Innovation – Site de la commission recherche et enseignement supérieur https://recherche-enseignementsup.eelv.fr Les analyses et proposition de EELV sur l'ESR Mon, 16 Sep 2013 17:25:21 +0200 fr-FR hourly 1 Donner une nouvelle ambition pour la recherche https://recherche-enseignementsup.eelv.fr/2012/09/18/donner-une-nouvelle-ambition-pour-la-recherche/ https://recherche-enseignementsup.eelv.fr/2012/09/18/donner-une-nouvelle-ambition-pour-la-recherche/#comments Tue, 18 Sep 2012 17:51:42 +0000 http://recherche-enseignementsup.eelv.fr/?p=2483 Contribution de EELV aux Assises de l’ESR – Septembre 2012 -Thématique 2 Donner une nouvelle ambition pour la recherche

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Si l’on veut réellement que progressent les savoirs et que se préparent les révolutions scientifiques de demain, il est totalement contre-productif de marchander aux chercheurs leur liberté. C’est malheureusement le cours que suivent les choses quand la recherche est promue essentiellement pour les retombées économiques qu’on en attend et de ce point de vue, les bouleversements introduits par les gouvernements des années récentes n’ont fait qu’aggraver une tendance de fond de la politique française de recherche déjà clairement à l’oeuvre dans les années Jospin-Allègre. Disons-le clairement : pour les écologistes, l’action publique doit viser à un avancement général des connaissances et la recherche cognitive doit être soutenue en conséquence.

Des moyens pérennes et une ambition nouvelle pour la recherche

La période écoulée a vu la concurrence effrénée entre acteurs de la recherche érigée en moteur de l’excellence. Or, loin de découler automatiquement de la concurrence, l’excellence censée émerger d’une répétition sans fin d’appels à projets aux taux de succès de plus en plus faibles aboutit à coup sûr à des pertes considérables d’énergie et de temps et in fine à un appauvrissement des capacités de production et de transmission de connaissances réellement nouvelles dans les laboratoires du pays.

Les laboratoires bénéficiant d’un label reconnu d’unité de recherche doivent recevoir de leurs tutelles (organismes nationaux de recherche, établissements d’enseignement supérieur et de recherche…) des dotations suffisantes pour que les personnels de recherche puissent accomplir leur mission première : développer leurs recherches. Une réduction drastique du budget attribué à l’ANR doit être plus que compensée par une augmentation des fonds destinés aux recherches développées dans les organismes nationaux et les établissements d’ESR. Le reliquat des crédits revenant à l’ANR doit être réservé à des recherches réellement émergentes (projets blancs bottom up) ou pour lesquelles existent encore des lacunes thématiques au niveau national (santé – environnement, biodiversité, études sur les rapports sociaux de sexe, écotoxicologie, systèmes complexes, énergies renouvelables…), et permettre le financement de projets de taille modeste, au suivi administratif allégé.

Plutôt que de systématiser la concurrence, c’est la coopération entre acteurs qu’il faut susciter et encourager. Sur des thématiques identifiées comme étant d’intérêt majeur, la constitution de réseaux d’acteurs sera accompagnée de crédits ad hoc dont la gestion sera déléguée aux réseaux constitués autour de ces thématiques.

Pour amplifier les recherches, il faut stabiliser les milliers de jeunes précaires accumulés ces dernières années, libérer le temps de travail destiné à la recherche en recrutant les forces manquantes dans tous les métiers de la recherche (ingénieurs, techniciens, administratifs, responsables de plateformes mutualisées). A cet effet, il faut chaque année créer plusieurs milliers d’emplois stables. Le temps d’enseignement des Maîtres de conférence recrutés depuis moins de cinq ans doit par ailleurs être largement allégé. Une grande part de la recherche effectuée en France repose sur les milliers de doctorants que comprend le pays. Cependant, tous ne sont pas financés de façon adéquate, en particulier dans les champs appartenant aux sciences humaines et sociales. En outre, le nombre de docteurs produits par le pays (environ 10 000 doctorats délivrés chaque année contre 15 000 au Royaume-Uni et 25 000 en Allemagne !) est notoirement insuffisant au regard des besoins de la société, et ce déficit est encore accentué par la non reconnaissance du diplôme que ce soit dans les grilles de la fonction publique ou dans les conventions collectives des entreprises. Ceci doit être corrigé d’urgence ! Une augmentation importante et progressive du nombre d’allocations de recherche doctorale (et de leur montant !) offertes chaque année aux titulaires d’un diplôme de master ou équivalent qui envisagent de s’engager dans la difficile aventure d’un travail de recherche personnel et original est absolument requise.

Cette ambition suppose des moyens nouveaux, qui peuvent être obtenus sans impacter le budget de l’Etat, par une réforme du Crédit d’impôt recherche (CIR). Si son intérêt est réel pour la recherche dans les PME, sa forme actuelle donne aussi aux grands groupes un effet d’aubaine énorme qui ne profite en rien à la production ou à l’emploi scientifique du pays. Il convient de plafonner le CIR à un montant de quelques millions d’euros par groupe ou holding, de le conditionner fortement au recrutement de docteurs, et d’introduire une modulation de son montant en fonction de l’adéquation des projets engagés avec la transition écologique.

Au stade où nous en sommes arrivés, c’est toute l’organisation du système français de recherche qui doit être revu. Ce ne pourra se faire qu’après un processus, complexe à mettre en oeuvre mais absolument nécessaire, de très large élaboration démocratique. Il s’agira de rendre le système globalement plus performant, mais aussi de combler des déficits dans certaines grandes disciplines. L’éternelle question de la transversalité devra être revisitée puisque, chacun en convient, c’est aux frontières entre les disciplines que les chances sont les plus grandes de produire ces avancées soudaines qui transforment la perception d’une question, ouvrent de nouveaux champs thématiques, remettent à plat certaines problématiques.

Inventer un véritable dialogue sciences – société

A l’habituelle représentation opposant secteur académique – la recherche d’amont – et secteur des entreprises – l’aval – l’écologie politique préférera l’image du trépied dont la stabilité dépend d’une troisième composante, le monde associatif et citoyen.La recherche partenariale permet de diversifier la nature des recherches développées par les partenaires et d’impliquer un nombre croissant d’acteurs dans la production de connaissances nouvelles, dans l’innovation technologique et sociale. Cependant, cette terminologie est curieusement – et fallacieusement – réservée à des recherches développées entre entreprises et laboratoires publics avec une forte incitation à l’externalisation des activités de recherche des premières vers les seconds. Cette négation des spécificités des uns et des autres est délétère. Outre que la subordination croissante des laboratoires publics aux besoins des entreprises privées doit être contrecarrée, les partenaires des laboratoires publics n’ont aucune raison de se limiter au monde des entreprises. Les liens noués par la recherche publique doivent au contraire s’élargir vers d’autres pans de la société et en particulier vers le monde associatif. Il revient donc à l’Etat d’introduire parmi les missions des établissements de recherche, organismes et universités, cet impératif d’ouverture.Il s’agira de créer des dispositifs innovants pour encourager les recherches partenariales entre le monde citoyen et celui de la recherche académique. Le dispositif des Partenariats Institutions – Citoyens pour la Recherche et l’Innovation créé en 2005 par le conseil régional d’Ile-de-France pourra servir de modèle aux organismes de recherche et aux établissements d’ESR appelés à s’impliquer résolument dans ces nouveaux aspects d’une recherche partenariale redéfinie. Les laboratoires qui s’engageront sur cette voie pourront bénéficier d’un label (le pendant des Instituts Carnot pour la recherche partenariale avec les entreprises) et de financements spécifiques.

D’autres initiatives (boutiques de sciences…) devront être encouragées sur les campus universitaires pour que les sciences et la démarche scientifique soient enfin accessibles à des publics diversifiés.

Egalement, la diffusion de plus en plus large des outils numériques de travail coopératif laisse espérer une implication citoyenne de plus en plus marquée dans les processus de recherche participative, sur le modèle de ce que coordonne le Muséum national d’histoire naturelle dans le domaine de la recherche sur la biodiversité. Ce type d’implication citoyenne doit être facilité et reconnu.

Pour retrouver le sens de la culture scientifique et technique (CST), pour promouvoir la compréhension et le débat pluridisciplinaire sur les enjeux de notre monde, un pilotage interministériel garant de cette mission de service public est nécessaire. La question de la CST doit être entièrement repensée, bien au-delà de ce que promeut Universcience (regroupement de la Cité des sciences et de l’industrie et du Palais de la découverte) dont le rôle doit être réenvisagé, avec notamment une clarification des circuits de financement. Il faut faire découvrir et comprendre la démarche scientifique dès le plus jeune âge, par exemple en proposant aux publics scolaires, dans chaque région, des classes scientifiques (sur le format des classes vertes) se déroulant dans des Maisons d’initiation et de sensibilisation aux sciences et bénéficiant d’un encadrement scientifique professionnel. Le manque de moyens destinés à la protection du patrimoine scientifique est également criant et doit être corrigé. Les actions de CST réalisés par les enseignants et les personnels de la recherche (visites de laboratoires et de collections, interventions dans les classes, journées « grand public »…) doivent être davantage prises en compte dans l’évaluation de leur activité et pour leur carrière.

Des ambitions stratégiques pour la recherche et l’innovation

Si la recherche fondamentale ne peut s’accommoder d’objectifs outrageusement finalisés, il reste que la puissance publique a toute légitimité pour définir de grandes orientations en termes d’objectifs à poursuivre. Les missions des organismes de recherche et en particulier des établissements à caractère industriel et commercial (EPIC) tels le CEA seront utilement réexaminées en référence aux grands objectifs politiques démocratiquement actés. Par exemple, la transition énergétique du pays appelle à une réduction importante de la part du nucléaire dans le mix français d’électricité et porte en corollaire la nécessité du développement d’une filière d’excellence en matière de démantèlement des centrales vieillissantes et de gestion des déchets. Le CEA pourra en être chargé en accord avec ses compétences.

Nous avons besoin d’une autre politique de l’innovation, bien plus sélective, moins coûteuse pour les budgets de l’État et des collectivités publiques. Elle devra se concentrer sur les PME, TPE et projets individuels et permettre l’émergence d’activités et d’entreprises innovantes dans les secteurs économiques du futur. Parmi ceux-ci figurent à l’évidence l’économie numérique dans toutes ses déclinaisons (mais dont le dynamisme interne présente un impact environnemental de plus en plus problématique, ce qui appelle… de nouvelles innovations) et tous les secteurs liés à la transition écologique vers une économie robuste, réellement soutenable et au service des habitants : énergie, bâtiment, transports, agriculture, biens communs…

Les aides publiques à l’innovation devront s’adresser à toutes les sortes de projets innovants, ceux qui concernent des produits, des procédés, du design… mais aussi les services offerts au public et toutes les innovations d’ordre sociétal. Cependant, n’importe quel projet innovant, même proposé par une PME et potentiellement créateur de valeur ajoutée, n’a pas vocation à être soutenu publiquement. Ses finalités et ses effets attendus doivent être soupesés à l’aune des trois facettes, économique, environnementale, sociale, qui permettent de le caractériser. Cette analyse doit comporter des critères d’exclusion : risques d’atteintes supplémentaires à l’environnement, technologies jugées trop dangereuses pour les libertés, la santé, la paix… A l’opposé, les aides envisageables doivent voir leur ampleur liée à l’adéquation avec les critères de responsabilité écologique et sociale. Elles peuvent selon les circonstances adopter diverses formes (subventions, prêts remboursables, engagement de commandes…). Le recrutement non seulement d’ingénieurs ou de techniciens mais aussi de titulaires d’un doctorat doit être récompensé. La constitution de grilles d’analyse ad hoc procureun outil pédagogique particulièrement utile, aussi bien pour les demandeurs que pour les évaluateurs.

Au-delà des aides aux projets existants, des politiques volontaristes doivent aussi servir à en faire émerger d’autres, audacieux et imaginatifs. Loin de l’effet cafétéria invoqué pour le rassemblement d’établissements de formation, de laboratoires publics et d’entreprises sur le plateau de Saclay sur le modèle fantasmé de la Silicon Valley, dans chaque région, chaque territoire d’importance, un organisme financé sur fonds publics (région, autres collectivités territoriales, Oséo…) aurait parmi ses objectifs une mission spécifique d’interfaçage (entre chercheurs, PME, collectivités, associations…). Accueillies sur la base du volontariat, des personnes issues aussi bien du secteur public que du secteur privé seraient appelées à agir en « facilitateurs d’interface » pour faire émerger des projets innovants d’intérêt général. Cet organisme public dont le financement serait assuré par une réorientation progressive d’une partie des sommes budgétaires aujourd’hui affectées au CIR, aurait pour vocation de mettre en phase les structures déjà existantes dans tous les lieux importants de recherche, organismes, universités, en privilégiant la recherche de synergies, à l’opposé du modèle concurrentiel absolu auquel mène inéluctablement la politique actuelle.

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) devrait se saisir de tous ces enjeux en priorité. Cependant, dans son fonctionnement actuel, l’OPECST souffre d’une très insuffisante ouverture vers la société dans toute sa diversité. Cet organisme spécifiquement parlementaire devrait être transformé en office national indépendant, fonctionnant sur fonds uniquement publics, qui aurait une mission de veille permanente et d’animation du débat sur toutes les questions scientifiques et / ou technologiques ayant un possible impact sociétal. A cet égard, le fonctionnement du Board of Technology au service du Parlement et du Gouvernement danois pourrait servir de source utile d’inspiration.

Les connaissances nouvelles résultant du travail permis par les dépenses publiques (européenne, nationale, collectivités territoriales) doivent entrer dans le domaine des biens communs. Il n’est pas acceptable que les éditeurs privés soient seuls dépositaires de ces productions, limitant de facto leur accessibilité au plus grand nombre. Entre le modèle du libre particulièrement adapté au secteur de l’économie numérique et les politiques de brevetage systématique utilisées comme protection de la propriété intellectuelle – dont il faudra évaluer les effets pervers et le rapport coût-bénéfice pour l’intérêt général – d’autres modes de protection existent qui appellent aujourd’hui l’application de politiques publiques plus finement définies. Des moyens doivent être déployés pour que les acteurs de la recherche publique publient leurs résultats en accès libre sans que cela ne pénalise leurs carrières.

De façon plus générale, les missions inscrites dans le Code de la recherche doivent être révisées et complétées pour que l’évaluation de l’ensemble des acteurs de la recherche prenne effectivement en compte leurs activités professionnelles dans toute leur diversité.

 

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Réponses d’Eva Joly au questionnaire de l’AJSPI https://recherche-enseignementsup.eelv.fr/2012/03/22/reponses-deva-joly-au-questionnaire-de-lajspi/ Thu, 22 Mar 2012 19:04:43 +0000 http://recherche-enseignementsup.eelv.fr/?p=2432 Réponses d’Eva Joly au questionnaire de l’Association des Journalistes Scientifiques de la Presse d’Information

I – Depuis plus de 20 ans, tous les gouvernements ont affiché l’objectif d’un effort de R&D de 3% du PIB. Ils ont tous échoué, cet effort dépasse de très peu les 2%. Quel objectif vous fixez-vous, et en quelles proportions pour la recherche publique en part de réalisation d’ici 2017 ?

Je tiens tout d’abord à souligner à quel point la création et la diffusion des savoirs sont au cœur de la pensée écologiste. Faire davantage de recherche, c’est participer à la quête de connaissances qui fait partie intégrante de l’aventure de l’humanité ; c’est aussi s’ouvrir de nouvelles perspectives dans un monde en mutation et face aux défis nouveaux posés par les crises sociale et environnementale. Les objectifs quantitatifs sont un préalable, mais ne doivent pas masquer les objectifs qualitatifs : quelles recherches, quelles innovations ? La société doit pouvoir s’exprimer sur ces questions, encourager certains axes de recherche et de développement, encadrer strictement les innovations susceptibles d’impacts non désirés. En parallèle, il faut assurer l’autonomie des chercheurs face à tous les pouvoirs, qu’ils soient économiques ou politiques.

