Pour une résolution multilatérale du conflit en République Centrafricaine
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Analyse et propositions
de sortie pacifique de crise en RCA

par Claude Yabanda* et Narcisse Arido**
avec le groupe Afrique EELV

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Notes Transnat n°8_RCA

Depuis décembre 2012, une nouvelle vague de rébellions armées alliées sous le nom de Séléka a montré sa capacité à contrôler militairement la République Centrafricaine (RCA). L’accord de cessez-le-feu signé le 11 janvier 2013 à Libreville avec le pouvoir de François Bozizé est fragile. Comment la RCA en est-elle venue à cette situation d’instabilité chronique ? Quelles sont les motivations économiques et sociologiques des rebelles ? Analyse et propositions pour une sortie de crise pacifique impliquant la communauté internationale et notamment les pays de la sous-région.

Ancienne colonie française de l’AEF[1], l’Oubangui-Chari[2] située au centre de l’Afrique, la République Centrafricaine (RCA) partage ses frontières avec le Tchad (au nord), le Soudan (nord-est), le Sud-Soudan (est), la République Démocratique du Congo et la République du Congo (sud), enfin le Cameroun (ouest). Depuis son accession à l’indépendance, la RCA s’est très vite démarquée par une particularité dans la gestion de l’Etat : les armes sont devenues le mode d’accession exclusif à la magistrature suprême. Sur les cinq présidents que le pays a connus, trois sont des officiers supérieurs des Faca[3], et les deux autres des civils qui n’ont pas hésité à utiliser les armes soit pour accéder au pouvoir (David Dacko[4]), soit pour préserver un régime démocratique vacillant qui avait montré ses limites en matière de bonne gouvernance (Ange-Félix Patassé[5]).

Pire : à partir du premier coup d’Etat manqué de François Bozizé en octobre 2002, la scène politique centrafricaine enregistre un phénomène nouveau qui ne cesse de prendre de l’ampleur : la présence quasi régulière de mouvements de rébellions sur tout ou parties du territoire, rébellions récemment coalisées sous le nom de Séléka (« Alliance » en sango, la langue officielle du pays avec le français). En effet, la mauvaise gouvernance du régime de président François Bozizé a engendré une déliquescence politique et socioéconomique de la RCA sans précédent. Son mépris de l’opinion nationale et de la communauté internationale, sa politique belliciste à l’intérieur du pays, enfin sa gestion kleptocrate au profit de sa famille et de quelques amis nationaux et étrangers, alimente l’émergence constante de diverses rébellions.

Du Dialogue national inclusif de 2003 aux Etats généraux de la Défense, en passant par le programme DDR[6], le Président de la République a de fait érigé la trahison de ses engagements et l’inégalité sociale et territoriale en mode de gestion commune, ce qui rend très difficile l’application de solutions susceptibles de conduire à une paix démocratique. Il s’ensuit une perte de souveraineté nationale d’une part (vis-à-vis d’autres Etats de la sous-région et de groupes mafieux), la disparition du patriotisme d’autre part.

Face à cette impasse, nous tenterons un rappel historique des faits politiques en République Centrafricaine (I), puis nous essaierons de cerner les jeux et enjeux de l’actuelle rébellion militaire (II). Enfin, nous envisagerons quelques perspectives pour une sortie de crise (III).

Carte de la RCA en 2007, avant la création du Sud-Soudan
Carte de la RCA en 2007, avant la création du Sud-Soudan

 

I. Mars 2003 – janvier 2013 : de la transition à l’impasse

L’espoir populaire qui a accompagné le coup d’Etat du 15 mars 2003[7] va très vite céder la place à l’inquiétude. Bénéficiant de l’euphorie suivant la chute du régime impopulaire du président Ange-Félix Patassé, le nouveau président François Bozizé rompt presque immédiatement avec le consensus qui régit la transition politique : il réussit à tromper l’opposition politique et la société civile, respectivement en charge du gouvernement (Abel Goumba) et du Conseil National de Transition (Nicolas Tiangaye), et en même temps il trahit ses engagements vis-à-vis de nombreux combattants qui l’ont porté au pouvoir. Il s’ensuit quatre conséquences majeures.

