Election présidentielle en Colombie : 8,28 % pour le candidat Vert, Enrique Peñaloza réélection du président sortant, Juan Manuel Santos
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Le premier tour des élections présidentielles en Colombie, le 25 mai 2014, a laissé un goût doux-amer au parti Vert colombien, dénommé « Alianza Verde » depuis la décision de l’ancien Partido Verde, lors de son Congrès du 26 septembre 2013 de s’unir avec le « Movimiento Progresistas » de l’ex-leader de la guérilla dissoute (en 1990) du M-19, Antonio Navarro Wolf (aujourd’hui sénateur Vert) et du maire de Bogota, Gustavo Petro (également ancien du M-19, il été élu maire en 2012 après avoir été le candidat du Pôle Démocratique Alternatif (gauche) à la présidentielle de 2010 (il était arrivé quatrième avec 9,14 % des voix) ; il vient de récupérer la mairie après en avoir été passagèrement destitué).

En effet, le candidat de l’Alianza Verde, l’ex-maire de Bogota Enrique Peñaloza, a obtenu un score de 8,28 %, soit plus d’un million de voix sur un total de 13 millions de votants, avec une participation de seulement 40 % des inscrits. En valeur absolue c’est l’un des meilleurs scores jamais obtenu par un-e candidat-e Vert-e à une élection présidentielle. De plus, Alianza Verde a obtenu de bons résultats lors des élections parlementaires du 9 mars dernier, avec 3,9 % des voix et 6 députés (dont 4 femmes) à la Chambre des Représentants (contre 3 députés avec 3,0 % des voix en 2010) et avec 3,9% des voix et 5 sénateurs (dont une femme) au Sénat (contre 4,9 % des voix et 5 sénateurs en 2010. Ajoutés à la trentaine de mairies qu’il possède, à ses centaines de conseillers municipaux, ces résultats montrent la réelle et rapide implantation d’un parti apparu assez récemment sur une scène politique nationale en pleine mutation. En effet, Alianza Verde a succédé fin 2013 au Partido Verde, ainsi dénommé le 2 octobre 2009, qui succédait lui-même au « Partido Verde-Opcion Centro » enregistré sous ce label le 12 mars 2006, qui lui-même avait pris la suite du parti créé le 25 novembre 2005 sous l’appellation initiale « Opcion Centro ». Celui-ci entendait prendre la relève du premier parti écologiste colombien « Oxigeno Verde » qui avait éré créé en1999 par Ingrid Betancourt, mais qui avait disparu du fait de la longue captivité aux mains des FARC (de février 2002 à juillet 2008) de sa porte-parole, représentante légale et candidate à la présidentielle de 2002, du fait aussi d’une modification de la loi électorale très restrictive en 2003, qui lui avait fait perdre sa « personnalité juridique » (son existence légale). Depuis, le Partido Verde, désormais Alianza Verde, a été admis à la Fédération des partis Verts des Amériques dont il est devenu l’un des acteurs principaux.

Antanas Mockus
Antanas Mockus

Pourtant le score de 8,28 % obtenu par Enrique Peñaloza reste doux-amer, car lors des présidentielles de 2010, le candidat du Partido Verde, l‘ex-maire de Bogota Antanas Mockus, avait obtenu, suite à une campagne pleine d’enthousiasme qui avait soulevé une « Ola verde » (Vague verte) dans le pays (surtout dans la jeunesse et les milieux intellectuels grâce à un large usage des réseaux sociaux), 21,49 %, ce qui l’avait qualifié pour le deuxième tour face au candidat de centre-droit Juan-Manuel Santos (qui avait obtenu 46,68 % au premier tour ;il était alors le ministre de la D2fense sortant sortant de l’ex-président de droite Alvaro Uribe, empêché par la Constitution de se représenter une troisième fois).

C’était la première fois qu’un-e candidat-e Vert-e obtenait un tel score et surtout se qualifiait pour le second tour d’une élection présidentielle (il a été imité peu après, en octobre 2010, par Marina Silva, la candidate du Parti vert Brésilien, qui a obtenu 19,33 % au premier tour sans pouvoir participer au second, étant arrivée en troisième position, puis par le Finlandais Pekka Haavisto qui a obtenu 18,8% au premier tour et 37,4% au second tour en janvier/février 2013).

