Plus de six mois après que la contestation démocratique ait touché la plupart des pays arabes, la situation politique y est incertaine, voire comme en Libye ou en Syrie, tragique.
« Cette gigantesque vague démocratique ne doit rien au démocratie occidentales, qui au contraire soutenaient le despotisme qu’elles tenaient à pérenniser » constatait Edgar Morin dans le Monde du 26 avril. On peut ajouter, au vu du silence face à la violente répression par les pétromonarques du mouvement de Bahreïn, que le soutien aux potentats de la péninsule arabique est toujours d’actualité. Le Parlement français vient d’ailleurs de ratifier l’accord de défense avec les Emirats Arabes Unis.
Partout, suivant l’exemple des Tunisiens, des hommes et des femmes, en grande majorité des jeunes, se sont mis en mouvement et ont repris le slogan « Es Chaab yourid isqat al nizam » ! (« Le peuple veut faire tomber le régime ») sur le rythme du fameux « El pueblo unido, jamás será vencido »de l’Unité populaire chilienne. Partout ils se sont levés pour affirmer leur dignité (karama), et, à l’image du Mouvement des jeunes du 6 avril crée en Egypte dès 2008, ils ont formé des réseaux : Jeunes pour la révolution au Yémen, Mouvement du 14 février à Bahreïn, Mouvement du 20 février au Maroc, laCoalition du 15 mars en Palestine, le Mouvement du 24 mars en Jordanie, Comité de coordination des comité locaux en Syrie … entrainant jeunes défavorisé et couches moyennes, salariés et chômeurs, militants de gauche, libéraux ou islamistes. Tous, en dehors du cas particulier libyen, se réclamant de la sulamya, de la non-violence, même face à la barbarie de Bachar al-Assad.
De l’Atlantique au Golfe, le succès à court terme des mouvements démocratiques n’a rien d’évident. Il y a et il y aura des étouffements, des régressions. En Tunisie et en Egypte, la situation économique catastrophique peut favoriser l’arrivée au pouvoir de partisans d’un ordre plus ou moins conservateur, après les premières élections libres de l’automne. Au Maroc, en Jordanie, les reformes annoncées permettront peut-être une plus grande liberté d’expression et d’organisation des mouvements sociaux. De longues marches vers plus de démocratie et de liberté sont en cours en Algérie, au Yémen… Nul ne connaît encore l’issue de la guerre civile qui se déroule en Libye, ni combien de temps le pouvoir Syrien pourra combattre son peuple.
Des forces puissantes s’opposent aux aspirations du Printemps arabe, réactions locales à commencer par celles des Saoudiens, forts des appareils financiers et idéologiques qu’ils contrôlent et celles des Israéliens, qui voient dans l’émancipation des peuples arabes une menace, alors que les Palestiniens réclament leur reconnaissance. Réactions de forces considérables en Occident, puissances économiques et politiques qui s’inquiètent des revendications sociales et démocratiques. Et des idéologues néoconservateurs et islamophobes ne cessent de sonner l’alarme, notamment en France, contre l’inévitable régression des révolutions en cours, tandis que la solidarité des démocrates européens vis-à-vis de leurs voisins du Sud de la Méditerranée demeure extrêmement timide.
Rien en tout cas à la hauteur de l’enjeu historique d’un mouvement qui, par son contenu et son ampleur, peut être comparé à celui qui a soulevé l’Europe en 1848. Rappelons-nous qu’à l’époque, six mois après le déclenchement de ce printemps des peuples, la contre-révolution semblait triompher de Budapest à Paris. Et pourtant l’appel aux libertés de ce printemps là allait marquer l’histoire de l’Europe et entrainer les conquêtes démocratiques et sociales pendant des décennies. Le message du printemps arabe est du même ordre nous dit Edgar Morin, il est déjà « une force génératrice et régénératrice de l’histoire ».
Bernard Dreano, membre d’EELV (Paris-20), président du Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale (CEDETIM). Ouvrage à paraitre en octobre 2011 : La perle et le colonel, réflexions sur le printemps arabe, éditions Non-lieu.