Audition de Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS
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Commission Transnationale : audition de Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques), le mardi 8 novembre 2011 :

 N.B : Cette discussion a eu lieu avant la décision de la Ligue arabe de suspendre la Syrie

Analyse de l’actualité et de la situation au sein du Maghreb et le Moyen Orient :

Personnes présentes pour la commission Transnationale: Marie Aoustin, Benjamin Joyeux, Stanislas Mendy et Robert Aarsse.

Après avoir remercié Didier Billion de sa présence, Benjamin Joyeux a proposé quelques questions qu’il aimerait voir traiter lors de la discussion:

– les élections tunisiennes

– la situation libyenne et le CNT

– la répression syrienne et la situation réelle de l’opposition intérieure vis-à-vis de l’opposition extérieure

– l‘Iran

– la Turquie (la « spécialité » de Didier Billion) et sa position géopolitique dans la région

– sans oublier la question israélo-palestinienne

Didier Billion a commencé par poser quelques points de repères (trois) dont certains semblent s’estomper ces derniers mois. Il a lancé un avertissement sur des commentaires très en vue, mais au fond peu crédibles :

1 La notion d’accélération : depuis un an à peine, des évènements d’une importance historique ont lieu dans cette région. Auparavant le « monde arabe » était considéré comme immobile et peu enclin à la démocratie. Maintenant on voit ses peuples aspirer à la démocratie. « Monde arabe » entre guillemets car ces pays ne sont pas monolithiques.

2 Nous nous trouvons dans une période de transition. Nous devons nous attendre à au moins une décennie de déstabilisation, avec des soubresauts parfois tragiques. Quant aux dits « Islamistes », ils peuvent aussi bien frapper, solitaires, que passer des accords. Cette fragilité et cette inconnue comportent une incidence au niveau tactique pour un parti politique. Les  contacts militants dans la région seront d’une importance capitale.

3 Entendre parler les experts de tout genre des printemps arabes au début, et actuellement d’automne arabe, est trop commode pour être porteur. Il manque une analyse affinée.

a) Au début de l’année 2011, on parlait de l’effet domino de la Tunisie et de l’Egypte, dont il ne reste rien. Il faut comprendre pourquoi les experts parlaient de dominos : pour eux le monde arabe est monolithique : en majorité avec une seule langue, l’arabe et une seule religion, l’islam. Au contraire c’est une zone extrêmement plurielle.

b) Ces états nations ont un passé différencié : le rôle des armées, des tribus, des religions (jusque dans l’Islam), des frontières ex-coloniales est partout différent, même si depuis quelque temps, l’opinion publique arabe tend à se rapprocher grâce à l’unification de la langue parlée du Maroc à l’Irak par la chaîne satellitaire Al Jazeera. Il reste que les fondements politiques sont extrêmement divers.

c) Début 2011, l’islam politique ne semble pas être à l’origine du processus « révolutionnaire ». Il ne serait donc pas important ? Il reste toujours important. En Égypte, l’armée garde le pouvoir politique et économique, mais les Islamistes n’ont jamais été absents de la scène politique. Un modus vivendi avec le régime Moubarak s’était instauré : « à vous le peuple, la réislamisation et la religion, et le social. À nous le reste ». Et pas d’Islamistes dans l’appareil de sécurité. Les Frères musulmans œuvraient donc dans le social en créant les réseaux sur lesquels ils s’appuient maintenant. Ils ont appris à composer et ils le feront dans le futur si nécessaire. Aujourd’hui le courant islamiste sort de la clandestinité ou de semi légalité dans la région, cf Ennahda en Tunisie. Mais n’oublions pas qu’énormément de fonds pendant les élections tunisiennes venaient du Golfe.

Il ne faut pas s’attendre à ce que la démocratisation dans le monde arabe se concrétise dans une semaine.

– La Tunisie après les élections : il est vrai qu’Ennahda a remporté 40%, cela laisse 60% aux autres partis. Les partis de gauche, républicains n’ont pas été capables de s’entendre, des querelles de personnes ont pris le pas sur les questions politiques. Beaucoup ont pris Ennahda comme cible. Les Islamistes ne sont pas l’ennemi par définition, la charia est un concept à décliner. Ne pratiquons pas l’amalgame et ne mélangeons pas tout.

– Les « printemps arabes » : le processus de renversement des régimes était sans chef, basé sur une spontanéité des masses, sur des jeunes accélérant le mouvement, mais ils ne voulaient pas prendre le pouvoir, alors d’autres le prennent.

