Afrique subsaharienne : une coopération écologique pour mettre en valeur sur place les ressources du continent
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Contribution du groupe de travail Afrique / commission Transnationale au projet EELV 2012

Octobre 2011

 

« Je pars de l’idée que, de manière fondamentale, la planète est mal gérée »

Sony Labou Tansi

 

Les ressources naturelles africaines, enjeu géopolitique majeur

Situé au centre des deux très grands pôles industriels de la planète – l’Occident et l’Asie -, le continent africain est devenu, au cours des années 2000, le théâtre d’une compétition entre ces deux pôles pour les ressources naturelles, aussi bien renouvelables (forêts, textiles, denrées alimentaires…) que non-renouvelables (minéraux, métaux, matières énergétiques dont notamment le pétrole, le gaz naturel et l’uranium). L’importance économique de ces ressources naturelles est étrangement faible : leur commerce représente à peine 5 % du chiffre d’affaires mondial, une valeur si réduite, vu les énormes quantités échangées, qu’il fait suspecter que ces ressources sont largement sous-évaluées. Le PIB de l’Afrique, dont la production se structure autour de l’exploitation et de la vente de ces ressources naturelles le plus souvent brutes, ne dépasse pas lui-même 2 % du total mondial. Riche de ses foisonnantes ressources, l’Afrique n’en tire paradoxalement qu’une valeur réduite pour ses habitant/es.

Pourtant, sur le plan stratégique, ces ressources naturelles sont cruciales pour les économies industrialisées. A titre d’exemple, l’Afrique représente à elle seule plus de 80 % des réserves mondiales de colombo-tantalite

1, minerai clé dans la fabrication des téléphones portables ; 57 % de la production mondiale de cobalt, métal particulièrement utilisé dans l’industrie informatique et aéronautique ; 53 % de la production mondiale de diamant, dont l’usage industriel est indispensable dans le forage du pétrole ; 39 % de la production mondiale de manganèse, nécessaire dans la constitution de la plupart des aciers ; 21 % de la production mondiale d’or, valeur en hausse par temps de tempête financière ; 15,9 % de la production mondiale d’uranium, dont la quasi-totalité est exportée vers la France ; 12,5 % de la production mondiale de pétrole, dont une bonne part est expédiée vers les Etats-Unis (30% des importations de ce pays)2 ; 5 % de la production mondiale de bois, dont la moitié est exportée vers l’Asie3. Enfin, depuis le début de la décennie 2000, la plupart des pays africains ont fait l’objet d’offres d’achats géantes de terres agricoles émanant de gouvernements ou d’entreprises asiatiques, et portant au total sur plusieurs centaines de milliers de kilomètres carrés4.

Penser le fait militaire, penser le fait colonial

A vrai dire, cette situation n’est pas nouvelle. Depuis cinq siècles (la première carte européenne complète des contours de l’Afrique date de 1492), et plus encore depuis la colonisation de l’intérieur du continent à la fin du XIXe siècle, l’appropriation des ressources naturelles a été le facteur déterminant des relations entre les grandes puissances et l’Afrique. La colonisation peut se lire essentiellement comme une course entre les nations européennes, jadis dominantes, pour s’approprier les ressources naturelles du continent africain en vue d’alimenter leurs industries alors en plein essor. Cette course a d’emblée été ultra-violente, extrêmement militarisée. Elle a donné lieu aux premiers génocides (conquête française de l’Algérie entre 1830 et 1848, massacre des Herreros de Namibie par l’Allemagne en 1904), aux premiers travaux forcés générant des millions de morts (exploitation forcenée de l’Etat indépendant du Congo par le roi des Belges entre 1885 et 1908), aux premiers camps de concentration (invention britannique lors de la guerre des Boers en Afrique du Sud au tournant des XIXe et XXe siècles).