Même si au second tour, Antanas Mockus avait été largement battu avec 27,47 % (contre 69,13 % à José Manuel Santos »), la « vague verte » avait fortement marqué la politique colombienne, avec cette percée d’un tiers parti (de surcroît écologiste), alors que la politique colombienne traditionnelle était verrouillée depuis plus d’un siècle et demi par l’éternel duopole corrompu et discrédité formé par les partis Conservateur et Libéral qui se succédaient au pouvoir. A cette aune, et à celle de l’espérance alors soulevée, le score d’Enrique Peñaloza apparaît comme un essai non transformé.

La déception vient aussi du fait qu’Enrique Pañaloza n’est arrivé qu’en 5ème position, loin derrière le candidat de droite soutenu par l’ex-président Uribe, Oscar Ivan Zuluaga (du Centre Démocratique, 29,26 % des voix), derrière le président sortant Juan Manuel Santos (du parti de la « U » soutenu par le Parti Libéral, 25,67 %), derrière conservatrice Marta Lucia Ramirez (15,53 %), et derrière la candidate de gauche (du Pôle Démocratique Alternatif) Clara Lopez, qui a obtenu un bon score de 15,23 % (sa co-listière pour la vice-présidence était Aida Avella, dirigeante de l’Union Patriotique, qui avait été créée en 1985 comme l’expression civile et démocratique des FARC ; des dizaines de ses dirigeants et 5000 militants avaient été assassinés par les paramilitaires et les narco-trafiquants, ce qui avait entrainé l’exil des dirigeants et sa disparition politique avant sa relégalisation par le Conseil d’Etat en 2013). Or, fin mars encore, des sondages prédisaient à Enrique Peñaloza une présence au second tour avec un score de 18 % au premier tour et même une éventuelle victoire au second tour sur Juan Manuel Santos, alors donné victorieux du premier tour. Comme en 2010 pour Antanas Mockus, les sondages ont failli, et le poids persistant des réseaux économiques, du clientélisme, du paramilitarisme dans certaines régions a été sous-estimé.

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Carte des groupes armés et plantation de cocaliers en Colombie. Source : UNODC, 2006

Un autre élément important a certainement nuit à Enrique Peñaloza : ce scrutin présidentiel s’est de plus en plus apparenté à un référendum pour ou contre les négociations de paix avec les FARC que Juan Manuel Santos a lancées à La Havane (Cuba) en novembre 2012 tout en refusant un cessez-le-feu. Ces négociations ont marqué une rupture avec la politique de la « main dure » (dite aussi de « sécurité démocratique ») de son ex-mentor Alvaro Uribe, aujourd’hui sénateur, et que représentait lors de cette présidentielle son poulain, Oscar Ivan Zuluaga (lequel était encore peu connu du public il y a quelques mois). Uribe, avait co-fondé en 2005 avec Juan Manuel Santos un parti de droite destiné à rassembler tous ses partisans, le « Parti Social de l’Unité Nationale » communément appelé « parti de la « U », mais l’avait quittée pour créer en janvier 2013 le Centre Démocratique pour s’opposer à la politique de négociations avec les FARC que venait d’entamer Santos.

La polarisation du scrutin sur ce thème prioritaire des négociations de paix a relégué au second plan l’argumentation politique d’Enrique Peñaloza sur la nécessité d’une réforme agraire, de la justice sociale, de l’aide aux défavorisés en matière de santé et d’éducation — thèmes qu’il partageait largement avec Clara Lopez ­et bien sûr de développement durable et de protection de l’environnement. D’autant plus que sur cet thème central des négociations de paix, Enrique Peñaloza et l’Alianza Verde apparaissaient seulement comme l’une des composantes du camp du « pour » qui incluait tous les autres candidats, hormis bien sûr Oscar Ivan Zuluaga. A quelques iotas près, aussi bien Juan Manuel Santos que Marta Lucia Ramirez, Clara Lopez et Enrique Peñaloza partageaient l’analyse que la meilleure voie pour mettre fin à un conflit qui a entraîné quelque 600 000 morts et 5 millions de réfugiés, résidait dans des négociations sans cessez-le-feu visant à réinsérer dans la vie civile et démocratique des FARC très affaiblies militairement (elles ne comptent plus que 7000 combattants) et politiquement discréditées (une énorme majorité des Colombiens n’en peut plus de leurs crimes) afin d’avancer sur la voie d’une Colombie pacifiée. Tous ces candidats s’accordaient aussi pour affirmer que l’accord de paix ne devait pas se faire au détriment de la justice, de la vérité et de la réparation pour toutes les victimes, sujets complexes à mettre en œuvre comme l’ont démontré les accords de démobilisation des paramilitaires toujours inaboutis, ainsi que la loi « pour les victimes et la restitution des terres » initiée par Santos. Selon Alianza Verde, « la paix ne peut être atteinte dans l’impunité, mais pas non plus sans générosité ». Avec plus ou moins d’insistance, ces candidats s’accordaient pour refuser toute naïveté face aux FARC, et reconnaître, (au moins en paroles dans le cas d’un Juan Manuel Santos très critiqué sur ce point), que sans la résolution des problèmes de fond, de réforme agraire, de restitution des terres et de justice sociale, la violence, la persécution des défenseurs des droits de l’Homme et des syndicalistes perdureraient car les guérillas sont loin d’être les seuls acteurs de la violence : les paramilitaires, les narco-trafiquants et d’autres bandes criminelles organisées, notamment par l’industrie minière illégale, y prennent une part prépondérante.