Même si l’objectif européen de 3% avait été fixé en 2000 sous de bien mauvais auspices (ceux de la concurrence généralisée et de la connaissance perçue d’abord comme source de valeur économique), il n’en est pas moins intrinsèquement pertinent. Très rares sont les pays à l’avoir atteint, mais pratiquement tous les pays développés ont significativement augmenté leur effort de R&D ces dernières années. Tous… sauf la France qui stagne à peine au-dessus des 2%. Ce constat signe un échec majeur des gouvernements de droite successifs, d’autant plus cinglant que des sommes considérables ont été mises sur la table. Mais au lieu de l’être pour la recherche civile publique – dont le budget net, désormais sous les 0,6% du PIB, est en régression selon les chiffres de l’OCDE ! – ou de manière ciblée en direction des PME et des entreprises fortement innovantes, elles ont pris la forme explosive du Crédit d’impôt recherche, cadeau fiscal indifférencié et dont toutes les études quantitatives démontrent l’impact négligeable.

Je fixe pour ma part un objectif de 1% du PIB pour la recherche publique civile à l’horizon 2017, atteint notamment grâce à un redéploiement d’une grande partie du CIR et des investissements militaro-industriels, dans l’aérospatial et le nucléaire (ramenés à 0,2% environ). Pour stimuler l’effort privé, j’engagerai une politique ciblée sur les PME et tenant compte des besoins réels du pays en matière d’innovation.

II – Le gouvernement sortant a réorganisé l’Enseignement supérieur et la recherche, et modifié son mode de financement (LRU, ANR, AERES, IDEX…). Allez-vous conserver, changer ou abroger ces dispositifs ?

Les structures nouvelles et les milliards supplémentaires de l’ère Sarkozy promettaient un nouvel âge d’or. La réalité est tout autre : au lieu de consacrer leur temps à leurs missions statutaires – chercher, former les plus jeunes, s’ouvrir à la société – les chercheurs et enseignants-chercheurs croulent désormais sous des avalanches d’appels à projets, doivent multiplier les réunions préparatoires, courir d’un guichet à l’autre pour décrocher les contrats qui leur rendront les moyens de travailler, et participer à toutes sortes de comités où ils évaluent leurs collègues et, faute d’argent disponible, retoquent la très grande majorité de leurs demandes de crédits. Et quand ils en obtiennent, cela a pour principal effet de faire exploser les contrats précaires (personnels administratifs et techniques, jeunes chercheurs…), les postes pérennes disparaissant en même temps que les financements récurrents. Quant aux structures porteuses de ces évolutions, elles ont complexifié inutilement le paysage de la recherche. Ces niveaux de décision intermédiaires s’affranchissent des principes de collégialité et de démocratie qui sont le cœur du fonctionnement du monde académique ; et le système d’appels d’offre et de benchmarking permanent ouvrent au gouvernement la possibilité d’un contrôle poussé sur les faits et gestes des établissements, à l’opposé des discours  exaltant « l’autonomie » – une première illustration a été fournie il y a quelques semaines avec la suppression brutale du programme ANR sur la santé environnementale, dont les résultats auraient pu menacer certains intérêts privés. La situation est telle que c’est une véritable refondation de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche qu’il faut envisager.

Après des années de décisions autoritaires, la communauté de l’ESR et plus généralement toute la société doivent retrouver le chemin du dialogue et de la confiance : je convoquerai donc des États-généraux chargés notamment de préparer le remplacement de la loi LRU et de définir les modalités d’une évaluation transparente et collégiale. Le principe d’autonomie sera assuré non seulement pour les universités, mais aussi pour les chercheurs et enseignants-chercheurs, ce qui passe par des moyens majoritairement récurrents pour les organismes et établissements d’enseignement supérieur publics, et par un large plan de titularisation : le statut permanent des personnels est en effet un énorme atout pour la prise de risque scientifique et la projection dans des travaux de long terme. L’AERES sera supprimée, l’évaluation pouvant être assurée de manière plus transparente et collégiale par les différentes instances démocratiques existantes. La politique des investissements d’avenir sera non pas accélérée mais entièrement revisitée, sans préjudice de moyens pour les lauréats actuels. Quant à l’ANR, je souhaite en faire un organisme au périmètre réduit, centré sur des missions précises : financer, à titre de complément, des sujets définis comme prioritaires aux termes d’un débat démocratique, ainsi que des recherches partenariales associant laboratoires académiques et associations.

III – La France produit actuellement un peu moins de 10.000 docteurs es-sciences par an, dont environ un quart d’étudiants étrangers, un chiffre stagnant depuis près de 20 ans. Voulez-vous, durant votre quinquennat, maintenir ou augmenter ce chiffre ? A combien doivent se chiffrer le nombre et le montant des contrats de doctorants financés par l’État ?

Bâtir une société de la connaissance suppose un fort développement de la formation par la recherche. Cela passe par l’augmentation du nombre de docteurs : le nombre de doctorats délivrés devrait progresser de 1000 par an pendant 10 ans, soit un doublement à cette échéance. Mais cette évolution n’aura de sens que si le doctorat est correctement valorisé dans l’ensemble du tissu socio-économique : j’engagerai également une action résolue en ce sens.

Dans la grande majorité des cas, un doctorat est une première expérience professionnelle de la recherche : celle-ci doit se dérouler dans de bonnes conditions matérielles et en réelle interaction avec une équipe de recherche. Nombre de préparations de thèse s’éternisent en longueur car le futur docteur, faute de financement approprié, manque de moyens matériels de travail et/ou doit exercer une activité rémunérée – et trop souvent, cela a lieu au sein des universités, dans des conditions de forte précarité. Je porterai progressivement le nombre de contrats doctoraux accessibles à 10000 chaque année, et développerai les mécanismes incitatifs des contrats CIFRE pour atteindre les 3000 contrats annuels. L’harmonisation des contrats doctoraux avec le droit du travail (congé maternité par exemple) doit être achevé, le financement par libéralités interdit en pratique et pas seulement dans les textes. La charte des thèses sera incluse dans le contrat doctoral, notamment la clause limitant le nombre de thèses encadrables par un responsable doctoral donné.

Il faut sortir du cliché qui voudrait que le seul débouché des docteurs soit la recherche publique. Premièrement, les docteurs ont vocation à irriguer l’ensemble de la fonction publique : pour cela, le doctorat entrera dans les grilles de la fonction publique, et la durée effective de la thèse sera systématiquement intégrée dans les calculs d’ancienneté requis pour  divers concours de la haute fonction publique. Deuxièmement, je ferai appel aux partenaires sociaux, comme prévu par la loi, pour organiser la reconnaissance du doctorat dans les conventions collectives et promouvoir le recrutement de docteurs, y compris en SHS, dans les entreprises. Enfin, la poursuite de carrière hors académie des docteurs bénéficiera d’une politique volontariste et ciblée de soutien à l’innovation, centrée sur les PME innovantes, qui permettra de faire enfin décoller la R&D privée

IV – C’est la croissance des PME qui crée l’emploi, et non les grands groupes. Mais cette croissance est difficile en France. Allez-vous contraindre les marches publics à recourir pour une part aux PME et défendre au niveau européen une telle mesure?

Je souhaite en effet mettre en place une déclinaison française, et à terme européenne, du « Small Business Act » américain, qui réserve notamment certains marchés publics aux PME. Ce dispositif a fait la preuve de son efficacité et est parfaitement documenté : il n’y a aucune raison de ne pas le décliner en France et en Europe, si ce n’est l’intérêt de grands groupes qui ont su jusque là bloquer toute initiative ambitieuse en ce sens. Il faut d’ailleurs noter qu’un « SBA » existe en Europe depuis 2008, mais le nom est trompeur puisqu’il ne s’agit que d’un ensemble de simplifications réglementaires, certes utiles, mais en aucun cas à la hauteur de l’enjeu.

Plus précisément, je souhaite promouvoir cinq mesures :

  • Réserver les marchés publics d’un montant inférieur à un seuil de l’ordre de 50 000 à 70 000 €, aux PME, sauf lorsque l’acheteur public peut établir qu’aucune d’entre elles ne peut offrir les produits ou services attendus,
  • Clarifier les conditions de sous-traitance. En effet, une partie des marchés publics est aujourd’hui attribuée à de grandes entreprises qui en sous-traitent la réalisation à des PME. Mais, bien souvent, ce mécanisme a des effets pervers : d’une part, l’acheteur paye plus cher car il supporte la marge que la grande entreprise ajoute au prix de ses sous-traitants. D’autre part, ceux-ci se font « étrangler » au passage par leur donneur d’ordre. Certes, pour l’acheteur, il est plus confortable de n’avoir qu’un seul interlocuteur, mais le même bénéfice pourrait être obtenu en passant un marché avec un maître d’œuvre en charge de coordonner les intervenants, le tout dans des conditions économiques globales probablement plus satisfaisantes. Aux USA, la grande entreprise titulaire du marché doit, avant signature, présenter son plan de sous-traitance et le faire agréer : on pourrait mettre en œuvre le même dispositif en Europe.
  • Protéger la capacité d’innovation des PME alors que certains grands groupes ont la mauvaise habitude de se servir des sous-traitances qu’ils passent, pour « siphonner » la R&D de leurs partenaires.
  • Clarifier la notion de « mieux disant » : les services de la Commission Européenne travaillent actuellement sur un projet de directive qui demande de prendre en compte, dans le calcul des prix proposés, la totalité du cycle de vie des produits : fourniture, maintenance, démantèlement ou recyclage en fin de vie. Cette notion devrait à mon avis être traduite dans le Code des Marchés Publics français, sans délai.
  • Monter un Service chargé d’animer les relations entre acheteurs publics, grandes entreprises et PME, pour fluidifier les relations et faire en sorte que les engagements pris au titre d’un SBA soient respectés. Certains acheteurs publics ont commencé, par exemple, à organiser des réunions pour présenter les projets de marché qu’ils ont pour l’année en cours, et pour mieux connaître les PME susceptibles de les assurer. Cette initiative devrait, je pense, être généralisée.

Je dois aussi préciser que ce sujet du SBA est trop sérieux pour faire l’objet de rodomontades et de déclarations menaçantes envers l’Europe, comme vient de le faire le candidat Sarkozy lors de son meeting de Villepinte. Nous souhaitons convaincre nos partenaires Européens, la mise en demeure n’est pas la plus efficace des méthodes. Dans le même temps, nous utiliserons les marges de manœuvre que laisse la réglementation Européenne, notamment pour les marchés de « petit » montant, pour avancer rapidement. C’est tout le sens du « Pacte de Développement » que nous proposons pour les PME.

V – Le Crédit d’impôt recherche a été présenté comme un outil majeur de l’État pour développer la recherche privée, et son montant a été augmenté jusqu’à près de 5 milliards par an. Allez-vous le conserver dans son principe (toute recherche privée est a soutenir) ? Allez-vous garder ou modifier son mode de calcul actuel qui favorise les grandes entreprises ?

La majorité des observateurs estime que les capacités réelles d’innovation technologique se sont de longue date déplacées des laboratoires et bureaux des grands groupes pour se nicher préférentiellement dans les petites et moyennes entreprises (PME), voire dans les toutes petites entreprises (TPE) ou même chez des individus dans certains secteurs comme le numérique. Je suis donc très prudente avec les « grands projets industriels » tels que la France en a mené au cours du XXe siècle et dont l’issue a été parfois positive mais souvent aussi un échec au coût démesuré.

Ce type de politique d’État perdure : appel à projets pour la création d’instituts de recherche technologique (IRT), où de très grandes entreprises comptent sur un prétendu « écosystème » comprenant de plus petites entreprises et des laboratoires publics de recherche pour se développer ; pôles de compétitivité rassemblant des laboratoires publics et des PME autour de  grands groupes industriels ; et surtout la formidable niche fiscale (4 à 5 G€ par an) que constitue aujourd’hui le crédit d’impôt recherche (CIR) dont les grands groupes – au premier rang desquels les banques et assurances – et leurs filiales souvent créées à cet effet sont les principaux bénéficiaires, sans qu’à aucun moment une évaluation qualitative n’en soit effectuée, ni que la masse de la R&D privée développée en France n’en soit statistiquement augmentée.

Nous avons donc besoin d’une autre politique de l’innovation, bien plus sélective, moins coûteuse pour les budgets de l’État et des collectivités publiques. Elle devra se concentrer sur les PME, TPE et projets individuels et permettre l’émergence d’activités et d’entreprises innovantes dans les secteurs économiques du futur. Toute approche écologiste d’une politique de l’innovation s’accompagne nécessairement d’une réflexion approfondie sur les processus qui font passer les innovations technologiques des étapes du concept et de l’expérimentation à la mise à disposition (ou à l’imposition) du public ou à l’introduction sur le marché. A côté des intérêts financiers et/ou politiques habituellement seuls à l’œuvre, la question doit être enfin posée de la façon dont pourrait s’exprimer un avis citoyen sur l’intérêt des innovations proposées.

Sur le CIR lui-même, la réponse est simple : je réviserai profondément son mode de calcul, en le plafonnant au niveau des groupes, introduirai une réelle obligation de recrutement de docteurs, et le modulerai en fonction de l’intérêt social et environnemental des projets développés. Pour privilégier les innovations socialement utiles, des mécanismes nouveaux seront à explorer. Des appels à candidatures seront lancés vers les entreprises afin qu’elles orientent leurs efforts de recherche vers l’atteinte d’objectifs contractuellement définis : les entreprises retenues à concourir seraient dédommageables de leurs dépenses en fonction et après contrôle des moyens réellement investis, les plus performantes recevant des prix dont l’importance pourrait dépendre du régime juridique adopté par l’entreprise en matière de protection ou de mise en biens communs des résultats obtenus.

VI – Allez-vous poursuivre les recherches sur des réacteurs nucléaires de Génération IV, maintiendrez-vous ou stopperez-vous le programme Astrid (réacteur de démonstration a neutrons rapides du CEA) ?

Le sigle Génération IV a servi à entretenir le mythe de réacteurs nucléaires sûrs et ne produisant plus, ou pratiquement plus, de déchets. Les écologistes n’ont jamais été abusés par cette opération de communication techno-scientifique, pas davantage qu’ils ne croient au mythe du « soleil en boîte » des réacteurs de fusion : si certains réacteurs de Génération IV pourraient peut-être réduire la tension sur les ressources naturelles en uranium, c’est au prix d’une complexité, et donc d’un coût et d’un risque de défaillance, largement accrus, et de la manipulation à bien plus  grande échelle qu’aujourd’hui de substances hautement radio-toxiques, tout cela sans rien régler de la question des déchets. Astrid est exemplaire de cette tromperie : il ne s’agit ni plus ni moins que d’une resucée de Superphénix, accompagnée de la renaissance de l’industrie du plutonium. Je mettrai un terme à ce programme, orienterai la R&D nucléaire vers la création d’une filière d’excellence en matière de démantèlement et de gestion des déchets, et ferait du CEAEA un véritable Commissariat aux Énergies Avancées qui se tournera de plus en plus vers les énergies réellement renouvelables et l’efficacité énergétique.

VII – Comment rendre plus efficace le soutien public dont l’innovation a besoin ? Considérez-vous qu’il faille réorienter la recherche publique vers les besoins de l’économie et des entreprises ?

