En 2012, ça commence à se voir !
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Edito du début de l’année 2012 pour le journal Planète Verte de la commission Transnationale:

Lorsque l’on dresse un bilan des évènements s’étant produits tout au long de l’année 2011 sur la scène internationale, on est d’emblée pris de vertiges par leur nombre impressionnant: les révolutions arabes, avec la chute de Ben Ali en Tunisie, suivie de celle d’Hosni Moubarak en Egypte, les bombardements occidentaux en Libye et la mort de Mouammar Kadhafi, le séisme au Japon et la catastrophe nucléaire de Fukushima, la crise financière internationale et son évolution vers une très grave crise des dettes « souveraines » en Europe, les mouvements des Indignés, qui se sont levés un peu partout dans le monde (Etats-Unis, Chili, Grèce, Espagne, etc.), la répression sanglante de Bachar Al Assad sur son propre peuple en Syrie, la mort du dictateur Kim Jong Il en Corée du Nord, etc.

Toute chose étant égale par ailleurs, 2011 semble avoir quelques similitudes avec 1989, lorsque l’effondrement de l’empire soviétique ouvrait la voie à de multiples bouleversements sur la scène internationale. Quelques-uns, comme le chercheur américain Francis Fukuyama, déclaraient alors que nous assistions à la « fin de l’histoire », à l’avènement partout sur la planète de la démocratie de marché suite à la fin de l’URSS. Puis Samuel Huntington (alors professeur à Harvard) nous persuadait qu’au contraire nous allions assister à un « choc des civilisations », principalement entre la « civilisation musulmane » et la « civilisation occidentale », la première n’étant dictée que par un Islam rigoriste tandis que la deuxième était portée par la démocratie, la liberté et son libre-échange intrinsèque. Ces civilisations ne pouvaient donc que se heurter dans leurs valeurs fondamentalement opposées, et les attentats du 11 septembre 2001 venaient valider spectaculairement cette thèse.

Or on s’aperçoit bien aujourd’hui à quel point toutes ces théories étaient fallacieuses et dangereuses :

Fallacieuses, car 2011 nous a démontré que non seulement les pays arabes avaient soif de démocratie et de liberté, mais que, à l’opposé, le libéralisme économique et le tout marché, étant censés être les vecteurs incontournables de la démocratie, pouvaient au contraire en être les fossoyeurs, lorsque par exemple des agences de notation et des investisseurs arrivent à provoquer la chute de gouvernements élus par le peuple (comme en Grèce ou en Italie, quoi que l’on puisse penser par ailleurs de tel ou tel gouvernement) .

Dangereuses, car soi disant au nom de la démocratie de marché, les Etats-Unis ont attaqué l’Irak en 2003. Alors que les troupes américaines ont commencé à se retirer en 2011 et que les bilans fleurissent, on entrevoit parfaitement le véritable désastre de l’intervention américaine en Irak. Tandis que des centaines de milliards de dollars, qui auraient pu bien mieux servir, ont été dépensés en armes et en bombardements, et que des milliers de vie humaines ont été sacrifiées (plus de 110 000 civils irakiens et près de 4500 soldats américains), soit disant au nom de la démocratie, l’immolation d’un jeune diplômé tunisien désespéré, vendeur de fruits et légumes à la sauvette dans les rues de Sidi Bouzid, dans le sud tunisien, a allumé une étincelle qui a embrasé l’ensemble des peuples arabes. On peut cyniquement en conclure que le sacrifice d’un vendeur ambulant tunisien s’est montré bien plus efficace pour la démocratie dans toute la région que la plus puissante armée du monde. L’histoire retiendra son nom, Mohamed Bouazizi.

Décidément non, la démocratie ne s’impose jamais de l’extérieur par les armes. « La fin est dans les moyens tout comme l’arbre est contenu dans la graine » nous dirait Gandhi. On risque de le voir malheureusement bientôt en Libye. Nous pourrons déjà l’observer en 2012, entre l’Irak et la Libye débarrassées de leurs dictateurs avec des bombardements massifs occidentaux, et une Tunisie qui s’est elle-même libérée de ses chaînes (la France s’étant pitoyablement illustrée au tout début de l’année 2011, pendant la débâcle de Ben Ali, en lui proposant l’aide de ses forces de l’ordre, par la voix de la ministre des Affaires étrangères de l’époque Michèle Alliot-Marie), lequel de ces pays évoluera vers plus de liberté et de démocratie.

