Perspectives pour une « révolution copernicienne » de la pédagogie dans l’enseignement supérieur…
Convention ESR EELV Lyon 1/10/11 – Note « Enseignement supérieur : pédagogie, contenu, orientation » – Synthèse des débats préparatoires de la commission ESR EELV, rédigée par Philippe Meirieu et Laurence Comparat
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Un travail pédagogique, d’inégale qualité, mais réel, a été effectué dans certains domaines de l’enseignement supérieur : IUT, UFRAPS, licences et masters professionnels, facultés scientifiques et de médecine, écoles d’ingénieur ou spécialisées, diplômes d’université, etc. Mais, force est de constater que, dans la plus grande partie de l’université, l’enseignement est, aujourd’hui, considéré comme une « mission dérivée » de la recherche. Mis à part quelques initiatives ponctuelles, il n’y a pas d’investissement réel de l’université dans les domaines pédagogique ou didactique. Or, ce phénomène, outre ses effets sociaux dévastateurs, représente aussi un appauvrissement de l’université, y compris dans sa dimension de « recherche ». L’université, en effet, est un lieu qui fait le pari que la transmission des connaissances ne se fait jamais au détriment de la recherche, mais, tout au contraire, qu’elle est un moyen de féconder cette dernière par les interactions qu’elle suscite. Les réformes récentes tendent hélas à couper ce lien fondamental entre enseignement et recherche (réforme de la licence, pôles universitaires de proximité « collegialisés », EPCS…).
La conviction des écologistes est au contraire que, dans tous les domaines, le partage sans pillage enrichit l’humanité. C’est particulièrement vrai dans le domaine des connaissances où, précisément, la transmission enrichit, tout à la fois, celui qui transmet et celui qui reçoit. Plus encore : le partage des connaissances accroît le désir de connaître et la production de nouvelles connaissances. C’est un antidote particulièrement important au productivisme libéral qui creuse les inégalités. Il convient donc que les établissements d’enseignement supérieur (ES) investissent massivement sa fonction de transmission et repensent, dans cette perspective, leurs modes de fonctionnement.
Vers des établissements d’enseignement supérieur plus ouverts à toutes et tous
Compte tenu que le taux des bacheliers stagne en France et que les classes d’âge en activité sont majoritairement constituées de non-bacheliers, les établissements d’enseignement supérieur doivent poursuivre et amplifier leur effort pour permettre la préparation du Diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU). Il est envisageable d’avoir au moins 20% d’étudiants ayant accédé à l’ES par le DAEU1.
Les établissements d’enseignement supérieur doivent développer une politique volontariste d’accueil des élèves titulaires d’un baccalauréat « non général » (professionnel, technologique). A cet effet, il faudra inventer des dispositifs de préparation à l’accès à l’université (comme des stages d’étés à destination des élèves venant de lycées professionnels, avec une rémunération équivalente à la moitié du SMIG ; ou une année L0 de « mise à niveau » disciplinaire et méthodologique, permettant de fait de passer une licence en 4 ans).
Les établissements d’enseignement supérieur doivent également développer la possibilité d’intégrer des cursus universitaires « tout au long de la vie ». On pourrait par exemple imaginer une « année d’intégration » en cours du soir, permettant à des personnes en activité de reprendre ensuite, dans de bonnes conditions, des études universitaires.
Les établissements d’enseignement supérieur doivent favoriser toutes les personnes en formation continue (quelque soit le dispositif de prise en charge) : les services de formation continue des universités doivent aider à l’orientation de ces personnes et organiser des regroupements spécifiques afin de les aider dans leurs parcours. Pour les personnes en formation continue ne pouvant être prises en charge sur les crédits de la formation continue, les frais d’inscription doivent être ramenés aux frais d’inscription en formation initiale.
Les établissements d’enseignement supérieur doivent réfléchir à l’implication qu’ils peuvent avoir dans la formation des personnes les plus fragiles et éloignées de l’emploi, comme la participation de leurs équipes pédagogiques et de recherche aux formations de niveau V et IV, afin qu’elles bénéficient de l’expertise des universitaires.
Les établissements d’enseignement supérieur doivent mettre en place des cursus par apprentissage, sous contrat de travail, dès lors que l’opportunité de ces cursus, tant sur le plan pédagogique (nature des formations) qu’économique (articulation avec le bassin d’emploi) est garantie. Ces cursus doivent être agréés par la procédure « de droit commun » mise en place via les Contrats de plan régionaux de développement des formations (CPRDF), et non par agrément direct avec les entreprises. Un service spécialisé sera mis en place dans les établissements pour coordonner ces formations (identifier les employeurs, les maîtres d’apprentissage…).