La recherche publique n’a pas vocation à être mise au service de l’économie : sa mission première est l’exploration des frontières de la connaissance. Des collaborations, sur la base de partenariats équilibrés, sont bien évidemment souhaitables ; et s’il importe de faciliter le passage des découvertes vers les applications, c’est en restant dans le cadre du principe constitutionnel de précaution, donc en veillant à ce que toute industrialisation et mise sur le marché soit assortie de garanties objectives sur l’innocuité environnementale et sociétale des produits (la question de l’innocuité sociétale se pose par exemple pour les aspects de vie privée liés à la banalisation des nanotechnologies).

Pour les écologistes, le lien entre recherche et innovation ne passe pas par le rapprochement forcé des structures, comme tente de le mettre en place le gouvernement avec la politique dite de « clusters » dont le plateau de Saclay est l’archétype. L’exemple de la Silicon Valley est d’ailleurs éloquent : une dynamique endogène s’y est développée entre jeunes industriels et scientifiques ayant fréquenté les mêmes bancs universitaires, alimentant une culture et des réseaux partagés entre chercheurs et monde entrepreneurial. Le gouvernement américain a su accompagner cette dynamique ; il n’aurait jamais pu la créer de toutes pièces comme on prétend le faire aujourd’hui en France. Ce dont la France a besoin, ce n’est pas de politiques déplaçant universités et industries sur un plateau, mais de faire entrer des cadres formés par la recherche à la tête de nos entreprises (et des décideurs politiques) pour encourager la créativité, le désir d’innover et celui de développer de nouvelles entreprises.

VIII – L’innovation doit aussi être sociale et d’organisation, comment la favoriser par une politique publique 1’accompagnant jusqu’à son déploiement ?

A mes yeux, l’important est de libérer la créativité des individus qui est sans bornes pour peu qu’on ne la réprime pas. C’est en grande partie une question culturelle et qui dit culture dit aussi éducation. L’éducation doit dès le plus jeune âge encourager la prise d’initiatives et non le conformisme et le formatage. Au-delà de l’initiative individuelle, il y a la puissance de l’intelligence partagée, de la contribution participative. Que les projets soient à but lucratif ou non, mobiliser les citoyens pour qu’ils s’impliquent dans tel ou tel sujet qui les passionne et les motive est une source renouvelable d’innovations de toutes sortes. Celles-ci peuvent se concrétiser au niveau le plus local comme avec l’appropriation et l’utilisation des données publiques qu’il faut absolument rendre facilement réutilisables par le plus grand nombre : c’est la responsabilité des collectivités locales comme de l’État décentralisé. Mais c’est également vrai des niveaux national et européen. De ce point de vue, la France doit faire preuve de volontarisme pour que ce que certaines collectivités réussissent à mettre en œuvre puisse « passer à l’échelle ». Il faut s’inspirer de ce qui a montré son efficacité ailleurs comme il faut donner à voir les expériences réussies ici en terme d’innovation sociale. Je pense par exemple à des villes comme Brest, Mouans-Sartoux dans le sud ou Loos-en-Gohelle dans le nord, où des élus écologistes font la preuve de ce que l’innovation socialement utile est de leur côté. Chaque territoire a ses enjeux et ses potentialités. L’expérimentation doit être non seulement encouragée mais facilitée, y compris par des crédits spécifiques qui peuvent provenir de fonds régionaux, nationaux ou européens. Les citoyens doivent dans tous les cas être au centre des préoccupations et de la mise en mouvement, faute de quoi l’innovation socialement utile que nous appelons de nos vœux ne pourra se faire.

IX – La société s’est interrogée sur la pertinence de la mise en œuvre d’innovations comportant des risques controversés. Quelle sera votre politique concernant les domaines controversés des OGM, des nanotechnologies, de la biologie de synthèse ? Comment la France pourra-t-elle garder l’expertise scientifique et le poids nécessaire pour défendre ses points de vue ?

Je défends l’application stricte du principe de précaution : toute mise sur le marché de produits doit être précédée d’une démonstration contradictoire de leurs impacts possibles. Cette politique n’est pas obscurantiste, comme certains se plaisent à le répéter : elle est au contraire formidablement génératrice de connaissances et de science. Tous les champs de la connaissance ont vocation à être explorés, et je m’engage à veiller jalousement à garantir l’indépendance des chercheurs, car la recherche, les universités, comme la justice, sont des lieux très importants de contre-pouvoirs. Ce sont des lieux de défense des fondements d’une démocratie. Les juges, les étudiants, les jeunes, les chercheurs, les artistes doivent pouvoir faire preuve d’impertinence, inventer et ré-inventer, critiquer. Cela concerne tous les champs du savoir,  des économistes qui doivent s’écarter des chemins orthodoxes pour comprendre la crise aux lanceurs d’alerte dont le rôle a été tellement important, crucial même pour mettre dans le débat public des interrogations fondamentales (Gilles-Eric Seralini, André Cicolella, Rachel Carson, pour n’en citer que quelques-uns : grâce à eux sont sortis des analyses contradictoires, gênantes, sur l’amiante, l’éther glycol, les OGM ou l’état de l’environnement).

Au-delà de ces principes, il nous faut inventer une véritable démocratie scientifique, qui donne la parole à des citoyens qui sont aujourd’hui bien formés, cultivés, désireux de s’exprimer et parfois même de contribuer à l’évolution des sciences et des techniques. Je souhaite mettre en débat les grands choix scientifiques et techniques, avec des mécanismes participatifs divers dont les conférences de citoyens sont un exemple. Les futures évolutions de la bioéthique devront impérativement se faire dans le cadre d’un véritable dialogue avec la société, de même que des sujets à soutenir plus particulièrement peuvent être déterminés de manière ouverte et démocratique.

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Eva Joly répond à « Votons pour la science » https://recherche-enseignementsup.eelv.fr/2012/03/11/eva-joly-repond-a-votons-pour-la-science/ Sun, 11 Mar 2012 13:38:42 +0000 http://recherche-enseignementsup.eelv.fr/?p=2426 Votons pour la science souhaite permettre à tous de suivre le débat politique sur les problématiques scientifiques. Pour cela ce collectif a demandé aux candidats à la présidentielles de répondre à un questionnaire. Voici les réponses de notre candidate, Eva Joly.

1) « Modes de décision » en matière scientifique et familiarité du candidat avec la science

L’agenda scientifique et politique se construit à partir de sujets médiatiques, enjeux émergents, questionnements propres à la culture du parti et exercices de prospective stratégique.

>> En ce qui vous concerne, comment définissez-vous les sujets à traiter en priorité en matière de science et technologie ?

Il faut d’abord souligner que c’est à la communauté scientifique de décider de l’essentiel de ses orientations, de même que l’industrie est autonome dans ses décisions. L’indépendance de la recherche est un gage de fécondité et une nécessité pour que la société puisse trouver des réponses objectives à ses questions. De ce point de vue, les multiples moyens de contrôle que le gouvernement met en place (contrôle politique de l’ANR, appels d’offre à répétition sur des sujets non débattus, agence d’évaluation managériale, etc) sont extrêmement inquiétants : c’est une dérive avec laquelle je romprai résolument. Cela étant posé, les citoyens et la société doivent pouvoir pointer des directions dans lesquelles il convient de porter un effort particulier, et également pouvoir, si ce n’est bloquer, en tout cas encadrer des sujets qui pourraient être problématiques à long terme. Je pense par exemple aux nanotechnologies, qui sont porteuses de promesses immenses, mais aussi de dangers très concrets pour la société (dispersion de particules hautement réactives chimiquement, atteintes à la vie privée…), et dont le développement actuel dans une logique de commercialisation rapide, avec des études d’impact dérisoires et arrivant très tardivement, est une aberration du point de vue éthique. Les politiques sont légitimes pour mettre en place de telles priorisations, à condition que cela se fasse dans le cadre d’un débat démocratique. Ce débat peut être géré au niveau du Parlement, mais il doit plus généralement être étendu à toute la société via des mécanismes de participation nouveaux. Les conférences de citoyens pourraient jouer un rôle important dans un tel système.

>> À partir de quoi construisez-vous vos positions et propositions sur les sujets à caractère scientifique ? Vous reposez-vous sur une culture ou formation personnelles, sur la presse spécialisée, sur les médias traditionnels, sur des conseillers spécialisés (précisez leur parcours), sur un dialogue direct avec des scientifiques, sur l’opinion publique, sur les rapports d’experts, sur les arguments d’associations ou entreprises ?

N’étant pas moi-même de formation scientifique, je m’appuie d’abord sur un certain nombre de personnes actives dans la commission Enseignement supérieur Recherche au sein d’Europe Ecologie les Verts. Bien évidemment, j’ai également des contacts avec toutes sortes d’organisations parmi lesquelles les associations occupent une place importante.

>> Qu’attendez-vous comme type d’information pour commencer à former une politique : des conclusions définitives, une vue d’ensemble de la situation, des pour et contre… ?

En matière scientifique comme en politique, les conclusions sont rarement définitives. Il faut en permanence intégrer de nouveaux éléments, des retours d’expériences… Définir une politique s’appuie sur ces éléments d’actualité mais découle aussi et d’abord d’une vision globale de la société, d’un cap que l’on souhaite prendre. C’est d’ailleurs une des spécificités de l’écologie que de porter un projet global de transformation, de ne pas être seulement dans la gestion du système au quotidien. Il faut consulter bien sûr : après tout, le rôle du politique est le plus souvent d’arbitrer entre des options contradictoires. Mais s’il faut évaluer au mieux les conséquences des décisions, s’il faut éviter celles qui sont irréversibles, il faut aussi avoir le courage d’impulser en acceptant le doute raisonnable. C’est l’esprit du principe de précaution d’ailleurs, trop souvent caricaturé en principe d’inaction.

>> Comment décririez vous le rapport entre le monde de la science et celui de l’action publique ? Avez-vous suffisamment accès aux informations nécessaires voire aux acteurs concernés ? Que proposeriez vous pour faire évoluer ce rapport ?

Le mythe d’une tour d’ivoire de la science tend à perdurer, même si les épistémologues ont depuis longtemps conclu que la société fait science et fait technique – tout comme la science et la technique font société. Ce relatif isolement tient aussi au fait que relativement peu de grands élus sont passés, en France, par la formation par la recherche, et que c’est tout à fait exceptionnel dans la haute fonction publique. Les deux milieux ont donc peu de porosité, et cela constitue un handicap pour le pays – je souhaite d’ailleurs y remédier en faisant du doctorat une voie d’entrée dans la haute fonction publique. Au parlement, l’OPECST fait un travail intéressant mais qui reste assez confidentiel. Je souhaite transformer cet office en un organisme beaucoup plus ouvert sur l’ensemble de la société et qui serait en mesure d’organiser des débats démocratiques en lien avec les grands choix scientifiques et technologiques.

2) Politique énergétique

Les projections actuelles montrent que croissance économique et démographique entraîneront mécaniquement un doublement de la demande énergétique mondiale d’ici 2050 (pour atteindre 28 TW1 de puissance mondiale, contre 14 aujourd’hui). Par ailleurs, ce doublement de la production énergétique devra s’accompagner d’une diminution des rejets de dioxyde de carbone (CO2) et des autres gaz à effet de serre afin de ne pas surajouter une crise climatique et environnementale globale, dans un contexte mondial de raréfaction probable du pétrole et des autres énergies fossiles et de méfiance croissante et justifiée vis-à-vis du nucléaire.

D’un point de vue purement quantitatif, certaines énergies renouvelables comme le solaire ou l’éolien représentent chacune moins de 1% de la production énergétique française contre environ 30 % pour le nucléaire et 50 % pour les combustibles fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon). (source : Ministère de l’Ecologie, du développement durable, des transports et du logement)

>> Faut-il modifier ce mix énergétique et quelles politiques lancerez-vous pour cela ?

Tout comme le réchauffement de la planète, la rareté à venir, la décroissance proche et rapide de la ressource en énergies fossiles ont été annoncées depuis longtemps par les écologistes. Parfois sous les moqueries. Mais tout cela est désormais avéré. La prise de conscience étant acquise, il est temps de passer à l’étape de transition vers un autre modèle énergétique. Il sera fondé sur quatre piliers : la sobriété, l’efficacité, le développement des énergies renouvelables, la lutte contre la précarité énergétique.

Il faut cesser de raisonner à partir d’hypothèses erronées : non, le doublement de la demande primaire d’ici 2050 n’est pas inéluctable, et aucune solution crédible ne pourra être proposée et mise en oeuvre si l’on se contente de raisonner sur la production. Un accès à l’énergie devra être garanti aux pays pauvres, les pays développés devant d’ores et déjà s’engager dans une réduction conséquente de leur consommation. Nous savons que les marges de manœuvre et termes d’efficacité énergétique sont considérables : il est impératif de les mobiliser, tant pour protéger l’environnement que pour partager équitablement les ressources.

Laissez-moi illustrer la démarche concrètement : aujourd’hui en France, plus d’un tiers des foyers sont chauffés à l’électricité. Le chauffage électrique étant l’une des principales causes de la « pointe électrique », laquelle est satisfaite par le recours massif aux énergies fossiles. Ainsi, pour produire 1 kWh de chauffage avec un convecteur électrique, il aura fallu dépenser 4 kWh de gaz : 3 kWh pour transformer du gaz en électricité (rendement de la centrale de 33%) plus environ 1 kWh de pertes (transports, convecteur…). Au lieu d’utiliser le chauffage électrique, il serait préférable de chauffer directement avec du gaz : pour le même kWh de chauffage, vous n’aurez dépensé que 1,1 kWh de gaz. Et tout ceci, à technologie existante et sans toucher au besoin de chauffage.

Pour ce qui est de la France, Le mix énergétique doit radicalement évoluer. Nous devons tout d’abord engager un grand plan d’efficacité énergétique qui touchera l’ensemble des secteurs de l’économie (bâtiments, industrie, transports principalement). Les gisements sont connus par de multiples études, et leur rentabilité l’est également. Il faudra cependant créer une dynamique permettant leur mobilisation. Pour ce qui est de la production, les énergies renouvelables peuvent assurer jusqu’à 40 % de la production d’électricité totale dès 2020 (un niveau comparable à celui proposé par les professionnels regroupés au sein du SER). Nous proposons un accroissement très limité et transitoire du recours au gaz naturel (avec un recours systématique à la cogénération). Ainsi, la sortie progressive et programmée du nucléaire en 20 ans peut être assurée, avec un impact sur les émissions de gaz à effet de serre du secteur électrique très faible (l’augmentation du gaz étant largement compensée par l’arrêt des centrales à charbon et fioul encore existantes). A partir de 2020, les émissions de GES décroissent rapidement. En outre, les importations d’électricité en période de pointe (qui ont une forte intensité carbone bien que les émissions ne soient pas comptées sur le territoire national) seront rapidement diminuées grâce aux économies d’énergie et à la sortie du chauffage électrique. Enfin, pour la production de chaleur, l’objectif est d’assurer 35 % des besoins en 2020 à partir des énergies renouvelables telle la biomasse ou la géothermie. La priorité sera donnée à la production locale intégrée de fait au réseau électrique, instrument de mutualisation, de solidarité et de robustesse.

>> À l’échelle mondiale, gaz et charbon représentent les 2/3 de l’électricité mondiale. En France, l’électricité est à 75 % d’origine nucléaire, et un débat a actuellement lieu partout en Europe sur cette source d’énergie. Quelle doit être la source majeure d’électricité de demain en France ?

