Quand le chaos règne suprême,
les gens abandonnent l’agriculture,
leur occupation naturelle,
pour devenir boutiquiers
Confucius
Les récentes manifestations, souvent violentes, dans différentes régions de la Chine ont grosso modo deux origines : la différence ethnique d’avec les Han récemment immigrés en grand nombre ou un mécontentement socio-économique, frôlant la contestation politique. Des premiers cas, il s’agit surtout de la province de Sichuan où vivent une majorité de Tibétains et de la région autonome ouÏghoure du Xinjiang (ex Turkestan oriental). Le parcours historique de leurs rencontres avec les Hans à travers les siècles se ressemble. De longues périodes d’indépendance, ou de grande autonomie alternent avec des périodes de conquêtes par la Chine suivies d’une annexion.
Les Tibétains chinois subissent une réaction violente de la part des autorités chinoises à chaque fois qu’à Lhassa les démonstrations tibétaines provoquent une répression chinoise. Ils habitent dans une province annexée en 1951 faisant partie auparavant du Tibet. Deux Dallai Lama récents y sont nés (donnant aux autorités chinoises l’occasion d’y trouver le successeur de l’actuel Dallai Lama !). La population tibétaine chinoise reconnaît toujours le Dallai Lama comme leur chef spirituel. Il n’est pas sûr qu’ils pensent pouvoir revenir dans un Tibet autonome, si jamais cette autonomie est accordée. Ce qui est hautement improbable. Pourtant de violents accrochages entre les populations tibétaine et chinoise ont eu lieu dont la dernière (officiellement reconnue) a eu lieu en 2008.
La situation des Ouïghours dans le Xinjiang (la Nouvelle frontière) n’est guère enviable non plus. Ce peuple turcophone et musulman sunnite comptant 8,3 millions en 2000 (avec 300 000 Ouïghours au Kazakhstan) vit dans une région riche en ressources minérales (dont les plus importantes réserves de pétrole, de gaz naturel, de charbon et d’uranium en Chine). Il est évident que la Chine ne laisse pas partir une telle aubaine. L’immigration massive (forcée ?) de Hans agit comme un drapeau rouge. Les emplois leur sont donnés en priorité.
Après l’annexion définitive en 1950, la région connaît régulièrement des troubles, des protestations, plus ou moins sévèrement réprimés. Par exemple, en 1997, ont eu lieu de violentes échauffourées causant 167 morts et 5000 arrestations suivies de sept exécutions publiques et des condamnations à la peine capitale, dont la dernière a été exécutée en octobre 2001. Les autorités chinoises prennent le « péril » ouïghour très au sérieux.
On a recensé au moins 26 Ouïghours à Guantanamo, tous libérés. Il est fort probable que d’autres militants ouïghours ont été entrainés par Al-Qaida et/ou les Talibans. Le Mouvement islamique du Turkestan oriental est obscur, mais a été mis sur la liste des “organisations terroristes” par le gouvernement US et l’ONU en septembre 2002. Depuis 2004 existe un Gouvernement en exil du Turkestan oriental, à Washington.
Existe-t-il des mouvements clandestins dans la région autonome ? Les Chinois eux-mêmes parlent d’une attaque d’un poste de police le 4 août 2008 dans la province du Xinjiang, attaque qui a fait 16 morts. En juillet 2009, de violentes émeutes eurent lieu, les Ouïghours s’attaquant aux Hans, avant de subir eux-mêmes une violente répression du pouvoir fédéral
Les manifestations à caractère socio-économique traduisent toutes un mécontentement général provoqué par la corruption et les abus de pouvoir généralisés à tous les échelons. Qu’il s’agisse des paysans chassés de leur terre, des locataires expulsés par les promoteurs avides, du lait frelaté à la mélamine, des écoles qui s’effondrent à cause du matériel inadéquat, des personnes déclarées malades mentales (parce qu’elles protestaient) et internées de force, tous ces faits trouvent leur source dans la corruption et les abus de pouvoir. Comme la nouvelle de la mort d’un berger en Mongolie écrasé par un camion des exploitations houillères dans les steppes où paissaient auparavant les troupeaux durant une manifestation pacifique. Les avocats qui défendent les paysans et les journalistes qui dénoncent ces pratiques se trouvent harassés au mieux, emprisonnés au pire. En outre les prix des produits alimentaires ont augmentés de 11,7% en mai dernier par rapport à l’année dernière. Ce qui est nouveau est qu’également la jeunesse citadine manifeste d’une façon ludique et pacifique défendant le sauvegarde d’un vieux quartier menacé d’être rasé pour faire place à des projets des promoteurs.
