Dossiers – Libertés numériques (partage 2.0) https://numerique.eelv.fr Site de la commission Partage 2.0 Sun, 17 Jan 2016 11:27:23 +0100 fr-FR hourly 1 Les trois dérives du nouveau projet de loi sur le renseignement https://numerique.eelv.fr/2015/03/24/les-trois-derives-du-nouveau-projet-de-loi-sur-le-renseignement/ Tue, 24 Mar 2015 16:30:38 +0000 http://numerique.eelv.fr/?p=2010 Une fois de plus, cette fois après les attentats sanglants de janvier 2015, le parlement français s’apprête à voter une loi qui va faire encore reculer les droits fondamentaux des citoyen-ne-s, notamment lorsqu’ils utilisent le réseau Internet, et cela au prétexte de garantir leur sécurité et les intérêts de la France.

Les critiques n’ont pas tardé quant à ce nouveau projet de loi « relatif au renseignement » (1) : inquiétudes de la CNIL (2) et du Conseil National du Numérique (3) dont les avis ne sont visiblement pas pris en compte, de plusieurs ONG de défense des droits humains (Amnesty International a lancé une campagne #unfollowme contre « le Patriot Act à la française » (4)), mais aussi de représentants de la justice qui tirent la sonnette d’alarme sur les nouvelles prérogatives de l’administration (Marc Trévidic, juge anti-terroriste, parle de « pouvoirs exorbitants » concédés au gouvernement (5)).

Au-delà de ces critiques que la commission Partage 2.0 partage largement (voir notamment notre article de septembre 2014, Loi anti-terroriste : un attentat contre la démocratie), nous voudrions alerter sur trois dérives qui semblent être constitutives de cette nouvelle politique du renseignement.

1 – La notion de terrorisme est à géométrie variable : l’histoire récente l’a montré, la notion de terrorisme peut recouvrir des réalités très différentes, y compris en France (6). Tout le monde s’accorde à qualifier de « terroristes » les attaques contre Charlie Hebdo, ou plus récemment contre le musée du Bardo en Tunisie. Ce terrorisme-là ne fait aucun doute, sa violence aveugle est immédiatement constatable, tant par ses actes que son discours. Mais une fois que ce terme de terrorisme est entré dans la loi, pour justifier et renforcer une surveillance électronique généralisée et automatisée, qui sera garant que le terme ne sera pas utilisé aussi pour surveiller, entraver et éventuellement priver de liberté, des militants engagés dans certains combats, parce qu’ils pourraient nuire à des intérêts économiques ou politiques du moment ? Un lanceur d’alerte qui dévoile des secrets d’une entreprise, ou des activistes qui empêchent un train de circuler, ou des militants qui neutralisent des engins de chantier, pourront-ils être considérés comme « nocifs aux intérêts supérieurs de la France » ? À aucun moment, ni dans cette nouvelle loi ni dans celles qui l’ont précédé, les expressions « acte terroriste » ou « apologie du terrorisme » n’ont été précisés, et ses limites seront donc, de fait, définies par les hommes et femmes qui ont, ou qui auront, le pouvoir.

2 – L’État serait toujours vertueux : La loi va octroyer de nouveaux pouvoirs aux administrations, c’est-à-dire aux ministères et au gouvernement dans son ensemble, sans qu’un juge ne soit consulté au départ pour valider l’usage de ces pouvoirs. Mais qui va surveiller les motivations des hommes et des femmes qui pourront scruter la vie privée numérique de n’importe qui, à partir du moment où « l’intérêt supérieur de la France » aura été invoqué ? La nouvelle loi prévoit bien une Commission nationale de contrôle des techniques du renseignement (CNCTR), mais elle sera composée de députés, de sénateurs, de membres du Conseil d’État et de « personnalités qualifiées ». Et si l’une de ces personnes entretient des intérêts personnels contraires aux missions de la CNCTR ? Par exemple, au hasard, s’il est le porte-voix d’un quelconque lobby économique qui verrait d’un mauvais œil l’activisme de certains, ou s’il a des intérêts financiers dans une grande entreprise en charge de la distribution de l’énergie en France ? Comment sera garantie l’impartialité et la neutralité de cette CNCTR ? Et d’ailleurs, pourquoi aucun représentant des citoyen-ne-s usagers des réseaux numériques n’y siégera ? Le principe qui semble présider à cette loi est que l’État, toujours, forcément, est et restera vertueux, au point qu’il n’est plus nécessaire de consulter la justice avant d’agir. C’est tout l’idéal républicain de la séparation des pouvoirs qui est battu en brèche par un tel implicite.

3 – C’est trop technique pour y mêler le peuple : dernière dérive de ce projet de loi, et de ses prédécesseurs, l’idée que ces questions de surveillance du réseau sont de toute manière trop complexes, trop techniques, pour en faire la pédagogie auprès des citoyen-ne-s français, et pour mériter qu’ils soient consultés à ce sujet. De toute façon, « les Français ont peur », comme aiment à le répéter les médias, et de nombreux élu-e-s croient que leur rôle est avant tout de les rassurer. Pourtant toutes ces questions touchent directement aux usages des technologies numériques par tout à chacun, donc au droit à la vie privée et à la libre expression, y compris sur Internet. Nous sommes à une époque où même les pré-adolescents ont des smartphones et s’expriment sur les réseaux sociaux. Demain, va-t-on pouvoir discriminer entre les « bons » ados et les « mauvais », pour de simples statuts Facebook ou Tweeter ? L’épisode fâcheux de la censure du site islam-news.info, décidé par l’État français qui l’a présenté comme un réseau de djihadistes en devenir, alors qu’il s’agissait d’un site alimenté par une seule personne, française, qu’il était hébergé en France et clairement critique envers les appels au djihad (7), a déjà montré à quel point ces censures administratives pouvaient être contre-productives. Les usagers du Net sont loin d’être systématiquement de doux agneaux innocents, qui seraient incapables, par eux-mêmes, de comprendre les enjeux techniques et de repérer les sites dangereux ou perçus comme tels. Sous prétexte d’empêcher des jeunes à la dérive de « partir au djihad », la loi entérine  l’infantilisation de tous les internautes, quitte à multiplier les injustices et les accrocs à leur liberté d’expression.

Pour toutes ces raisons, la commission Partage 2.0 encourage les députés et sénateurs français à bien réfléchir aux pouvoirs qu’ils s’apprêtent à offrir à l’État, sous prétexte de réagir vite et bien à la menace terroriste. Ces nouveaux pouvoir de surveillance généralisée (et donc de suspicion généralisée) touchent aux valeurs et aux droits fondamentaux qui font qu’une démocratie peut se revendiquer comme telle. Et la question se pose, cruciale, de l’usage que pourront faire nos gouvernants de demain, quelle que soit leur couleur politique, grâce aux lois qui sont votées aujourd’hui. Les tout récents résultats des élections départementales, avec un parti d’extrême-droite recueillant pas moins de 25 % des suffrages exprimés, devrait pourtant service d’alerte. Et l’exemple (ou plutôt le contre-exemple) du Patriot Act américain permet déjà de voir à quelle société le Parlement français est en train d’œuvrer, avec la meilleure volonté du monde, sous prétexte d’assurer notre sécurité à toutes et tous.