1. L’enracinement de la culture de rébellion militaire. Déjà dans les années 1990 après le coup d’Etat manqué contre le régime du président André Kolingba (1981-1993) orchestré par les généraux Mbaïkoua et Bozizé, le pays enregistre le premier mouvement insurrectionnel. Mais si cette première expérience est vite neutralisée, la rébellion militaire initiée en octobre 2002 par le général Bozizé va réussir à prendre le pouvoir d’Etat. Dans ce jeu de conquête du pouvoir par les armes, nombreux sont les acteurs qui se rencontrent mais qui, parfois sous l’équilibre de jeux d’intérêts personnels, changent de camp. Le sacrifice du consensus politique de mars 2003, aggravé par une violence militaire aveugle et démesurée du nouveau pouvoir[8], suscite des mécontentements : très vite, les combattants trahis vont reprendre les armes. De 2006 à 2008, une constellation de mouvements militaires naît dans la partie Nord-Est et surtout dans le nord de la RCA. Les acteurs de ces différents mouvements – UFDR, FDPC, GAPLC, CPJP, MLCJ, APRD, etc. – sont pour la plupart des anciens alliés du président Bozizé, et non des aventuriers coupeurs de route comme le pouvoir veut faire croire à l’opinion nationale et internationale.

Avec le Dialogue politique inclusif de décembre 2008, le pays enregistre une accalmie qui, malheureusement, sera rompue avec l’échec du programme DDR et surtout des violations à répétition des accords du Dialogue par le pouvoir. Face à la série de dérives du régime Bozizé qui fait de la Centrafrique un Etat en faillite et, face au risque de naissance d’une monarchie démocratique[9] entérinée par une modification constitutionnelle, une nouvelle coalition de rébellions militaires composée de trois des principaux anciens groupes rebelles se forme en effet sous le nom de Séléka. Cette coalition, avec un rapport de force militaire qui lui est rapidement favorable, demande la démission du président de la République.

2. Le manquement avéré de la bonne gouvernance du régime de François Bozizé. Celui-ci n’est plus à démontrer depuis son accession au pouvoir : il admet la référence familiale ou le copinage comme mode de gestion de la République. Les ministères de souveraineté (Défense, Finances, Mines et énergie, etc.) sont tenus par le fils et les proches parents qui, malheureusement, n’ont pas le profil approprié. On assiste dans tout le pays à une promotion de la médiocrité et les élites centrafricaines sont contraintes soit à épouser cette idéologie, soit à prendre le chemin de l’exil. Les menaces sous couvert des attributs de l’Etat constituent le mode normal de gestion, avec l’asservissement de l’armée nationale au service de la famille Bozizé. Conséquence : l’impunité s’enracine dans le pays, elle est même érigée en norme de comportement pour s’enrichir rapidement si on est au pouvoir. Nous assistons à la déchéance de l’Etat. Il s’ensuit, début 2013, une paupérisation sociale sans précédent dans l’histoire de la République Centrafricaine.

3. L’alarmante situation économique, sociale et sanitaire. La politique sociale du gouvernement n’a jamais été focalisée que sur le paiement des salaires. Or sur une population d’environ 4 millions d’habitant/es, le pays ne compte que 26 000 fonctionnaires gagnant un smic miséreux au milieu d’un secteur privé quasi inexistant. Des foyers de malnutrition s’installent partout dans le pays, même dans des zones qui n’ont jamais été touchées par des crises militaires. Tel est le cas de la ville de Berberati, située à l’ouest et réputée pour ses diamants et ses forêts.

D’ailleurs, Médecins Sans Frontières n’a pas manqué d’alerter sur la situation socio-sanitaire du pays. Dans son dernier rapport intitulé « République Centrafricaine : une crise silencieuse » (décembre 2011) [10], l’organisation estime que la RCA est en proie à une urgence médicale chronique, dans une situation « hors contrôle ». « L’aide médicale actuelle ne suffit pas à répondre à l’ampleur des besoins sanitaires des populations. La RCA détient la deuxième espérance de vie la plus faible du monde soit 48 ans, et le 5e taux de mortalité par maladies infectieuses et parasitaires le plus élevé au monde. Les taux de mortalité dans plusieurs régions de la RCA sont la conséquence d’épidémies saisonnières, d’une économie en panne, ainsi que des conflits mal gérés, des déplacements de populations et d’un système de santé très faible. Tous ces facteurs ont eu des conséquences catastrophiques sur la santé des populations et freinent le développement », conclut Olivier Aubry, chef de mission MSF pour la Centrafrique.