Ces pratiques, qui sont la honte de l’Europe, n’ont pas encore été suffisamment dites ni pensées – à ce titre, elles doivent urgemment trouver toute la place qui leur revient dans les manuels scolaires. C’est une des raisons pour lesquelles elles se sont reproduites au milieu du XXe siècle – l’uranium qui a servi à produire la bombe d’Hiroshima a été extrait au sud-est du Congo belge – et bien après la décolonisation. Les réseaux « françafricains », définis en 1998 par François-Xavier Verschave

5 comme un ensemble d’acteurs mafieux français et africains visant à confisquer les rentes liées à l’exploitation des ressources naturelles et à l’aide au développement, ont incarné le paroxysme de cette reproduction. Jusque dans les années 1990 au moins, et le plus souvent sur fond d’appropriation des ressources pétrolières contre un endettement farfelu, ils ont très largement encouragé les conflits les plus meurtriers survenus sur le continent africain : guerre du Biafra, relance de la guerre civile angolaise, répression par le pouvoir de Khartoum de la sécession sud-soudanaise, génocide des Tutsis au Rwanda et ses conséquences sur le conflit civil en RD Congo (1996-2003)… autant d’épisodes ruineux où les victimes civiles se comptent chaque fois, au moins, par centaines de milliers. Il est nécessaire de revenir sur ces pages hideuses de l’histoire liant la France voire l’Europe au continent africain, ainsi qu’EELV le demande depuis avril 2011 concernant l’implication de la France au Rwanda entre 1990 et 1994 (voir notre communiqué). Il est surtout urgent d’agir pour qu’elles ne se répètent pas.

Transition énergétique en Europe, relations démilitarisées avec l’Afrique

Cela suppose une forte action en interne. La transition énergétique de la France et de l’Europe doit être engagée résolument, le plus vite possible, afin que la France – enfin sobre énergétiquement et convertie aux énergies renouvelables – ne soit plus tentée d’installer ou de prolonger militairement des régimes africains qui favorisent ses intérêts énergétiques cruciaux, ni même de « sécuriser » militairement les installations et le transport du pétrole produit par Total dans le Golfe de Guinée ou l’uranium extrait par Areva au Niger. Ces deux très grandes entreprises industrielles, largement détenues par des acteurs institutionnels publics français, devront être pilotées vers une reconversion dans la production d’énergies renouvelables et dans le démantèlement des centrales nucléaires. Parallèlement, il est nécessaire de réformer les institutions afin que l’Elysée ne puisse plus ordonner sans responsabilité les politiques militarisées qu’elle impulse notamment en Afrique. Mais cela suppose aussi une action externe, volontariste, sur le plan militaire : rendre enfin publics les accords secrets de défense passés et actuels liant la France et ses anciennes colonies depuis 1960, démanteler les trois bases françaises permanentes (Djibouti, Sénégal, Gabon) et deux dispositifs provisoires de très longue date (Tchad, Côte d’Ivoire), leur substituer éventuellement à court terme des dispositifs militaires européens – à la demande et en accord avec les gouvernements africains concernés – en vue de protéger des ressortissants européens et africains et non des installations économiques.

En matière militaire plus qu’en d’autres, la transparence doit être de mise. Toute exportation d’armes de la France vers un pays africain, quel que soit sont calibre et son type, fera donc l’objet d’une publication. Le gouvernement français travaillera en étroite collaboration avec Amnesty International ou toute autre organisation impliquée dans la limitation des armes dans les pays du Sud. Pour éviter le mélange des genres, la France et ses différentes institutions de coopération (ministères, AFD, etc.), y compris les ONG françaises, devront rendre publics annuellement les objectifs de leur aide et les montants financiers accordés. Ces chiffres seront communiqués, dans chacun des pays concernés, aux médias et en particulier aux médias en langues nationales. Enfin, l’effacement de larges pans de la dette des pays africains – notamment celles qui ont été contractées auprès de prêteurs européens ou occidentaux pour financer des armes, ou au mieux l’acheminement via de grandes infrastructures des matières premières africaines vers l’industrie de transformation européenne – devra également être programmé.