Ces arguments ne doivent cependant pas cacher le fait qu’Alianza Verde et Enrique Peñaloza ont aussi payé le prix, malgré une cote sympathie réelle (dont témoigne par exemple le ralliement de la célèbre journaliste Claudia Lopez qui a été élue sénatrice verte) de leur identité politique mal définie et de leurs errements internes. Ils ne sont en effet que l’une des expressions du phénomène politique qu’a constitué l’apparition, dans les années 1990, souvent avec succès, de candidats « indépendants », c’est–à-dire indépendants des traditionnels partis Libéral et Conservateur, qu’ils se revendiquent de droite, de gauche, du centre ou de l’écologie (comme dans le cas d’Ingrid Betancourt qui en avait été l’incarnation la plus spectaculaire). Leur électorat, nouveau, est de ce fait assez volatile, sensible à la personnalité des candidats et aux thèmes d’actualité, et peut conduire à un engouement massif comme dans le cas d’Antanas Mockus en 2011 aussi bien qu’à un succès d’estime comme dans le cas d’Enrique Peñaloza en 2014.

D’autre part l’Alianza Verde, a un positionnement politique flou pour beaucoup de Colombiens. Elle se revendique du « centre » non pour signifier qu’elle serait « centriste » c’est-à-dire située entre la droite et la gauche selon l’entendement européen, mais pour souligner qu’elle constitue une offre politique nouvelle et originale, fondée sur le paradigme écologiste, et distincte en cela du clivage droite/gauche historique. Ce positionnement lui permet de ratisser assez largement dans le camp progressiste : parmi les trois ex-maires de Bogota qui ont rejoint le « Partido Verde » en septembre 2009, tous très respectés pour leur probité et leurs réalisations à la tête de la capitale, Antanas Mockus et Enrique Peñaloza venaient des « indépendants ». De même le candidat à la vice-présidence, l’ex-maire de Medellin (2004-2007) et actuel gouverneur de la province d’Antioquia, Sergio Fajardo, qui dirige le petit mouvement progressiste « Compromiso Ciudadano » venait des indépendants. Quant au troisième ex-maire de Bogota, Lucho Garzon, il venait du Pôle Démocratique Alternatif (gauche radicale). Les trois avaient postulé pour être le candidat du parti à la présidentielle, et Antanas Mockus avait été élu lors d’une primaire interne, en mars 2010. De même que Lucho Garzon, le Movimiento Progresistas avec lequel le Partido Verde s’est allié en 2013 pour fonder l ‘Alianza Verde compte beaucoup d’ex-membres du Pôle Démocratique alternatif, comme l’actuel sénateur Antonio Navarro Wolf et l’actuel maire de Bogota, Gustavo Petro. De façon plus caricaturale, certains des candidats du parti aux législatives provenaient du parti de la « U » (centre droit) et d’autres de l’Union Patriotica (qui fut l’émanation civile et démocratique des FARC, dont elle s’est distanciée, tout en restant de gauche radicale). Le parti compte aussi des membres de l’ancien parti d’Ingrid Betancourt, « Oxigeno Verde » comme l’actuelle députée Angelica Lozano. Il a aussi été rejoint par l’ex-sénateur libéral Luis Eladio Perez, qui avait longtemps partagé la captivité d’Ingrid Betancourt aux mains des FARC et est aujourd’hui ambassadeur de Colombie au Vénézuela. Le parti a toujours proclamé son admiration pour Ingrid Betancourt et lui a même proposé fin 2013 d’être candidate à la candidature pour les élections sénatoriales ou présidentielles, mais au terme de plusieurs entretiens elle a décliné l’offre.