Non vraiment, en 2012, ça commence à se voir, toutes ces vertus dont se pare un Occident encore présomptueux pour soi-disant exporter sa vision de la démocratie mais en fait principalement exploiter pour ses multinationales les richesses naturelles de ces pays (si la Libye de Kadhafi n’avait pas eu de sous-sol aussi pétrolifère, pas sûr que l’Otan serait aussi promptement intervenue, de même que la France pour faire également oublier l’épisode Kadhafi reçu en grandes pompes à Paris en 2007. Dramatique illustration en Syrie où les massacres de Homs entrainent de multiples condamnations mais aucune action efficace pour tenter un tant soit peu de stopper la folie meurtrière du régime, tant côté américain qu’européen).

La donne internationale a définitivement changé cette année, et il n’est vraiment pas dit qu’à l’avenir nos beaux discours sur la démocratie et le libre échange aient encore un impact sur la scène internationale. De leur coté, le Brésil, l’Inde, la Chine pour ne citer qu’eux, bouleversent le système économique planétaire sans s’encombrer de belles formules ou d’aventurisme interventionniste, mais en se servant pragmatiquement de « nos » armes économiques capitalistes. Ils risquent très bientôt d’imposer leurs vues (ils le font déjà dans certains secteurs, comme dans la monnaie pour la Chine) aux anciennes puissances impérialistes et considéreront alors, d’ailleurs à juste titre, que ce n’est qu’une revanche normale de l’histoire.

De même, ça commence à se voir, que le libéralisme économique débridé et le tout marché ne sont pas des vecteurs intrinsèques de la démocratie. Il n’y a qu’à voir la Chine d’un côté, jouant à fond le jeu du libre échange tout en maintenant d’une main de fer un système politique autoritaire, et la crise des dettes souveraines en Europe de l’autre, qui « impose » à des gouvernements démocratiquement élus des mesures impopulaires pour lesquelles ils n’ont pourtant aucun mandat démocratique.

Quand au bilan climatique et environnemental de notre petite planète, pour être tout à fait objectif, il est simplement alarmant, pour ne pas dire désespérant, plus encore en 2011. Alors qu’aucune décision concrète n’a été prise au sommet de Durban, le réchauffement climatique continue son petit bonhomme de chemin dans une encore bien trop grande indifférence. Pour les gouvernements actuels, il semble que le réchauffement climatique et la crise environnementale, « ça commence à bien faire », la crise économique ayant balayé toutes les bonnes intentions sur son passage. Là aussi, ça commence à se voir, que l’inquiétude de nos gouvernants pour le réchauffement climatique n’était qu’une attitude politicienne surfant sur un « phénomène » d’opinion sans avoir pris la réelle mesure des enjeux historiques auxquels nous sommes confrontés, pour l’humanité et l’ensemble de la planète. Finalement, que pèse la vie sur terre face à la crise de la dette ?

