Siège d’EELV – vendredi 4 avril 2014
Participants :
Lana Sadeq et d’autres représentants du Forum Palestine Citoyenneté.
Témoignage de 3 réfugiés palestiniens du camp du Yarmouk, dont Hayssam Shamlouli.
Françoise Alamartine : EELV, responsable de la commission Transnationale
Abdessalam Kleiche : EELV, co-responsable du groupe Coopération et développement
Marie-Pierre Marchand : EELV, co-responsable du groupe Syrie
En préalable, est évoquée la soirée de solidarité organisée par le Forum Palestine Citoyenneté qui s’est déroulée le 29 mars dernier. Eva Joly est venue apporter sa solidarité et a déploré que le budget de l’Union européenne destiné à venir en aide aux réfugiés palestiniens de Syrie ait été diminué. Il y a un projet d’organisation d’une rencontre au Parlement Européen pour qu’ils témoignent.
Puis les 3 représentants du camp de Yarmouk, dont deux membres du groupe des « Chebabs de Yarmouk » livrent leur témoignage.
1. Présentation et historique sur les palestiniens de Syrie et le camp de Yarmouk
La présence palestinienne en Syrie
Il y a environ 600 000 palestiniens en Syrie (dont 30 000 près de Deraa, la première ville soulevée). 76% des palestiniens de Syrie vivent dans des camps1. D’autres vivent hors des camps dans des situations différentes. Par exemple, il y a 30 000 palestiniens venus de Jordanie après Septembre Noir, qui sont sans papier.
On dénombre 16 camps dans l’ensemble du pays dont 11 reconnus par l’UNWRA2.
Yarmouk est le plus important de ces camps en Syrie (c’est même le plus grand camp palestinien du monde). Il comptait 200 000 palestiniens avant 1970, 130 000 au début de la révolution de 2011 et aujourd’hui seulement 20 000.
Il faut revenir sur le concept de camp, qui n’est pas toujours bien connu à l’étranger : il ne s’agit pas d’un espace fermé qui n’abrite que des réfugiés palestiniens. Ainsi Yarmouk, qui est situé dans la banlieue sud de Damas, s’étend sur 3 km² et était peuplé, avant la révolution, de 800 000 personnes et fonctionnait comme une véritable ville avec notamment un grand marché (le 2ème marché de Syrie avec une forte influence notamment pendant les fêtes).
Si les palestiniens y étaient minoritaires (130 000 sur 800 000 habitants), le camp a néanmoins une forte empreinte palestinienne en raison des équipements palestiniens qui y sont concentrés (hôpitaux, écoles, centres culturels…) et des organisations qui l’animent.
Des liens historiques entre le mouvement national palestinien et les démocrates syriens
Les représentants du camp de Yarmouk insistent sur les liens anciens entre la gauche démocratique syrienne et les palestiniens de Syrie, nés de leur commune résistance à l’oppression et aux dictatures. Ils font un rapide rappel de l’histoire tourmentée de la Syrie depuis l’indépendance (49 coups d’état avant la prise de pouvoir d’Hafez al Assad) et de la construction de la gauche syrienne, notamment après 67 où une nouvelle gauche s’est créée dans la région avec une scission du parti communiste. Le mouvement national palestinien implanté en Syrie a toujours soutenu la gauche syrienne et lui a apporté son expérience de la lutte et de l’organisation politique forgée par ses propres combats. Ainsi lors de la première révolte populaire syrienne dans les années 80, des militants palestiniens du camp de Yarmouk se sont impliqués et de nombreux intellectuels syriens ont trouvé refuge dans le camp, lors des grandes vagues d’arrestation de 1985 et 1986.
Pour eux, le combat est commun et est conçu comme un prolongement naturel de leur propre lutte : « la liberté des peuples dans la région est une première étape pour la libération de la Palestine ».
Le régime de Damas, quant à lui, a toujours instrumentalisé le mouvement national palestinien, attisant et jouant de ses dissensions au profit de ses intérêts géopolitiques. Ainsi, pendant longtemps, le régime soutenait le Hamas et les militants palestiniens proches de cette obédience avaient une vraie marge de liberté politique. Certains groupes avaient même une capacité d’entrainement militaire à l’intérieur des camps. Les militants laïcs proches de l’OLP subissaient au contraire la répression. Par exemple, un de nos interlocuteurs a été emprisonné 16 fois pour avoir protesté contre le soutien du régime au Hamas. Aujourd’hui, comme le Hamas a pris position pour la Révolution, ses militants ou proches sont aussi sur la liste noire du régime, etc…
Par ailleurs, certaines mouvances sont clairement des alliés du régime de Damas, notamment le mouvement de Ahmed Jibril, issu d’une scission du FPLP (FPLP Commandement général) sont même aujourd’hui des auxiliaires du régime dans la répression des militants révolutionnaires.