Coopération apaisée, coopération participative

Une fois cette démilitarisation des relations franco et euro-africaines opérée, en quoi les transformer ? D’abord en une forme de coopération apaisée, qui viserait en Europe comme en Afrique la satisfaction simple des besoins vitaux (notamment souveraineté alimentaire et autonomie énergétique), une coopération dont les buts et les modalités seraient participatifs, définis par les Africains eux-mêmes : non pas les Etats africains, mais plutôt leurs habitant/es. La France et l’Europe ont en effet la chance d’accueillir sur leur territoire une diaspora africaine qui se compte en millions de résidents. Le montant des transferts de fonds de cette diaspora vers l’Afrique dépasse largement l’Aide publique au développement fournie par la plupart des pays européens. Une partie des taxes souvent exorbitantes prélevées sur ces transferts sera utilisée pour financer des projets ou des microprojets de développement, au lieu de financer comme aujourd’hui certains aspects de la politique de l’immigration des gouvernements européens. Ces migrants, souvent regroupés en associations, seront le relais privilégié d’une coopération non pas inter-étatique favorisant la concentration des flux financiers entre les mains de réseaux industriels oligarchiques, mais au contraire d’une coopération décentralisée, multiple et artisanale, au plus proche des villages où les besoins vitaux (en eau potable, en agriculture familiale biologique, en électricité ou en chaleur solaire, en recyclage et gestion des déchets, en exploitation durable des ressources forestières, etc.) seront exprimés par les habitants – et notamment par les habitantes, tant les femmes africaines sont précisément au fait de ce que peuvent être les besoins d’une communauté. Pour que l’aide internationale puisse aller au plus près des populations concernées, la France s’engagera à appuyer de manière méthodique, systématique et forte les processus de décentralisation et de déconcentration dans tous les pays avec lesquels elle coopérera.

Cette politique ne pourra être efficace que si les montants engagés sont conséquents : le fameux chiffre de 0,7 % du PIB pourrait enfin être atteint en affectant les ressources dégagées par une taxe sur les transactions financières à l’aide publique au développement. Elle suppose, en France et en Europe, le développement d’une filière de petits acteurs industriels dans des domaines d’excellence écologique et de lutte contre le changement climatique (entre autres les énergies renouvelables) : la politique fédérale allemande d’aide au développement des PME à l’international pourrait en être le modèle.

Pour les projets plus importants concernant les infrastructures (parcs d’éoliennes, centrales solaires, hôpitaux, ponts, voies ferrées, routes…), les grandes entreprises françaises et européennes impliquées auront obligation de mettre en place des industries locales de transformation des matières premières nécessaires au projet, en prenant en charge la formation des cadres africains. Cette mesure, qui favoriserait à chaque occurrence le développement d’une économie africaine locale, serait aussi une réponse européenne non-militarisée à la très attractive coopération chinoise actuelle qui livre volontiers des infrastructures clés en main en échange d’un contrat d’exploitation exclusive de certaines ressources naturelles. Pour les entreprises européennes impliquées dans l’extraction minière en Afrique, un renforcement contractuel de la Responsabilité sociale et environnementale est le minimum qui peut être demandé par des Etats européens ; ceux-ci s’engageront à accompagner la réforme des codes miniers des Etats africains afin qu’ils soient justes sur les plans économique, social et environnemental. L’enjeu, dans tous les cas, est de faire bénéficier aux populations locales des richesses qui sont durablement tirées de ou créées sur leur sol.

La coopération apaisée passe bien évidemment par un volet culturel accru : les centres culturels français, notamment, doivent se développer pour multiplier chez les jeunes Africain/es les expériences culturelles rares et les points d’accès à la langue française. Celle-ci est en effet la meilleure garantie que les échanges entre la France et l’Afrique se pérennisent et que les jeunes Africains conservent le désir d’aller étudier en France. Aujourd’hui l’Afrique est le continent qui compte le plus de locuteurs francophones : cette communauté culturelle doit être entretenue car elle contribue à enrichir les langues et les êtres de part et d’autre de la Méditerranée. Dans cette optique, il pourrait également être utile de favoriser l’accès des Français et Européens d’origine africaine aux fonctions de diplomates français et européens.

