Enseignement supérieur : assumer l’ambition de la démocratisation
Convention Education EELV Lille 2011 – Note « Enseignement supérieur : assumer l’ambition de la démocratisation »
Synthèse des débats de la commission ESR EELV, rédigée par Laurent Audouin (Responsable de la commission ESR d’EELV) & Sandrine Rousseau (Conseillère Régionale du Nord-Pas-de-Calais, vice-présidente ESR
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Nota : Cette table-ronde ne prétend pas à l’exhaustivité : certaines questions sont renvoyées à celles sur l’autonomie des jeunes (soutien aux étudiants, conditions d’études) et la formation des enseignants (« masterisation »). De même, faute de temps, nous ne pouvons aborder nos propositions plus directement liées à la recherche dans cette Convention.
Pour les écologistes, démocratiser l’accès aux savoirs n’est pas seulement un vecteur de progrès social : c’est également un impératif pour préparer la transition vers une société soutenable. Dans un monde toujours plus complexe et interdépendant, une éducation de qualité, accessible à tous et tout au long de la vie, est le meilleur gage d’une citoyenneté éclairée et de la capacité à appréhender les transformations que devront réaliser nos sociétés. EELV souhaite donc engager une action déterminée pour permettre au plus grand nombre d’accéder aux études supérieures, sans distinction d’origine sociale et sans que les parcours ne soient conditionnés par les seuls résultats scolaires antérieurs.
Il ne peut y avoir de démocratie véritable sans émancipation intellectuelle : l’éducation est donc un droit pour tous et une mission centrale de la puissance publique. Ceci fonde le caractère de service public de l’enseignement supérieur. En France, son financement par la puissance publique combine un coût des études faible, supposé encourager les jeunes issus de familles modestes et moyennes à s’y engager, et un accompagnement social limité, qui les en dissuade – comme le prouve la polarisation croissante des étudiants en fonction de l’origine sociale. Le résultat est paradoxal : les impôts de tous (a fortiori ceux des plus modestes, vu la mauvaise progressivité des prélèvement sociaux en France) financent les études supérieures des enfants de cadres. La réponse néo-libérale est connue : laisser ceux qui les entreprennent assumer le coût de leurs études ou développer l’emprunt des étudiants. Celle d’EELV est radicalement opposée : considérer ce service public comme un investissement de la société sur elle-même, dans le cadre d’une fiscalité réellement progressive et d’une politique d’autonomisation des jeunes (avec pour principaux outils une politique dynamique de logement étudiant et la transition vers un Revenu Étudiant – cf la table ronde consacré à l’autonomie des jeunes).
Démocratiser l’accès à l’ES, c’est assurer que toutes les voies de formation accueillent les étudiants dans de bonnes conditions. Malgré une avalanche de lois, de plans, et surtout de milliards désespérément virtuels, l’Université reste insuffisamment dotée face aux autres filières du supérieur. Un rattrapage des moyens reste donc indispensable, d’autant que la France dépense aujourd’hui relativement peu pour son ES (1,3% du PIB contre 1,5 en moyenne de l’OCDE). Mais, en rupture avec la logique actuelle et sa fascination pour des classements internationaux biaisés, il ne s’agit pas seulement de faire émerger quelques pôles de prestige, qui plus est concentrés dans une bande étroite du territoire : il faut assurer que chaque région dispose d’au moins un pôle universitaire au meilleur niveau, en lien étroit avec un réseau de sites mettant l’accent sur la proximité. Cet objectif répond à la fois à un souci d’équité géographique et à la nécessité d’un tissu national équilibré pour répondre aux besoins de formation qualifiée et garantir le dynamisme de la recherche – tout en veillant à éviter le saupoudrage, qui peut mettre en danger la qualité de la recherche et donc des formations, ni d’ignorer les points forts ou les spécificités locales. L’objectif est l’accès à l’éducation et le développement de toutes les recherches : créer des pôles de recherche et d’enseignement supérieur compétitifs au niveau international peut être un moyen, mais en aucun cas une fin. Soutenir l’activité de recherche universitaire ne passe d’ailleurs pas par la formation d’une élite d’EC n’enseignant presque plus, mais par une généralisation des possibilités de décharges au fil de la carrière.
Plus généralement, notre conviction est que l’ES se construit sur la coopération et l’échange plutôt que dans l’autoritarisme et la mise en compétition. Par exemple, nous souhaitons garantir l’accès ouvert aux savoirs : la publication des travaux d’étudiants et de recherche doit être réalisées en archives ouvertes, les ressources pédagogiques doivent être mutualisées (ce qui est au bénéfice des enseignants comme des étudiants), la diffusion et l’usage des logiciels libres doivent être privilégiés. Mais surtout, il y a urgence à sortir de la politique dite « d’excellence », qui se révèle n’être qu’une rivalité permanente tant entre les personnels (PES, chaires d’excellence, généralisation des emplois précaires) qu’entre les Universités, et que le gouvernement entretient à coup d’appels à projet incessants (Campus, Labex, Idex…). La multiplication de structures de gestion et d’évaluation a débouché sur une aberration : le monde universitaire est devenu un nouveau marché pour les cabinets de conseil du privé ! L’Etat (ainsi que les régions) et le monde académique doivent inventer ensemble, dans le cadre d’un véritable débat national, les formes d’une autonomie scientifique et pédagogique réelle, qui remplacera celle imposée par la LRU, qui soit cette fois fondée sur la collégialité, la démocratisation et la démocratie de fonctionnement. Le rôle de l’Etat doit être celui d’un partenaire, exigeant bien sûr, mais certainement pas celui d’un organisateur de concours de beauté dont les perdants sont condamnés à mourir à petit feu. Pour que l’Etat puisse jouer son rôle de stratège, il est d’ailleurs impératif qu’un même ministère soit au moins co-tutelle de l’ensemble des filières du supérieur.
