Qu’est-ce qu’une gestion écologiste des déchets ?
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Compte-rendu de la réunion du groupe Afrique EELV du 05/05/2014

consacrée à la gestion des déchets dans les grandes villes d’Afrique

 

Crédit: Kenji Sekine (flickr). Licence Creative Commons.

La réunion a abordé ce que EELV peut faire non seulement au cas par cas sur la gestion des déchets dans les grandes villes d’Afrique, mais de façon plus générale, pour contribuer à améliorer la situation environnementale en Afrique conjointement à l’action du parti en France et en Europe.

 

Principaux intervenants :

Benjamin Bibas
Documentariste, co-responsable groupe Afrique EELV
benjamin.bibas @ noos.fr

Mathieu Gobin
Collaborateur de l’association Etc Terra
m.gobin @ etcterra.org

Gilles Kleitz
Responsable du pôle Biodiversité à l’AFD entre 2010 et 2012, puis membre du cabinet de Pascal Canfin, ministre délégué au Développement (2012-2014)
gilles.kleitz @ gmail.com

Ruffin Mpaka
Animateur du groupe Afrique des Verts de 1997 à 2006, député national de RD Congo entre 2006 et 2011 dans un district de la province du Bas-Congo limitrophe de Kinshasa.
ruffinmpakaa @ yahoo.fr

Paul Tsouares
Agriculteur congolais (Congo-Brazzaville), un des principaux animateurs de la Foire du terroir du Bouenza
tsouares @ gmail.com

 

Ruffin Mpaka

Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, est une ville d’environ 10 millions d’habitant/es, comportant 24 communes étalées sur environ 100 km de long au bord du fleuve Congo.

Depuis 2010, l’Union européenne a mis en œuvre des moyens pour évacuer les montagnes d’immondices qui recouvrent ses rues dans des décharges géantes à l’extérieur de la ville. Ces déchets très souvent plastiques rendent les rues impraticables et la terre infertile, ce qui est très problématique dans une ville comme Kinshasa où l’agriculture urbaine compte dans l’alimentation des habitant/es. De nombreux animaux (chèvres, moutons…), souvent sources de revenus pour les habitant/es, meurent également de l’ingestion de sacs plastiques. Enfin, la prolifération des déchets engendre des problèmes sanitaires et le développement de maladies comme le paludisme ou la fièvre typhoïde.

« Les montagnes de déchets rendent les rues impraticables et la terre infertile,
ce qui est très problématique dans une ville comme Kinshasa
où l’agriculture urbaine compte dans l’alimentation des habitant/es ».

Aujourd’hui, l’enfouissement des déchets est possible dans quelques communes de Kinshasa, les communes « urbano-rurales » les plus éloignées du centre-ville : Nsele, Kimbanseke, Ndjili, Mont Ngafula… Dans les autres communes, les ménages paient environ 15 euros par mois pour faire évacuer leurs déchets par des bennes ambulantes qui ressemblent à des pousse-pousse. Ces déchets sont alors déversés dans les rivières environnantes, ce qui ne fait que repousser le problème un peu plus loin.

Un système complet de gestion des déchets peut être envisagé, comprenant la collecte par rue, les centres de tri par quartier et les installations de traitement. Une solution de proximité efficace consisterait à mettre en place un tri des déchets ménagers vers trois destinations : compost, incinération, recyclage. Cela peut être réalisé très simplement, avec un système de péage impliquant un préposé municipal par rue pour la collecte.

 

Gilles Kleitz

L’aide publique au développement française n’est pas très active en matière de traitement des déchets, alors que c’est bien sûr une problématique majeure, notamment dans les villes africaines. Et, quand elle existe, c’est le plus souvent au profit de grandes entreprises françaises qui en bénéficient en exportant dans les quartiers les plus bourgeois des villes africaines leurs modèles industriels centralisés, avec une prise en charge financière centrée sur l’usager. Ces modèles nécessitent de gros investissements capitalistiques dans le traitement des déchets en aval, et ne valorisent pas du tout la capacité sociale d’organisation des quartiers.

« Quelle politique spécifiquement écologique peut-on proposer
pour la gestion des déchets en Afrique ? »

Or des modèles de traitement décentralisés et autogérés directement par les quartiers, associant organisation sociale, innovation financière et faibles investissements capitalistiques peuvent sans doute rencontrer des succès plus durables en Afrique, par exemple dans des grandes villes comme Kinshasa ou Bamako. La question est donc : quelle politique spécifiquement écologique peut-on proposer pour la gestion des déchets en Afrique ?