1 – Le texte du projet de loi est publié sur LégiFrance

2 – Article Nextinpact.com : L’avis de la CNIL sur le déréférencement administratif des sites, sans juge

3 – Article sur le site du CNNum : Renseignement : le Conseil national du numérique s’inquiète d’une extension du champ de la surveillance et invite à renforcer les garanties et les moyens du contrôle démocratique

4 – Sur le site d’Amnesty International : Campagne #UnFollowMe, Stop à la surveillance de masse

5 – Article sur le site de l’Express : Projet de loi sur le renseignement: les réserves du juge antiterroriste Marc Trévidic

6 – Article Affaire de Tarnac sur Wikipédia

7 – Article sur Numerama.com : « Moi, censuré par la France pour mes opinions politiques »


Article rédigé par Grégory Gutierez, responsable de la commission Partage 2.0.

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Le prix Nobel de la Paix pour Edward Snowden https://numerique.eelv.fr/2014/02/02/le-prix-nobel-de-la-paix-pour-edward-snowden/ Sun, 02 Feb 2014 10:38:30 +0000 http://numerique.eelv.fr/?p=1972 Nomination d’Edward Joseph Snowden pour le prix Nobel de la paix 2014

À l’attention du comité norvégien pour le prix Nobel

Par la présente, nous exprimons notre souhait de nominer M. Edward Joseph Snowden (né le 21 juin 1983) pour le prix Nobel de la paix 2014, en raison de sa contribution exceptionnelle à l’avancée des valeurs démocratiques et à la prise de conscience globale de l’interdépendance et de l’interconnexion de l’espèce humaine, conditions pour une paix universelle.

Edward_Snowden-2_mEn juin 2013, nous avons tous découvert le visage d’un jeune homme qui, du jour au lendemain, est devenu pour certains un symbole de la trahison d’État et pour beaucoup d’autres un défenseur héroïque des libertés les plus fondamentales. Lorsqu’il a révélé et publié des documents sur les services secrets espionnant l’Internet, les appels téléphoniques et d’autres données de communications, M. Snowden a mis en lumière les violations les plus amples et les plus systématiques de la vie privée observées dans « le monde libre » depuis des décennies.

Ancien sous-traitant pour la NSA (Agence de Sécurité Intérieure des États-Unis) et employé de la CIA, M. Snowden a transmis des milliers de documents de la NSA révélant les programmes d’interceptions téléphonique et Internet massifs et très intrusifs au quotidien britannique The Guardian en mai 2013, avant de s’enfuir vers Hong-Kong et d’obtenir un asile temporaire en Russie.

Depuis la tragédie du 11-Septembre et le déclenchement de la « guerre globale contre le terrorisme » par les gouvernements successifs des États-Unis et leurs alliés en Europe et ailleurs, l’attitude de certains gouvernements vis-à-vis des sujets de sécurité est devenue de plus en plus intrusive. Au nom de la « paix » et de la « sécurité », de nombreuses libertés fondamentales, notamment la liberté d’expression et le droit à la vie privée, sont menacées, et même bafouées dans certains cas.

Les révélations (encore en cours) sur la NSA ont eu des répercussions globales colossales, notamment l’émergence de débats publics intenses sur le secret d’État, sur la vie privée, sur la protection des données, sur la complicité des entreprises et sur les limites de la surveillance nationale et internationale. Les actions de M. Snowden ont également déclenché le lancement d’enquêtes parlementaires sur la portée et la légalité des programmes d’écoutes, un examen de tout l’espionnage des États-Unis et des technologies de collecte des communications, des incidents diplomatiques majeurs avec l’atterrissage forcé et la fouille de l’avion du Président bolivien Morales, ainsi que des incidents sérieux contre les libertés fondamentales des médias au Royaume-Uni.

Ce faisant, M. Snowden a pris de grands risques pour sa propre sûreté personnelle. Il a dû abandonner sa carrière, son pays et ses proches. La violence de certaines réactions officielles démontre qu’il a touché un point profondément sensible dans les pratiques actuelles de nombreux gouvernements et organisations publiques. Il est véritablement devenu, un cran plus loin que ses précurseurs Julian Assange et Chelsea Manning, le visage symbolisant une faille majeure dans nos systèmes démocratiques.

Son action a contribué à une immense avancée des valeurs démocratiques et de la prise de conscience globale de notre interdépendance et de notre interconnexion, et donc de la paix universelle. Aussi pour toutes ces raisons, il mérite d’être considéré par le Comité norvégien Nobel pour recevoir le Prix Nobel de la Paix.

Très sincèrement,

Rebecca Harms
Daniel Cohn-Bendit
Jan Philipp Albrecht
Ska Keller
José Bové

Pourquoi attribuer le Prix Nobel de la Paix à Edward Snowden ?
  • Pour exprimer le soutien à Edward Snowden dans ses épreuves actuelles et pour encourager d’autres lanceurs d’alerte potentiels à se révéler pour le bénéfice de tous ;
  • Pour souligner le fait que les lanceurs d’alerte et les journalistes d’investigation peuvent avoir un impact significatif sur la jouissance des droits de l’homme en prenant des risques considérables pour révéler la vérité sur des pratiques inacceptables des gouvernements ou des entreprises, et que de ce fait, ils peuvent être considérés comme des défenseurs des droits de l’homme et des prêcheurs de paix.
  • Pour contribuer à une conscience globale de l’interdépendance et du destin partagé de l’humanité, qui sont des conditions pour la paix universelle.
  • Pour apporter la preuve que les Prix Nobel de la Paix ne subissent pas de biais à double tranchant après la distinction successive du Président des États-Unis Obama et de l’Union Européenne, et pour reconnaître que la promotion et le respect des droits de l’homme, de la paix et de la démocratie commence chez soi.

Traduction de la page Peace Prize for Snowden publiée le 31 janvier 2014 sur le site Les Verts / Alliance Libre Européenne, par les membres de la commission Partage 2.0 (Libertés numériques) d’Europe Écologie – Les Verts. 

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Crédit photo : Laura Poitras (Creative Commons By)
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À l’ère du numérique, la France doit plus que jamais protéger les libertés individuelles des citoyens. https://numerique.eelv.fr/2013/12/09/a-lere-du-numerique-la-france-doit-plus-que-jamais-proteger-les-libertes-individuelles-des-citoyens/ https://numerique.eelv.fr/2013/12/09/a-lere-du-numerique-la-france-doit-plus-que-jamais-proteger-les-libertes-individuelles-des-citoyens/#comments Mon, 09 Dec 2013 22:35:36 +0000 http://numerique.eelv.fr/?p=1957 Ce mardi 10 décembre, le Sénat s’apprête à débattre en deuxième lecture et à voter le projet de loi sur la Programmation Militaire 2014-2019. Dans son article 13, ce projet propose ni plus ni moins que d’autoriser des ministères et divers services de l’État à accéder aux données des utilisateurs transitant sur le réseau Internet, et cela sans même qu’une décision de justice ne l’ait autorisé au préalable.