La France est incontestablement à la pointe mondiale dans l’utilisation du nucléaire, résultat d’un choix non démocratique effectué il y a bientôt un demi-siècle et qui résulte d’investissements massifs et prolongés de l’État. Mais ces investissements n’ont aucunement fait avancer la question majeure des déchets ; et la question de la sûreté reste entière, car quelle que soit la culture de sécurité développée en France, le risque zéro n’existe pas comme le souligne l’Autorité de sûreté nucléaire. Les conséquences d’un accident nucléaire majeur en France sont simplement incommensurables. Le nucléaire n’est pas une énergie propre, ni sûre, ni durable. Si son développement a pu être présenté comme avantageux économiquement, les révélations récentes sur ses coûts réels, y compris pour le nucléaire dit du futur (l’EPR en tête), démontrent qu’il n’en est rien. Le rapport de la cour des comptes indique ainsi que le prix du MWh nucléaire serait de 50€, et encore est-ce sans compter nombre d’éléments :

  • 38 milliards de dépenses publiques française de développement du nucléaire, auxquels il faudrait ajouter 7 à 8€/MWh au titre de la recherche.
  • le coût de l’assurance est estimé à 1,5€/MWh. Or, ce coût est calculé sur la base d’une occurrence d’accident grave théorique historique, dont on sait qu’elle est 20 à 300 fois (suivant les modes de calculs) sous-estimée (au regard du retour d’expérience depuis le début du nucléaire civil). Il faudrait ajouter 30 à 450€/MWh supplémentaires !
  • la cour reconnaît que le coût du démantèlement est très certainement sous évalué (elle exige d’EDF de revoir totalement sa méthodologie). La quantification est impossible.
  • La totalité des calculs de la cour sont actualisé à 5% par an, ce qui tend à très fortement réduire les coûts futurs.

Le nucléaire ne procure bien sûr nulle indépendance énergétique puisque le combustible obligatoire, l’uranium, est entièrement importé, ce qui d’ailleurs produit des dégâts humains et environnementaux considérables dans certaines zones de production comme au Niger ou au Kazakhstan. Nous proposons donc de sortir progressivement du nucléaire en une vingtaine d’années, un laps de temps qui prend en compte la durée de vie des centrales, qui permette une réelle transition énergétique globale tout en décarbonant notre économie. Cela exclut bien entendu toute construction de nouvelle centrale, ce qui explique notre opposition à toute centrale de type EPR, dont nous estimons par ailleurs que ses dimensions et le type de combustible en font l’une des plus dangereuses qui soient.

A l’horizon 2050, une production d’énergie (incluant l’électricité) approchant les 100% renouvelables est parfaitement envisageable en France et en Europe, à condition que des politiques volontaristes soient mises en œuvre. Malheureusement, la France, embourbée dans son maximalisme nucléaire, est encore très en retrait sur les modes de productions d’énergie les plus prometteurs comme le solaire ou l’éolien.

>> Quel plan de recherche et de développement envisagez-vous en matière d’énergie ? Comment voyez-vous les rôles de grands acteurs traditionnels publics comme privés (Commissariat à l’Energie Atomique, Electricité De France, …) ?

Nous devons mettre à profit les immenses compétences présentes dans ces organismes qui ont bâti leur expertise et leur réputation en plusieurs décennies. Il n’est pas question de les brader. Quand Nicolas Sarkozy va à Fessenheim expliquer que lui, il protégera les emplois en ne fermant pas la centrale, malgré sa vétusté et sa localisation géographique dangereuse, il tombe dans la caricature et la tromperie. Fermer une centrale ne signifie aucunement mettre la clé sous la porte et envoyer ses employés à Pôle emploi. On n’arrête pas un réacteur comme un moteur de voiture. Une fois les réacteurs arrêtés, il faut s’occuper du démantèlement des centrales. Cela prendra des décennies! L’exemple de la petite centrale expérimentale de Brennilis en Bretagne, dont l’exploitation conjointe par EDF et le CEA a été interrompue en 1985, est particulièrement instructif. Son démantèlement dure depuis des décennies et on n’en voit pas la fin. Pourquoi? Parce que le savoir-faire est à construire, les filières industrielles à inventer. Il y a un marché colossal à conquérir dans le démantèlement des centaines de réacteurs disséminées dans le monde. Il faudra pour cela faire de la recherche et du développement, former les personnels, inventer de nouveaux métiers. Il n’y a pas à s’inquiéter pour l’emploi.

En revanche, le coût sera énorme pour les entités en charge du démantèlement, et la cour des comptes appelle à une autre évaluation que celle jusqu’à présent portée par EDF. Ce coût devra être assumé par les exploitants nucléaires ; or aujourd’hui, les « provisions » d’EDF sont encore inférieures aux objectifs légaux assignés, qui eux-mêmes sont certainement très insuffisants. De plus, les obligations légales de provisions sont assurées en partie par des manipulations comptables qui ne garantissent en rien la capacité à débloquer les financements nécessaires à la réalisation des travaux. A cet égard, nous sommes particulièrement inquiets de l’utilisation des actifs de RTE, le Réseau de transport de l’électricité, service public par excellence.

Ce que j’ai exposé pour la France est également vrai au niveau européen. Savez-vous que dans le cadre du traité Euratom il y a encore un budget spécifique de plusieurs milliards d’euros pour la recherche européenne en matière de nucléaire? Ce que nous proposons, c’est de réorienter drastiquement les budgets de recherche français comme européens vers la recherche et le développement sur la production d’énergie à partir de sources réellement renouvelables. D’autres points nécessitent beaucoup de recherche, par exemple en matière de stockage d’énergie, d’adéquation de la demande avec la production et des réseaux intelligents… Il n’y a, a priori, rien d’insurmontable, mais de réels défis scientifiques, techniques et industriels… comme il y en avait avant que le programme nucléaire ne soit lancé ! Il faut bien sûr inciter nos grands champions nationaux (entreprises comme organismes de recherche) à se tourner le plus rapidement possible vers les activités prometteuses plutôt qu’à se cramponner à ce qui sera bientôt le passé. Et nous comptons particulièrement sur l’innovation des TPE/PME, des territoires et des universités. Si les grands acteurs traditionnels ont un rôle moteur à jouer, une économie fondée sur les énergies renouvelables doit reposer sur la multiplicité des initiatives.

>> Comment conserver une énergie bon marché et aussi propre que possible ?

Pour la propreté, il faut réduire le plus vite possible l’utilisation des énergies les plus dangereuses et les plus polluantes, privilégier l’investissement de R&D vers cette transition énergétique, en allouant l’argent public de façon beaucoup plus intelligente. Faut-il vraiment viser en outre à conserver une énergie bon marché? C’est une question différente. La richesse des pays occidentaux s’est bâtie en grande partie sur l’existence de cette énergie bon marché et sur l’appropriation égoïste des ressources fossiles. Nous touchons maintenant au bout de cette logique qui à maints égards heurtent l’exigence de justice à l’échelle mondiale et s’oppose aux principes de l’écologie. Un des enjeux consiste au contraire à payer le juste prix pour l’énergie que nous dépensons, surtout si elle d’origine non renouvelable, si elle est dangereuse à produire… Est-il raisonnable de voyager en avion de Nantes à Marseille pour le prix d’une ou deux places au cinéma?

Si le monde était infini en ressources fossiles et fissiles et si leur consommation n’avait pas d’impacts, nous pourrions espérer une énergie éternellement bon marché. Nous pensons que cet espoir est vain : le renchérissement du prix unitaire de l’énergie est une tendance lourde contre laquelle il est sans espoir de lutter. Nous estimons de plus que certaines énergies, notamment fossiles, ne paient pas le juste prix puisqu’il n’existe pas actuellement de réelle fiscalité environnementale capable de refléter les dégradations environnementales induites par leur consommation (émissions de GES par exemple).

En revanche, nous distinguons le prix unitaire de l’énergie de la facture payée par l’usager. En effet, la facture d’un ménage ou d’une entreprise est le produit d’une quantité par un prix unitaire. Si le prix est croissant, nous pouvons agir sur la quantité pour stabiliser les factures payées. Les économies d’énergies permettront de stabiliser les factures payées (malgré une fiscalité environnementale supplémentaire, nécessaire).

Par ailleurs, nous estimons que les modes de tarification de certaines énergies (électricité, gaz) doivent être revus. Actuellement, ils sont « dégressifs » : plus vous consommez, moins vous payez cher à l’unité. Nous voulons inverser la tendance en organisant la progressivité tarifaire : les usages essentiels doivent être garantis pour tous tandis que les surconsommations et les gaspillages doivent être tarifés plus chers. Ce système existe dans d’autres territoires (Californie, Japon, Italie), par différents moyens, avec certains résultats probants : pourquoi ne pas le faire chez nous ?

A moyen terme, seules les énergies renouvelables sont capables de stabiliser, voire de faire diminuer le prix de l’énergie : ce sont les seuls moyens de production qui ne dépendent pas d’une ressource de stock mais de ressources de flux. En développant une société qui repose sur la sobriété, l’efficacité et les renouvelables, nous pouvons viser à une stabilisation des dépenses liées à l’énergie.

3) Innovation et R&D

L’innovation scientifique est sans aucun doute l’une des clés de notre richesse à venir. C’est des recherches menées hier dans des laboratoires français que sont nés TGV, Airbus, Ariane, mais aussi les cartes à puces, certains médicaments, disque laser etc. Tout l’enjeu consiste à investir aujourd’hui sans savoir ce qui, demain, sera pourvoyeur de nouvelles richesses et se révélera utile à la société.

Les dépenses de Recherche et Développement, comptées en part du PIB, ont atteint leur pic en 1993 (2.4 %), puis elles ont baissé fortement entre 2002 et 2007 et pourraient même être descendues sous les 2% selon certains instituts étrangers (sources : Sénat, 2011 Global R&D Funding Forecast pour les chiffres 2010). Sans nous comparer aux pays scandinaves ou à la Corée du Sud, champions des investissements, la France est bien loin des Etats-Unis, du Japon, de l’Allemagne, même de la Suisse en part du PIB consacrée à la R&D, et l’objectif adopté solennellement en 2000 au niveau européen d’atteindre en 10 ans 3% du PIB pour la recherche n’ont jamais été ne serait-ce qu’approchés.

>> Quelle politique suivrez-vous pour enrayer ce déclin ?

En tant qu’écologiste, il me faut souvent répéter à mes interlocuteurs que les solutions aux grands problèmes qui affectent la planète et l’humanité sont politiques avant d’être techniques ; il n’en reste pas moins que la recherche et l’innovation ont un rôle considérable à jouer pour faciliter la transition vers une société écologique. Le tissu industriel de la France est aujourd’hui axé en majorité dans des activités peu innovantes et de milieu de gamme : un développement fort de l’innovation écologique facilitera la reconversion des industries anciennes comme l’automobile, et limitera notre exposition à la concurrence internationale.

Les dépenses de R&D doivent donc s’accroître, et le public comme le privé en prendre leur part. Je souhaite tout d’abord augmenter l’effort public de recherche civile : cela peut être financé avec un coût très faible pour les finances publiques en réorientant une partie du Crédit d’Impôt Recherch et une partie des budgets affectés à la recherche militaire et aérospatiale. Et je souhaite créer les conditions d’un développement fort de la R&D privée, point faible historique de la France. Pour cela, le levier majeur n’est pas de déverser l’argent public sur toute activité estampillée « recherche » (même si elle concerne la banque ou l’assurance!) comme l’a fait le gouvernement avec le Crédit d’Impôt Recherche : malgré son coût annuel de 5 milliards d’euros, il profite essentiellement aux grandes entreprises et n’a pas généré d’accroissement tangible des investissements privés de R&D. Il faut au contraire favoriser l’émergence de PME innovantes. Il y a plusieurs leviers pour cela : la commande publique, qu’il s’agisse de réserver une partie des marchés publics aux PME (un « Small Buseness Act » à la française) ou de lancer des concours d’innovation ; une incitation fiscale mieux ciblée, avec des conditionnalités écologiques et sociales, et mieux évaluée ; et l’évolution culturelle que serait l’aptitude du monde de l’industrie et de la recherche à dialoguer de manière constructive. Ce dernier aspect est le plus difficile à concrétiser, car il suppose que chercheurs et entrepreneurs aient des accointances communes, donc ne soient pas issus de formations qui s’ignorent, alors que le système des « grandes » écoles pousse précisément à une telle dichotomie. La réforme de l’enseignement supérieur, avec le rapprochement des universités et des écoles, et une meilleure reconnaissance professionnelle du doctorat, participeront de cet objectif.

>> Comment faire en sorte que la France puisse développer un tissu de PME technologiques ?

Certains géants mondiaux d’aujourd’hui, en particulier dans les nouvelles technologies – je pense à Facebook ou à Google, sont nés de presque rien, d’une idée, et en quelques années ont dépassé le stade de petite puis moyenne entreprise pour prendre la place mondiale qu’on leur connaît aujourd’hui. Pour ce faire, elles ont bénéficié tout au long de leur parcours des soutiens financiers qui ont permis et accompagner leur croissance. En France, les financements pour la R&D soutiennent principalement les très grandes entreprises, faute de PME innovantes et technologiques. A la différence de ce qu’on observe en Allemagne, les grandes entreprises françaises ne considèrent pas les PME avec lesquelles elles interagissent comme des partenaires à privilégier, à faire prospérer pour créer avec elles ce qu’on nomme parfois un « écosystème ». Au contraire, les PME françaises servent de variables d’ajustement aux grands groupes qui, en temps de crise, ont tendance à les sacrifier en croyant se préserver. Nous pensons qu’il s’agit là d’une politique totalement erronée et en tout cas qui manque de vision stratégique.

L’innovation est le fruit d’initiatives de terrain qui impliquent une succession d’essais/erreurs pour que certaines parviennent au succès. Il faut donc privilégier le soutien aux initiatives et ne pas pénaliser les erreurs. Les écologistes sont favorables à une nouvelle décentralisation. Nous souhaitons que les Régions aient un rôle accru en faveur de la recherche et de l’innovation. De la même façon, elles doivent jouer un rôle de plus en plus actif dans l’accompagnement de l’économie locale. C’est à ce niveau que pourront se développer des PME innovantes. Un des enjeux réside dans la constitution de réseaux régionaux qui mettent les acteurs en relation, qu’ils travaillent dans les laboratoires de recherche ou dans les PME. Il faut inventer de nouveaux métiers, par exemple celui d’ « interfaceur ». Les conseils régionaux pourraient recevoir la responsabilité de constituer ces structures d’interface dans le cadre de nouvelles compétences qui leur seraient dévolues, accompagnées bien sûr des moyens financiers ad hoc. Et j’ai cité à la question précédente un train de mesures nationales qui apporteraient des soutiens forts aux PME innovantes.

>> Quel doit être le rôle des universités dans l’innovation ? Les entreprises doivent-elle être le lieu de la R&D, ou doivent-elles préférentiellement financer la recherche (bourses, matériel …) pour qu’elle soit faite à l’université ?

La R&D est du ressort des entreprises. Les universités ont d’autres missions à remplir, ne mélangeons pas les genres. Ce qui n’empêche pas de favoriser les relations et les rencontres, ou de permettre à des équipes d’accompagner une découverte sur la voie d’applications industrielles lorsqu’elles en ont la volonté et les capacités. Mais il ne revient pas à l’université ou aux organismes de recherche de se substituer à la R&D privée. Leur rôle principal est en amont, dans l’exploration des frontières de la connaissance, et dans leur contribution à la formation des cadres par la recherche. Faire des universités un lieu de formation majeur des cadres du pays est un impératif : la difficulté de l’industrie française à se tourner vers l’innovation n’est certainement pas sans lien avec le fait que seulement 10% des cadres du privé sont titulaires d’un doctorat alors qu’ils sont par exemple 30% aux USA.

>> Comment concilier cette vision avec l’action des pouvoirs publics ?

Voir ci-dessus.