 

Rue jonchée de déchets dans la commune de Limete (Kinshasa) – photo : Benjamin Bibas

Mathieu Gobin

L’association Etc Terra mène des actions pour concilier dynamisme économique et préservation du capital naturel dans les territoires ruraux des pays du Sud. En Afrique, elle a mis en place, avec l’association Gevalor, plusieurs projets de coopération Nord-Sud liés à la gestion des déchets :

Africompost : Valorisation des déchets organiques municipaux en compost, pour améliorer la gestion des déchets et développer l’agriculture locale péri-urbaine dans 6 villes d’Afrique. Les plateformes de tri et compostage, traitant 5 000 à 10 000 t de déchets ménagers par an, sont en cours de développement à Mahajanga (Madagascar), Lomé (Togo) et Dschang (Cameroun). La démarche a également été initiée à Dar es Salaam (Tanzanie) et Bouaké (Côte d’Ivoire). Financement AFD (500 000 €) et Fonds français pour l’environnement mondial ou FFEM (1 million d’€).

– Re-sources : Plateforme d’échanges et de capitalisation des bonnes pratiques initiée par onze partenaires du Nord et du Sud (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, France, Haïti, Île Maurice, Togo), en vue d’agir pour l’amélioration de la gestion des déchets solides, la protection de l’environnement et une insertion économique des populations vulnérables. Basée à Ouagadougou.

Ces projets partent d’un constat : l’approche « bottom-up », où les habitant/es identifient et commencent à traiter leurs problèmes de déchets au niveau du quartier, est nécessaire mais insuffisante. On voit souvent naître un petit collecteur informel, puis une plateforme de valorisation des déchets à l’échelle du quartier… mais que se passe-t-il ensuite si la municipalité ne se saisit pas du problème ? Ce qui manque le plus souvent, c’est une volonté politique d’améliorer la gestion des déchets, avec notamment la mise en place d’un schéma directeur à l’échelle d’une commune ou d’un groupe de communes.

« Ce qui manque le plus souvent,
c’est une volonté politique d’améliorer la gestion des déchets,
avec notamment la mise en place d’un schéma directeur
à l’échelle d’une commune ou d’un groupe de communes »

Techniquement, la gestion des déchets dans les villes du Sud est souvent organisée en 3 étapes :

–       La pré-collecte, réalisée par des pré-collecteurs informels des maisons ou de la rue vers les dépôts de quartier
–       La collecte, évacuation des déchets des dépôts de quartiers vers les décharges
–       Le traitement, qui comprend une variété de solutions, de l’incinération des déchets à leur rachat par des industries (cimenteries, fonderies, etc.)

Le plus souvent en Afrique, la collecte n’est organisée que dans les quartiers planifiés les plus nantis. Dans les grandes villes comme Dar es Salaam par exemple, il existe une décharge pour 5 millions d’habitant/es. Celle-ci est souvent éloignée de plusieurs dizaines de kilomètres du centre-ville, la collecte génère donc beaucoup d’émissions de CO2. Et dans les villes qui commencent à mettre en œuvre des politiques à la hauteur des enjeux, comme à Dschang au Cameroun, la gestion des déchets représente le deuxième poste budgétaire.

Face à cette réalité, il faut une pression citoyenne pour précipiter la décision politique municipale d’allouer un budget plus conséquent à la gestion des déchets. Ce budget spécifique a toutes les chances d’être efficace s’il finance essentiellement une agence dédiée, comme en Côte d’Ivoire avec l’ANASUR (Agence Nationale de Salubrité Urbaine) ou au niveau de la ville par exemple à Dschang avec la création prochaine d’une Agence Municipale de Gestion des Déchets (AMGED) qui disposera de son propre budget et de ses propres moyens. Le Cameroun a même mis en place une délégation de service à une entreprise privée du pays, Hysacam, pour gérer les déchets dans les dix plus grandes villes du pays. Mais quelle fiscalité locale pour financer ce budget ? Taxe sur l’électricité ? sur les entreprises ? sur le revenu ? Toutes ces options et d’autres encore peuvent être examinées. Par ailleurs, quelle gestion foncière pour créer des dépôts, des décharges, des centres de traitement le plus proches possible des aires urbanisées ? Un centre de valorisation des déchets prend en effet 0,5 ha dans la configuration idéale. Même si les villes africaines sont en général peu denses, comment sécuriser le foncier nécessaire en zone urbaine ? Enfin, vu les dégâts mortels pour la faune et la flore qu’ils infligent dans toutes les villes d’Afrique, il est sans doute urgent d’obtenir l’interdiction des sachets plastiques de faible épaisseur.