La participation des palestiniens du camp de Yarmouk, à la révolution de 2011
Ainsi, quand la révolution syrienne de 2011 a éclaté, des organisations palestiniennes du camp, notamment les « chebabs de Yarmouk », ont mis leur expérience politique au service du soulèvement et ils ont rejoint la coordination locale de la révolution. Un de nos interlocuteurs nous dit ainsi « Au début, on est sortis avec les syriens et on les a aidé politiquement, on faisait des réunions dans les quartiers alentours et on contribuait à former les gens sur les slogans, l’organisation des manifestations, les techniques de résistance non violente… ».
Leur stratégie était très claire , avec le principe de ne pas participer à la révolution à l’intérieur du camp qui doit rester sanctuarisé afin de ne pas tomber dans le piège de la propagande du Régime qui essayait de faire porter la responsabilité du soulèvement à ceux qu’il qualifie de « terroristes palestiniens ».
Par ailleurs, la position géographique du camp au centre de la banlieue sud de Damas l’a placé dans une position stratégique et le camp est devenu un lieu où les blessés et les déplacés des zones alentours pouvaient se réfugier. Grâce à ses infrastructures notamment de santé (3 hôpitaux), il a pu jouer pendant toute cette période un rôle très important dans l’organisation des secours et pour la vie quotidienne des habitants et des déplacés : activités avec les enfants (soutien scolaire et psychologique), organisation des secours et des soins, mise en culture des terrains libres pour la nourriture, etc…Ce travail était fait en lien entre les organisations civiles et politiques palestiniennes, les démocrates syriens et l’ASL.
Malheureusement, des fractions armées ont pu rentrer dans le camp sans coordination avec ses responsables, dont une s’est révélée par la suite infiltrée par le régime.
Ils ont pu fonctionner comme cela pendant deux ans jusqu’au siège.
2. La situation actuelle de Yarmouk
Ils tiennent à notre disposition des éléments documentés (chiffres et documents photo et vidéo) basés sur les statistiques effectuées par une centre des droits de l’homme palestinien reconnu par Amnesty International.
Le siège de Yarmouk s’est fait en deux temps :
Période de blocus partiel, jusqu’à un an en arrière
Les familles pouvaient encore mais de façon limitée s’approvisionner pour leurs besoins alimentaires très stricts. Dans cette période, le régime a cherché à « faire pourrir la situation » en pourchassant les militants pacifistes, les personnes qui organisaient la vie quotidienne et les secours, les intellectuels. Il y a eu de nombreuses rafles et 161 parmi les meilleurs militants civils et humanitaires du camp sont morts dans les prisons du régime. Il s’agissait de vider les camps de toute protestation civile pour donner une image dégradée du mouvement et de le pousser à la militarisation, comme le prouve le fait que les factions armées n’aient pas été inquiétées.
Période de blocus total
Depuis un an, le siège est total et il y a un véritable ETAT D’URGENCE : 140 personnes sont mortes de faim, sans compter le nombre de victimes des bombardements.
L’UNWRA ne peut faire entrer dans le camp que 3% des besoins alimentaires (sans parler des autres produits de première nécessité et des médicaments) : 60 à 70 paniers pour 7000 familles !
Il n’y a pas qu’à Yarmouk que le régime utilise l’arme du blocus. Mais, selon eux, c’est pour ce camp que le régime est le plus inflexible. Dans d’autres secteurs, notamment d’autres villes de la banlieue de Damas, des accords partiels ont pu être conclus pour évacuer des blessés et faire entrer de l’aide humanitaire. A Yarmouk, il y a eu plusieurs accords mais ils n’ont jamais été respectés malgré l’assurance de l’UNWRA sur la non-présence d’hommes armés. La seule fois, où des personnes ont pu sortir du camp (des blessés et 22 étudiants), ils ont été arrêtés et il n’y a plus de nouvelles d’eux. Ils pensent que le régime a une stratégie spéciale pour ce camp pour pouvoir criminaliser les palestiniens et détourner l’attention sur eux.
