De mars à mai 2011, Ruchir Joshi a suivi la campagne électorale au Bengale pour le Telegraph de Calcutta. Au pouvoir sans interruption depuis trente quatre ans, les communistes ont perdu contre Mamata Banerjee, une femme à la tête d’un parti de coalition, le Trinamul Congress Party.La défaite des communistes étaient-elle une défaite annoncée ?
J’ai sillonné le Bengale pour suivre le processus électoral. C’est un grand Etat, les élections se déroulaient en plusieurs phases, du Nord vers le Sud, de manière à déplacer les paramilitaires au fur et à mesure du vote afin d’assurer la sécurité des urnes, avec des forces supplémentaires dans les zones d’insurrection maoïste. Pour la deuxième fois, les personnes votaient par vote électronique, ce qui semble-t-il a limité les fraudes. L’impression que j’ai retiré des entretiens avec les gens que je rencontrais était qu’effectivement la gauche allait perdre.
Comment expliquer leur échec ?
La question avant que les communistes arrivent au pouvoir, c’était : « où est-ce qu’on trouvera le riz ? » Maintenant la question est : « qu’est-ce qu’on mangera avec le riz ? ». En 2006 les communistes ont réalisé qu’il fallait faire revenir les industries au Bengale, et ils ont essayé de le faire en sacrifiant les paysans pauvres qui les avaient toujours soutenus. A Nandigram, une région très fertile et majoritairement musulmane, ils ont essayé d’acheter des terres pour les vendre aux industriels. En novembre 2007, les paysans ont résisté, la répression a été extrêmement violente, ce qui a soulevé une immense indignation, y compris chez les intellectuels qui soutenaient les communistes. Lorsque Tata a voulu implanter une usine de voitures à Singur, le CPIM1 a répété les mêmes erreurs. Mamata Banerjee s’est opposée au projet aux côtés des paysans et le projet a finalement été transféré dans un autre état. Les communistes se sont coupés de leur base électorale.
Qui est Mamata Banerjee ?
C’est une oratrice très efficace, qui parle le language de la rue. Elle a su jouer sur la sentimentalité patriotique comme le montre son slogan, Ma, Mahti, Maanush (Mère, Terre, Peuple). Elle se déplace toujours en tongues, en sari de coton blanc, elle a une voiture bon marché, dans laquelle elle s’assied à côté du chauffeur. Mais elle est bien équipée : un smartphone et un ordinateur portable. Elle n’est pas mariée, elle vit avec sa mère dans un quartier populaire, dans une maison très simple.
Son autre slogan, Poriborton, signifie : changement, soit mettre fin à la corruption et au népotisme, verdir le Bengale, renouer avec la tradition intellectuelle et artistique…
Elle doit faire face à trois grands défis : convaincre les paysans d’abandonner des terres fertiles pour l’industrie et les industriels de revenir au Bengale; désarmorcer la culture de la violence, notamment les « boys clubs » – des organisations très « musclées » dans les villages hier contrôlés par les communistes et maintenant par le Trinamul, le parti de Mamata Banerjee; trouver une sortie à l’insurrection maoïste.
Est-ce qu’elle prend en compte les enjeux du changement climatique ?
Contre les instructions de l’Etat central, les taxis et les bus à Calcutta ne sont toujours pas passés au CNG (gaz). Mamata Banerjee n’a fait aucune promesse dans ce sens, mais en revanche elle veut faire de Calcutta un nouveau Londres, sans expliquer comment elle fera pour nettoyer la rivière, fournir des systèmes de sanitation pour les habitants et obliger les industriels à contrôler ce qu’ils déversent dans la rivière. Un autre problème qu’elle va devoir afronter concerne le problème de montée des eaux qui entraîne la disparition progressive des îles Sundarban. Si elle doit choisir entre implanter des industries et protéger l’environnement, je crains qu’elle choisisse les industries.
Est-ce qu’elle sera capable de tenir ses promesses ?
J’ai envie d’être optimiste, et je me dis qu’elle ne peut pas être pire que les communistes. Dans mon livre, j’ai comparé la situation à quelqu’un qui ouvre le couvercle d’une cocotte minute fermée depuis très longtemps : il y a toujours un risque de se brûler avec la vapeur qui s’échappe. Il lui faudra beaucoup de chance pour y arriver.
L. H.