liberté – Libertés numériques (partage 2.0) https://numerique.eelv.fr Site de la commission Partage 2.0 Sun, 17 Jan 2016 11:27:23 +0100 fr-FR hourly 1 Loi anti-terrorisme : un attentat contre la démocratie https://numerique.eelv.fr/2014/09/19/loi-anti-terrorisme-un-attentat-contre-la-democratie/ Fri, 19 Sep 2014 09:17:14 +0000 http://numerique.eelv.fr/?p=2003 Ce jeudi 18 septembre, les députés réunis à l’Assemblée Nationale ont finalement voté le projet de loi de « lutte contre le terrorisme », malgré une mobilisation importante de nombreuses associations de défense des droits fondamentaux, dont la Ligue des Droits de l’Homme, le Syndicat de la Magistrature ou encore Reporters sans Frontières (1).

Les raisons objectives de s’inquiéter sont nombreuses :

  • L’administration, c’est-à-dire l’État, pourra désormais exiger la censure de sites internet, auprès des Fournisseurs d’Accès, sans autorisation judiciaire préalable ;
  • Un nouveau délit « d’entreprise individuelle de terrorisme » est instauré, permettant de poursuivre une personne qui ne se sera pas encore rendue coupable d’autre chose que de propos tenus ;
  • Un citoyen français pourra se voir interdire la sortie du territoire s’il « projette des déplacements à l’étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes » ;
  • La « provocation ou l’apologie du terrorisme » n’est plus du ressort des libertés de la presse, mais devient un délit inscrit au Code pénal.

Pendant les trois petites journées de débat à l’Assemblée Nationale, dans le cadre d’une « procédure accélérée » (qui, en elle-même, pose déjà question), le groupe des députés écologistes a proposé une trentaine d’amendements, pour tenter de revenir sur les mesures les plus liberticides. Seulement 4 de ces amendements ont été adoptés, le plus important concernant l’interdiction de sortie du territoire, qui devra être « écrite et motivée », ce qui n’était même pas prévu dans le projet de loi initial (2). Au final, le texte a été adopté par l’ensemble des groupes politiques, excepté les écologistes. Seuls trois élus se sont abstenus, les députés écologistes et le député UMP Lionel Tardy, dans un hémicycle par ailleurs fort peu fourni.

L’inefficacité technique de certaines de ces mesures a déjà été soulignée par de nombreux experts, dont le Conseil National du Numérique (3). Une fois de plus, les députés semblent faire preuve d’une ignorance certaine des défis techniques posés par les technologies numériques. Mais surtout, ces mesures, sous prétexte de lutte contre le terrorisme, vont à l’encontre de plusieurs principes démocratiques et républicains : la séparation des pouvoirs, la liberté d’expression et d’opinion, la liberté de circulation des citoyens. Et à aucun moment des débats, cette notion de terrorisme n’a été précisée, comme si les titres sensationnalistes d’une certaine presse suffisaient à en définir les contours et les limites une fois pour toutes. Pourtant l’histoire récente montre que le qualificatif de « terroriste », à géométrie très variable, peut devenir une véritable arme de censure. Certains pays ne se gênent absolument pas pour faire passer l’activisme contestataire, ou les choix éthiques faits par des lanceurs d’alertes au risque de leur propre liberté, pour des faits de terrorisme.

Avec cette loi, demain, n’importe quel activiste pourrait voir sa parole baillonnée, notamment sur Internet, parce que le gouvernement ou l’administration auront jugé que ses déclarations ou ses actes revêtent un caractère « terroriste ». Alors qu’on enquête encore sur la débâcle judiciaire de l’affaire Tarnac, si demain la justice n’intervient pas dans la décision, qui pourra empêcher l’État de qualifier de terroristes des contestations populaires et citoyennes ? Les appels à la désobéissance civile, par exemple dans le cadre de la lutte contre les « Grands Projets Inutiles » qui menacent la qualité de vie et l’environnement, passeront-ils désormais pour des « incitations au terrorisme » ? Au Canada, le gouvernement est en train de franchir ce pas, en considérant l’activisme écologique comme une menace terroriste à part entière (4). Bientôt aussi en France ?

La notion de « terrorisme » devient donc une arme plus efficace que jamais pour faire taire les contestations populaires. Et dans ce processus, l’État semble être considéré, en toutes circonstances, comme vertueux, quelle que soit la coloration politique de ceux qui sont au pouvoir. C’est une vision particulièrement paternaliste de la République, dans laquelle le citoyen, ce grand enfant, doit être protégé, même au prix de sa liberté.

La commission Partage 2.0 dénonce ce virage sécuritaire du gouvernement, virage qui n’a rien à envier à celui pris par les Etats-Unis au début des années 2000 lorsque le Patriot Act y fut voté. Sous prétexte de sécurité, c’est la démocratie qui recule aujourd’hui.