« Vu les dégâts mortels pour la faune et pour la flore qu’ils infligent dans toutes les villes d’Afrique,
il est urgent d’obtenir l’interdiction des sachets plastiques de faible épaisseur »

Il faut aussi un minimum de compétence technique, le secteur des déchets est un peu complexe et un assistant technique (bureau d’études reconnu) n’est pas du luxe, surtout dans une ville d’un million d’habitant/es ou plus.

Les institutions publiques locales doivent en priorité maîtriser, via la formalisation d’un schéma directeur :

– la cartographie des flux de précollecte et collecte qui garantissent le minimum de consommation de carburants

– le foncier pour les décharges mais aussi les sites de transferts qui peuvent si la superficie le permet devenir des centres de tri et valorisation (conditionnement des recyclables, compostage…)

– la formalisation des lots de précollecte et collecte au travers de contrat de délégation de service public, et une harmonisation des redevances aux précollecteurs permettant d’assurer une équité sociale : les quartiers aisés peuvent payer 15-20€ avec un service de collecte municipal, les précollecteurs récupèrent un montant plus faible pour financer la précollecte dans les quartiers modestes vers des sites de transfert (ce montant varie en général entre 500 et 2 500 FCFA par ménage par mois selon la taille du ménage).

Dans les villes africaines, les déchets sont une des premières préoccupations des habitant/es, avec l’eau et la sécurité. Si la pression populaire se conjugue à l’action publique, on peut donc obtenir des résultats. Par exemple le maire de Ouagadougou, Simon Compaoré (récent opposant à son homonyme le président du Burkina-Faso Blaise Compaoré), a fait des déchets une priorité essentielle de sa gestion municipale. Il a instauré une politique de pré-collecte en porte-à-porte, en lien avec des associations de femmes qui nettoient les rues de la capitale burkinabè. Et dans les décharges, il existe aujourd’hui des centres de compostage, de broyage du plastique dur, de récupération des sacs plastique.

Africompost
Projet Africompost à Mahajanga (Madagascar) – photo : agenceecofin.com

 

 

Ruffin Mpaka

C’est vrai que l’initiative des habitant/es est nécessaire mais loin d’être suffisante. Dans la commune de Ndjili à Kinshasa, il y a quinze quartiers comportant chacun une vingtaine de rues. A hauteur d’un préposé par rue, on pourrait donc s’en sortir avec environ 300 préposés municipaux à la pré-collecte dans une commune de cette taille, ce qui créerait déjà 300 emplois par commune, soit environ 7 000 emplois autofinancés pour les 24 communes ; sans compter les emplois à créer dans les centres des tri et de traitement. Mais cela ne suffit pas : au-delà de la pré-collecte, un investissement à l’échelle de la ville est nécessaire pour la collecte systématique et le traitement.

En l’absence de démocratie hélas, les gouvernants ne sont redevables que de ceux qui les nomment. L’amélioration de la démocratie et notamment de la démocratie locale est donc indispensable en Afrique pour mettre la pression sur les gouvernants au sujet des déchets et précipiter ces investissements nécessaires.

« L’amélioration de la démocratie est indispensable en Afrique
pour mettre la pression sur les gouvernants au sujet des déchets
et précipiter les investissements nécessaires. »

Pour accélérer le processus dans la ville-province de Kinshasa, peut-être pourrait-on mettre en place une coopération avec une grande ville française dont un/e élu/e Vert/e serait chargée de l’environnement, par exemple Paris ? L’AFD a un accord de coopération pluriannuelle avec l’agence d’urbanisme de Kinshasa, un cadre pourrait donc être trouvé assez facilement pour une telle coopération.

 

Benjamin Bibas

Si on doit faire une synthèse de ces échanges, il semble que l’on pourrait appeler écologiste une politique de gestion des déchets :

–       qui implique les habitant/es des quartiers dans des systèmes de pré-collecte autogérés et créateurs d’emplois ou du moins d’activité rémunérée

–       qui met en place des systèmes élaborés de tri dès la collecte (au niveau de la décharge)

–       qui, à l’étape du traitement, maximise le recyclage des déchets triés

–       qui, à chaque étape, minimiserait les consommations et les émissions de CO2.