4) Éducation et culture scientifique

La comparaison de la France avec les autres pays est peu élogieuse. Légèrement au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE en termes de moyens (mais ne tenant pas la comparaison avec l’Autriche, les Etats-Unis, les pays nordiques et le Japon en particulier) [source : Regards sur l’éducation 2011: Les indicateurs de l’OCDE] mais en réel retard en termes de résultats (étude PISA), l’éducation scientifique française, du primaire jusqu’au supérieur n’est pas, et de loin, un modèle sur le plan international. De plus, d’importantes disparités existent :

  • Entre matières : les mathématiques restent la matière de « l’excellence ». Par exemple, au collège, l’ensemble de l’enseignement scientifique hors mathématiques se partage le même volume horaire que le sport. Et au lycée, les sciences physiques et les SVT voient leur volume horaire diminuer fortement avec la réforme du lycée.
  • Entre filière : les moyens financiers par an et par étudiant sont beaucoup plus importants en classe préparatoire (14 850 euros par an et par étudiant) et en BTS (13 730 euros par an et par étudiant) qu’à l’université (10 220 euros par an et par étudiant, en y incorporant les filières IUT, mieux dotées que les cursus LMD classiques), parent pauvre de l’enseignement supérieur.

 Enfin l’érosion des inscriptions en filières scientifiques viennent clore ce constat préoccupant.

>> Quels objectifs doit se fixer la France en terme d’enseignement scientifique : classements internationaux par classe d’âge (Etudes du type PISA), effectifs et accessibilité du supérieur ? Quelles sont d’après vous les idées directrices à suivre pour y parvenir ?

La France investit fortement dans l’éducation : il s’agit là d’une force pour notre pays et je combattrai sans relâche celles et ceux qui proposent de faire des économies sur la formation. Investir dans le savoir et la connaissance est un impératif pour former les citoyens éclairés de demain. Et dans une société où les questions scientifiques et techniques jouent un rôle toujours plus important, il est primordial que tous les jeunes disposent d’un bagage scientifique. Dans le système actuel, il est possible d’être diplômé à bac+5 en ayant fait de la physique ou de la biologie pendant moins de 4 ans de scolarité : quel sens cela a-t-il ? Cette revalorisation des enseignements scientifiques doit d’ailleurs être l’occasion d’un rééquilibrage au bénéfice des aspects expérimentaux : la démarche déductive et pratique est à la fois plus attrayante et moins exigeante en termes d’abstraction que les mathématiques.

J’identifie deux faiblesses majeures dans le système d’enseignement français : un investissement insuffisant dans le primaire par rapport au secondaire, et une obsession de la notation et de la comparaison des élèves dès les petites classes. Les études PISA ont bien mis en évidence à quel point cet accompagnement insuffisant au niveau élémentaire et ce système de filtrage constant aboutit à abandonner en cours de route une fraction incroyablement élevée des élèves (22% d’élèves de 15 ans en grande difficulté, un des pires résultats de l’OCDE), tandis qu’au nom de la formation des « élites de la république » la fraction des meilleurs bénéficie d’un surinvestissement dont les classes préparatoires aux grandes écoles sont l’ultime avatar. Une telle école n’est égalitaire que dans la forme, comme le démontre la forte corrélation entre l’origine sociale et l’accès aux formations les plus prestigieuses. Il faut donc revoir toute la pédagogie et l’organisation de l’école pour que tous les jeunes puissent y trouver leur place.

Ces problèmes se retrouvent également dans le supérieur. L’accès au supérieur n’est pas encore suffisamment démocratisé pour autant, et les inégalités entre filières sont patentes. Je fais mien l’objectif de 50% d’une classe d’âge diplômé du supérieur : mais cela demande des moyens financiers concrets et la mise en place de cursus adaptés pour permettre aux jeunes issus des bacs technologiques, et même professionnels, d’y réussir. Cette évolution de l’orientation a au moins autant d’importance que l’amélioration de la pédagogie si l’on veut réduire le trop fameux échec en licence. Cette amélioration de la réussite des étudiants passe aussi par les conditions d’études : le travail en parallèle aux études est la première cause d’échec ! Le supérieur devrait évoluer vers la gratuité au même titre que le secondaire, le système de bourses doit être étendu pour se transformer progressivement en revenu d’autonomie, et une politique volontariste de construction de logements étudiants doit être entreprise.

>> Les inégalités entre filières (université / classes préparatoires par exemple) ou entre matières (mathématiques / biologie par exemple) sont-elles pour vous préoccupantes, et faut-il chercher à les gommer ? Quels moyens pour y parvenir (investissements publics, privés, modification des frais de scolarité, …) ?

J’ai deux objectif centraux en matière d’enseignement supérieur : permettre à un plus grand nombre de jeunes de réussir et mettre la formation par la recherche au centre du système de formation. Pour cela, je souhaite rappeler aux BTS et aux IUT leurs missions initiales, à savoir la poursuite d’étude des bacheliers professionnels et technologiques: cela pourra passer par un système de quotas dans ces formations. Concernant les premiers cycles généralistes, on lit souvent qu’il faut donner aux licences les moyens de « se battre à armes égales » avec les classes préparatoires : je préconise pour ma part d’en finir avec cette dualité pour aller vers une fusion par le haut des deux systèmes. Des licences refondées conserveront leur dimension universitaire, le premier lien avec la recherche, mais l’encadrement y sera plus important, et la pluridisciplinarité en fera partie intégrante. Les enseignants de classes préparatoires, presque tous docteurs aujourd’hui, y trouveront toute leur place. Le rapprochement des écoles avec les universités doit être largement accéléré, dans le cadre de structures fédératives permettant des transitions culturelles progressives, structures pouvant s’inspirer pour partie des Pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les PRES. A terme, les écoles pourraient devenir des instituts universitaires à part entière, conservant une forte autonomie mais parties prenantes de la dynamique de pôles universitaires rénovés.

Les formations supérieures ne sont pas différentes des formations primaires et secondaires : il s’agit d’un investissement de la société sur elle-même. Et les études économétriques démontrent que l’investissement public dans l’enseignement supérieur est à la fois rentable pour l’Etat et redistributif. C’est donc à la puissance publique d’agir pour donner au supérieur les moyens de mieux remplir ses missions.

 >> Plus généralement, quelles sont pour vous les bases nécessaires à un citoyen pour donner un avis éclairé, en terme de raisonnement et de culture scientifique ? Comment former et informer les citoyens une fois sortis du système éducatif ? Le service public audiovisuel, très pauvre en contenu spécifiquement axé vers les sciences, a-t-il un rôle à jouer et comment ?

Le savoir ne s’acquiert pas uniquement lors de la formation initiale, mais tout commence par là. J’ai déjà souligné plus haut que la place actuellement dévolue aux sciences dans l’enseignement est à la fois insuffisante et mal équilibrée, alors même que la simple compréhension des transformations à l’oeuvre dans la société fait de plus en plus appel à la culture scientifique et technique. Je souhaite par exemple encourager un recours accru à l’observation dans l’enseignement primaire, de façon à familiariser les élèves dès leur plus jeune âge avec la démarche scientifique, en leur apprenant à raisonner rationnellement sur des faits observés et établis. Il est également impératif de dispenser à l’ensemble des étudiants inscrits dans les cursus de formation des professeurs des écoles, une formation scientifique de base leur permettant d’assurer dans les meilleures conditions l’initiation de leurs élèves aux sciences.

Cela posé, je souhaite faire de la diffusion de la culture scientifique dans l’ensemble de la population une priorité des politiques culturelles. Toucher l’ensemble de la population, cela veut dire privilégier la proximité, donc préférer des expositions itinérantes et des structures locales plutôt que des éléphants blancs. Les médias comme la télévision ont un rôle de premier plan à jouer : la culture scientifique devrait faire partie intégrante de leur cahier des charges.

Dans un monde de plus en plus complexe et technologique, les citoyens sont bombardés d’offres basées sur un argumentaire scientifique. Certains en profitent et voguent sur ces tendances pour tirer parti de consommateurs peu informés ou en situation de faiblesse, occasionnant au mieux une perte économique, au pire des dommages sur la santé. Le rapport 2010 de la MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) pointe par exemple les dérives des médecines alternatives dans le traitement du cancer (Rapport annuel au premier ministre 2010, p.129).

>> Dans quelle mesure l’état doit s’impliquer dans la lutte contre ces dérives ? L’éducation scientifique des citoyens est-elle un levier d’action dans ce domaine ?

Toute tromperie des consommateurs doit être poursuivie et sanctionnée, à plus forte raison lorsqu’elle peut avoir des conséquences sanitaires ou sociales. Face à des discours pseudo-scientifiques, il est bien évident que l’éducation des citoyens est un premier rempart. Mais cet exemple questionne en fait tout le système de la publicité, qui reste insuffisamment contrôlé et encadré. Je propose la création d’une autorité indépendante chargée de la régulation pour tous les supports, composée de représentants de l’État, des ONG, des associations de consommateurs, des professionnels du secteur. Une de ses missions pourrait porter sur l’évaluation de la réalité des argumentaires utilisés. D’autre part, les citoyens sont d’autant plus susceptibles d’être abusés qu’ils sont fondés à douter de l’impartialité des expertises issues des agences officielles : la lutte contre les conflits d’intérêts, la transparence des procédures et le recours systématique à des actes d’expertise indépendant (et non pas réalisés par les fabricants) sont indispensables, ce qui implique entre autres la création d’un système de protection des lanceurs d’alerte.

5) Régulation des technologies et organisation de l’expertise

OGM, téléphonie mobile, pesticides… et maintenant nanotechnologies, nombreuses sont les polémiques impliquant les sciences et les techniques, et sur lesquelles le principe de précaution désormais inscrit dans la Constitution semble offrir bien peu de prise.

>> Allez-vous chercher à lever les incertitudes scientifiques qui pèsent sur ces technologies controversées, ou préférez-vous donner priorité à l’innovation ? Êtes-vous prêt(e) à contribuer à une réforme des systèmes d’expertise français et européen, souvent mis en cause ? A organiser un débat public à ce sujet ?

Une des caractéristiques du capitalisme contemporain est de chercher à contrôler toujours plus étroitement la production et la circulation des savoirs, et à raccourcir au maximum le temps entre la découverte et la mise de produits sur le marché. Et les politiques menées ces dernières années ont facilité cette prédation : recherche publique lentement mais sûrement déstructurée sous le couvert fallacieux de l’“excellence”, argent public destiné à l’innovation privée dépensé avec peu de contrôles et sans évaluation, renforcement des droits de propriété intellectuelle hors de tout débat public…

Je suis déterminée à rompre avec ces dérives, à mettre en place un nouveau partenariat entre science et société. La forme “débat public” peut avoir son utilité, mais elle n’est pas à la hauteur des enjeux : il est temps de faire émerger une démocratie scientifique par une politique de partage des connaissances et l’installation d’un Office national indépendant, financé sur fonds d’État, chargé de mettre en débat public les grands choix en matière scientifique et technologique. Il faut également développer les recherches basées sur une collaboration entre les laboratoires de recherche publics et les organisations de la société civile, comme les Picri en Ile-de-France.

La question de l’expertise est évidemment au cœur des relations entre science et société. La société doit pouvoir s’appuyer sur une expertise publique autonome et contradictoire. Pour cela, je propose de créer une Haute autorité de l’alerte et de l’expertise, et de permettre de valoriser les missions d’expertise effectuées par les chercheurs publics. Enfin, je répète qu’il faut mettre en place un statut véritablement protecteur des lanceurs d’alerte. Sur ces deux derniers points, le statut de fonctionnaire des chercheurs offre une garantie d’indépendance qui doit absolument être préservée. Ces mesures pourraient parfaitement être mises en œuvre à l’échelle européenne et je le proposerai à nos partenaires et à la commission.

Il n’est pas exact de dire que le principe de précaution n’offre que peu de prise sur les grands enjeux technologiques contemporains – il manque d’ailleurs le nucléaire à cette liste. Mais il ne s’agit que d’un principe, et il n’est rien sans la volonté politique de le concrétiser : je souhaite le mettre en œuvre concrètement. Ainsi, la mise sur le marché de produits nouveaux devrait toujours s’accompagner d’une analyse de leurs impacts possibles. La directive européenne REACH sur les substances chimiques constitue un premier pas dans cette direction, qu’il faut étendre et généraliser. Il revient aux industriels d’apporter la preuve de l’innocuité de leurs produits, preuve qui devrait être passée au crible d’une évaluation indépendante et incontestable : les scandales sanitaires récents (le mediator par exemple) ou plus anciens mais sans fin comme celui de l’amiante montrent bien les faiblesses du système actuel.

Les nanotechnologies sont porteuses de formidables promesses dans de nombreux domaines. Elles font l’objet d’un soutien massif dans le monde. La France n’est pas en reste avec 70 millions d’euros alloués à ce thème de recherche en 2009 dans le cadre du plan NanoInnov tout comme une part importante des 8 milliards d’euros attribués à la recherche dans le cadre des investissements d’avenir.

>> Contribuerez-vous à soutenir le développement des nanotechnologies ? Etant donné la diversité des disciplines et des champs d’application concernés, ne trouvez-vous pas que ce soutien aux nanotechnologies, au travers de programmes de recherche dédiés à l’ANR par exemple, devrait être accompagnée d’une réelle vision politique pour la recherche ?

Les écologistes sont favorables à l’approfondissement des connaissances dans tous les domaines, et les nanosciences ne font pas exception. Mais nous sommes également attentifs aux évolutions scientifiques et technologiques et à leurs conséquences possibles sur la société et l’environnement. En l’état actuel des connaissances, les conséquences – potentiellement irréversibles – de l’introduction subreptice de nano-objets dans l’environnement et la chaîne alimentaire sont inconnues. Les dangers de certaines substances sont en revanche clairement avérés : les nanoparticules peuvent passer à travers toutes les barrières corporelles (la peau en présence de lésions, l’intestin, la barrière entre sang et cerveau…) et c’est ailleurs pour cela qu’il est envisagé de les utiliser en médecine. Certaines études montrent un effet inflammatoire sur les systèmes pulmonaire et cardio-vasculaire. Les nanotubes de carbone pourraient produire dans le poumon des effets similaires aux fibres d’amiante. Et malgré cela, les mises sur le marché de centaines de produits contenant des nanoparticules de synthèse ne sont précédées d’aucune évaluation d’impact par des experts indépendants, en violation du Principe de précaution – pourtant inscrit dans la charte de l’environnement de la Constitution française – et de l’esprit du règlement européen REACH. De plus, les conséquences sociétales de procédés de miniaturisation peuvent également être lourdes, en particulier en termes de protection de la vie privée et de libertés individuelles.

Pour l’heure, l’explosion des financements publics et privés ciblés sur le développement des nanotechnologies (souvent au détriment d’autres domaines de recherche) se fait sans réelle réflexion sur leur intérêt sociétal ou sur les risques afférents en matière d’éthique et de libertés. Il s’agit là d’un véritable cas d’école de gestion irresponsable des évolutions scientifiques et technologiques. Tout programme de recherche comportant des volets applicatifs devrait faire l’objet d’un encadrement éthique adéquat, et son financement devrait comporter un volet dédié à l’étude des impacts et des conséquences sanitaires ou sociétales de ces techniques. Sur des sujets identifiés comme pouvant comporter des risques, l’organisation de débats pluralistes menant à des décisions opérationnelles et le renforcement de l’information des citoyens devrait être la règle.