Références :

(1) Liste des soutiens à l’intiative « Présumés Terroristes » : https://presumes-terroristes.fr/soutiens.html
(2) Amendement du groupe écologiste adopté : http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/2173/AN/2.asp
(3) Conseil National du Numérique, avis sur le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme : http://www.cnnumerique.fr/terrorisme/
(4) Anti-terrorism law to name ecologists as threat : http://sgnews.ca/2012/06/05/anti-terrorism-law-to-name-ecologists-as-threat/


Article rédigé par Grégory Gutierez et les membres du bureau de la commission Partage 2.0.

Cet article est publié sous licence Creative Commons Attribution – Partage dans les mêmes conditions 2.0
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La Neutralité du Net, pourquoi c’est important, et pourquoi le Parlement Européen doit la défendre https://numerique.eelv.fr/2014/03/21/la-neutralite-du-net-pourquoi-cest-important-et-pourquoi-le-parlement-europeen-doit-la-defendre/ Fri, 21 Mar 2014 11:30:00 +0000 http://numerique.eelv.fr/?p=1990 Ce mardi 18 mars, la commission ITRE (1) du Parlement Européen a adopté le rapport sur le marché unique des communications électroniques, présenté par la députée européenne Pilar del Castillo Vera (2), affilée au PPE, le parti européen démocrate-chrétien (qui réunit la plupart des partis  de droite des pays européens).

La Commission Industrie, Recherche et Energie (ITRE) est l’une des Commissions parlementaires du Parlement européen. Elle suit comme son nom l’indique les dossiers qui ont à voir avec la recherche et d’innovation, les questions industrielles ou d’énergie. Elle est la commission qui est chef de file sur le rapport sur le règlement relatif au Marché unique européen des télécommunications. Elle a récupéré des opinions de la part d’autre commission du parlement mais c’est elle qui a préparé la proposition d’amendement du règlement proposé par le Commission européenne au nom du Parlement.

Plusieurs amendements avaient été proposés pour introduire dans ce rapport une définition du concept de neutralité du net, dont l’importance cruciale est soulignée par de nombreuses associations et fondations eu Europe comme ailleurs. Hélas, aucun n’a été finalement retenu. Ce rapport, en l’état, prépare le chemin pour un réseau Internet passant outre ce fameux principe, c’est-à-dire un réseau qui n’aura plus grand chose à voir avec l’Internet que vous connaissez aujourd’hui.

La neutralité du net est un principe selon lequel toutes les données qui transitent sur le Net sont traitées, techniquement, de la même manière : le flux d’une vidéo voyage ainsi sur la toile selon les mêmes règles et à la même vitesse que celui d’un article de Wikipédia ou qu’une collection de photographies sur Flickr (3). Mais ces dernières années, avec l’émergence des sites de partage de vidéos et de musique, les données lourdes ont pris de plus en plus de place « dans les tuyaux » (notamment à cause de la technologie du streaming). Face à cette difficulté technologique, qui oblige les opérateurs à des investissements plus ou moins coûteux, la tentation est grande de choisir une solution de facilité : abandonner ce principe de la neutralité dans la transmission des flux, afin de « prioriser » par exemple l’accès aux vidéos issus de certains sites. Mais, conséquence évidente de cette discrimination des flux en fonction de leur nature (et pourquoi pas, de leur contenu !), elle se ferait au détriment d’autres accès…

Le danger d’une telle pratique est d’autant plus évident qu’en parallèle, l’industrie de la culture exerce un lobbying intense auprès des décideurs européens, afin de protéger les intérêts des intermédiaires qui vivent de l’exploitation des oeuvres selon un modèle que l’arrivée du Net a pourtant bouleversé, et pour imposer une production culturelle mondialisée et normalisée.

Sans neutralité du net, le risque est donc grand de transformer l’Internet en un espace plus ou moins complet et plus ou moins uniformisé. Tout sera fonction du budget que l’internaute pourra investir pour son abonnement, et des choix politiques et économiques du pays où il réside : plus ou moins complet car les fournisseurs d’accès pourront proposer des offres d’abonnement « low cost », qui ne permettront pas d’accéder à tous les types de contenus avec la même facilité. Il y aurait alors un Internet pour les riches, et un autre, plus dégradé, pour les pauvres. Plus ou moins uniformisé aussi, parce que, par exemple, tel célèbre site de partage de vidéos, qui propose des vidéos-clips produits par les « majors » de l’industrie musicale, sera plus facilement accessible que le site personnel de tel artiste indépendant qui souhaite proposer ses oeuvres directement aux internautes.