Pour les personnes suivant des études tout en souhaitant conserver une activité salariée, les établissements d’enseignement supérieur doivent réfléchir à une offre pédagogique adaptée : offre d’options et d’organisation par groupes largement modulable, plages horaires déterminées facilitant l’organisation du temps (y compris pour les étudiants et personnes à horaires décalés, par ex. comme à Paris 8 Saint Denis : 9h-12h, 12h-15h, 15h-18h, 18h-21h).
Les établissements d’enseignement supérieur doivent mettre en œuvre systématiquement et gratuitement la démarche de validation des acquis de l’expérience.
La demande sociale pour l’accès à la connaissance est très forte, il n’y a qu’à voir le succès qu’a eu l’Université de tous les savoirs. Pour y répondre, les établissements d’enseignement supérieur devront mettre en place des cours, conférences, débats, rencontres, etc. ouverts gratuitement à tous les citoyens indépendamment de toute inscription dans un cursus. Ces activités doivent faire l’objet d’un financement de droit commun par la tutelle.
Vers des établissements d’enseignement supérieur qui accompagnent mieux chacune et chacun
La lutte contre l’échec passe par l’appropriation par les étudiants de leur formation et de leur établissement, des mesures doivent donc être mises en place pour répondre à ces besoins.
Les établissements d’enseignement supérieur doivent mieux accueillir les étudiants en première année de chaque cycle (L, M, D). On peut ainsi imaginer mettre en place un « sas » de préparation d’au moins trois journées pleines encadrées par tous les enseignants et présentant le cursus, les exigences, les méthodologies, etc.
Il sera particulièrement intéressant de systématiser le monitorat entre étudiants. Voici un dispositif possible : chaque étudiant volontaire de L3, M1 et M2 pourra être moniteur d’un étudiant de L1 ou L2 ; les moniteurs sont réunis au moins trois journées complètes par an par les enseignants afin de travailler sur la méthodologie du monitorat. Dans l’hypothèse où cette activité serait considérée comme une des « unités capitalisables » pour valider les années de L3, M1 et M2, les moniteurs devraient fournir un « carnet de bord » de leur suivi. Mais il convient également de réfléchir à des méthodes de valorisation des activités étudiantes « non scolaires » (vie associative, engagement citoyen, mandat d’élu, monitorat…) en dehors du cursus proprement dit.
Le tutorat des enseignants vers les étudiants doit devenir plus systématique, et obligatoire lorsque les étudiants doivent produire un travail personnel (mémoire, dossier, thèse, etc.). Ce tutorat pourrait être collectif en L1, L2 et L3, sous forme d’au moins deux heures hebdomadaires de « groupe d’aide à la recherche, à l’écriture et au travail documentaire » (par petits groupes, de l’ordre de 15 étudiants) ; il serait individuel à partir du M1 et jusqu’à la thèse (sous forme de « droit de tirage » de l’étudiant d’au moins cinq heures par an?).
Dans la perspective du rapprochement Grandes écoles / Universités, il faudra étudier les modalités pédagogiques pratiquées en classes préparatoires et écoles d’ingénieurs, afin d’intégrer les dimensions les plus intéressantes (niveau de formation élevé) en laissant de côté les aspects destructeurs (compétition effrénée). Cela permettrait par exemple de proposer des cours de Français, de généraliser l’apprentissage des langues pour tous les étudiants dans toutes les disciplines, favoriser les séjours à l’étranger…
Vers des établissements d’enseignement supérieur qui enseignent de manière plus rigoureuse
La réforme LMD, au-delà des problèmes qu’elle a pu poser (à commencer par l’absence de moyens afférents) a eu le mérite de poser des éléments pour un cadre européen des diplômes, mais qui reste largement améliorable.
Si la Licence est un niveau de diplôme relativement cohérent, elle est marquée par une hyperspécialisation dès la L1. Afin de lutter contre cela, et de renforcer les approches interdisciplinaires, plusieurs pistes peuvent être envisagées, qui peuvent se compléter : système de « majeures » et « mineures » – les étudiants y suivent leurs études dans (au moins) deux disciplines, proches ou éloignées ; ou bien des licences plus généralistes au départ, se spécialisant progressivement sur les 3 années. Cela permettrait en outre de laisser toute leur place à des disciplines trop vite qualifiées d’inutiles car « non rentables », alors qu’elles contribuent à la richesse d’une société ouverte sur le monde.