Les motifs invoqués pour un tel recul des libertés numériques sont plus que flous, il est question de « recherche de renseignements intéressant la sécurité nationale », de « sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France » et bien entendu, une fois encore, de lutter contre le terrorisme.

Cette justification d’une surveillance généralisée par l’invocation de grands principes – prétextes faciles derrière lesquels se cachent bien souvent les intérêts politiques ou financiers du moment – est inquiétante en ce qu’elle ouvre la voie à tous les arbitraires.Si l’article 13 de ce projet de loi venait à être adopté, à peu près tout et n’importe quoi, et aussi n’importe qui, pourrait donc faire l’objet d’une surveillance active, sans décision de justice et sur simple volonté du pouvoir exécutif.

Ces dernières années, les dérives en matière de surveillance et de non respect des libertés fondamentales ont été nombreuses. Écoutes de journalistes, qui remettent en cause le secret des sources pourtant nécessaire à une presse libre et indépendante du pouvoir ; affaire du « groupe de Tarnac » fin 2008 durant laquelle l’impératif de lutte contre le terrorisme a servi de prétexte à une opération de communication gouvernementale à la fois absurde et anxiogène ; depuis juin dernier, multiples révélations sur l’étendue des écoutes de la NSA et sur l’enthousiasme de la DGSE à y collaborer (ces révélations ont fait vaciller le pouvoir en Allemagne, mais le gouvernement français préfère visiblement les ignorer…).

Toutes ces affaires montrent à quel point un pouvoir peu ou pas du tout encadré par la justice, devient capable de toutes les transgressions, n’hésite plus à piétiner les droits des citoyens et à passer outre les gardes-fous nécessaires au bon fonctionnement d’une démocratie. Et les excès d’une société de surveillance généralisée sont d’autant plus dangereux qu’aujourd’hui les outils numériques agrègent les données personnelles de leurs utilisateurs avec une efficacité redoutable, souvent même sans que ces derniers ne s’en aperçoivent (réseaux sociaux, smartphones, technologies « cloud », logiciels espions des constructeurs, etc.).

Rappelons que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 pose notamment que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme, et que tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi » (article 11), et que « la garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée » (article 12).

Les commissions Partage 2.0 et Justice s’alarment des conséquences néfastes de ce projet de loi et rappellent que le Conseil National du Numérique, créé en 2011, ainsi que la CNIL, en charge de la protection des données personnelles et des libertés individuelles, ont exprimé des réserves explicites, que les député-es ne peuvent pas et ne doivent pas ignorer. La CNIL a publiquement déploré que les parlementaires n’aient pas jugé utile de recueillir son avis concernant cette disposition pourtant intentatoire aux libertés individuelles.

Les commissions Partage 2.0 et Justice invitent les parlementaires à mesurer les conséquences délétères qu’une telle loi aura, tôt ou tard, sur les libertés individuelles, et appellent au rejet de l’article 13 ainsi qu’à l’instauration d’un moratoire. Pour qu’un véritable débat démocratique puisse se dérouler, une information du public aussi complète que possible doit être organisée.



Cet article, co-signé par les commissions Partage 2.0 et Justice, est publié sous la licence Creative Commons Attribution – Partage dans les mêmes conditions 2.0
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https://numerique.eelv.fr/2013/12/09/a-lere-du-numerique-la-france-doit-plus-que-jamais-proteger-les-libertes-individuelles-des-citoyens/feed/ 3
Vous avez dit « propriété intellectuelle » ? https://numerique.eelv.fr/2013/11/06/vous-avez-dit-propriete-intellectuelle/ Wed, 06 Nov 2013 10:17:09 +0000 http://numerique.eelv.fr/?p=1933 Le positionnement des Verts européens sur la notion de “propriété intellectuelle”

Le rejet de l’ACTA par le Parlement Européen en juillet 2012 fut une victoire mémorable de cette legislature (1). Ce soi-disant “accord commercial anti-contrefaçon” (Anti-Counterfeiting Trade Agreement) avait pour objectif réel d’établir de nouvelles règles globales en matière de propriété intellectuelle (IP), qui allaient au-delà de la loi internationale actuellement en vigueur, en dépossédant au passage l’Organisation Mondiale du Commerce et l’Organisation Mondiale sur la Propriété Intellectuelle (WIPO) de leurs prérogatives sur le sujet. Il s’agissait en fait d’imposer au monde entier les intérêts industriels d’un petit club de pays (2).

Le rejet de l’ACTA, et la mobilisation sociale qui l’a rendu possible, sont un signe fort que des changements positifs sont possibles dans notre société.

Le terme “propriété intellectuelle” couvre en réalité beaucoup de choses, qui peuvent avoir trait aux brevets et aux technologies, à Internet et aux droits de copie, aux marques et aux règlements pour l’exportation de biens, au design industriel, à la protection des informations géographiques, etc.

Mais ce concept de « propriété intellectuelle », inventé comme outil idéologique par une poignée d’industriels dans les années 1980, perd aujourd’hui une partie de sa magie et de son clinquant. Les populations sont de plus en plus sceptiques, elles ne croient plus à la rhétorique des actionnaires des grandes entreprises et commencent à voir les réglementations promues par les arènes politiques pour ce qu’elles sont : des menaces pour les libertés individuelles et les droits des citoyens, des régulations conçues pour le seul bénéfice d’intérêts privés, et pas au nom de l’intérêt général.

Contrairement à une idée répandue par l’industrie, dans le domaine des brevets, le prix à payer pour l’accès aux médicaments n’est pas une garantie que nous aurons accès aux traitements qui s’avéreront nécessaires pour combattre les maladies à venir – et “nous” se réfère ici aux individus comme à la société tout entière. En réalité, le monopole perpétuel des droits accordés aux géants de l’industrie pharmaceutique n’assure en aucun cas l’innovation médicale, ni que ces innovations pourront être partagées librement. Seul un faible pourcentage du prix des médicaments sert à financer la recherche, qui n’est d’ailleurs pas toujours la recherche la plus nécessaire, et la difficulté est de plus en plus grande pour les patients d’acquitter les prix imposés par l’industrie pharmaceutique.

Dans le domaine du droit de copie, de plus en plus de monde comprend désormais que traiter les citoyens comme des criminels, des pirates ou des voleurs, simplement parce qu’ils partagent des objets culturels, est une réponse inappropriée et inefficace face aux changements sociétaux et économiques générés par Internet et les nouvelles technologies.

De fait, les politiciens eux-mêmes, habitués à répéter les éléments de langage de l’industrie, commencent à se poser des questions. De quoi parle-t-on en fin de compte, lorsqu’on utilise l’expression “propriété intellectuelle” ? Lorsque cette expression est glissée dans des régulations, des directives et des législations qui réclament un renforcement de la “propriété intellectuelle”, qu’est-ce que cela implique vraiment pour notre société ?

