Quel paradoxe ! Alors qu’aucune voix européenne ne manque pour réaffirmer le soutien aux révolutions arabes, aucune initiative financière et politique n’est proposée pour répondre avec un plan d’urgence conséquent aux importantes vagues migratoires provenant du Maghreb.
Plus que jamais, le double discours et la double politique des pays de l’UE et de la France sont de mise. D’un côté, ils se rangent du côté des insurgés, sont va t-en guerre pour les soutenir, et de l’autre, les Etats membres abandonnent les migrants à leur propre sort ou aident du bout des lèvres ou avec des budgets dérisoires cette crise humanitaire de première importance.
Il faut rappeler que les aniciens régimes alliés aujourd’hui déchus et jugés (Moubarak et Ben Ali) mais aussi Kadhafi, ont été moyennant finances, les gardiens des frontières « externes » européennes avec des  murs, barbelés, camps de rétention et des personnels policiers formés au refoulement des migrants. La chute des dictateurs sous-traitants n’a pas conduit, comme on pouvait l’espérer, à une révision de cette politique du rejet et de criminalisation systématique des migrants au sein de l’Europe forteresse.
Que ce soit en Tunisie, en Egypte ou en Libye, il y a une augmentation des candidats au départ depuis le début des révoltes. En Libye, des milliers des travailleurs provenant de divers pays d’Afrique sub-saharienne ont perdu leur travail et subit des exactions, brimades et attaques racistes de toutes parts, les obligeant à tenter de quitter le territoire dans des conditions déplorables. Ces populations extrêmement démunies ne peuvent même pas invoquer le droit s’asile car leur pays d’origine ne sont pas en conflit. Les exactions qu’ils ont subit ont ravivé un racisme pas toujours facile à contenir. Alertée par tous les observateurs internationaux, et Amnistie internationale, la CNT elle-même est aujourd’hui en train de réviser sa position accusatrice des Africains, mercenaires du régime.
Selon les chiffres de HCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés) plus d’un million de personnes a fui la Libye depuis le début de l’année. Sans oublier tous les déplacés, qu’ils soient sympathisants des insurgés ou pas, obligés de fuir les zones de combats et la crise d’approvisionnement alimentaire pour s’entasser dans les frontières avec la Tunisie, certains dans des campements du HCR, d’autres comme à  Dehiba, dans des lieux de fortune.
Combien de temps durera cette vie provisoire des milliers des familles ? Que fait l’Union Européenne pour venir en aide à ces populations civiles en danger de mort?
Migrants dans le port de l’île de Lampedusa au sud de l’Italie (29 mars 2010) AFP/ALBERTO PIZZOLI
Les principaux pays d’accueil contrairement à ce que nos gouvernements nous font croire, ne sont pas les pays européens, ce sont les pays voisins : 530 000 migrants libyens sont arrivés en Tunisie et 340.000 en Egypte, pour à peine 18 500 dans divers pays européens.
Les organisations humanitaires essaient sans succès d’alerter sur la gravité de ce drame humanitaire qui demanderait de la part de l’UE et de notre gouvernement un engagement financier exceptionnel et surtout une politique d’accueil en France, une solidarité intra-européenne et aussi envers la Tunisie dont l’activité économique tarde à récupérer et doit supporter cet afflux massif de populations.
Les pays européens se refusent entre eux-mêmes la mutualisation des coûts d’accueil demandés par exemple par l’Italie, envoyant chaque pays à sa responsabilité en tant que premier lieu de transit. L’Agence Frontex, bras armée de l’Union pour le contrôle migratoire, a vu en 2011 son budget augmenter et son équipement s’accroitre (25 hélicoptères, 21 avions, 113 bateaux et des centaines d’équipements de détection très perfectionnés), pour continuer une politique de refoulement, en violation des nombreuses conventions du droit d’asile, du respect des droits des migrants et du droit de la liberté de navigation en haute mer.
Depuis le début de l’intervention de l’OTAN, à deux reprises, des chalutiers provenant de Libye ont coulé en mer. 800 personnes – notamment des Nigériens, des Sénégalais et des Togolais – ont péri en mer le 8 juin, dans la deuxième embarcation, on parle de 500 victimes. Se trouvant en zone méditerranéenne où se concentrent à l’heure actuelle de nombreux navires militaires, aucun secours ne leur a été porté, alors que la Convention de la mer l’oblige. Ces évènements n’ont encore fait l’objet d’aucune recherche sérieuse des responsabilités. Le porte-avions français Charles de Gaulle a été mis en cause par non assistance en bateau en péril par le journal britannique The Guardian dans un des cas. Le 4 août dernier, une embarcation avec des centaines de migrants a finalement pu parvenir à Lampedusa après avoir connu six jours de voyage sans eau ni alimentation. Selon les passagers encore en vie, une centaine d’entre eux auraient péri en mer. L’Italie accuse les navires de l’OTAN de ne pas avoir porté secours au bateau en détresse.