Démocratiser l’accès à l’ES, c’est aussi sortir de la logique élitiste des classes préparatoires – grandes écoles, qui cristallise et amplifie les inégalités scolaires antérieures, et mettre la formation par la recherche au coeur de l’ES. Les classes préparatoires, dans lesquelles l’hyper-investissement attendu devient pour de nombreux jeunes une réelle souffrance, ont vocation à s’intégrer progressivement dans les cursus universitaires de licences, pour construire un premier cycle alliant densité d’encadrement, pratiques pluridisciplinaires et ouverture sur la recherche. Cette dernière peut prendre des formes variées, comme celle des boutiques de sciences où des étudiants encadrés répondent aux sollicitations d’associations. Quant aux « grandes » écoles, nous souhaitons accélérer leur rapprochement avec les universités. Les PRES sont à cet égard un outil intéressant, à condition de préparer dès aujourd’hui leur évolution vers des universités confédérales et d’affirmer leur dimension territoriale. Il sera ainsi possible de rapprocher entreprises et recherche fondamentale, alors que le fossé actuel réduit inutilement les perspectives des étudiants et pénalise notre tissu économique. Dans ce dernier but, nous souhaitons développer les bourses CIFRE ; les stages de L3 ou M1 sont également un moyen de faire découvrir les laboratoires aux étudiants se destinant à l’entreprise, et réciproquement.
Nous entendons donner aux licences les moyens de retrouver leur attractivité : plus interdisciplinaires (par exemple via un système clair de majeures/mineures?), dotées d’un encadrement suffisant pour accompagner les jeunes dans leur acquisition de l’autonomie méthodologique, elle s’ouvriront à la diversité des parcours en généralisant les années « passerelles », notamment à l’entrée en première année, qui pourraient être obligatoire en fonction du dossier scolaire. Les licences doivent-elles se doter d’un cadre national, à l’image de celui des IUT qui n’est pas pour rien dans leur succès ? En tout cas, si l’ambition est bien d’élever le niveau de formation d’une majorité de la jeunesse, la réponse aux problèmes du premier cycle doit être avant tout pédagogique, y compris en encourageant les initiatives originales dans ce domaine. Nous proposons de lancer, avec la contribution des étudiants, une réflexion portant à la fois sur la didactique et sur les modes d’évaluation : comment faire évoluer les cursus, qui se résument encore souvent à la juxtapositions d’apports disciplinaires, vers de véritables curricula de formation, portés par des équipes, articulant objectifs, tâches, travaux collectifs et personnels, modalités d’accompagnement et d’évaluation ? Une telle valorisation des activités de formation devrait bien entendu se retrouver dans l’avancement des enseignants-chercheurs. Couplée à une orientation renforcée (dont la phase d’information devrait débuter dès la 1ere), cette approche pédagogique est une réponse autrement plus pertinente aux problèmes de réussite que la sélection. Pour autant, la question de l’accès aux masters mérite d’être posée : une orientation franche à l’entrée du M1 ne permettrait-elle pas de donner de la cohérence aux masters tout en évitant une année sans réel bénéfice pour ceux dont on peut souvent anticiper qu’ils ne pourront trouver de place en M2 ?
Enfin, l’enseignement supérieur doit aussi être le lieu d’une formation tout au long de la vie accompagnant les évolutions nécessaires de notre modèle de développement. Les formations supérieures ont vocation à s’ouvrir largement à la VAE et aux reprises d’études, y compris à temps partiel, à mesure que se développera un système de crédit-formation utilisable tout au long de la vie. Le succès des filières à dimension professionnelle (BTS et IUT) démontre qu’elles répondent à un besoin, tant des étudiants que des entreprises : mais elles le font d’autant mieux qu’elles sont le débouché de filières uni- ou pluridisciplinaires ayant permis aux étudiants d’acquérir le bagage théorique et méthodologique approprié. Le « tout-professionnel », outre qu’il serait antinomique avec un développement de la formation par la recherche, ne peut être une réponse durable à la montée en complexité des métiers et au besoin d’adaptabilité, comme en témoigne la réflexion en cours en Allemagne sur la prolongation de la formation initiale avant le passage en apprentissage. La pérennité des IUT, mise à mal par la LRU alors qu’ils sont (avec les BTS) parmi les dernières institutions qui permettent un minimum d’ascenseur social, doit être réaffirmée. Une réflexion globale, associant les acteurs en charge de ces formations ainsi que leurs parties prenantes, est nécessaire pour garantir la cohérence de ces formations, préciser leur positionnement au niveau des PRES, et poursuivre leur développement, notamment sur les villes moyennes, tout en restant fidèles à leur vocation initiale d’accueillir une diversité de publics, et notamment un pourcentage important de bac technologiques. Quant aux universités, plus que d’une « ouverture au privé », elles ont besoin des moyens (ressources humaines notamment) d’assurer des relations pérennes avec les entreprises de leurs bassins d’emploi, faire connaître leurs formations et tisser des réseaux donc bénéficieront directement les étudiants en recherche de stage.
La construction d’une France plus écologique et plus juste socialement se joue aussi dans le développement d’un enseignement supérieur attractif et démocratique. A rebours des effets d’annonces, nous souhaitons mener une action déterminée pour l’ouvrir à toutes et tous.
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