Les victimes palestiniennes du conflit syrien
2000 morts dans l’ensemble de la Syrie (dont les morts de Yarmouk)
2000 détenus disparus
La répression s’accentue de plus en plus : le chiffre des exécutions de détenus a triplé entre septembre 2013 et mars 2014.
Les conclusions de la rencontre
Rédiger un communiqué commun EELV/ représentants du camp de Yarmouk, pour attirer l’attention de l’opinion publique et des autorités sur le scandale de Yarmouk, demander une intervention pour exiger la levée du blocus et des mesures humanitaires d’urgence (corridor humanitaire pour acheminer du ravitaillement, évacuer les blessés…).
Apporter l’appui du Parti à toutes les initiatives visant à informer sur la situation de Yarmouk et à œuvrer pour des solutions. Dans cet esprit, EELV souhaite aider les représentants du camp de Yarmouk qui veulent témoigner à travers la France et l’Europe. Cela pourrait se faire :
- au travers de l’appui du réseau EELV en France (groupes locaux, collectivités territoriales, associations proches…) si le groupe des réfugiés de Yarmouk entreprend une tournée d’information.
- en contribuant à faciliter leur liberté de mouvement à travers l’Europe (par exemple, se rendre au Parlement européen pour témoigner). Aujourd’hui, 2 d’entre eux sont en cours de procédure de demande d’asile et ne peuvent pas se déplacer hors de France : mobilisation des parlementaires sur le sujet.
- en posant à ce sujet une question parlementaire, étant donnée la contradiction entre les déclarations du gouvernement et le manque d’accueil réel sur le sol français, tant pour les visas, que pour l’absence de structures accueillantes : logements, cours de langue, aides financières…
ANNEXE : L’UNWRA et les réfugiés palestiniens
(Précisions apportées par nos interlocuteurs)
Définition de l’UNWRA et de son rôle
L’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East) et en français (Office des Nations unies de secours et de travaux pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) est un programme de l’Organisation des Nations unies pour l’aide aux réfugiés palestiniens dans la Bande de Gaza, en Cisjordanie, en Jordanie, au Liban et en Syrie. Opérationnelle depuis mai 1950, cette agence de l’ONU voit son mandat (qui devait être temporaire) constamment renouvelé par l’Assemblée générale des Nations unies, en l’absence de solution politique à la question des populations réfugiées. Il a été étendu jusqu’au 30 juin 2014.
L’agence a été créée pour fournir des services sociaux, de santé et d’éducation aux quelques 750 000 personnes chassées de leurs terres à l’issue de la création d’Israël en 1948 et après la guerre de 1967 ainsi qu’à leurs descendants. Aujourd’hui, ce sont près de 5 millions de réfugiés palestiniens qui bénéficient de son aide, à l’intérieur et en dehors de 59 camps reconnus, en Cisjordanie, à Gaza, en Syrie, en Jordanie et au Liban et Jérusalem Est.
C’est de loin la plus grande agence des Nations unies, avec un personnel de plus de 25 000 personnes, dont 99 % sont des réfugiés palestiniens recrutés localement et œuvrant comme enseignants, médecins ou travailleurs sociaux. L’UNRWA est aussi la seule agence de l’ONU qui soit consacrée à un groupe spécifique de réfugiés. Les réfugiés palestiniens sont ainsi les seuls réfugiés au monde à ne pas dépendre du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.
Quelque 60 % des ressources vont à l’éducation puisque 500 000 enfants fréquentent tous les jours les écoles de l’UNWRA.
Définition de l’UNRWA
Un « réfugié de Palestine » est une personne dont le lieu de résidence habituelle était la Palestine entre juin 1946 et mai 1948 et qui a perdu à la fois son domicile et ses moyens de subsistance en raison du conflit israélo-arabe de 1948. La définition de réfugié de l’UNRWA couvre également les descendants des Palestiniens qui sont devenus des réfugiés en 1948, contrairement à la notion de réfugié adopté par le HCR qui considère que le statut de réfugié ne peut s’appliquer aux descendants ; ainsi, les réfugiés palestiniens sont les seuls à bénéficier de cette notion extensive. En conséquence, le nombre de réfugiés palestiniens enregistrés est passé de 700 000 en 1950 à plus de 4,8 millions en 2014 et continue à augmenter du fait de l’accroissement naturel de la population.