En dépit de cette réalité alarmante, le gouvernement centrafricain s’est désengagé des systèmes de soins en allouant un crédit budgétaire à la santé inférieur à celui de la sécurité présidentielle (garde pléthorique, ethnique, incompétente et composite[11]). Au-delà, les dignitaires actuels du régime affichent avec arrogance leur train de vie opulent en contradiction flagrante avec la réalité marquée par la souffrance et la famine de la population.

Dans le domaine économique, le tableau général est sombre, d’ailleurs le président de la République l’a reconnu et n’a pas hésité par ironie à demander aux populations que son système a paupérisées de prier afin d’obtenir une manne divine ! Une journée nationale de jeûne avait été observée sur ordre présidentiel fin 2012. Les édifices publics tombent en ruine, aucun projet de grands travaux n’est en vue devant le délabrement des ponts et chaussées. L’électricité est devenue une denrée rare dont seuls les secteurs du président de la République, du président de l’Assemblée nationale et de quelques ministres proches et influents peuvent jouir, tandis que le Centrafricain lambda est contraint à seulement quelques heures de consommation irrégulièrement programmées. Les rares entreprises encore présentes n’échappent à cette programmation. Les réseaux routiers demeurent quasi inexistants, avec des ponts qui ne cessent de s’effondrer jusque dans la capitale Bangui[12].

4. La déliquescence programmée des Forces Armées Centrafricaines. L’armée centrafricaine traverse une crise structurelle programmée par le pouvoir. Cette armée nationale (Faca) comporte des hommes de troupe compétents et des officiers valeureux formés dans des grandes écoles et académies militaires extérieures de renom. Mais le président de la République n’ayant pas confiance en elles, il les dépouille au profit d’une garde présidentielle qui parade en ville avec des arsenaux de guerre. Les Faca sont également inféodées à tous les niveaux et enregistrent des lacunes de permanence dans la préparation et la projection. L’instruction militaire a disparu depuis 1996. La déchéance de l’armée a commencé depuis longtemps : le service de sécurité militaire est basé sur les délations, flagorneries, règlements de compte et autres fiches mensongères. C’est en toute conscience que François Bozizé, ancien chef d’Etat major, a programmé l’affaiblissement de cette armée républicaine. Car il sait qu’une armée centrafricaine en état de fonctionnement ne saurait tolérer durablement ses dérives politiques.

 

François Bozizé, président de la République Centrafricaine depuis mars 2003
François Bozizé, président de la République Centrafricaine depuis mars 2003

 

II. La dynamique actuelle de la rébellion militaire : entre stratégie et jeu pour exister en Centrafrique

Face à cette incurie de l’Etat, la République Centrafricaine enregistre aujourd’hui deux catégories de mouvements de rebellions militaires actives qui n’ont encore pas ouvertement de convergence sur le terrain. La première est le résultat direct de la mauvaise gouvernance actuelle : elle est dirigée par d’anciens frères d’armes du président Bozizé abusés et sacrifiés ainsi que par d’anciens membres des FACA. La seconde résulte d’une transnationalisation de la violence illégitime dans un pays fébrile et incapable de garantir la sécurité et les biens de sa population : elle est incarnée par la LRA (Lord Resistance Army) du pasteur ougandais Joseph Kony (est du pays) et par des déserteurs autrefois fidèles à l’ancien rebelle tchadien Abder Kader Baba Laddé (Nord-Centre) qui peuvent facilement être sollicités par les protagonistes centrafricains dans le différend actuel.

Objectifs et stratégie des rebelles. En décembre 2012, une alliance d’anciens mouvements rebelles se forme sous le nom de Séléka et, à partir de territoires du Nord/Nord-Est, se met à gagner du terrain en direction de Bangui en mettant à peu près chaque fois en déroute les Faca. Cette rébellion comporte plusieurs centaines d’enfants soldats. Comme la plupart des mouvements armés observés dans la région depuis une vingtaine d’années, le Séléka se livre à de nombreux pillages, notamment dans les villes de Bambari et Kaga-Bandoro où les installations économiques et les domaines religieux sont particulièrement touchés.