Tout enseignement de Licence devrait articuler trois temps : 1) un temps d’information (cours magistral), 2) un temps d’appropriation (reformulation, explicitation, approfondissement), 3) un temps de transfert (réinvestissement interne ou externe à l’université). Ces trois temps peuvent être « compactés » dans une même séquence mais doivent toujours être présents.
Le Master reste un diplôme bancal au sein duquel l’ancienne maîtrise pèse encore lourd. Il faut donc arriver à donner au Master toute sa pertinence, en travaillant sur l’orientation des étudiants en fin de Licence, et les objectifs de la formation (faire une thèse doit-il rester le but unique d’un Master recherche ; la distinction entre Master professionnel et recherche est-elle encore pertinente ?).
Tout cursus universitaire doit faire l’objet d’un curriculum de formation élaboré en amont et diffusé aux étudiants. Ce curriculum devra être précis ; par exemple il pourra comprendre, semestre par semestre, 1) les connaissances exigibles, 2) les compétences qui doivent être acquises, 3) les tâches qui serviront à l’évaluation des unes et des autres, avec leurs critères de réussite.
Chaque cursus de formation doit pouvoir être décliné en différents « parcours » comportant des enseignements cohérents répartis en « éléments structurants » et « éléments optionnels ».
Tout cursus universitaire doit être évalué par « unités capitalisables »2. Ces dernières doivent pouvoir être préparées de manière autonome. L’acquisition de l’ensemble des unités capitalisables permet de valider un cursus. Il ne peut y avoir de compensation entre ces unités capitalisables. Il faut aussi réfléchir aux modalités d’évaluation, et notamment envisager de remplacer le sacro-saint système des notes par des modalités de type « échec / réussite ».
Afin de renforcer le lien entre recherche et formation, on peut imaginer de mettre en place une « commission pédagogique » pour chaque cursus de formation. Elle devra élaborer les curricula de formation et contrôler leur mise en œuvre, tout en veillant à ce que la diffusion des résultats de la recherche effectuée dans le cadre des formations soit valorisée dans l’activité des laboratoires.
Vers des établissements d’enseignement supérieur qui impliquent et engagent les étudiants dans leur fonctionnement
Tous les établissements d’enseignement supérieur doivent donner aux étudiants les moyens de leur expression. Les élus étudiants aux différents conseils doivent disposer d’un statut leur permettant de bénéficier de facilités pour y siéger, en particulier s’ils sont salariés.
Afin de permettre aux étudiants de devenir acteurs de leur formation, on peut proposer de mettre en place, cursus par cursus, un groupe de travail paritaire étudiants/enseignants. Ce groupe de travail se réunirait au moins une fois par semestre pour examiner les demandes des étudiants en matière de proposition pédagogique, et émettre un avis, rendu public. Il faudra organiser la transmission d’une promotion sur l’autre entre les représentants étudiants, et établir une procédure de suivi des décisions.
Les établissements d’enseignement supérieur doivent favoriser les initiatives étudiantes, en particulier quand elles permettent de prolonger les enseignements. Les étudiants pourraient ainsi bénéficier, pour chaque cursus, d’un budget participatif afin qu’ils puissent mener à bien leurs projets collectifs.
Se donner les moyens d’une politique novatrice sur le plan pédagogique
Il va de soit que les mesures décidées devront bénéficier des moyens nécessaires à leur mise en œuvre, contrairement à ce qui a été fait ses dernières années.
Des financements spécifiques pourront être alloués pour conduire des expérimentations, et une fois les mesures pérennisées les financements devront être récurrents.
Les moyens humains nécessaires seront fournis aux établissements, par le biais de recrutements statutaires d’enseignants, enseignants-chercheurs ; mais aussi de personnels administratifs et techniques et de bibliothèques (notamment pour gérer la scolarité spécifique de la formation tout au long de la vie, du DAEU, les habilitations d’apprentissage…).
Dans ce cadre, la formation professionnelle et permanente de l’ensemble des personnels – enseignants compris !- sera indispensable pour suivre les évolutions réglementaires, des pratiques didactiques et pédagogiques… Pour cela, les CIES (centre d’initiation à l’enseignement supérieur), qui actuellement forment les doctorants, pourraient être renforcés et ouverts aux Biatoss, enseignants, enseignants-chercheurs… Le développement de réseaux professionnels d’échanges de pratiques serait intéressant, particulièrement pour les Biatoss.
Dans le cadre d’une politique volontariste sur le plan pédagogique, l’ensemble des mesures mises en place, pour lesquelles les éléments ci-dessus proposent des pistes, devront figurer dans les critères d’évaluation des facultés, instituts, écoles et universités.
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