Il sera néanmoins très difficile de stopper la corruption dans la société tant que dure la corruption dans le PCC et l’administration. La succession et la promotion se fait à tous les échelons par copinage, corruption et pots-de-vin. Point de transparence ici. Et pourtant, l’année dernière, il y a eu 23 441 affaires de corruption devant les tribunaux chinois, ayant conduit aux condamnations de 24 406 personnes.
Ces manifestations de mécontentement ont alimenté les réseaux des 4 millions d’internautes chinois, relayés par Internet. Si tout n’a pas débuté par le refus des autorités chinoises de libérer Liu Xiaobo, en prison depuis 2008, pour recevoir le prix Nobel de la Paix à Oslo, la tentative de bloquer cette nouvelle sur les sites internet a démontré aux Chinois, si besoin était, la raideur des autorités, mais aussi l’utilité d’Internet, car la nouvelle a été transmise1.
Les contestations ont lieu malgré la mise en place d’une Administration du « maintien de la stabilité ». Cette administration descend à tous les échelons et s’est vue doter d’un budget de 55 milliards d’euros, une enveloppe supérieure au budget de la Défense ! Son but est de surveiller les « éléments suspects ». Il va sans dire que ses fonctionnaires ne peuvent se déplacer sans escorte, tant sont exécrables les relations entre les citoyens et tous les représentants du pouvoir2.
L’armée, elle aussi, semble atteinte par des courants de discussions ouvertes. À tel point qu’il a été nécessaire de rappeler une partie des officiers à l’ordre en citant le fameux mot de Mao, prononcé en 1929 à Gutian (Fujian) : « le Parti exerce une direction absolue sur l’armée » ou « le Parti commande aux fusils ». En effet, certains officiers posent la question de savoir si l’armée ne serait pas mieux gérée par l’état. Autrement dit en devenant une institution autonome. Pour contrecarrer cette velléité, l’accent est mis sur l’amélioration de la position des sous-officiers. Aussi leurs salaires connaîtront une augmentation de solde de 40%, car le Parti estime que les sous-officiers sont plus faciles à contrôler que les officiers. Le Président de la République, Hu Jintao, craint-il l’exemple des « printemps arabes » ?
Cependant, des opinions dissidentes s’expriment, à commencer par le Premier Ministre Wen Jibao qui a déclaré dans un discours officiel : « Sans réforme du système politique, les avancées de la réforme économique ne seront pas garanties ».
Mais d’autres secteurs du pouvoir agissent pour étouffer toute tentative d’organisations autonomes. La raison de l’arrestation de Liu Xiaobo en 2008. Cette différence de vision sur l’avenir de la Chine fait-elle parti de la lutte pour la succession des dirigeants actuels prévu pour le XVIII° Congres du PCC en octobre 2012 ? Ou faudra-t-il attendre un Congrès ultérieur? Selon certains experts « la Chine n’a pas d’autre voie que la réforme et le Parti doit se résoudre à agir »3 Mais quand ?
Quand « des sources bien informées » annoncent que, tout récemment, la Chine en tant que le plus gros émetteur des gaz à effet de serre, a conçu un plan pour limiter la consommation énergétique, mais que rien n’est encore officiel, ni arrêté, malgré l’accord dans la commission sous la présidence du Premier Ministre Wen Jibao, on peut se demander si les autorités provinciales ne seront pas plutôt enclines à ne pas obéir au plan officiel de limiter la consommation énergétique. Leur priorité reste (encore) de se remplir les poches. Pourtant un tel plan rendrait possible la diminution des émissions et les échanges prévus à cet effet. La limite serait fixée à 4,1 milliards de tonnes d’équivalent charbon (TEC) en 2015, 25% d’augmentation par rapport à l’année dernière.
Robert Aarse