Ces origines et sensibilités diverses expliquent des dissonances étalées sur la place publique qui ont nui à la crédibilité du parti. La principale fut sans conteste l’acceptation par la direction du parti du soutien du droitier et belliciste ex-président Alvaro Uribe à la candidature d’Enrique Peñaloza à la mairie de Bogota, fin 2011. Un soutien d’ailleurs inutile puisqu’Enrique Peñaloza fut largement battu par Gustavo Petro. Outré de ce manquement aux valeurs vertes, Antanas Mockus avait claqué la porte du parti, alors qu’une minorité conduite par des proches de Mockus comme l’actuelle députée et ex-sénatrice Angela Robledo et l’ex-sénateur John Sudarsky préférait la voie de la contestation interne.

Juan Manuel Santos
Juan Manuel Santos

De plus, le positionnement du parti vis-à-vis du président Juan Manuel Santos a été fluctuant : après l’élection de celui-ci en 2010, le parti choisit de rester indépendant vis-à-vis du gouvernement, avant de lui apporter un soutien sans participation en intégrant la coalition de l’Unité nationale du président Santos, puis de s’en retirer le 26 septembre 2013, lors de son 4ème Congrès qui décida aussi de son alliance avec le Movimiento Progresistas. De même, au lendemain du 2ème tour, l’Alianza Verde a refusé d’appeler explicitement à voter pour Juan Manuel Santos  tout en indiquant une série de convergences, au premier rang les négociations avec les FARC, qui ne pouvaient qu’amener implicitement à voter pour lui, alors que la candidate du Pôle Démocratique Alternatif et de l’Union Patriotique, Clara Lopez, n’a pas hésité à appeler à voter pour Santos, donnant même une conférence à ses côtés.

Il faut dire que les anciens Verts ou alliés des Verts comme Antanas Mockus ou Sergio Fajardo, qui restent proches et en contact, sont non moins fluctuants : Antanas Mockus reste sur son Aventin indépendant, et après avoir appuyé fin 2011 la candidate indépendante « centriste » (au sens européen du terme) à la mairie de Bogota, Gina Parody, il n’a pas exclu de rejoindre les Verts avec un certain de nombre de garanties sur leur fonctionnement et leur stratégie politique, tout en restant en contact avec le petit parti de l’Alliance Sociale Indigène (également proche d’Alianza Verde) et en apportant un soutien modéré au président Santos. Un soutien certes moins appuyé que celui de Lucho Garzon qui a quitté ses fonctions de porte-parole du parti pour devenir ministre du Dialogue social de Santos. Sergio Fajardo, contacté pour rejoindre l’Alianza Verde, a refusé et reste à la tête de son petit mouvement « Convergencia Ciudadana ». Quant à l’actuel maire de Bogota, Gustavo Petro, bien que membre du mouvement Progresistas qui a fusionné avec le Partido Verde pour créer l’Alianza Verde, il a préféré appeler à voter dès avant le premier tour pour Santos, peu reconnaissant de la campagne active des Verts pour le réinstaller à la mairie de Bogota. Tout cela fait un peu désordre et le score d’Enrique Peñaloza en a certainement pâti.

Il n’en reste pas moins qu’Alianza Verde existe déjà réellement en Colombie et garde un grand potentiel de développement.

Résultat des courses…

Au deuxième tour qui s’est tenu le 15 juin, Juan Manuel Santos l’a emporté assez largement en obtenant 50,95 % des voix face à Oscar Ivan Zuluaga (45,00 % des voix). Une victoire nette, mais pas un triomphe, qui rend Juan Manuel Santos un peu plus comptable de son action vis à vis de ceux qui l’ont soutenu plus ou moins explicitement pour l’emporter au second tour, y compris les Verts. Pour s’attirer leurs bonnes grâces il a d’ailleurs reconnu dans l’entre deux tours l’insuffisance de son action pour la justice sociale, la réforme agraire, la restitution des terres, la santé, l’éducation… Les actes suivront-ils de la part de ce patricien issu de la grande bourgeoisie libérale (sa famille contrôle un grand groupe de presse dont le principal quotidien « El Tiempo ») et adepte du libéralisme économique ? Il faudra certainement que s’exerce sur lui une pression constante, de la part des politiques et de la société civile. Toutefois sa réélection laisse la porte ouverte à la poursuite des négociations de paix avec les FARC et même avec la deuxième guérilla marxiste du pays, l’ELN (2000 combattants), qui a annoncé début juin accepter l’ouverture de négociations. Or, ces accords de paix sont des conditions préalables au retour à la paix pour le peuple colombien qui a tant souffert, et souffre encore.

Constantin Fedorovsky