Concernant la Lybie, il y a une agitation au sujet de la charia, mais le vrai risque est un chaos réel. Après 40 ans de dictature, différents courants (et tribus) se disputent le centre du pouvoir. Il y règne le chaos par la structure même de la société, par 40 ans d’expression interdite, par des groupes armés sans contrôle (mercenaires ?), et des armes littéralement dans le désert. Il s’agit de réorganiser l’avenir de la société libyenne.

Didier Billion n’est pas optimiste sur la Syrie. Il craint que le régime de Bachar al-Assad reste en place à court et moyen terme. L’appel à lutte armée par l’ancien n° 2 du régime est problématique. Jusqu’à présent, les oppositions extérieure et intérieure se sont prononcées contre une intervention militaire extérieure et contre une guerre civile. N’oublions pas que la Syrie est soutenue par l’Iran, la Chine, la Russie, le clan Harari et (très) discrètement par Israël. Tous craignent une instabilité régionale avec le départ de Bachar, départ qui ne servirait pas leurs intérêts respectifs.

– En Iran, on assiste à un blocage politique : Ahmadinejad tente de desserrer l’étau du Guide Suprême, très réactionnaires. Les querelles de clan semblent ouvertes actuellement. Le mouvement de contestation a l’air d’avoir perdu son dynamisme mais n’est pas mort. Il faudra compter sur lui en 2013.

– Dans le court terme, Israël n’enverra pas de missiles sur les installations nucléaires iraniennes. Il s’agit plutôt de réagir sur le rapport de l’AIEA tout en tentant de faire oublier les colonisations rapides en territoire palestinien.

– Depuis à peu près quatre ans, la Turquie poursuit une politique de plus en plus autonome vis-à-vis de l’Occident et particulièrement des Etats-Unis, tout en étant un membre de l’OTAN. Rappelez-vous le refus à la demande d’utiliser les bases en Turquie pour la guerre en Irak le 1 mars 2003. Après une hésitation initiale, la Turquie a participé à l’intervention militaire en Libye. La Turquie a pris la route de la démocratisation dans les années 50 malgré des coups d’état (militaires) intermittents.

Avec le KP, le parti des Islamistes turcs, au pouvoir, l’armée a pris le chemin des casernes, démocratiquement. Depuis 1996, la Turquie a conclu un accord militaire avec Israël à la suite des accords d’Oslo et à la demande des Etats-Unis. Ces accords prévoyaient aussi un état palestinien. La Turquie a toujours soutenu les Palestiniens en politique intérieure et en politique extérieure.

– L’Arabie saoudite quant à elle combat toute tentative de protestation  et peu lui importe quelle en est l’origine, sunnite ou chi’ite.

– L’Irak après le départ des Américains sera un état « volatile », car se battent pour le pouvoir local et central des tendances diverses et opposées des tribus, des religions, de classes sociales qui toutes ont d’une certaine façon peur du vide. Mais il n’est pas sûr que tous les militaires américains partent. La question kurde est prégnante car selon certains courants irakiens, les Kurdes sont des traîtres qui ont profité des bonnes grâces américaines. Une chose est sûre, il faut remettre en marche la production de pétrole. Qui en profitera le plus ? C’est la vraie question !

Il est très difficile de répondre à la question du « pourquoi cette étincelle des révolutions maintenant ». Bien sûr, il y avait une dégradation économique pour la population, notamment à cause des mesures draconiennes imposées par le FMI. Les élites héritées d’un nationalisme populiste se sont en général transformées en oligarchies pillant l’économie. Une bonne partie de la bourgeoisie avait accepté cette situation tant qu’elle y trouvait son intérêt. Elle se heurtait depuis peu à un refus d’accès aux sources économiques, voire culturelles, notamment pour les jeunes diplômés.

Perspective & prospective

 

Selon Didier Billion, il ne faut plus se référer à l’UPM (Union pour la Méditerranée) Nous sommes au delà. Il faut relancer une reconnexion entre les rives nord et sud de la Méditerranée. Il faut revoir notre rapport au développement par une conditionnalité des fonds envoyés certes, mais aussi par une coopération plus décentralisée. À moyen terme un partenariat d’égaux de 5 + 5 à travers des coopérations entre villes & régions (comme le font certains de nos élus EELV). Les questions épineuses comme la Palestine – Israël, la poussée migratoire sub-saharienne que subissent le Maroc et la Libye, etc. ne pourront pas être évitées durant les discussion méditerranéennes.

 

La première impulsion si EELV arrive au pouvoir ? Une conférence internationale pour rencontrer les nouveaux gouvernements arabes pour parler des problèmes cités ci-dessus, des questions de visas et des projets écologistes. Affermir nos liens avec des partis Verts de la région et les soutenir.