Face à ce sombre tableau, l’écologie politique a de multiples solutions à proposer, du local au global, pour plus de transparence, de démocratie, une meilleure prise en compte des citoyens, une réconciliation avec le vivant et la planète, la sortie du dogme du libre échange et de la croissance à tout prix au nom du bon sens : une croissance infinie de production de biens matériels est physiquement impossible sur une planète aux ressources finies, etc. L’écologie politique va dans le sens de l’histoire, elle doit donc se confronter à l’exercice du pouvoir pour démontrer la pertinence de ses thèses. Elle le fait déjà, localement, dans de nombreux villes et villages, en Europe, mais aussi en Amérique du Sud, en Afrique, au Japon, etc. Au parlement européen, nous avons un groupe de 58 députés Verts, dont 15 français, qui font valoir d’autres voies, notamment en matière de sortie de crise. En France, nous avons désormais un Sénat majoritairement à gauche comptant en son sein dix sénateurs écologistes (Europe Ecologie Les Verts – EELV) depuis septembre dernier qui « secouent » un peu et dépoussièrent déjà par leur travail et leurs analyses la vieille institution. Les élections présidentielle et législatives pointent à l’horizon (avril-mai et juin 2012) et nous avons une excellente candidate à l’élection présidentielle, Eva Joly, qui, par ses origines, son parcours, sa carrière, par tout ce qu’elle représente, porte haut et fort la parole de l’écologie dans une élection qui ne nous ait pourtant guère favorable. A elle et à EELV de montrer que l’écologie politique porte également une autre voix en termes de relations internationales, multilatérale, décentralisée, pacifique, dénucléarisée, désarmée, etc., au final tellement plus réaliste et plus raisonnable pour l’humanité que les diplomaties française et européenne auxquelles nous avons pu assister ces dernières années.

Europe Ecologie Les Verts a également de solides chances d’obtenir un groupe de députés nettement plus important (nous n’en avons que trois actuellement) en juin prochain, pour renouveler un peu les bancs, par trop uniformes, de l’Assemblée nationale.

Néanmoins, ces bonnes nouvelles et perspectives ne doivent pas nous pousser à « noyer le bébé avec l’eau du bain ». Pour que nous continuions à susciter l’espoir, notre maxime de « la politique autrement » ne doit pas être abandonnée. La perspective du pouvoir ne doit pas nous griser au point de renoncer au non cumul des mandats, au respect du vote des militants et des minorités, à la nécessité de continuer à multiplier les adhésions et à s’ouvrir à la société civile pour devenir un grand mouvement, à la transparence dans les prises de décision, à la convivialité, la bonne humeur et le respect des échanges dans les réunions, etc. Là encore, Gandhi avait trouvé la bonne formule avec le « sois toi-même ce que tu veux voir dans le monde ». Car si la poursuite du pouvoir se fait en oubliant au passage ce qui est sans doute l’essence même de notre engagement – vouloir changer le monde -, là aussi ça va commencer à se voir, et ce serait extrêmement dommageable, pas que pour Europe Ecologie Les Verts, mais pour l’écologie politique dans son ensemble qui en France a su commencer à ressusciter l’espoir et la croyance en une certaine forme de politique. Cela étant dit, que 2012 voit en France l’arrivée de la gauche et des écologistes au pouvoir et la fin de la clique sarkozienne constitue le grand espoir de cette année à l’échelle nationale.

La scène internationale risque en tout cas de continuer à connaître dans l’année qui vient de multiples évènements et profonds bouleversements. Il y a d’ores et déjà prévu au menu, outre l’élection présidentielle en France d’avril-mai prochain, de nombreuses élections qui vont être déterminantes en 2012 : au Sénégal en février, en Russie en mars, au Mexique en juillet et bien entendu aux Etats-Unis en novembre. Nous n’allons donc pas chômer encore cette année sur l’international.

En tous cas, le 21e siècle historique débute peut être en 2011, et non le 11 septembre 2001, comme l’ont trop hâtivement affirmé de nombreux observateurs. Que notre siècle s’ouvre sur la perspective de plus de systèmes démocratiques, notamment dans toute une aire, le « monde arabe », qui en était jusqu’à présent quasiment dépourvue, plutôt que sûr des attentats meurtriers aux Etats-Unis ayant entrainé dans leur sillage une guerre en Afghanistan, c’est tout de même nettement plus positif.

Alors qu’en 2012, les indignés d’ici et d’ailleurs, du monde arabe (Israël et Palestine notamment), de Chine, d’Iran, d’Inde, d’Amériques, auxquels les écologistes ne peuvent qu’intrinsèquement être liés, réussissent enfin à bien se faire entendre et que plutôt que de prophétiser la fin du monde pour cette année, nous assistions au commencement d’une nouvelle ère plus démocratique et plus responsable vis-à-vis des générations futures. Inch Allah !

Benjamin Joyeux

Janvier 2012