Plus généralement, je veux assurer une complète liberté aux actions de recherche fondamentale, la communauté scientifique retrouvant une indépendance d’organisation que le gouvernement s’est appliqué à lui retirer avec le système de recherche sur projet et la multiplication des guichets liés au Grand emprunt. Mais je souhaite aussi permettre à la société d’exprimer des attentes et des besoins par le biais d’un processus démocratique, les sujets ainsi identifiés pouvant faire l’objet d’actions incitatives ciblées. Dans un tel système, l’ANR n’occupera qu’une place réduite, se chargeant de distribuer les crédits correspondants aux actions incitatives et aux recherches partenariales, tandis que l’essentiel des financements de la recherche retrouvera un caractère stable au travers des organismes de recherche et des universités.

>> Comment envisagez-vous la gestion des risques sanitaires et environnementaux des nanotechnologies (effet sanitaire de certains nanotubes analogue à celui de l’amiante, impact environnemental d’un largage massif de nanoparticules d’argent antibactériennes) dont certains sont déjà étayés par plusieurs études ? Quelle est votre position face aux demandes de moratoire émanant de certaines associations ?

La première étape est de rétablir la transparence et de permettre l’information des citoyens et des élus, alors qu’actuellement la priorité de nombreuses actions est surtout d’obtenir l’acceptation par la population. Si je ne partage pas l’idée d’un moratoire sur les recherches, je souhaite en revanche l’instauration d’un moratoire sur la commercialisation de produits contenant des nanoparticules, suivi de la mise en place d’une autorisation européenne de mise sur le marché des nano-produits (AMMN). Je mettrai un terme aux investissements publics massifs (collectivités, Etat) au profit de grands groupes industriels et des développements militaires, au moins jusqu’à ce qu’une stratégie européenne de recherche et de production soit définie et mise en place. Je travaillerai au lancement d’une négociation d’un règlement REACH II pour inclure les spécificités nanos. Enfin, je flécherai la moitié des financements de recherche sur ces nouvelles techniques, en termes d’équipes et de budgets fléchés sur les questions sanitaires, environnementales et sociales.

Le débat public sur les nanotechnologies qui s’est déroulé en 2009-2010 a fait l’objet de nombreuses critiques. L’une d’elle tient au fait que la Commission Nationale du Débat Public, étant donné la complexité du sujet, a dû avant tout assurer une mission d’information, donnant une large place à la vulgarisation, réduisant d’autant le temps de débat proprement dit.

>> Ne peut-on mieux articuler information et débat, en mobilisant l’audiovisuel public, par exemple ? Quel regard portez-vous sur internet dans ces débats : s’agit-il plutôt d’un outil d’information ou de désinformation ?

La CNDP a effectivement pris le parti de travailler dans le registre de l’information, ce qui n’était pas son rôle ; mais surtout, elle s’est obstinée à ne traiter que la question des risques et à considérer comme acquis – et même nécessaire – un développement sans limite du recours aux nano-objets. Des questions pourtant fondamentales comme celle de l’utilité sociétale des nanosciences ou de la pertinence d’un financement massif des développements par des fonds publics étaient ainsi exclues des discussions. Plusieurs années auparavant, la région Ile-de-France avait lancé sa propre initiative sur le sujet, sous forme d’une conférence de citoyens. Un tel système offre des garanties de pluralité des avis et assure une réelle participation des citoyens, toutes choses qu’un système de grands-messes est incapable de proposer.

Au titre de sa mission de culture scientifique et technique, l’audiovisuel public devrait être partie prenante des grands débats scientifiques et techniques : mais encore faut-il que le choix des intervenants et des programmes soit réalisé sous l’égide d’un comité scientifique pluraliste.

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Intervention France Biotech – 23 janvier 2012 https://recherche-enseignementsup.eelv.fr/2012/01/24/intervention-france-biotech-23-janvier-2012/ Tue, 24 Jan 2012 17:59:39 +0000 http://recherche-enseignementsup.eelv.fr/?p=2421 France Biotech organisait le 23 janvier 2012 le premier « Conseil Stratégique des Industriels de l’Innovation en Sciences de la Vie »  sur l’avenir des Biotechnologies, et recevait les principaux partis politiques engagés dans la campagne présidentielle 2012. Marc Lipinski, Conseiller Régional Ile de France Europe Ecologie Les Verts, et membre de la Commission Recherche EELV représentait notre mouvement. Voici son intervention.

Voici la conclusion de cette intervention, qui résume notre propos

Vous l’avez compris, je l’espère, les écologistes sont éminemment favorables à la recherche scientifique, ils sont même friants d’innovation, dans les outils qu’ils proposent comme dans les projets poursuivis. C’est en particulier le cas dans les sciences du vivant et le secteur des biotechnologies n’y échappe pas. Il est et restera, vous pouvez en être assurés, au coeur de notre attention et de nos réflexions.

Intervention complète

Je vais tenter dans les 20 minutes qui me sont imparties, d’exposer rapidement la vision des écologistes sur les questions de recherche et d’innovation en général, et je n’oublierai pas d’évoquer également ce qui nous rassemble ici, le secteur des biotechnologies.

Tout d’abord, je voudrais vous rappeler que l’écologie politique est parmi les grands courants de pensée politique celle qui est la plus proche de la science. La plus en phase avec ce que les Anglo-saxons appellent la « science-based policy ». Pour des raisons évidentes de prise en compte des grands enjeux planétaires, des enjeux de long-terme, des interactions entre l’espèce humaine et la nature; des rapports que nous avons commencé à modifier en profondeur depuis l’avènement de la révolution industrielle fin XVIIIe et surtout au XIXe siècle. Si bien que certains scientifiques, tels Paul Krutzen, prix Nobel de chimie en 1995, ou Claude Lorius, un des très grands glaciologues mondiaux, un de ceux qui ont contribué à notre compréhension actuelle de l’évolution des climats, deux scientifiques de haute volée donc, proposent le terme d’anthropocène pour décrire l’ère géologique dans laquelle nous serions entrés, une ère où le facteur de changement essentiel est apporté par l’espèce humaine et ne provient plus seulement de l’évolution intrinsèque de la planète ou de la multitude des espèces qui l’ont peuplée depuis l’apparition de la vie sur notre seule et unique résidence possible, la Terre.

Donc, oui, les écologistes sont des adeptes de l’extension continue des connaissances. Et nous défendons une politique volontariste de soutien à la recherche et aux sciences, en impliquant autant que faire se peut les citoyens. Une politique qui s’applique à tous les domaines, sans tabous, sans exclusive. Ce qui ne nous empêche pas de prôner certaines précautions, et aussi certaines priorités en matière d’investissement public dans la recherche.

Ainsi, dans le champ ô combien crucial de l’énergie, nous pensons qu’il faut faire infiniment plus d’efforts pour la recherche dans les énergies réellement renouvelables, plutôt que de tenter de maintenir le plus longtemps possible l’énergie nucléaire qui est à l’évidence vouée à s’effacer, pour de multiples raisons dont la moindre n’est pas les limites de la ressource première, l’uranium. Pour prendre un second exemple qui peut intéresser ici, il nous semble important de consacrer une part plus grande des crédits de recherche à l’amélioration des techniques d’agronomie écologique plutôt qu’à investir dans le développement de végétaux génétiquement modifiés dont l’intérêt et l’objectif, quoi qu’on nous en dise, est principalement d’assurer une position durablement dominante à quelques majors de l’agro-industrie.

Et nous assumons notre position : oui, nous proposons des priorités sur les grands champs thématiques à explorer. Parmi ces champs prioritaires, les sciences du vivant. Pourquoi? Tout simplement parce que les programmes que nous défendons sont tournés vers le mieux-être des femmes et des hommes que nous sommes. C’est d’ailleurs le titre du projet – Vivre mieux – vers la société écologique – sur lequel tous les candidats d’Europe-Écologie – les Verts feront campagne en 2012, de la candidate à l’élection présidentielle, Éva Joly, au nom de laquelle j’interviens aujourd’hui, aux candidates et candidats qui se présenteront aux centaines d’élections locales. Et c’est bien de ces élections locales qu’émergera la majorité parlementaire qui gouvernera effectivement ce pays à partir de l’été 2012. Une majorité qui sera nécessairement composite, aucune force politique ne pouvant plus prétendre diriger seule, avec succès, un pays aussi complexe que la France.

Alors, en terme de politique publique de soutien à la recherche et à l’innovation, quelle est la situation aujourd’hui? Quel diagnostic portons-nous sur la réalité des choses dans la France de ce début 2012 ?

Il nous faut d’abord prendre la mesure des transformations qui ont bouleversé le système français de recherche depuis quelques années, et singulièrement depuis l’énorme mobilisation qui s’était manifestée dans la société française en 2004, à l’appel du mouvement Sauvons la recherche ! et qui avait abouti à une défaite en rase campagne de la droite gouvernementale de l’époque, qui avait dû retirer ses projets de précarisation des emplois scientifiques et qui avait perdu dans la foulée les élections régionales de 2004. Ce qui, incidemment, m’avait amené à la vice-présidence du Conseil régional d’Île-de-France, en charge de la recherche et de l’innovation.

En quelques années donc, et en très bref, nous avons connu :

  • la création en 2005, puis la montée en puissance, de l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, d’abord dotée de 350 millions d’euros et qui a désormais plus de 20 milliards à gérer;
  • la création de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, l’Aéres, totalement débordée par son appétit pantagruélique et largement critiquée par la communauté pour ses évaluations simplistes et dévoyées dans leur utilisation;
  • la création en 2006 des Pôles d’enseignement supérieur et de recherche, les Pres, pour plus de mutualisation entre établissements d’enseignement supérieur et de recherche, ce qui était un objectif parfaitement louable, mais qui s’est trouvé très vite mis en porte à faux par le lancement du Plan campus;
  • la création des pôles de compétitivité parmi lesquels un certain nombre dans le domaine de la santé ;
  • la loi sur les Libertés et les responsabilités des universités, dite loi LRU, à en croire les commentateurs succès principal du quinquennat Sarkozy? Pour certains établissements privilégiés peut-être, qui ont bénéficié d’augmentations réelles de moyens accompagnant l’accroissement de leurs tâches obligatoires, mais pour l’ensemble du tissu universitaire du pays, certainement pas;
  • la création d’Alliances entre grands organismes de recherche, telle Aviesan, Alliance pour les sciences de la vie et de la santé, qui regroupe l’Inserm, l’Institut des sciences biologiques du CNRS – l’un des 10 instituts qui composent désormais le CNRS depuis qu’il a été partagé à la découpe, sous prétexte de plus d’interdisciplinarité ! – la Direction des sciences du vivant du CEA, l’Inra, l’Institut Pasteur, le Réseau des centres hospitalo-universitaires et j’en passe;
  • Last but not least, nous avons maintenant le Grand Emprunt et ses Investissements d’avenir, ses Laboratoires d’excellence censés se constituer sur les décombres des laboratoires existants, ses sociétés d’accélération du transfert technologique, les SATT; ses 6 IHU, Instituts hospitalo-universitaires sans doute bien plus excellents que les 32 CHU à l’excellence datée; et bien sûr ses quelques Idex, 5 à 10 nouveaux établissements de prestige auxquels on promet monts et milliards, mais pas tout de suite, après quelques années probatoires ! Gageons que ces Idex, s’ils voient le jour, devront alors naviguer sur une mer jonchée de débris, les débris des établissements qui auront dépéri faute de moyens, puisque les milliards futurs – et pour la plupart non consommables – du Grand Emprunt seront compensés par des réductions budgétaires, immédiates celles-là, sans période probatoire, et déjà largement engagées dans nos laboratoires respectifs.

Tout cela a-t-il simplifié le paysage? facilité la vie des acteurs? Ce qu’on a vu prendre forme, en réalité, c’est un système de plus en plus fragmenté, complexifié, rythmé d’appels à projets sans fin, lancés vers des communautés de chercheurs, de scientifiques et d’entrepreneurs qui, continuellement en réunions, s’épuisent à tenter de suivre, de répondre, en espérant gagner à un jeu éminemment pervers quand la réalité vient tous les jours démentir les grands discours et les déclarations d’amour.

Alors que devons-nous faire? Que proposons-nous?

Permettez-moi une confidence d’abord : fort de l’expérience acquise lorsque j’étais en charge de la recherche et de l’innovation en Île-de-France, plus d’un milliard d’euros gérés en six ans, j’ai assez largement contribué à l’élaboration des propositions d’Europe Écologie – les Verts, dont certaines inspirées évidemment de mon action en Île-de-France.

Ainsi,

  • J’aimerais rappeler que la politique de recherche que j’ai développée entre 2004 et 2010 au Conseil régional d’Île-de-France et que certains d’entre vous connaissent bien fut particulièrement favorable aux sciences du vivant. Parmi les 14 Domaines d’intérêt majeur que nous avons labellisés pour cibler nos priorités d’intervention budgétaire, 7 concernaient des grandes thématiques ancrées au sein du vivant. L’une d’elles ciblait les recherches sur les cellules souches et je sais que c’est un sujet qui vous interpelle. Une fois ces priorités définies, nous avons attribué des budgets à des réseaux de chercheurs qui se devaient de couvrir toutes les forces régionales, et là cessait notre intervention. Pour le reste, c’était aux acteurs eux-mêmes de trancher sur la meilleure utilisation de l’argent public que la délibération démocratique décidait de leur attribuer.
  • Pour favoriser l’innovation dont nous estimons qu’elle réside essentiellement dans les petites et moyennes entreprises, j’ai créé et installé le Centre francilien de l’innovation, en lieu et place des anciens Critt fusionnés. J’ai fait en sorte que les aides proposées par le Centre deviennent aussi simples que possible. A vrai dire, il n’y en a plus que deux: l’aide à la maturation de projet, que la Région co-finance avec Oséo, et l’aide à l’innovation responsable pour laquelle j’ai tenu à ce que la Région soit seule aux commandes. Ce qui nous a poussés à élaborer une grille spécifique d’analyse des projets soumis. Cette grille passe tout projet au crible des trois piliers constitutifs de ce qui constitue un développement réellement soutenable : l’économique, le social, l’environnemental. Il va sans dire que les projets qui concernent l’amélioration de la santé, la préservation de l’environnement, la quête de sources innovantes et renouvelables d’énergie, son stockage, etc. ont toutes chances de passer le crible et de bénéficier des bonus de subventions que j’ai tenu à instituer pour les meilleurs projets.
  • Côté Pôles de compétitivité, nous avons vite adopté pour politique de ne financer dans les projets sélectionnés que les PME et les laboratoires publics. Il ne me paraissait pas particulièrement intelligent d’attribuer à de grands groupes industriels des sommes d’argent – au demeurant limitées par rapport à leurs propres budgets recherche – tandis que ces mêmes sommes pouvaient se révéler décisives pour les PME concernées comme pour les chercheurs des laboratoires publics qui choisissent de travailler avec ces entreprises innovantes.

Ce qui a été jugé pertinent, je le crois, en Île-de-France doit être possible aussi au niveau national. Dans la situation financière qui est aujourd’hui et sera durablement celle du pays, il s’agira d’identifier ce qui est socialement utile et écologiquement soutenable pour un usage optimal des deniers publics.

Justement, venons-en maintenant au Crédit d’impôt recherche, dont l’explosion en terme de coût fiscal pour le budget de l’État est à nos yeux une des aberrations les plus criantes du quinquennat qui s’achève.

Il faut prendre conscience que le CIR est une politique assez spécifiquement française. Par exemple, il n’existe pas chez nos voisins allemands de dispositif similaire censé inciter les entreprises à investir dans la recherche. Or, il serait vraiment hasardeux de prétendre que les entreprises allemandes ne font pas de recherche. On pourrait même avancer sans crainte de se tromper que la force du tissu industriel outre-Rhin tient en grande partie à sa capacité à prendre une longueur d’avance dans des directions stratégiques du point de vue des besoins mondiaux et des marchés émergents et porteurs. En outre, et malgré l’explosion des créances de l’État français en matière de CIR, l’investissement des entreprises françaises dans la recherche reste stagnant et faible dans les statistiques internationales. Sans compter que le CIR bénéficie en masse aux plus grandes entreprises, même si un nombre croissant de PME sollicitent et obtiennent quelques miettes de ces milliards de crédit. Alors pourquoi les entreprises françaises pêchent-elles de façon si criante dans leur investissement en R&D ?