Quelques jours avant, étaient retrouvés au large de Lampedusa 25 cadavres, morts d’asphyxie par le gaz d’échappement du moteur de leur bateau. Il est presque impossible d’imaginer que cet accident soit passé inaperçu de tous les navires de guerre présents dans la zone.
Il est vrai que porter secours n’est pas toujours aisé : un navire militaire espagnol qui a secouru une centaine d’immigrés en provenance de Libye, ne trouve pas un pays d’accueil pour les débarquer.
Ce type d’accident n’est pas rare en Méditerranée. Depuis des années, de nombreux migrants périssent en mer, mais aujourd’hui les medias rendent compte de ces tragédies. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) estime qu’environ 1 500 personnes ont péri en mer depuis le 25 mars de cette année.
Les Tunisiens qui ont pu parvenir en France sont aussi confrontés au risque du refoulement et de la reconduite à la frontière chère à Nicolas Sarkozy. La faiblesse des chiffres sur ces immigrés tunisiens (environ 500 à Paris et un millier dans d’autres régions), rend davantage cette politique inacceptable. Ils ne trouvent en France que des squares et des ponts pour s’installer en attendant d’être chassés manu militari. Comment la France, « le pays des droits de l’homme » si souvent déclaré, ne peut-elle pas accueillir sur son sol ces milliers de tunisiens qui de plus possèdent de nombreux atouts (éducation, langue, capacité d’adaptation) pour être régularisés et rentrer dans le monde du travail ? Nombre d’entre eux ont été renvoyés vers l’Italie à défaut de la reconnaissance par la France du titre de séjour de six mois délivré par l’Italie et prévu dans les accords de Schengen. La France à nouveau ne respecte par les accords européens eux mêmes.
Le Collectif de soutien des nombreuses organisations politiques, syndicales et associatives en faveur de l’accueil des migrants tunisiens en France demande la fin de la campagne de répression, de harcèlement et de stigmatisation dont ils font l’objet suite à la circulaire Guéant du 6 avril 2011 dont le retrait est demandé.
Lors du débat à l’Assemblée à propos de la préparation du Conseil européen de juin, le Ministre des affaires étrangères était interrogé sur cette politique vis-à -vis des migrants et des réfugiés provenant du Maghreb. Dans sa réponse aux questions des parlementaires, et notamment d’Anny Poursinoff qui demandait un devoir de « solidarité » de la France envers ces populations, Alain Juppé s’est contenté d’annoncer l’étude « … de la faisabilité d’un système européen de garde-frontières. Dans notre esprit, il pourrait s’agir, dans un premier temps, d’un corps d’inspecteurs qui favoriserait le partage des pratiques, des savoir-faire et des procédures ».
A nouveau la France va-t-elle s’ériger en championne du savoir faire en matière de refoulement des étrangers comme elle est déjà « exportatrice » de son savoir policier pour le contrôle des foules et des manifestants?
Il est urgent que l’UE, avec les changements qui s’opèrent dans tous les pays méditerranéens, mette à plat sa politique migratoire alors que les dictatures alliées de l’autre côté de la méditerranée ont disparu ou sont en train de l’être. Il faut que cesse la politique de l’externalisation des frontières de l’Europe et du tout sécuritaire. Il ne faut pas qu’elle continue à monnayer, voire conditionner son aide économique et militaire avec les futurs gouvernements démocratiques à la sous-traitance de la politique de contention des migrants sur le territoire africain. Cette collaboration est indigne et de plus, inefficace.
Pour l’heure, le gouvernement français, comme le demandent toutes les ONG spécialisées, doit mettre en place un plan d’urgence pour l’accueil des migrants venus de Tunisie, Egypte ou Lybie sans conditionnalité de nationalité et instaurer un moratoire des expulsions. Nous ne souhaitons pas qu’au nom de la France, la défense de la démocratie soit déclamatoire ou guerrière et ne soit pas suivi d’effet sur la question migratoire.
L’Europe ne peut pas être un territoire enfermé, elle doit cesser de construire des murs et des barbelés hors de ses frontières, mais elle ne doit pas n’ont plus le faire sur son territoire. Tous ces moyens ne peuvent pas freiner réellement l’immigration, seules pourront la faire diminuer des politiques économiques à moyen et long terme qui permettront aux populations de vivre au pays.
La Grèce vient de rendre public son projet de construction dans sa frontière avec la Turquie d’une barrière des barbelés de plus de 10 km de long et de 3 mètres de hauteur, projet financé en partie par l’Union à travers le fond européen de protection des frontières, qui s’accompagne d’une tranché soi disant « dissuasive » pour l’immigration de 150 km de long. Mais jusqu’où ira donc l’Europe dans son délire sécuritaire ?
Cecilia JOXE