Qui sont ces rebelles ? Selon Roland Marchal, chargé de recherches au CNRS et à Sciences Po Paris, ce mouvement « s’est formé par des factions diverses vers 2006 » comme l’UFDR (Union des Forces Démocratiques pour le Rassemblement) dirigé par Michel Am Nondroko Djotodia, la Convention des Patriotes pour la Justice et la Paix (CPJP-Fondamentale) de Mohamed Moussa Dahfane ou encore le Front démocratique du Peuple Centrafricain (FDPC) emmené par Abdoulaye Miskine. Ces factions ont ensuite été rejointes par d’autres leaders. Selon ce spécialiste de l’Afrique centrale, « ces hommes ont pour socle commun d’être des ’’musulmans sociologiques’’, c’est-à-dire plus parce qu’ils sont nés musulmans que par conviction. Et de vouloir renverser le président centrafricain François Bozizé »[13].

Quelles sont, en effet, leurs motivations ? Sur le terrain, le chef d’état-major du Séléka, le général Issa Issaka, explique : « Notre zone est enclavée : nous n’avons pas de pistes, nous n’avons pas de puits, nous n’avons pas d’écoles. C’est pour cela que nous avons décidé de prendre les armes »[14]. A Paris, le porte-parole du Séléka en France, Jean-Paul Bagaza, affirme que la coalition souhaite « simplement que le président Bozizé respecte les accords signés à Libreville en 2008. Il y avait deux points essentiels : le désarmement et l’insertion dans l’armée centrafricaine de tous les anciens belligérants »[15].

Après avoir menacé la capitale Bangui à la fin du mois de décembre, les rebelles acceptent des négociations avec François Bozizé, qui aboutissent à un accord signé sous l’égide de la CEEAC[16] à Libreville (Gabon) le 11 janvier 2013[17]. Celui-ci prévoit un partage du pouvoir : François Bozizé reste président jusqu’à la fin de son mandat en 2016, mais la primature échoit à l’opposition en la personne de Nicolas Tiangaye. Un gouvernement de transition est mis en place pour douze mois : sur trente ministères, la majorité sortante n’en conserve que douze, et quatre ministères sont proposés à la société civile. Ce gouvernement devra organiser des élections législatives anticipées.

Mais cet accord est fragile : dès le 20 janvier, des éléments du Séléka ont repris les armes dans l’Est du pays. Un peu de subtilité stratégique ont en effet permis aux différents groupes rebelles de garder une possibilité de réponse appropriée au pouvoir qui, d’ailleurs, ne cesse de se fragiliser. De plus, prenant conscience de l’axe Ndjamena-Bangui – 400 soldats tchadiens continuent de former l’ossature de la Micopax, force d’interposition de la CEEAC en place jusqu’en 2014 -, les rebelles ont réussi à se garantir de solides bases arrières indépendamment du Tchad : on assiste désormais à une nouvelle cartographie géopolitique des conflits internes en Centrafrique.

Un risque de régionalisation du conflit. La RCA est un pays laïc à forte dominance chrétienne. L’épicentre de la crise actuelle et la majorité des acteurs sont de cultures musulmanes. L’armement et la logistique ne peuvent être ressortis des anciens stocks des rebellions, il s’ensuit la présence d’acteurs invisibles qui ont financé et qui attendent la contre partie au détriment des peuples centrafricains paupérisés et martyrisés. « Savoir si ce sont leurs amis, une partie de la diaspora centrafricaine qui a payé ou s’il y a derrière des aides d’Etat ou des alliances avec des grands commerçants soudanais mais également tchadiens c’est quelque chose que l’Histoire nous apprendra », poursuit Roland Marchal[18].

De plus, la naissance d’un nouvel Etat voisin, le Sud-Soudan, à l’est de la Centrafrique pourrait donner des idées sécessionnistes aux leaders du Séléka. Le Nord-Est de la RCA regorge en effet d’importantes ressources aurifères et pétrolières récemment découvertes, le gisement de Birao ayant été mis en exploitation en janvier 2011. Un rapprochement avec le Sud-Soudan serait également possible concernant l’exploitation des ressources en uranium : la mine de Bakouma, dans le sud-est du pays, est aujourd’hui exploitée par Areva qui toutefois traîne les pieds devant l’instabilité chronique du pays.