En outre, et c’est sans doute la conséquence la plus importante d’un Internet qui ne serait plus neutre, il sera beaucoup plus facile pour un État ou une multi-nationale de réduire drastiquement la visibilité de sites qui voudraient dévoiler des agissements ou des informations pouvant nuire à leurs intérêts. Que l’on pense notamment aux publications des mémos des ambassades américaines par le site Wikileaks, en 2009 : sans neutralité du net, l’accès à ces données aurait pu être freiné de manière beaucoup plus efficace et discrète que les tentatives réalisées à l’époque. Or, ces informations ont joué ensuite un rôle important dans les secousses politiques qui ont parfois permis à des peuples de se débarrasser de despotes installés depuis des décennies (voir par exemple cet article, en anglais, sur les prémisses de la Révolution de Jasmin en Tunisie en 2010, par un bloggeur tunisien : The First WikiLeaks Revolution? (4)).

Un Internet sans neutralité est tout simplement le rêve de tout État pour mieux contrôler ce que les citoyens auront l’opportunité de lire, de voir, et d’échanger. Et le rêve de tout conglomérat commercial voulant imposer son monopole sur la production culturelle, en mettant en avant ses chaînes, ses programmes, ses productions, ses « artistes-maison », bref, pour imposer sa vision du monde aux internautes devenus avant tout consommateurs.

En choisissant d’évacuer toute notion de neutralité du net de son rapport, la commission ITRE du Parlement Européen laisse donc la porte ouverte à une grave dégradation de la diversité culturelle, de l’équité d’accès, et de la liberté d’expression via le réseau Internet. Elle rend ainsi possible un réseau à (au moins) deux vitesses, avec une véritable ségrégation numérique des internautes.

C’est ce 1er avril (non, ce n’est pas une blague !) que le rapport sera, ou non, adopté par la Commission Européenne. D’ici là, une forte mobilisation, sur les réseaux sociaux et/ou en prenant contact avec vos députés européens, permettra peut-être de sensibiliser nos chers représentants sur l’importance de la Neutralité du Net et sur ce qu’impliquerait son abandon (5).

En France, le Conseil National du Numérique (CNNum), commission consultative indépendante, fondée fin 2012, a publié un rapport de 67 pages sur les enjeux de la Neutralité du Net (6) dont le premier chapitre s’intitule « La métamorphose de la société et de l’économie numériques impose le principe de neutralité ». Dans un avis publié sur son site en mars 2013, le CNNum précise que « le principe de neutralité doit être reconnu comme un principe fondamental nécessaire à l’exercice de la liberté de communication et de la liberté d’expression » et propose même de « l’inscrire dans la loi au plus haut niveau de la hiérarchie des normes » (7).

Sandrine Bélier, députée européenne Europe Écologie – Les Verts, a par ailleurs déjà publié un communiqué de presse, « Marché unique des communications électroniques : la Neutralité du Net menacée » (8) dans lequel elle précise notamment que « les Écologistes européens n’entendent pas céder aux pressions de certains lobbies industriels et sacrifier par là-même la neutralité du Net qui doit rester le principe fondateur et le moteur d’Internet. Ce point n’est pas négociable, même s’il suscite de revoir l’ensemble des dispositions du texte. »

NOTES

1 – Le site de la commission ITRE (Industrie, Énergie, Recherche) :
http://www.europarl.europa.eu/committees/fr/itre/home.html

2 – Page de Pilar del Castillo Vera sur le site du parlement européen :
http://www.europarl.europa.eu/meps/fr/28390/PILAR_DEL+CASTILLO+VERA_home.html

3 – The First WikiLeaks Revolution, sur le blog TunisiaWeekly : 
https://tunisiaweekly.wordpress.com/category/pre-revolution/

4 – Pour plus d’explications techniques sur le principe de neutralité du net, lire cet article de Wikipédia :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Neutralit%C3%A9_du_r%C3%A9seau

5 – Signalons notamment la campagne SaveTheInternet.eu lancée par plusieurs associations et fondations européennes, dont La Quadrature du Net en France :
http://www.savetheinternet.eu/fr/

6 – Le rapport du CNNum sur les enjeux de la Neutralité du Net est disponible ici :
http://www.cnnumerique.fr/wp-content/uploads/2013/03/130311-rapport-net-neutralite-VFINALE.pdf

7 – Avis du CNNum sur la neutralité du Net :
http://www.cnnumerique.fr/neutralite/

8 – Communiqué de presse du 18 mars 2014 de Sandrine Bélier, députée européenne EE-LV :
http://sandrinebelier.wordpress.com/2014/03/18/marche-unique-des-communications-electroniques-la-neutralite-du-net-menacee/


Article rédigé par Grégory Gutierez et les membres de la commission Partage 2.0.

Cet article est publié sous licence Creative Commons Attribution – Partage dans les mêmes conditions 2.0
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