ou de centres régionaux pour la prévention et la gestion des conflits. Ces lieux serviront à développer et à véhiculer une culture de la paix, de la démocratie et du respect des Droits humains.

Ces initiatives seront d’autant plus efficaces qu’elles auront obtenu l’aval d’organisations sous-régionales (Cedeao, Communauté d’Etats d’Afrique centrale, South African Customs Union…) dont le renforcement ne peut que contribuer à intégrer l’Afrique dans les relations internationales et notamment dans les relations Sud-Sud. D’une façon générale, la réussite de ces politiques passe par l’identification de partenaires africains avec qui il sera possible de définir des politiques écologiques de co-développement. Ces partenaires peuvent être des ONG environnementales africaines comme Brainforest qui, au Gabon, lutte contre la pollution générée par l’extraction du manganèse par le groupe français Eramet à Moanda ou pour la réparation de la catastrophe sanitaire causée par l’extraction de l’uranium jusqu’en 1999 par la Cogema à Mounana. Ces partenaires peuvent également être des relais médiatiques sensibles au thème de l’écologie : par exemple le Réseau des journalistes africains pour l’environnement (ANEJ), avec lequel il est indispensable d’échanger informations et communiqués.

Mais ce sont surtout des relais politiques qu’il est nécessaire d’identifier dans tous les pays africains à un moment où les idées écologistes gagnent mondialement du terrain : partis verts africains qui se battent au Sénégal contre les pêches exorbitantes des navires européens ou au Burkina Faso contre l’implantation de coton OGM, mais aussi mouvements écologistes, mouvements démocratiques, mouvements sociaux…. En effet, les grandes personnalités africaines du XXe siècle sont celles qui ont lutté pour obtenir l’indépendance de leur pays. Les grandes personnalités africaines du XXIe siècle seront celles qui arriveront à mettre un terme à la fuite des ressources naturelles et humaines et à mettre en valeur sur place le potentiel du continent. Ce sont ces personnalités qu’un mouvement écologiste français et européen ambitieux doit d’ores et déjà détecter. C’est avec elles qu’il construira le co-développement de demain.

1 Source : Jeroen Cuvelier and Tim Raeymaekers, « European Companies and the Coltan Trade: An Update » (Institute for Peace and International Studies – IPIS, Anvers, septembre 2002)

2 Source des précédents chiffres : Raf Custers & Ken Matthysen, « Africa’s natural ressources in a global context » (IPIS, août 2009)

3 Source : Observatoire des forêts d’Afrique centrale

4 A titre de comparaison, la superficie de la Belgique est de 30 000 km2.

5 François-Xavier Verschave, La Françafrique – le plus long scandale de la République (Stock, 1998)

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