ONG, organisations sous-régionales, médias, mouvements écologistes africains : pas de politique efficace sans relais

Enfin, la France et l’Union européenne pourront prendre une série d’initiatives de coopération visant à protéger les peuples là où l’exploitation violente des ressources naturelles – mais aussi le dépôt des déchets industriels français – les met en danger. Là, le travail des gouvernements européens devra opérer en lien avec quelques grandes ONG européennes spécialisées : Survival (Royaume-Uni), qui milite pour la criminalisation de l’exploitation effrénée des ressources naturelles dès lors qu’elle en vient à mettre en danger les conditions de vie d’un peuple (Bushmen du Botswana, Hadzabe de Tanzanie…) – à ce titre, un travail sur la redéfinition du crime de génocide pourra être envisagé avec la Cour pénale internationale (CPI) ; Global Witness (Royaume-Uni), qui prône des mécanismes de certification d’origine des ressources naturelles pour interdire le commerce de matières premières issues de conflits (Processus de Kimberley et commerce du diamant brut, colombo-tantalite des Kivus en RD Congo, etc.) ; CCFD-Terre solidaire (France), qui lutte contre la corruption prédatrice des élites africaines au sein de la plateforme « Publiez ce que vous payez » ; réseau Fatal Transactions (Pays-Bas), qui ambitionne de transformer le commerce meurtrier des ressources naturelles en un commerce équitable « contribuant vraiment à la paix durable et à la reconstruction en Afrique » ; etc. La France et l’Union européenne, en relation avec l’Union africaine, les Nations unies et des ONG africaines, favoriseront aussi l’implantation d’espaces de dialogue ou de centres régionaux pour la prévention et la gestion des conflits. Ces lieux serviront à développer et à véhiculer une culture de la paix, de la démocratie et du respect des Droits humains.

Ces initiatives seront d’autant plus efficaces qu’elles auront obtenu l’aval d’organisations sous-régionales (Cedeao, Communauté d’Etats d’Afrique centrale, South African Customs Union…) dont le renforcement ne peut que contribuer à intégrer l’Afrique dans les relations internationales et notamment dans les relations Sud-Sud. D’une façon générale, la réussite de ces politiques passe par l’identification de partenaires africains avec qui il sera possible de définir des politiques écologiques de co-développement. Ces partenaires peuvent être des ONG environnementales africaines comme Brainforest qui, au Gabon, lutte contre la pollution générée par l’extraction du manganèse par le groupe français Eramet à Moanda ou pour la réparation de la catastrophe sanitaire causée par l’extraction de l’uranium jusqu’en 1999 par la Cogema à Mounana. Ces partenaires peuvent également être des relais médiatiques sensibles au thème de l’écologie : par exemple le Réseau des journalistes africains pour l’environnement (ANEJ), avec lequel il est indispensable d’échanger informations et communiqués.

Mais ce sont surtout des relais politiques qu’il est nécessaire d’identifier dans tous les pays africains à un moment où les idées écologistes gagnent mondialement du terrain : partis verts africains qui se battent au Sénégal contre les pêches exorbitantes des navires européens ou au Burkina Faso contre l’implantation de coton OGM, mais aussi mouvements écologistes, mouvements démocratiques, mouvements sociaux…. En effet, les grandes personnalités africaines du XXe siècle sont celles qui ont lutté pour obtenir l’indépendance de leur pays. Les grandes personnalités africaines du XXIe siècle seront celles qui arriveront à mettre un terme à la fuite des ressources naturelles et humaines et à mettre en valeur sur place le potentiel du continent. Ce sont ces personnalités qu’un mouvement écologiste français et européen ambitieux doit d’ores et déjà détecter. C’est avec elles qu’il construira le co-développement de demain.

1 Source : Jeroen Cuvelier and Tim Raeymaekers, « European Companies and the Coltan Trade: An Update » (Institute for Peace and International Studies – IPIS, Anvers, septembre 2002)

2 Source des précédents chiffres : Raf Custers & Ken Matthysen, « Africa’s natural ressources in a global context » (IPIS, août 2009)

3 Source : Observatoire des forêts d’Afrique centrale

4 A titre de comparaison, la superficie de la Belgique est de 30 000 km2.

5 François-Xavier Verschave, La Françafrique – le plus long scandale de la République (Stock, 1998)