Brevets, droits de copie (copyright), design industriel, droit des marques (trademarks)… Ces outils légaux ont en commun de donner des droits exclusifs à leurs propriétaires pour un temps plus ou moins long. En Europe, au moins 20 ans pour un brevet, 70 ans après la mort de l’auteur pour les droits de copie, 25 ans pour le design industriel, 10 ans renouvelables pour le droit des marques, etc. Pourtant, il s’agit de droits très différents les uns des autres, qui régissent une grande diversité de situations, de secteurs, d’activités et d’acteurs. Ils ne devraient pas être tous considérés et gérés de la même manière.

Ainsi, il est simpliste et même faux de croire que la “propriété intellectuelle” est utile à la création et à l’innovation, qu’elle serait nécessaire à ceux qui veulent inventer, qu’il s’agisse d’artistes, de scientifiques, de corporations internationales ou de petites et moyennes entreprises. Et c’est d’autant plus le cas alors que la Chine devient le pays qui génère le plus de brevets chaque année. Plus des deux tiers des brevets émis dans le monde sont chinois, à une époque où les artistes et les auteurs sont de plus en plus forcés à transférer leurs droits à des producteurs ou des diffuseurs.

Dans un tel contexte, les Européens doivent envisager ces problématiques de manière intelligente et stratégique, s’ils veulent promouvoir la recherche nécessaire et aider les entreprises, les institutions publiques et les individus qui entendent participer à la création et à l’innovation.

C’est pourquoi, à côté de la bataille contre les accords du type ACTA ou les budgets voulus par les multinationales pour imposer des monopoles illégitimes dans le cadre des accords de libre échange (3), un sujet crucial pour nous les Verts est la promotion de choix de société progressistes, afin de faciliter et d’encourager la création et l’innovation, sans multiplier les droits exclusifs qui vont à l’encontre de cet objectif (4).

Quelques réformes et évolutions nous paraissent donc essentielles. La course aux brevets est un jeu opaque dont les règles sont trop complexes et/ou risquées pour la plupart des institutions publiques et des PME. Seules les véritables inventions devraient faire l’objet de brevets, pas les éléments de la nature ni les améliorations mineures de produits déjà existants (5). Dans des domaines aussi cruciaux que le changement climatique (6), l’énergie ou la santé (7), de nouvelle stratégies sont nécessaires afin de promouvoir l’innovation.

Nous avons besoin de réformes dans le domaine du droit de copie (8) pour s’adapter aux évolutions technologiques et pour faciliter et accompagner les développements industriels et les nouveaux modèles économiques. Mais aussi pour protéger les besoins essentiels et les droits des individus contre les abus des droits exclusifs (9).

De nouvelles stratégies doivent être trouvées pour garantir des rémunérations appropriées aux artistes. Nous devons inventer des mécanismes pour les soutenir qui ne soient pas fondés simplement sur le droit de copie, et assurer que les ressources engrangées par les droits de copie reviennent bien aux auteurs et aux créateurs (10). Nous devons tirer avantage des options offertes par les nouvelles technologies pour organiser le travail collectif et individuel, tout en créant plus de transparence et de protection aux petits acteurs, injustement traités et utilisés par les corporations. Il faut retrouver un équilibre entre la protection des droits exclusifs et l’intérêt public. Les dépenses d’argent public devraient être considérées comme un investissement par le public, au bénéfice de l’intérêt commun, et non comme une contribution gratuite au seul bénéfice du secteur privé.

Les droits dits de “propriété intellectuelle” sont seulement des outils et devraient être considérés comme tels. Ils ne sont que des moyens, pas une fin en soi. Nos choix politiques devraient être animés par le souci d’une société plus équitable, plus écologique et plus démocratique.


Texte original en anglais par Gaëlle Krikorian, traduction et adaptation en français par Grégory Gutierez.

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Notes

1 – En 2010, les Verts/EFA ont lancé la campagne ACT on ACTA, qui a continué jusqu’à la défaite du traité au Parlement Européen.

2 – L’accord était négocié entre représentants des États-Unis, du Japon, du Canada, de l’Union Européenne, de la Suisse, de l’Australie, du Mexique, du Maroc, de la Nouvelle-Zélande de la République de Corée et de Singapour.

3 – La direction générale du commerce introduit dans des accords de libre-échanges des dispositions semblables à des dispositions d’ACTA de façon malheureusement routinière. Les Verts ont dénoncé cette pratique dans le cas de plusieurs accords dont celui négocié avec le Canada et celui avec l’Inde. La crainte est maintenant que cela soit à nouveau le cas dans l’accord de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement avec les Etats-Unis.

4 – C’est pour cette raison que les Verts européens ont lancé un appel  appel pour un agenda progressif pour la Création et l’Innovation en 2013, afin que la société civile puisse partager idées et propositions avec les acteurs politiques. Voir aussi la résolution adoptée par le Parti Vert Européen sur le thème Digital Rights and Digital Common (droits numériques et “Communs”  numériques) en mai 2013.

5 – Les Verts européens s’opposent à toute forme de brevet appliqué à la vie, y compris les graines et les plantes. Le rapport de Catherine Grèze pour protéger les ressources génétiques et les savoirs traditionnels  a été adopté en janvier 2013. La réglementation pour l’implantation en Europe du Protocole de Nagoya sur la biodiversité et les bénéfices du partage, pour lequel Sandrine Bélier était rapporteur, a été adopté en séance plénière en septembre 2013.

6 – Les Verts/AFE ont proposé 13 mesures-clés pour promouvoir l’innovation et combattre le changement climatique

7 – Les Verts/AFE promeuvent de nouvelles options dans le cadre de l’adoption de la nouvelle plate-forme de recherche de l’Union Européenne, Horizon 2020, et notamment l’accès ouvert obligatoire des publications de recherche et l’implémentation par la Commission Européenne d’un projet pilote sur l’accès ouvert des données.

8 – Les Verts/EFA ont adopté un ”position paper” sur la Création et le Droit de copie à l’ère numérique en octobre 2011.

9 – Les Verts/EFA ont milité pendant des années au sein du Parlement Européen pour l’adoption d’un traité international pour les déficiants visuels . Un traité a été finalement adopté en juin 2013.

10 – Une nouvelle réglementation pour réformer la gestion des droits collectifs est en cours de négociation entre le Parlement Européen, la Commission Européenne et le Conseil Européen. Les Verts/EFA ont appelé à cette réforme depuis des années.

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EELV demande à François Hollande d’accorder l’asile politique à Edward Snowden https://numerique.eelv.fr/2013/07/01/eelv-demande-a-francois-hollande-daccorder-lasile-politique-a-edward-snowden/ Mon, 01 Jul 2013 10:10:12 +0000 http://numerique.eelv.fr/?p=1927 http://eelv.fr/?p=95639 ...]]>

EELV demande à François Hollande d’accorder l’asile politique à Edward Snowden

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Affaire PRISM : menaces sur Internet, quels antidotes ? https://numerique.eelv.fr/2013/06/26/affaire-prism-menaces-sur-internet-quels-antidotes/ Wed, 26 Jun 2013 13:21:10 +0000 http://numerique.eelv.fr/?p=1915

Affaire PRISM : menaces sur Internet, quels antidotes ?