Si elle s’enlisait, cette crise militaro-politique pourrait donc prendre une dimension sous régionale voire régionale avec la présence de la LRA et des éléments de Baba Laddé. Enfin, la proximité du foyer de l’extrémisme djihadiste Boko Haram qui sévit au Nigeria est une piste non négligeable d’insécurité. Un cocktail d’insécurité est plausiblement ouvert en Centrafrique où les jeux et les enjeux dépassent le simple intérêt national.

De même, la multitude des troupes pour « l’interposition » témoigne à suffisance de la question des jeux d’intérêt au détriment du peuple centrafricain. Pour un appui à la formation-instruction des forces de la défense qui comptent à peine 3 150 hommes[19] (gendarmes et militaires compris), l’Afrique du Sud a-t-elle besoin d’envoyer un premier contingent de 200 hommes et d’en pré-positionner 200 autres ? Des jeux d’intérêt internationaux se découvrent en Centrafrique à cause d’un pouvoir qui n’hésite pas à brader la souveraineté et les richesses du pays. A terme, un germe de balkanisation et de remise en question des frontières est à prévoir si des dispositions politiques ne sont pas prises. L’échec de la transition pacifique issue de l’accord de Libreville se solderait en effet par la perpétuation du pouvoir Bozizé ou par une prise de pouvoir du Séléka, dont la composition hétéroclite ne fournit aucune garantie pour une gestion cohérente de l’Etat.

Milicien rebelle dans le nord de la RCA, juin 2007
Milicien rebelle dans le nord de la RCA, juin 2007

 

III. Perspectives pour une sortie de crise pacifique

Dans ce contexte, deux pistes d’action peuvent notamment être fournies.

La solution à la crise centrafricaine doit désormais être régionalisée, en passant notamment par le Copax (Conseil de Paix et de Sécurité de l’Afrique Centrale) : il faut en effet trouver une solution politique durable impliquant l’ensemble des pays de la sous-région en vue d’éviter la contagion violente. Le mécanisme de sécurité collective de la CEEAC est un outil pertinent à cet effet, qui porte en lui les germes d’une doctrine africaine de sécurité et de défense en sous-traitance du pacte de l’Union Africaine et de la charte de l’ONU.

Sur le pilier de l’acceptation du « droit d’ingérence », justifiant de devoir d’assistance mutuelle en cas de péril humanitaire d’un des Etats membres, les chefs d’Etat de la sous-région doivent prendre leurs responsabilités pour faire rayonner une première fois cette institution sous-régionale. Il en va de l’intérêt de sécurité sous régionale et de la relance démocratique, économique, politique et sociale d’un pays frère victime de la turpitude de son dirigeant actuel.

La communauté internationale doit œuvrer pour que l’impunité cesse dans ce pays qui à tant souffert depuis l’année 1996, où les bourreaux du peuple d’hier sont investis des attributs de l’Etat et continuent de narguer leurs victimes, la communauté nationale et internationale.

Il y a des crimes imprescriptibles qui sont commis en continu, sans aucune inquiétude en plein XXIe siècle en Centrafrique, alors qu’il existe une justice internationale. L’enquête de la CPI sur les violations graves des droits humains (et notamment les viols massifs) survenus lors de la rébellion de François Bozizé et la répression mise en œuvre par Ange-Félix Patassé entre octobre 2002 et mars 2013, n’a pour l’heure mis en cause qu’un seul accusé, Jean-Pierre Bemba, un RD-Congolais alors que des responsables centrafricains devraient bien sûr être suspectés. Pendant ce temps, le pouvoir procède à la distribution d’armes blanches à Bangui en désignant des ennemis. Cette propagation de la violence est bien sûr gravissime, d’autant qu’elle se double de manipulation : peut-on combattre la rébellion Séléka bien armée avec des machettes ?

Dans ce contexte, l’intervention armée de la France au début du mois de janvier 2013, en relation avec les Etats de la CEEAC et la Présidence de l’Union Africaine, a eu une utilité du point de vue centrafricain : sécurisant l’aéroport ainsi que les citoyens et intérêts français à Bangui, elle a aussi dissuadé les rebelles de s’emparer de la capitale militairement. En même temps qu’elle interposait sa force armée entre les belligérants, la France faisait pression politiquement sur le président François Bozizé pour qu’il ouvre des pourparlers avec la Séléka, en s’engageant à ne pas se représenter au-delà du terme (2016) de son actuel mandat.