A l’évidence, les raisons ne peuvent être que multiples. Plusieurs aspects propres à notre pays nous paraissent importants à souligner afin d’envisager de les corriger.

  1. Ici, la formation initiale dans le primaire et le secondaire ne permet pas l’appropriation des démarches expérimentales et les initiatives individuelles; les formations théoriques sont outrageusement valorisées tandis que les formations pratiques et professionnelles sont réservées à celles et ceux qui échouent en filière générale.
  2. Dans l’enseignement supérieur, notre filière la plus prestigieuse, celle qui forme les futurs décideurs – et il y en a dans cette salle – passe par des écoles où la formation par la recherche reste le parent pauvre, à quelques exceptions près; l’université, voie royale dans tous les pays de notre catégorie, est de plus en plus un pis-aller chez nous.
  3. Les patrons des grandes entreprises françaises n’ont pour la plupart qu’une connaissance lointaine de la recherche, étant eux-mêmes le plus souvent issus de la filière des ingénieurs grandes écoles.
  4. Le doctorat, diplôme qui sanctionne l’accomplissement d’un réel travail de recherche, qui indique l’acquisition d’une compétence individuelle, d’une capacité à traiter d’un problème nouveau, n’est toujours pas reconnu à sa valeur, ni dans les conventions collectives, ni dans les grilles de la fonction publique. Ce qui aboutit à une difficulté croissante à attirer les jeunes vers cette formation longue et difficile mais terriblement formatrice et parfois exaltante, celle de la formation à la recherche par la recherche.

Pour en revenir au crédit d’impôt recherche, nous ne prônons pas sa suppression radicale. Mais nous souhaitons qu’il soit plafonné, que soit limité son coût fiscal global, et surtout que soient spécifiquement ciblées les PME en terme d’éligibilité, et en conditionnant son obtention à divers critères parmi lesquels devrait figurer notamment le recrutement obligatoire de jeunes titulaires d’un doctorat.

J’en viens maintenant à votre manifeste. Parmi vos propositions de nature non fiscale, et sans descendre à un niveau de détail qui ne peut pas être mon propos ici, je veux indiquer que certaines paraissent relever du bon sens. J’en veux pour exemple celle d’allonger la durée du statut favorable dont bénéficient les entreprises labellisées jeunes et innovantes. Tout comme vous, nous plaidons pour un rapprochement des acteurs à partir du moment où les projets qu’ils portent en commun sont compatibles avec l’intérêt général. Tout ce qui clarifie, simplifie, fait gagner du temps, denrée rare et essentielle, est à encourager, à privilégier.

Mais, comme je ne suis un adepte ni de la langue de bois, ni de la démagogie, et c’est peut-être une de nos marques de fabrique, je vais néanmoins prendre quelques minutes pour discuter certaines de vos autres propositions pour lesquelles nous aurons des réticences.

Ainsi, vous proposez de donner à l’ANR une mission supplémentaire par rapport à ce que cette agence fait déjà. Rappelons qu’outre les 800 millions d’euros et quelques, destinés à son fonctionnement annuel courant et aux quelques dizaines d’appels à projets qu’elle lance chaque année vers la communauté scientifique, l’ANR – qui devait être une institution souple et légère quand elle a été imaginée – est désormais en charge de la gestion de près de 20 milliards d’euros pour les Investisssements d’avenir du Grand Emprunt. L’ANR doit-elle devenir l’agence à tout faire de la République? Nous ne le pensons pas. Au contraire, il nous semble qu’elle doit redevenir ce qu’elle était dans l’esprit des débats des États généraux de la recherche de 2004 : une façon d’attribuer des moyens immédiats pour des besoins urgents de financement de projets de recherche sur des thèmes rapidement émergents. Selon nous, cet objectif a été totalement dévoyé dans le but précis d’affaiblir les grands organismes de recherche en les dépouillant de toute capacité à développer une véritable stratégie scientifique. Mettre tous les moyens sur des seuls projets de court terme n’est pas compatible avec notre vision qui veut privilégier le long terme et le durable et qui correspond aux exigences réalistes d’une recherche en quête de ruptures scientifiques véritables.

Plus loin, dans l’axe II de votre manifeste, vous indiquez vouloir rendre obligatoires les exemptions de charges locales par les collectivités territoriales. Il se trouve que nombre de collectivités territoriales sont aujourd’hui en difficulté, certaines sont exsangues même : elles doivent assumer leurs compétences obligatoires, en matière sociale, de transport régional, de collèges et lycées, de formation professionnelle tout au long de la vie, et elles sont de plus en plus contraintes du côté de leurs recettes, l’État n’ayant eu de cesse de les dépouiller de toute autonomie fiscale. Nous, écologistes, sommes en faveur d’une étape supplémentaire et majeure de décentralisation. Nous pensons que les Régions constituent la bonne échelle pour toutes sortes de politiques qui restent aujourd’hui menées – je dirais malmenées – au niveau national. Nous sommes en faveur d’un rôle accru de l’échelon régional pour les politiques d’enseignement supérieur, de recherche, d’innovation. Jouer un rôle plus actif implique d’avoir la capacité financière et l’autonomie pour ce faire. Et cela me paraît aujourd’hui incompatible avec votre proposition d’obligation d’exonération de charges.

Je voudrais maintenant me rapprocher de ma conclusion en embrayant sur la question importante de la propriété intellectuelle. J’imagine que la quasi totalité d’entre vous considérez que le brevet est l’élément essentiel de protection de votre travail et du patrimoine de vos entreprises. Pourtant, sachez-le, cette conception n’est pas partagée dans tous les secteurs de l’innovation. Ainsi, dans le numérique, qui n’est pas le secteur le moins dynamique ni le moins créatif, une partie des acteurs les plus performants et les plus innovants considèrent qu’il vaut mieux avancer le plus vite possible pour pousser son avantage compétitif plutôt que perdre du temps, de l’énergie et beaucoup d’argent à déposer des flopées de brevets dont le caractère protecteur se révèle souvent illusoire.

Du point de vue des pouvoirs publics, qui sont bien sûr intéressés à ce que le tissu des PME se porte mieux, ce qui compte aussi, c’est l’impact du système de propriété intellectuelle, par exemple, sur le coût de l’accès aux produits de santé. Car la prolifération explosive des brevets – 220 000 attribués aux Etats-Unis en 2010 ! et bien plus encore en Chine – pose trois types de problèmes au moins :

  • il induit un ralentissement de la recherche développée par les autres acteurs ;
  • il vise à la création et / ou au maintien de situations de monopoles avec pour conséquences un renchérissement permanent des nouveaux produits mis sur le marché et un effet particulièrement délétère sur les systèmes de solidarité et de protection sociales de la nation ;
  • il renforce l’étroitesse des champs réellement explorés par les entreprises, faute de marché suffisant pour ce qui concerne les maladies rares, faute de marché solvable pour les maladies endémiques qui ont le tort d’affecter essentiellement des pays trop pauvres. Ainsi, selon des statistiques certes un peu anciennes puisqu’elles datent de 2003, mais je doute que les choses aient beaucoup changé, entre 1975 et 1999, un quart de siècle donc, 1400 nouveaux produits avaient été développés par l’industrie pharmaceutique mondiale ; seuls 13 concernaient des maladies tropicales, et 3 la tuberculose. 16 sur 1400, je vous laisse calculer le pourcentage…

Il n’entre pas ici dans notre propos de dénier au brevet son intérêt pour les jeunes, ou moins jeunes, entreprises innovantes que vous incarnez. Mais à l’évidence, il revient au monde politique de proposer des voies différentes, complémentaires, à ce système qui est loin d’être optimal du point de vue de l’intérêt général. D’autant qu’une très grande part – peut-être la plus grande – de la recherche fondamentale qui, in fine, permet la mise sur le marché de nouveaux produits de santé, reste dans tous les pays financée par de l’argent public.

Que pourraient être ces compléments? Diverses voies proposées ici ou là paraissent devoir être explorées. Je termine en me concentrant sur l’une d’entre elles, la voie de ce que j’appellerai les défis rémunérés.

Les défis, challenges en anglais, sont des compétitions lancées par des financeurs – publics ou privés, peu importe – mais dont l’action va dans le sens de l’intérêt général, et qui proposent des rétributions pour l’atteinte d’objectifs fixés et précis en terme d’innovation. A l’aulne de ce système, les entreprises ou même les individus qui apportent la solution au problème précisément posé sont rétribués par l’obtention d’une partie ou de la totalité de la dotation annoncée. On peut même pousser le mécanisme et imaginer un système similaire à celui des concours d’architecture. Ceux-là sont lancés par les maîtres d’ouvrage pour l’attribution de programmes de construction, ce sont des concours dotés d’un grand prix, l’obtention du marché lui-même, et de prix accessoires pour ceux qui ont été sollicités en première phase mais n’ont finalement pas été retenus et qui reçoivent une rétribution conséquente pour le travail effectué.

Je suis sûr que parmi vous, beaucoup considèrent cette proposition – une parmi d’autres dans une panoplie de mécanismes destinés à encourager la créativité et l’inventivité – comme tout à fait irréaliste pour ne pas dire utopique. Eh bien, au risque de surprendre, ce mécanisme non seulement n’est pas utopique, mais il est déjà largement mis en oeuvre et il fait ses preuves tous les jours, y compris pour l’identification de nouveaux biomarqueurs, et j’ai bien remarqué que cela n’était pas étranger à vos préoccupations. Pour vous en convaincre, je vous invite à consulter, par exemple, le site internet de InnoCentive. InnoCentive est une organisation américaine à but non lucratif dont l’objectif est de mettre en relation ceux qui se heurtent à des problèmes qu’ils n’arrivent pas à résoudre et d’autres qui sont susceptibles de le faire et intéressés à le faire. Cela fonctionne avec toutes sortes d’entreprises, y compris des big pharmas, qui ont compris l’intérêt de promouvoir l’innovation ouverte, le crowdsourcing, avec en toile de fond, la question de l’intérêt général, de l’amélioration de l’état du monde et des milliards d’humains qui le peuplent. En ce sens, et ce sera mon mot de la fin, il s’agit là de questions réellement, profondément, politiques.

Vous l’avez compris, je l’espère, les écologistes sont éminemment favorables à la recherche scientifique, ils sont même friants d’innovation, dans les outils qu’ils proposent comme dans les projets poursuivis. C’est en particulier le cas dans les sciences du vivant et le secteur des biotechnologies n’y échappe pas. Il est et restera, vous pouvez en être assurés, au coeur de notre attention et de nos réflexions.

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Convention nationale EELV ESR : un succès et de nombreuses propositions https://recherche-enseignementsup.eelv.fr/2011/10/17/convention-nationale-eelv-esr-un-succes-et-de-nombreuses-propositions/ Mon, 17 Oct 2011 19:59:19 +0000 http://recherche-enseignementsup.eelv.fr/?p=2324 (Photo : les organisateurs de la convention ESR EELV avec Philippe Meirieu et Eva Joly (tous droits réservés)) ...]]>

(Photo : les organisateurs de la convention ESR EELV avec Philippe Meirieu et Eva Joly (tous droits réservés))

Près de 150 personnes ont participé aux débats organisés par EELV à Lyon le samedi 1er octobre dans le cadre de la convention nationale « Des régions à l’Europe : perspectives pour reconstruire l’enseignement supérieur et la recherche ». Etudiants, personnels, responsables d’université, syndicalistes ou simples citoyens intéressés par les questions de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR), ils sont venus débattre des propositions présentées par EELV pour 2012.

Après la plénière d’ouverture consacrée aux évolutions en cours dans l’enseignement supérieur et la recherche en France et en Europe, la journée s’articulait en 5 ateliers, chacun préparé à l’aide de notes préalablement diffusées et bénéficiant de l’éclairage de « grands témoins ». Ainsi, les débats ont-ils dépassé les simples principes pour aller au fond des questionnements et aborder des mesures précises :

  • Favoriser l’accès et le succès du plus grand nombre dans le supérieur, en mettant en place un revenu étudiant, en refusant résolument la hausse des droits d’inscription, en construisant 10 000 places de logement étudiant par an, en révisant la pédagogie des premiers cycles et en développant la pluridisciplinarité
  • Sortir des logiques d’élitisme en rapprochant activement universités et écoles au sein de structures ancrées régionalement, en multipliant les années de transition entre filières, en ramenant progressivement les classes préparatoires vers l’université
  • Garantir l’indépendance de la recherche, en rompant avec la logique de la prétendue excellence et son hyper-concentration des moyens pour retrouver une pérennité des financements, en résorbant la précarité et en remettant la collégialité au coeur du fonctionnement de l’ESR (remplacement de la loi LRU, suppression de l’Aéres et retour à une évaluation par les pairs)
  • Développer les échanges entre sciences et société, en mettant en débat les grandes orientations de recherche, en finançant les travaux associant scientifiques et associatifs, en créant des boutiques de science pour répondre aux questions des citoyens, en valorisant le doctorat dans la fonction publique et les conventions collectives
  • Favoriser l’innovation écologique en diminuant drastiquement le crédit d’impôt recherche, en conditionnant les aides aux entreprises innovantes, en développant des mécanismes novateurs de soutien aux projets (concours…), en faisant évoluer les pôles de compétitivité vers des pôles de coopération recentrés sur les PME/PMI.

Les attentes d’une communauté ESR malmenée par les réformes des dernières années étaient palpables. Les propositions déjà formulées par EELV ont été particulièrement bien reçues. D’autres ont émergé, qui vont maintenant être intégrées au projet 2012 des écologistes.

Lors de la plénière de conclusion, Eva Joly a souligné l’importance qu’elle attache à la formation des jeunes et à l’Université, ainsi qu’à la nécessaire indépendance des scientifiques, ceux-ci devant avoir les moyens d’être « de véritables contre-pouvoirs ». Elle a pointé la nécessité de « redonner confiance à la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche » par une politique fondée sur la concertation avec les acteurs de l’ESR, à l’opposé des bouleversements autoritaires et des mensonges budgétaires du gouvernement.

Plénière de clôture : les vidéos


Plénière de clôture : intervention de Philippe Meirieu


Plénière de clôture : intervention de Eva Joly

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Contre l’instrumentalisation des chercheurs, pour une recherche plurielle à l’INRA https://recherche-enseignementsup.eelv.fr/2011/10/13/contre-linstrumentalisation-des-chercheurs-pour-une-recherche-plurielle-a-linra/ Thu, 13 Oct 2011 18:08:48 +0000 http://recherche-enseignementsup.eelv.fr/?p=2317 Communiqué de presse du 13 octobre 2011

Europe Ecologie Les Verts dénonce l’instrumentalisation de son personnel à laquelle se livre la direction de l’INRA à la veille du verdict du procès du fauchage de l’essai de vigne OGM de Colmar qui doit être rendu le 14 octobre 2011. Non seulement elle incite les chercheurs à aller assister au verdict, mais elle exige que chacune et chacun signale son intention de se rendre sur place. Ces pratiques frôlant le fichage d’opinion sont inadmissibles, particulièrement dans un organisme de recherche public. La pluralité des points de vue et la libre confrontation des idées sont pourtant des préalables à la qualité de la recherche.