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L’oeil de Washington https://numerique.eelv.fr/2013/06/26/loeil-de-washington/ https://numerique.eelv.fr/2013/06/26/loeil-de-washington/#comments Wed, 26 Jun 2013 12:34:42 +0000 http://numerique.eelv.fr/?p=1893 \"We must acknowledge once and for all that the purpose of diplomacy is to prolong a crisis.\" Spock, épisode “A taste of Armageddon”, Star Trek (The Original Series), première diffusion en 1967 à la télévision américaine. ...]]>

« We must acknowledge once and for all that the purpose of diplomacy is to prolong a crisis. »

Spock, épisode “A taste of Armageddon”, Star Trek (The Original Series), première diffusion en 1967 à la télévision américaine.

 

L’oeil de Washington

La conjonction de plusieurs informations ces dernières semaines, relatives aux libertés fondamentales sur le réseau Internet et aux activités de surveillance étatique de ce réseau, laissent présager d’un avenir sombre pour la liberté d’expression et le respect de la vie privée des internautes et des citoyens de tous pays.

Les révélations concernant le programme de surveillance en ligne PRISM[1], de la puissante agence américaine NSA, illustrent à quel point un Internet essentiellement animé par des sociétés privées est une menace pour nos libertés fondamentales. Grâce au lanceur d’alerte Edward Snowden[2], dont le geste n’est pas sans rappeler celui de Bradley Manning dans l’affaire Wikileaks[3], nous savons aujourd’hui que la grande majorité des entreprises du web collaborent depuis 2009 au moins avec les services secrets américains pour fournir les données engrangées par leurs utilisateurs sur leurs sites respectifs. Microsoft, Apple, Google, Facebook, Skype… Pratiquement tous les « géants » du web – toutes des entreprises américaines – sont concernés.

Ceci est la conséquence directe du Patriot Act voté par le Congrès américain sous la présidence de George W. Bush, loi qui autorisait le gouvernement à organiser une surveillance généralisée des internautes non-américains, au nom de la “sécurité intérieure” et de “la lutte contre le terrorisme”. Or la notion d’acte de terrorisme peut avoir de multiples définitions, laissées à l’appréciation des agences gouvernementales, loin des yeux du peuple, et ce d’autant plus que l’accès aux données personnelles des internautes via le programme PRISM est autorisé par une cour de justice dont les délibérations restent secrètes. En clair, n’importe quel internaute non-américain peut voir ses données personnelles scrutées et analysées par la NSA, sans même qu’il en soit averti, ni avant, ni après l’accès à ses données.

L’aspect pour le moins subjectif de cette notion de “lutte contre le terrorisme” est assez évidente. En France, ces dernières années, la presse s’est faite l’écho de la collaboration d’entreprises françaises avec des régimes dictatoriaux, via la vente de technologies de surveillance des activités des usagers du Net. En Libye, c’est justement au nom de la lutte contre le terrorisme que le système de surveillance Eagle avait été vendu au régime de Kadhafi[4], et ce alors que le même pays finançait en sous-main la campagne électorale du futur chef d’État français[5].

Beaucoup moins grave, à la limite de l’absurde même, mais tout à fait illustratif des dérives auxquelles peut mener cette notion de “lutte contre le terrorisme” : lors d’un débat dans une ville du Tennessee en mai dernier, un conseiller municipal n’a pas hésité à répondre aux habitants qui se plaignaient de problèmes de santé après avoir bu de l’eau du robinet de qualité douteuse, que leurs propos pourraient s’apparenter à “un acte de terrorisme” et qu’ils pourraient donc tomber sous le coup de la loi.[6] C’est absurde, certes, espérons que ça le restera encore longtemps.

 

Internet comme outil de partage démocratique

Cette mainmise d’un État sur les libertés fondamentales des usagers du Net est en contradiction directe avec les principes mêmes de partage et de protection des données qui sont au coeur de sa philosophie. Dans la foulée des premières révelations sur le programme PRISM, plusieurs figures historiques du réseau ont déjà pris position sur ce sujet.

Steve Wozniak, le co-fondateur de la société Apple, explique dans un entretien pour CNN qu’avec le développement d’Internet, il s’agissait avant tout de “libérer les gens, de leur offrir la capacité de communiquer n’importe où dans le monde de manière instantanée et sans entrave. (…) Mais nous n’avons pas réalisé que le monde numérique offrait aussi de nombreuses technologies nouvelles pour nous contrôler et nous surveiller.” [7]

Tim Berners-Lee, l’un des inventeurs du web (le “web” étant ce principe de liens hyper-textes et d’URL permettant d’interconnecter les sites internet en une vaste “toile”), aujourd’hui président du W3C, a déclaré pour sa part que “si vous pouvez contrôler l’Internet, si vous pouvez commencer à modifier ce que disent les usagers et intercepter leurs communications, vous devenez vraiment très puissant… Et c’est le genre de pouvoir qui, s’il est octroyé à un gouvernement corrompu, lui permet de rester aux commandes pour toujours. Une surveillance gouvernementale totale est une violation directe des droits humains fondamentaux, une menace envers les fondements mêmes de la société démocratique.” [8].

Face à une telle menace contre les libertés et la vie privée des usagers, quelles solutions peuvent être envisagées ? La garantie de la neutralité du Net et le développement des logiciels libres sont primordiaux dans ce nécessaire débat démocratique, en ce qu’ils sont susceptibles de réaliser une (ré-)appropriation du réseau par ses usagers.

 

Le libre : un choix respectueux des usagers

Les logiciels libres[9] sont développés par et pour les utilisateurs, de manière collaborative. Ils permettent de mieux garantir la sécurisation des données personnelles et sont susceptibles de fournir des services plus fiables et mieux partagés. Plus fiables car corrigés et améliorés par ceux-là mêmes qui les utilisent, dans une optique d’efficacité d’utilisation, grâce à la publication et la modification libre de leurs codes sources. Mieux partagés car librement copiables et exécutables sur autant de terminaux informatiques que nécessaire, grâce à des licences dites “ouvertes” (il existe de nombreuses licences d’utilisation, plus ou moins ouvertes). Vous utilisez d’ailleurs déjà certainement des logiciels libres, à des degrés divers, dans votre utilisation de l’informatique et du Net : le navigateur Firefox de la Fondation Mozilla, le lecteur de vidéos VLC, la suite bureautique LibreOffice, le serveur Apache qui fait tourner nombre de sites internet que vous visitez, le système de blog WordPress, le moteur de  l’encyclopédie collaborative Wikipédia, sont autant de logiciels et d’applications issus du monde du Libre.

Tous ces logiciels sont bien moins susceptibles d’être asservis au bon vouloir et à la curiosité des agences de surveillance d’une quelconque nation, car ils ne dépendent généralement pas d’une entreprise privée. Ils sont par nature “apatrides”, dans le sens où ils ne sont pas soumis aux lois d’un pays et bénéficient des compétences de développeurs indépendants, réunis grâce au réseau et regroupés en fondations, en associations voire en simple groupes de travail informels[10]. Par bien des aspects, les logiciels libres sont des logiciels populaires, au sens fort du terme, qui sont “issus du peuple” et restent contrôlés par ceux qui le souhaitent et le peuvent. N’importe qui peut d’ailleurs participer à l’évolution d’un logiciel libre, pas seulement des ingénieurs et des informaticiens : si vous possédez des compétences de traduction, vous pouvez aider à la “localisation” de son interface, en tant que simple utilisateur, vous pouvez faire remonter un bug ou une suggestion d’amélioration à ses concepteurs.

