Transjurassienne : concilier sport, nature et évènement populaire
Cette année, ce n’est que le 24 janvier que la Transjurassienne a obtenu les autorisations nécessaires, soit à peine deux semaines avant son déroulement. La réputation de la Transju’, et donc l’émotion causée par l’éventualité de son annulation, ne dépasse guère les limites de la Franche-Comté et du monde du ski nordique. C’est pourtant une des étapes majeures de la Worldloppet, avec chaque année plus de 3000 participants, des quatre coins du globe. C’est également un élément emblématique du massif jurassien, presque un symbole. Comme le grand tétras, majestueux coq de nos montagnes.
Le massif du Jura est un petit massif, avec un habitat disséminé et homogène, qui compte un certain nombre d’espèces protégées, le lynx et le grand tétras étant les plus connues. Le tétras est gravement menacé et il a particulièrement besoin de calme en hiver. La Transju’, comme toutes les manifestations, se doit de respecter la zone d’APB (arrêté de protection du biotope). La polémique a explosé une première fois en 2011 : le manque cruel de neige a forcé l’organisation à mettre en place un parcours de repli qui traversait la zone APB tout en faisant un recours massif à la neige artificielle (en période de stress hydrique) et aux camions pour aller chercher des stocks de neige dans les combes à froid. La préfecture a dans un premier temps laissé passer le parcours de repli avant d’être alertée par les associations de protection de l’environnement. En toute urgence, il a fallu trouver un autre tracé.
Tétras ou ski?
Re-belotte cette année malgré les mises en garde. Entre les retards pour remettre des dossiers incomplets alors que Trans’Organisation a des salariés à l’année contrairement à tous les ski-clubs, les approximations et accusations d’élus locaux voulant instrumentaliser la situation et sans doute une mobilisation assez relative de certains services du gouvernement, le ski de fond n’étant pas jugé comme une priorité, la Transju’ 2012 s’est à nouveau retrouvée dans une situation particulièrement délicate.
Un comité de soutien a été créé, médiatiquement bien relayé. Mais soutenir la Transju’ contre quoi exactement ? L’ennemi était tout trouvé, il s’agissait des « écolo », cet ensemble indéfini réunissant élus, administration, associations… Jouant l’ambiguïté, certains élus locaux ont joué à fond la carte démago en accusant les « ayatollah » et sommant de faire le choix : le tétras ou le ski.
Évidemment, et la suite l’a montré, le ski et le tétras sont compatibles. Limitation des accès aux spectateurs, des survols en hélicoptère, des passages des motoneige … ont permis le déroulement de la course dans de bonnes conditions. Cela n’aurait sans doute pas été possible en cas de manque de neige et donc de parcours de repli. Le vrai danger qui plane sur la Transju’, ce n’est pas le tétras, mais bien la diminution lente et régulière de la neige, diminution qui a déjà eu raison d’autres compétitions (la Mouthe-Pontarlier, le saut à ski à Morteau …)
Même loi pour tous
Le ski de fond n’est pas une discipline reine en France : peu médiatisé, il sollicite relativement peu de subventions et d’aides publiques, et c’est un sport à l’impact environnemental faible, d’où l’incompréhension de nombreuses personnes qui se sont senties « persécutées ». Il est vrai qu’on aimerait autant de vigilance de la part des services de l’État face aux utilisateurs d’engin à moteurs qui se promènent dans le massif toute l’année, mais malgré toute son importance, la Transju’ n’a pas à déroger à la loi. On retrouve le même discours auprès de certains grimpeurs qui ne comprennent pas que, « tout d’un coup », on interdise d’équiper des voies pour protéger les faucons alors que, là encore, l’escalade n’est pas une activité polluante.
Dans les deux cas pourtant, c’est bien parce qu’on a, pendant des années, consommé de l’espace qu’il faut aujourd’hui réagir. Nous payons les conséquences des pressions humaines inconsidérées sur l’environnement. Ces enjeux sont précurseurs des débats à venir dans des domaines encore plus cruciaux comme l’énergie, la nourriture ou l’eau : comment gérer les erreurs du passé ?
François Mandil
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Pour plus d’informations sur la polémique 2012 :
Le dossier de France 3
Photo de une: coupe du monde de combiné nordique à Chaux-Neuve (2011). L’épreuve avait aussi souffert du manque d’enneigement.
Photo du tétras: Stéphane Sanchez