Comment encourager le succès de cette négociation politique ? Les écologistes doivent avant tout veiller à favoriser une résolution pacifique du conflit en RCA. Cela passe par une régionalisation officielle de la sortie de crise et par un effort accru de la communauté internationale en ce qui concerne la lutte contre l’impunité des violations graves des droits humains. Au-delà, une politique de co-développement écologique visant au moins l’autosuffisance alimentaire doit être pensée en termes assez urgents : il s’agit de donner aux responsables du pouvoir centrafricain un autre horizon d’échanges économiques avec le reste du monde que la trop classique vente moyennant commissions des ressources naturelles de leur pays.

 

Claude Yabanda*, Consultant Télécom et NTIC, ancien Haut Commissaire, ancien Chef de Cabinet Particulier du Vice-Président de la République du Gouvernement de Transition (2003-2005)
Contact : 06 78 09 71 81  /  claudeyabanda@yahoo.fr
et
Narcisse Arido**, Spécialiste de problèmes de stratégie, défense, sécurité et gestion des conflits, ancien membre des Forces Armées Centrafricaines, doctorant en droit et chercheur au Collège Interarmées de Défense (« Ecole de guerre »).
Contact : 06 76 26 65 28  /  aridonarcisse@yahoo.fr


[1] L’Afrique Equatoriale Française correspond aujourd’hui à l’espace CEMAC (Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale) hormis les républiques du Cameroun et de Guinée Equatoriale. Avant l’indépendance, en effet, le Cameroun bénéficiait de statuts particuliers et la Guinée Equatoriale était une colonie espagnole.

[2] L’Oubangui-Chari devint le 13 août 1960 la République Centrafricaine.

[3] Forces Armées Centrafricaines : l’empereur Jean-Bedel Bokassa dit Bokassa 1er, le général d’armée André Kolingba et le général d’armée François Bozizé ont tous pris le pouvoir par un coup d’Etat militaire.

[4] Le régime Dacko 1 (1959-1965) advient par le tout premier coup d’Etat constitutionnel en Centrafrique contre Abel Goumba, dauphin constitutionnel du président  fondateur de la RCA Barthélemy Boganda mort dans un crash d’avion le 29 mars 1959. Le régime Dacko 2 (1979-1981) est installé par un coup d’Etat militaire organisé et exécuté par l’armée française (opération « Barracuda ») pour évincer l’empereur Bokassa 1er.

[5] Le régime du président Patassé (1993-2003) a fait face successivement, de 1996 à 2001, à trois mutineries militaires sur des revendications corporatistes et politiques et à deux tentatives de coups d’Etat militaire par des mouvement de rébellion qui ont suscité des interventions de forces étrangères.

[6] Désarmement, Démobilisation et Réinsertion.

[7] 15 mars 2003, renversement de régime du président Patassé par la rébellion du général Bozizé, son allié de longue date et ancien chef d’Etat major des armées.

[8] Naissance du phénomène des « libérateurs », militaires compagnons de maquis du général président, qui tuent, pillent, violent en toute impunité.

[9] Au niveau de l’Assemblée Nationale, sur 104 députés 99 sont du parti au pouvoir avec une présence remarquable de la famille Bozizé et proches parents, amis et connaissances.

[11] Au sein de cette sécurité présidentielle hyper-équipée au détriment de l’armée nationale se trouvent aussi bien des contingents de l’armée tchadienne repartis depuis peu, des mercenaires  sud-africains et français du général en retraite Perez, ancien conseiller militaire du général Bozizé à l’époque ou il était chef d’Etat major de l’armée.

[12] Depuis des années des grosses infrastructures (ponts) s’écroulent faute d’entretien. La liste est longue, y compris en plein cœur de Bangui.

[16] Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale qui outre les Etats de la CEMAC, comprend également l’Angola, le Burundi, la RD Congo, Sao-Tomé et Principe.

[19] Chiffre donné par l’hebdomadaire Jeune Afrique n° 2709