L’Union européenne abandonne-t-elle les démocrates pour considérer Djibouti comme une zone militaire ?
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Communiqué du Collectif de solidarité avec les luttes sociales et politiques en Afrique

Le 16 janvier 2014, les principaux leaders de l’opposition à la dictature djiboutienne, dont Ahmed Youssouf Houmed, président de l’Union de Salut National, ont été arrêtés puis libérés [1]. Des marches pacifiques ont eu lieu le 17 janvier pour protester contre la répression et soutenir la coalition, et, de nombreuses autres arrestations ont eu lieu. La Ligue djiboutienne des droits humains (LDDH) et la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) parlent « d’intensification de la répression policière et judiciaire à l’encontre des partis politiques d’opposition, des journalistes indépendants et des défenseurs des droits de l’Homme » [2].
Près d’un an après les élections législatives du 22 février 2013, le contentieux électoral n’est évidemment pas réglé. Aucune dictature n’a jamais reconnu volontairement avoir inversé le résultat d’un scrutin parce que cette reconnaissance mettrait les responsables face à la vérité et la justice. Les résultats détaillés par bureau de vote qui, en toute vraisemblance, prouveraient l’inversion globale du résultat des législatives, n’ont jamais été publiés.
Les diplomaties françaises et européennes ont une responsabilité dans le blocage de la situation djiboutienne. Après le 22 février, une vision militaire s’est imposée : dès début mars, le passage à Djibouti de Maciej Popowski, Secrétaire général adjoint du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), directeur Politique de sécurité et prévention des conflits, venait assurer de son soutien le régime djiboutien en soulignant des progrès secondaires dans les processus électoraux, pour mettre l’accent sur « le rôle clé que Djibouti joue dans la lutte contre la piraterie maritime sévissant au large des côtés somaliennes » [3].
Sous la pression d’une politique française, elle-même sous influence de l’armée, la démocratisation de Djibouti est sacrifiée pour permettre la construction d’une politique européenne de défense qui se réalise concrètement en Afrique. Aujourd’hui, Djibouti sert de faire-valoir dans la communication européenne sur la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC), particulièrement pour valoriser la mission de renforcement des capacités maritimes en Afrique de l’Est et Océan indien, EUCAP Nestor [4].
Le 27 décembre 2013, la loi autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti a été promulguée [5]. Assemblée nationale et Sénat se sont contentés de considérer l’avis des militaires français, sans considérer correctement la situation politique [6].Le 4 juillet 2013, le Parlement européen avait, lui, « réitéré l’appel de l’Union européenne pour une publication transparente des résultats du scrutin du 22 février 2013 pour chaque bureau de vote. », et, « invité instamment le SEAE et la Commission, ainsi que leurs partenaires, à œuvrer avec les Djiboutiens à des réformes politiques à long terme, ce qui devrait être notamment facilité par la relation étroite qui existe déjà entre ces parties, compte tenu du fait que Djibouti est un partenaire essentiel dans la lutte contre le terrorisme et un acteur central de la région et que ce pays accueille des bases militaires. »

Une dictature n’accepte pas de se réformer et n’agit que par la répression. Cette situation bloquée à Djibouti démontre, là aussi, l’impasse dans laquelle s’engagent les politiques françaises et européennes quand, actuellement, elles considèrent uniquement la paix, la sécurité, et optionnellement le développement, sans prendre en compte la démocratie. Résultats essentiellement d’un rapport de force interne, les processus de démocratisation sont aussi influencés par les enjeux externes, qui dans le cas djiboutien, permettent au régime de perdurer.

Le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique appelle les élus et partis français et européens à s’engager pour le soutien de la démocratie en Afrique et sa prise en compte dans la conception et la mise en œuvre de la Politique de sécurité et de défense commune et demande à l’Union européenne et au gouvernement français :

- d’exiger fermement du gouvernement djiboutien la publication des résultats des législatives détaillés par bureau de vote, et de prendre en compte les conséquences du refus de les publier,

- de soutenir les démocrates et la construction de l’Etat de droit à Djibouti, au-delà des rappels sur les droits humains, nécessaires mais insuffisants,

- de ne soumettre la politique européenne à Djibouti ni aux objectifs de paix et sécurité à court terme, ni à la construction de la Politique de sécurité et de défense commune.

Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique

20 signataires : Comité de soutien à l’Union pour le Salut National (USN) Paris Ile-de France (Djibouti), Mouvement pour le Renouveau Démocratique (Djibouti, USN), Fédération des Congolais de la Diaspora (Congo-Brazzaville), Ca suffit comme cà ! (Gabon), Alliance Nationale pour le Changement Ile-de-France (ANC-IDF, Togo), Collectif des Associations Contre l’Impunité au Togo – France (CACIT-France)*, Union des Populations du Cameroun, Forces Vives tchadiennes en exil, Rassemblement National Républicain (RNR, Tchad), Mouvement pour la Restauration Démocratique en Guinée Equatoriale (MRD), Survie, Afriques en lutte, Sortir du Colonialisme, Amicale panafricaine, Fédération pour une Alternative Sociale et Ecologique (FASE), Ensemble (Fase, Gauche Anticapitaliste, Convergence et Alternative, Les Alternatifs, La Gauche-vraiment-Unitaire), Nouveau Parti Anticapitaliste, Parti de Gauche, Parti Communiste Français, Europe Ecologie les Verts.