Encourager l’utilisation et la présence des logiciels libres bénéficierait non seulement à la sécurité et à la garantie du respect de la vie privée des usagers du Net, mais permettrait en outre des économies notables aux administrations, ce qui n’est plus du tout négligeable dans l’environnement économique fortement contraint qui ébranle toute l’Europe depuis plusieurs années. En France, l’Assemblée Nationale est d’ailleurs passée au Libre à partir de fin 2006, bientôt suivie par le Sénat [11]. Le 13 juin dernier à Paris, lors de l’inauguration des nouveaux locaux de la Fondation Mozilla, la ministre chargée de l’Économie Numérique, Fleur Pellerin, a d’ailleurs rappelé l’importance du libre dans l’économie des nouvelles technologies : “La France est souvent citée comme un des pays les plus actifs au monde dans le domaine du logiciel libre. La croissance soutenue dans ce secteur le confirme. Les chiffres sont éloquents : ce marché représentait en 2011 plus de 2 milliards d’euros, soit plus de 6% de la demande de logiciels et de services informatiques. Par ailleurs, il y a là un formidable levier d’emplois, environ 10 000 supplémentaires dans les 3 ans à venir, si les estimations de croissance du marché sont confirmées.” [12]

En Allemagne, la municipalité de Munich a décidé de distribuer gratuitement aux habitants des CD d’un système d’exploitation fondé sur Linux, spécialement pensé pour les ordinateurs vieillissants, dans l’espoir de réduire le nombre de machines jetées à la poubelle alors qu’elles sont encore parfaitement fonctionnelles. [13] Le libre est donc aussi une manière de répondre au consumérisme et peut devenir une forme moderne de service public.

 

Le libre : une opportunité pédagogique émancipatrice

La philosophie rattachée à ces logiciels, qui met en avant les notions de partage, de travail collaboratif, d’intelligence collective, et qui favorise l’esprit d’initiative (n’importe qui peut créer un nouveau projet à partir des acquis d’un projet existant), est d’ailleurs un objet pédagogique idéal pour l’éducation des enfants dans les écoles de la République. S’approprier le savoir, la connaissance, le savoir-faire, est à la base de la notion d’instruction publique : “Le but de l’instruction n’est pas de faire admirer aux hommes une législation toute faite, mais de les rendre capables de l’apprécier et de la corriger. Il ne s’agit pas de soumettre chaque génération aux opinions comme à la volonté de celle qui la précède, mais de les éclairer de plus en plus, afin que chacun devienne de plus en plus digne de se gouverner par sa propre raison.” (De l’Instruction commune pour les enfants, Condorcet, 1791).

Dans le même esprit, la députée Barbara Pompili du groupe EE-LV, affirmait lors du récent débat à l’Assemblée Nationale, et alors que le gouvernement décidait de supprimer la priorité donnée aux logiciels libres dans un projet de loi concernant justement l’enseignement, que « promouvoir les logiciels libres, c’est l’essence même de l’esprit de solidarité et d’égalité républicain » [14].

Bien entendu, au 18ème siècle, quand Condorcet réfléchissait aux objectifs de l’instruction publique, il ne pouvait pas imaginer l’avènement du réseau Internet et les possibilités de travail collaboratif et d’émancipation citoyenne qu’une telle technologie pouvait offrir. Mais nous vivons aujourd’hui, en 2013, dans une société où l’accès à Internet est aussi naturel, pour les nouvelles générations, que la démocratisation et l’accès aux livres imprimés a pu l’être pour les générations précédentes.

L’accès au Net est désormais un accès à la culture au sens large, où l’on trouve le pire et le meilleur, comme dans n’importe quelle librairie ou bibliothèque municipale. Aurait-on imaginé que nos choix de lecture et nos étagères de livres soient surveillés, fichés, annotés voire, pourquoi pas, censurés par des agences gouvernementales, et ce pour notre propre sécurité, au nom d’un “style de vie” qui serait imposé à tous par une poignée de décideurs ?

 

Vers la société du contrôle

Mais pour développer un tel antidote à une société de surveillance généralisée, il faut avoir une politique volontaire d’émancipation des citoyens sur l’Internet, qui passe par l’autonomie du réseau et par l’usage de logiciels sûrs (en particulier des logiciels libres, on l’a vu). Certaines déclarations de membres de l’actuel gouvernement français ne présagent pas d’une telle ambition. Le mercredi 12 juin, lors d’un débat à l’Assemblée Nationale, le député Malek Boutih, du groupe PS, déclarait très sérieusement qu’il « ne croyait pas à la légende des pirates du net, aux geeks qui diffusent gratuitement de la culture. Il s’agit d’une guerre économique, il faut reprendre le contrôle sur Internet, c’est une question plus large de souveraineté. (…) Contrôler les tuyaux, c’est contrôler les contenus » [15].

La situation au niveau de l’Europe est-elle plus encourageante ? Lors d’une récente conférence de presse conjointe avec le président des Etats-Unis à propos de PRISM, la chancelière allemande Angela Merkel a déclaré : “Internet est un nouveau territoire, un territoire inexploré pour nous tous. Et il permet à nos ennemis, il permet aux ennemis d’un ordre libre et libéral de l’utiliser, d’en abuser, de créer une menace pour nous tous, de menacer notre style de vie. Et c’est pourquoi nous attachons de l’importance à la coopération avec les États-Unis sur les questions de sécurité.” [16] Curieuse contradiction qui voit la surveillance généralisée des citoyens  justifiée par l’impératif de… préserver leurs libertés (on notera d’ailleurs cette expression pour le moins ambivalente qu’utilise Merkel : “l’ordre libre”, mais gageons qu’il s’agit seulement d’une maladresse de traduction ?).

De telles déclarations, que pourraient reprendre sans en changer une ligne les autorités chinoises qui censurent allègrement l’accès à Internet de leurs citoyens, ou les autorités iraniennes qui entendent tout simplement le remplacer par un réseau de communications “national”, lourdement surveillé et censuré[17], ont de quoi inquiéter sérieusement tous les défenseurs d’un internet libre et neutre.

“Contrôler les tuyaux, c’est contrôler les contenus” : cette phrase vertigineuse d’un élu de la République donne une idée de l’incompréhension d’une bonne partie de la classe politique sur ce qu’est l’Internet, sur son potentiel d’édification d’une véritable République numérique, transnationale et collaborative. Quand on y réfléchit bien, “contrôler les tuyaux”, c’est décider des capacités d’accès des usagers à ce nouveau territoire, et “contrôler les contenus”, c’est décider de ce qui pourra ou pas être lu, écouté ou visionné par ces usagers. Il s’agit ni plus ni moins que d’abandonner un principe fondamental : la neutralité du Net.