« On pourrait appeler écologiste une politique de gestion des déchets
qui implique les habitant/es dans des systèmes de pré-collecte autogérés
et créateurs d’activité rémunérée,
qui met en place des systèmes élaborés de tri au niveau de la décharge,
qui maximise le recyclage des déchets triés,
qui enfin minimise les émissions de CO2 »

La première étape a une réalité en Afrique, mais elle pourrait aussi en avoir bientôt une en France lorsqu’on considère par exemple la mobilisation des biffins à Paris et dans les communes du Nord-Est parisien. C’est le rôle du politique, et singulièrement de partis écologistes, d’arriver à faire le lien entre les mobilisations spontanées des habitant/es conjuguant activité économique des précaires et amélioration environnementale d’une part, et l’action des institutions élues d’autre part.

 

Biffins à Saint-Ouen, c. 1910 - photo : leverreetlecristal.wordpress.com
Biffins à Saint-Ouen, c. 1910 – photo : leverreetlecristal.wordpress.com

Mathieu Gobin

Dans ce contexte, EELV, avec tous les partenaires intéressés, pourrait mener deux types d’action sur les déchets :

–       Appui aux plaidoyers des partis verts et organisations écologistes en Afrique

–       Action auprès des bailleurs internationaux (UE à Kinshasa, Banque mondiale à Dar es Salaam, AFD à Antananarivo…) pour promouvoir auprès d’eux des solutions écologistes pour la gestion des déchets. Ces bailleurs sont en effet présents dans les grandes villes avec la priorité à un minimum de salubrité. La Banque Mondiale intervient surtout sur des projets de décharge aux normes occidentales, et les initiatives locales informelles ou non sont souvent peu considérées, notamment la valorisation au niveau de dépôts/sites de transfert qui engendrent des emplois et le réusage/recyclage de matériaux qui sinon finissent en décharge ou dans des dépôts sauvages non contrôlés.

« EELV, avec tous les partenaires intéressés,
pourrait mener deux types d’action sur les déchets :
appui aux plaidoyers des partis verts et organisations écologistes en Afrique,
action auprès des bailleurs internationaux pour promouvoir auprès d’eux
des solutions écologistes pour la gestion des déchets »

 Comme pour beaucoup de sujets en Afrique, la priorité est la bonne gouvernance et la gestion maitrisée. Il s’agit avant tout de transparence des budgets pour éviter les fuites, de démocratie locale et participative (acceptation des centres de tri dans les quartiers, acceptation de la redevance formalisée…). Bien sûr l’emploi est un très gros sujet aussi, les informels font souvent un boulot très ingrat, les valoriser et les payer correctement (soit le smic local) permet de créer des vocations et de pérenniser les emplois pour améliorer les processus et aller plus loin, notamment dans la valorisation qui nécessite plus de compétence et de rigueur. Après cette base, on pourra approfondir sur la valorisation des produits, l’intérêt du compost…

 

Paul Tsouares

Je suis citoyen du Congo-Brazzaville. Dans ce pays dont on connaît pourtant les problèmes de gouvernance, quatre priorités viennent d’être fixées par le gouvernement : développement de l’industrie, construction des infrastructures, gestion durable de l’espace agro-pastoral, gestion durable de l’espace forestier. Au-delà des déchets, c’est donc toute la question environnementale qui est en train d’être prise en compte par les gouvernements africains dans les priorités de développement.

« Au-delà des déchets, c’est toute la question environnementale
qui est en train d’être prise en compte
par les gouvernements africains dans les priorités de développement. »

Gilles Kleitz

D’une façon générale, nous devrions notamment être attentifs à deux enjeux majeurs :

–       Quelle réglementation française et européenne pour les entreprises qui opèrent sur le foncier, les ressources forestières et agricoles, les mines, la pêche, etc. en Afrique ? L’augmentation de nos critères de responsabilité sociale des entreprises (RSE) doit être un objectif affirmé, alors que la croissance africaine actuelle, avec son rythme de 8 à 10 % par an dans certains pays, est très consommatrice de ressources biologiques et des écosystèmes et n’est absolument pas durable ;

–       Dans cette perspective, quelle politique de coopération juridique et légale entre l’Europe et l’Afrique ? L’Afrique est en effet le continent où l’on pille le plus car c’est celui où le système politique et juridique est le plus faible, où donc les droits des citoyens en matière de propriété et gestion de leurs ressources sont les moins protégés.

« Dans cette perspective, quelle réglementation française et européenne
pour les entreprises qui opèrent en Afrique ? »

Crédit: Kenji Sekine (flickr). Licence Creative Commons
Crédit: Kenji Sekine (flickr). Licence Creative Commons.