L’INRA est hélas singulièrement connue pour sa difficulté à adopter une pluralité des points de vue, privilégiant depuis toujours une approche industrielle de l’agriculture fondée sur la chimie et les manipulations du vivant au détriment des recherches sur l’agriculture biologique. L’agro-écologie reste désespérément le parent pauvre de l’INRA, tandis que des millions d’euros sont investis chaque année dans les biotechnologies, à la grande satisfaction des multinationales de l’agro-chimie et des industriels de l’alimentation. L’essai OGM de Colmar, tout paré de concertation qu’il ait pu être, n’en restait pas moins la marque de l’obsession de la direction actuelle de l’INRA vis-à-vis des OGM.

Dans une société de plus en plus complexe, où la technologie joue un rôle sans précédent, il faut donner à la recherche les moyens de redevenir un véritable contre-pouvoir. EELV propose d’ailleurs de mettre en place un véritable statut de protection des lanceurs d’alerte. Pour garantir l’indépendance des chercheurs, il faut des moyens financiers récurrents et des postes stables, ce qui évite les tentatives de pression des tutelles et donne le temps de développer des travaux réellement innovants et de dialoguer avec la société. C’est hélas l’exact contraire de la politique gouvernementale actuelle, basée au nom de l’excellence sur la précarisation humaine et budgétaire.

Europe Ecologie Les Verts

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Convention Lyon 2011 – Préparation aux débats https://recherche-enseignementsup.eelv.fr/2011/09/22/convention-lyon-2011-preparation-aux-debats/ Thu, 22 Sep 2011 16:46:29 +0000 http://recherche-enseignementsup.eelv.fr/?p=2142 Dans le cadre de notre convention nationale « Des régions à l’Europe : perspectives pour reconstruire l’enseignement supérieur et la recherche », nous soumettons un certains nombre de textes préparatoires aux débats que nous aurons le 1er Octobre à Lyon.

Vous serez présent le 1er octobre ? Prenez-en connaissance pour préparer les débats !
Vous ne pouvez pas être des nôtres ? N’hésitez pas à nous faire des remarques, propositions… en nous contactant par mail !

 Au programme de la convention

 

 

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Convention ESR – EELV – Lyon 1er octobre 2011 https://recherche-enseignementsup.eelv.fr/2011/09/18/convention-esr-%e2%80%93-eelv-lyon-1er-cotobre-2011/ Sun, 18 Sep 2011 15:53:46 +0000 http://recherche-enseignementsup.eelv.fr/?p=2008 Samedi 1er Oct 2011 de 10h à 18h (accueil à 9h30) – Université Lumière Lyon II, site des quais, quai Claude Bernard, Lyon, amphi Aubrac (tram T1 – arrêt Rue de l’Université)

Partout dans le monde, l’enseignement supérieur et la recherche connaissent des bouleversements majeurs. En France, les textes réglementaires (LRU) et les multiples structures (ANR, AERES, LABEX, IDEX… – la liste ne semble pas avoir de fin) mis en place par la droite participent tous d’une même logique : remplacer la collégialité par une gouvernance managériale, concentrer les moyens sur quelques sites et précariser toujours davantage les personnels comme les étudiants. La course insensée aux classements internationaux, évaluations et autres outils de « benchmarking » a entrainé une politique de prétendue « excellence » qui sacrifie la masse des chercheurs et des enseignants-chercheurs au profit d’une élite éphémère et freine toute démocratisation réelle de l’enseignement supérieur. Les mouvements de protestation massifs d’étudiants et de personnels (enseignantschercheurs, chercheurs et BIATOSS) ont bien montré l’ampleur de l’opposition aux politiques du gouvernement. L’urgence en 2012 sera de rompre avec ces logiques pour refonder un système d’enseignement supérieur et de recherche sur des bases adaptées aux enjeux cruciaux du XXIe siècle.

La politique de l’enseignement supérieur et de la recherche que proposent les écologistes a pour ambition d’articuler la défense des libertés académiques et scientifiques, la promotion d’une démocratisation de l’enseignement supérieur dans son accès comme dans son fonctionnement, de garantir de bonnes conditions de travail pour les personnels comme pour les étudiants – ce qui inclut un combat résolu contre la précarité. Surtout, cette reconstruction ne pourra se faire qu’avec l’implication aussi large que possible des professionnels, des étudiants et des citoyens intéressés.

Assurément, rien de sera possible sans avoir regagné la confiance d’une communauté qui a été trop malmenée.

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Au programme de la convention

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Le soutien à l’innovation, comment et pourquoi ? https://recherche-enseignementsup.eelv.fr/2011/09/18/le-soutien-a-linnovation-comment-et-pourquoi%c2%a0/ https://recherche-enseignementsup.eelv.fr/2011/09/18/le-soutien-a-linnovation-comment-et-pourquoi%c2%a0/#comments Sun, 18 Sep 2011 15:14:16 +0000 http://recherche-enseignementsup.eelv.fr/?p=2082 Convention ESR EELV Lyon 1/10/11 – Note « Vers une vision écologique de l’innovation » – Synthèse des débats préparatoires de la commission ESR EELV, rédigée par Marc Lipinski

Télécharger la note en PDF (160 Ko)

Rares semblent aujourd’hui les remises en cause de la nécessité et de l’intérêt de financer publiquement la recherche, probablement pour l’idée, largement obsolète, selon laquelle la recherche produisant de nouvelles connaissances, elle amènera automatiquement de l’innovation qui suscitera la croissance elle-même créatrice d’emplois. Pour les écologistes, la recherche ne peut être guidée ou orientée exclusivement par des objectifs de recherche appliquée, même si l’innovation est d’autant plus vivace qu’elle peut s’abreuver à une recherche vivante et menée sans contrainte. En tout état de cause, la vision linéaire et simpliste visant à « simplement » favoriser la croissance ne peut être l’objectif premier d’une politique publique de soutien à la recherche en général, et aux recherches applicatives en particulier. Des arbitrages sont désormais nécessaires quant au choix des activités économiques à promouvoir. En outre, il n’est pas question de limiter une politique de l’innovation aux seuls aspects technologiques. Ce dont nous avons besoin à ce moment de l’histoire réside tout autant dans les multiples innovations sociales et sociétales qui émergent en permanence du terrain, de plus en plus souvent teintées d’ailleurs de technologies numériques innovantes.

Toute politique de l’innovation doit répondre à deux questions : quel soutien à quels projets innovants ? quel accompagnement des entreprises et autres structures innovantes ? Pour répondre à ces questions, une politique écologiste de l’innovation ambitionnera d’évaluer les bénéfices sociétaux escomptés en les mettant en regard des coûts prévisibles pour le corps social et l’environnement.

Quel soutien à quels projets innovants ?

La majorité des observateurs estime que les capacités réelles d’innovation technologique se sont de longue date déplacées des laboratoires et bureaux des grands groupes pour se nicher préférentiellement dans les petites et moyennes entreprises (PME), voire dans les toutes petites entreprises (TPE), ou même chez des individus dans certains secteurs comme le numérique. Les « grands projets industriels » tels que la France en a mené au cours du XXe siècle et dont l’issue a souvent été un échec au coût démesuré – même s’il y eut aussi quelques succès – ne devraient plus être de mise. Or, ce type de politique d’État perdure. L’exemple le plus récent en a été fourni par l’appel à projets pour la création d’instituts de recherche technologique (IRT) (enveloppe totale, deux milliards d’euros) lancé dans le cadre des « investissements d’avenir » du « grand emprunt Sarkozy ». Les six premiers projets retenus1 sont censés recevoir très vite de l’État quelques centaines de millions d’euros immédiatement consommables2. Dans chacun de ces projets, de très grandes entreprises comptent sur un prétendu « écosystème » comprenant de plus petites entreprises et des laboratoires publics de recherche pour se développer. La même philosophie a été appliquée par l’État depuis 2005 avec sa politique des pôles de compétitivité qui, rassemblant des laboratoires publics et des PME autour de grands groupes industriels, sélectionnent des projets innovants pour qu’ils trouvent leur financement auprès de l’État (1,3 milliard d’euros attribués à plus de 1000 projets en sept ans) et des collectivités territoriales (qui ont apporté un complément de 0,7 milliard), au premier rang desquelles se trouvent les régions dont les budgets pour l’innovation sont désormais très préférentiellement captés par les pôles de compétitivité. Enfin, avec la formidable niche fiscale (plusieurs milliards d’euros par an) que constitue aujourd’hui le crédit d’impôt recherche (CIR), ce sont encore les grands groupes – au premier rang desquels les banques et assurances – et leurs filiales souvent créées à cet effet qui en sont les principaux bénéficiaires sans qu’à aucun moment une évaluation qualitative n’en soit effectuée, ni que la masse de la R&D privée développée en France n’en soit statistiquement augmentée.

Le constat est donc simple: nous avons besoin d’une autre politique de l’innovation, bien plus sélective, moins coûteuse pour les budgets de l’État et des collectivités publiques. Elle devra se concentrer sur les PME, TPE et projets individuels et permettre l’émergence d’activités et d’entreprises innovantes dans les secteurs économiques du futur. Parmi ceux-ci figurent à l’évidence l’économie numérique dans toutes ses déclinaisons (mais dont le dynamisme interne présente un impact environnemental de plus en plus problématique, ce qui appelle… de nouvelles innovations) et tous les secteurs liés à la transition écologique vers une économie robuste, réellement soutenable et au service des habitants: énergie, bâtiment, transports, agriculture, biens communs…

Quel accompagnement des entreprises et autres structures innovantes ?

Les aides publiques à l’innovation devront s’adresser à toutes les sortes de projets innovants, ceux qui concernent des produits, des procédés, du design… mais aussi les services offerts au public et toutes les innovations d’ordre sociétal. Cependant, n’importe quel projet innovant, même proposé par une PME et potentiellement créateur de valeur ajoutée, n’a pas vocation à être soutenu publiquement. Ses finalités et ses effets attendus doivent être soupesés à l’aune des trois facettes, économique, environnementale, sociale, qui permettent de le caractériser. Cette analyse doit comporter des critères d’exclusion : risques d’atteintes supplémentaires à l’environnement, technologies jugées trop dangereuses pour les libertés, la santé, la paix… A l’opposé, les aides envisageables doivent voir leur ampleur liée à l’adéquation avec les critères de responsabilité écologique et sociale. Elles peuvent selon les circonstances adopter diverses formes (subventions, prêts remboursables, engagement de commandes…). Le recrutement non seulement d’ingénieurs ou de techniciens mais aussi de titulaires d’un doctorat doit être récompensé. La constitution de grilles d’analyse ad hoc procureun outil pédagogique particulièrement utile, aussi bien pour les demandeurs que pour les évaluateurs.

Les nouvelles technologies, les approches basées sur les concepts du libre et du durable, ouvrent la voie à des pratiques collectives foisonnantes parmi lesquelles le mouvement des logiciels libres, la rédaction de l’encyclopédie Wikipedia ou bientôt la multiplication des « fablabs3 » fournissent des exemples particulièrement éclairants. Ici et là, des politiques territoriales novatrices de soutien à l’innovation sont promues, par exemple autour de Brest où les nouvelles technologies sont mises au service du développement des liens sociaux et de l’engagement citoyen, ou en région Ile-de-France où le Centre francilien de l’innovation travaille à la promotion des innovations responsables. Toutes les initiatives qui visent à développer l’autonomie, les ressources locales, les rapports coopératifs, correspondent à des valeurs fortes de l’écologie politique et méritent d’être encouragées.

Au-delà des aides aux projets existants, des politiques volontaristes doivent aussi servir à en faire émerger d’autres, audacieux et imaginatifs. Loin de l’effet cafétéria invoqué pour le rassemblement d’établissements de formation, de laboratoires publics et d’entreprises sur le plateau de Saclay sur le modèle fantasmé de la Silicon Valley, dans chaque région, chaque territoire d’importance, un organisme financé sur fonds publics (région, autres collectivités territoriales, Oséo…) aurait parmi ses objectifs une mission spécifique d’interfaçage (entre chercheurs, PME, collectivités, associations…). Accueillies sur la base du volontariat, des personnes issues aussi bien du secteur public que du secteur privé seraient appelées à agir en « facilitateurs d’interface » pour faire émerger des projets innovants d’intérêt général. Cet organisme public dont le financement serait assuré par une réorientation progressive d’une partie des sommes budgétaires aujourd’hui affectées au CIR, aurait pour vocation de mettre en phase les structures déjà existantes dans tous les lieux importants de recherche, organismes, universités, en privilégiant la recherche de synergies, à l’opposé du modèle concurrentiel absolu auquel mène inéluctablement la politique actuelle. Entre le modèle du libre particulièrement adapté au secteur de l’économie numérique et les politiques de brevetage systématique utilisées comme protection de la propriété intellectuelle – dont il faudra évaluer les effets pervers et le rapport coût-bénéfice pour l’intérêt général – d’autres modes de protection existent qui appellent aujourd’hui l’application de politiques publiques plus finement définies.

Une autre part de ces budgets CIR serait conservée en particulier pour les jeunes entreprises innovantes. Pour privilégier les innovations socialement utiles, des mécanismes nouveaux seront à explorer. Des appels à candidatures pourraient être lancés vers les entreprises afin qu’elles orientent leurs efforts de recherche vers l’atteinte d’objectifs contractuellement définis. Ces objectifs pourraient par exemple comprendre le développement de traitements et méthodes de prévention des grandes pathologies mondiales sévissant surtout dans des pays à faible potentiel de marché (tuberculose, paludisme, autres maladies parasitaires…), la mise au point de tests diagnostics et de nouvelles thérapeutiques pour des maladies orphelines, l’amélioration des capacités de stockage d’énergie créée à partir de sources réellement renouvelables mais par nature intermittentes, des méthodologies nouvelles d’isolation de bâtiments anciens, etc. Les entreprises retenues à concourir seraient dédommageables de leurs dépenses en fonction et après contrôle des moyens réellement investis. Les plus performantes recevraient des prix dont l’importance pourrait dépendre du régime juridique adopté par l’entreprise en matière de protection ou de mise en biens communs des résultats obtenus.

Certains secteurs du monde entrepreneurial parmi les plus éclairés ont compris à quel point il pouvait être profitable d’encourager le « crowd sourcing », l’innovation ascendante. Car, à l’évidence, la créativité est partout, et l’intelligence citoyenne ne se cantonne ni aux entreprises ni aux laboratoires de recherche, fussent-ils labellisés instituts Carnot. A l’instar des Partenariats institutions-citoyens pour la recherche et l’innovation (Picri) mis en place depuis plusieurs années par le conseil régional d’Ile-de-France pour rapprocher chercheurs et associations autour de projets de recherche co-élaborés et menés de concert, un nouveau label est à créer : assorti de financements ad hoc, il viserait à soutenir les laboratoires publics qui s’engageraient dans des projets innovants en coopération étroite et résolue avec le secteur associatif.

Enfin, toute approche écologiste d’une politique de l’innovation s’accompagne nécessairement d’une réflexion approfondie sur les processus qui font passer les innovations technologiques des étapes du concept et de l’expérimentation à la mise à disposition (ou à l’imposition) du public ou à l’introduction sur le marché. A côté des intérêts financiers et/ou politiques habituellement seuls à l’œuvre, la question doit être enfin posée de la façon dont pourrait s’exprimer un avis citoyen sur l’intérêt des innovations proposées.

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1 Nanoélectronique ; aéronautique, espace et systèmes embarqués ; infectiologie ; matériaux, métallurgie et procédés ; infrastructures ferroviaires ; matériaux composites.

2 Ils seront complétés par les intérêts générés par le placement de quelques autres centaines de millions d’euros.

3 Littéralement laboratoires de fabrication, les fablabs sont des lieux de fabrication de prototypes ou d’objets en nombre d’exemplaires restreint à l’aide d’outils à commande numérique peu onéreux et faisant appel à des logiciels libres.

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