 

La neutralité du Net implique une stricte neutralité des États

La défense du principe de la neutralité du Net apparaît comme essentielle, mais cette notion finalement assez simple à comprendre reste plutôt floue pour le grand public. Depuis plusieurs années, des entreprises des nouvelles technologies et du secteur culturel marchand tentent de faire pression sur les gouvernements pour que cette neutralité soit abandonnée, au profit d’une circulation des données différenciée, prioritaire pour certains contenus mais pas pour d’autres, améliorée pour certains usagers mais dégradée pour d’autres. Un peu comme si la qualité de vos communications téléphoniques dépendait de votre interlocuteur, et ce à la discrétion de votre opérateur téléphonique, qui pourrait même vous interdire de contacter certaines personnes. Pour votre bien, bien entendu. La fin de la neutralité du Net verrait l’émergence d’un réseau à plusieurs vitesses où les contenus seraient plus ou moins accessibles et plus ou moins visibles, en fonction de motivations et d’intérêts essentiellement économiques ou « culturels ».[18]

On imagine bien à quelles extrémités pourrait conduire l’alliance de technologies de surveillance du type PRISM et la fin de la neutralité d’accès aux contenus. En Tunisie, en Egypte, en Turquie, aux États-Unis aussi avec le mouvement de contestation OccupyWallStreet, un quelconque “printemps” aurait-il pu être envisagé si l’information sur le Net avait été ainsi “hiérarchisée” ? Si les accès aux vidéos et aux pages des réseaux sociaux avaient été “ordonnés” à la discrétion des États et de leurs partenaires privés en charge du fonctionnement technique de tous ces services ? Y aurait-il eu un changement de pouvoir en Egypte ou en Tunisie si les sites des médias “officiels” avaient bénéficié d’une priorité d’accès au détriment des pages personnelles des activistes et des témoins en direct des événements ? OccupyWallStreet aurait-il été le mouvement de contestation et de réflexion sociale qu’il a été si l’État fédéral américain avait décidé, à la source, de ce qu’il était pertinent – ou pas – de faire savoir aux internautes ?

Les forces de l’ordre qui chargeaient les manifestants pacifiques de la place Taksim à Istanbul ces dernières semaines, n’utilisaient pas que des gaz lacrymogènes et des canons à eau, mais aussi des brouilleurs de réseau 3G, pour empêcher les activistes de témoigner en direct sur les événements en cours, depuis leurs smartphones. La libre circulation de l’information et de l’expression sur le Net, voilà l’ennemi principal que craignent aujourd’hui les États non-démocratiques, et ceux dont la démocratie vacille.

Sur cette question de la neutralité du Net, la commissaire européenne en charge du numérique, Neelie Kroes, a présenté au Parlement un projet de loi visant à constituer « un garde-fou à tous les Européens, sur tous les appareils, sur tous les réseaux – une garantie d’accès à un Internet complet et ouvert ».[19] Neelie Kroes explique ses motivations sur son propre blog : “les usagers doivent savoir si, en payant leur accès au Net, ils ont du Champagne ou seulement du vin pétillant. Si ce n’est pas un accès complet au Net, l’offre ne devrait pas être markétée comme telle. Peut-être même l’offre ne devrait-elle pas être présentée comme un accès à Internet, en tout cas pas sans les réserves nécessaires. Les régulateurs d’accès devraient avoir ce genre de contrôle sur les offres proposées par les opérateurs Internet.” [20]

 

Etats.com ou citoyens.org ?

Parmi les révélations de  l’affaire PRISM, une information sans doute anecdotique, mais hautement symbolique, a fini par émerger : le directeur de la sécurité du réseau social Facebook, site côté en bourse et critiqué pour changer ses règles d’utilisation régulièrement[21], a quitté ses fonctions en 2010. Pour intégrer la NSA[22]. Cette porosité entre les deux mondes, celui de l’agrégation de données personnelles numériques  d’une part, et celui de l’espionnage d’État à grande échelle motivé par des raisons de sécurité intérieure à la légitimité douteuse, d’autre part, devrait interroger et inquiéter les utilisateurs du Net que nous sommes.

Face à cet enjeu, nos représentants politiques sont-ils condamnés à l’inculture sur tout ce qui touche au réseau Internet et aux potentiels des nouvelles technologies en matière de circulation de l’information, d’éducation, de libertés civiles et, finalement, en matière d’émancipation populaire ? Est-il dans l’intérêt des citoyens de laisser l’avenir du réseau à des personnes qui l’envisagent comme “des gros tuyaux” ou “des terres nouvelles à découvrir” ? Un État peut-il surveiller comme bon lui semble les usagers du net, avec la complicité, qu’elle soit forcée ou volontaire, des entreprises qui “monétisent” ces usagers au travers de leurs plate-formes de services ?

Faut-il pour autant désespérer de la politique ? Dénigrer à l’emporte-pièce le monde de la politique, dans son ensemble, reviendrait à faire un cadeau inespéré aux organisateurs de cette tentative de mutation de l’Internet, de vaste réseau démocratique d’expression libre en inquiétante machine à écouter aux portes et à censurer. Devant la tournure que prend “l’affaire” PRISM, Edward Snowden ayant été accusé d’espionnage par la Maison Blanche (ce ne sera jamais que le huitième citoyen américain à être poursuivi de la sorte au nom de l’Espionage Act sous la précidence d’Obama, ce qui est en soit un record[23]), une commission du Conseil de l’Europe vient d’adopter un rapport, “Sécurité nationale et accès à l’information”, qui préconise l’instauration de protections pour les lanceurs d’alertes et de “limites raisonnables dans l’invocation de la sécurité nationale comme justification du secret.” [24]

Bien sûr, un rapport d’une commission du Conseil de l’Europe n’est pas un projet de directive européenne, et une directive européenne n’aurait de toute façon aucun effet sur la politique américaine, chinoise, russe ou iranienne, en matière de protection des libertés sur le réseau. Mais c’est tout de même un premier pas, qui vient s’ajouter aux efforts parallèles de la députée Neelie Kroes pour préserver un accès neutre et des pratiques commerciales claires. Les petits ruisseaux…

Finalement, la seule façon de garantir nos libertés individuelles et collectives à l’ère du numérique, c’est de nous y intéresser, de “mettre le nez dedans”, comme on le ferait pour le code source d’un logiciel libre. Nous pouvons nous ré-approprier la politique, en modifier le code source dans l’intérêt général, et l’invention du Net est une formidable chose pour cela. C’est bien pour ça que le réseau est gênant pour les États, toujours jaloux de leurs intérêts particuliers, qui ne sont pas toujours l’intérêt de leurs populations. En matière de démocratie, le web change la donne. Il ne tient qu’à nous d’en faire un véritable bien commun.


Texte de Grégory Gutierez, avec l’aide collective des membres de la commission Partage 2.0, merci notamment à Feth Areski et Gaelle Krikorian.

Cet article est diffusé en licence Creative Commons Attribution – Partage dans les mêmes conditions 2.0.

Creative Commons

 

Notes

[1] Infographie du Monde à propos du programme Prism : http://www.lemonde.fr/international/infographie/2013/06/11/leprogrammeprismenuneinfographie_3427774_3210.html

[3] Voir la page Wikipédia consacrée à Bradley Manning : http://fr.wikipedia.org/wiki/Bradley_Manning

[6] Sherwin Smith, Tennessee Official, Says Water Quality Complaints Could Be ‘Act Of Terrorism’ http://www.huffingtonpost.com/2013/06/22/sherwinsmithtennesseeterrorism_n_3480930.html

[7] Steve Wozniak on NSA Snooping: ‘I Feel a Little Guilty’ http://mashable.com/2013/06/21/stevewozniakonnsa/ Extrait original : « free the people up, give them instant communication anywhere in the world, any thought you could share it freely. (…) That was going to overcome a lot of the government restrictions, » he continued. « We didn’t realize that in the digital world, there are a lot of ways to use the digital technology to control us, to snoop on us. »

[9] FLOSS : Free/Libre Open Source Softwares, voir l’article Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Free/Libre_Open_Source_Software

[10] Le site Numerama s’est fait l’écho de l’initiative américaine « PRISM Break », qui recense les logiciels et outils internet qui ne participent pas au programme PRISM, et qui sont tous des logiciels libres : http://www.numerama.com/magazine/26211-prismdeslogicielsetservicesalternatifspourlimiterlasurveillance.html

[13] « German City Hopes to Wean Citizens Off Windows XP With Free Linux CDs, » http://www.omgubuntu.co.uk/2013/06/germany-to-hand-out-free-ubuntu-cds-on-xps-deat

[14] Article « Le gouvernement et les députés suppriment la priorité du libre à l’école », http://www.pcinpact.com/news/80222-legouvernementetdeputessupprimentprioritelibrealecole.htm

[16] Article “#NEULAND: Angela Merkel découvre l’internet et crée un mème » http://www.slate.fr/culture/74265/neulandangelamerkelinternetmeme

[17] Internet Censorship in Iran sur Wikipédia : http://en.wikipedia.org/wiki/Internet_censorship_in_Iran

[18] “La neutralité du Net” sur Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Neutralit%C3%A9_du_r%C3%A9seau

[20] Article Next Steps on the Net Neutrality sur le blog de Neelie Kroes, http://blogs.ec.europa.eu/neeliekroes/netneutrality/ Extrait original : “consumers also need to know if they are getting Champagne or lesser sparkling wine. If it is not full Internet, it shouldn’t be marketed as such; perhaps it shouldn’t be marketed as “Internet” at all, at least not without any upfront qualification. Regulators should have that kind of control over how ISPs market the service.”

[21] A propos du traitement des données personnelles par Facebook, article “Données personnelles : comment les utilisateurs de Facebook se font avoir”, http://www.01net.com/editorial/588263/donneespersonnellescommentlesutilisateursdefacebooksefontavoir/

[23] Article “Obama a fait inculper plus d’individus avec l’Espionage Act que tous ses prédécesseurs”, http://www.slate.fr/monde/74339/obamaespionageactsnowden

[24] Article “Le Conseil de l’Europe veut protéger les « donneurs d’alerte », http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/06/24/leconseildeleuropeveutprotegerlesdonneursdalerte_3435850_3214.html

Voir aussi la prise de position de l’organisation non gouvernementale Amnesty International, “USA must not hunt down whistleblower Edward Snowden”, http://www.amnesty.org/en/news/usamustnothuntdownwhistlebloweredwardsnowden-2013-06-24

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https://numerique.eelv.fr/2013/06/26/loeil-de-washington/feed/ 2
ACTA : La démocratie européenne triomphe d’ACTA ! https://numerique.eelv.fr/2012/07/05/acta-la-democratie-europeenne-triomphe-dacta/ Thu, 05 Jul 2012 10:32:53 +0000 http://numerique.eelv.fr/?p=1872 COMMUNIQUÉ DE PRESSE - Strasbourg, le 4 juillet 2012 Le Parlement européen a aujourd’hui refusé de donner son consentement à la ratification du traité anti-contrefaçon ACTA par l’Union européenne. Ce vote met fin à la bataille engagéepour la transparence et la défense des droits fondamentaux des citoyens européens. Les Verts/ALE, qui ont mené, depuis le début des négociations, le combat contre ACTA, saluent une victoire historique à plus d’un titre. ...]]>

COMMUNIQUÉ DE PRESSE – Strasbourg, le 4 juillet 2012

Le Parlement européen a aujourd’hui refusé de donner son consentement à la ratification du traité anti-contrefaçon ACTA par l’Union européenne. Ce vote met fin à la bataille engagéepour la transparence et la défense des droits fondamentaux des citoyens européens. Les Verts/ALE, qui ont mené, depuis le début des négociations, le combat contre ACTA, saluent une victoire historique à plus d’un titre.

Pour Sandrine Bélier, eurodéputée EELV membre de la Commission des Pétitions et de l’Internet Core Group des Verts/ALE :

« Le rejet du traité ACTA est une victoire pour la démocratie citoyenne et européenne : Bye, bye ACTA et Welcome Democracy! Après plus de 3 ans de bataille politique et technique, le Parlement européen a répondu présent à l’appel des citoyens en défendant leurs droits et libertés fondamentales. C’est la victoire du lobby citoyen sur celui de quelques lobbies industriels.

Nous avons ensemble dit Non au monde que nous proposait ACTA. Je me réjouis que  le chantier sur le partage des savoirs culturels, agricoles, de la santé et de l’innovation  puisse s’ouvrir au débat, avec et pour les citoyens européens, en toute transparence. »

 Et l’eurodéputée de conclure :  » La Commission et le Conseil devront désormais compter sur le Parlement et les citoyens dans les négociations internationales. En rejetant ACTA les députés européens ont adressé un signal historique et clair de Strasbourg : « la règle du jeu a changé. »

 

Pour Yannick Jadot, député européen, vice-président de la commission du commerce international,

« La mort d’ ACTA est une bonne nouvelle pour la démocratie. C’est d’abord la sanction d’un processus de négociation qui a privilégié la confidentialité et l’opacité à la transparence, la participation citoyenne et l’implication du parlement européen. C’est aussi le signe qu’une société civile européenne existe, qu’elle s’est emparée d’un enjeu majeur de société, qu’elle s’est mobilisée massivement et qu’elle a finalement été entendue par leurs représentants au parlement. C’est encore la démonstration que la culture, la connaissance, l’agriculture, la santé et les libertés publiques peuvent gagner face aux intérêts des grands groupes privés et à la criminalisation des citoyens. C’est enfin une belle victoire pour le groupe des Verts au parlement qui a toujours milité pour stopper ACTA et qui a progressivement été rejoint par les autres groupes, PPE exclu.

Et Yannick Jadot d’ajouter : «Alors qu’ACTA voulait traiter la difficile question de la protection de la propriété intellectuelle à travers les seules dimensions économique et répressive, son rejet signifie l’ouverture d’un espace de débat citoyen, à l’échelle européenne et dans chaque Etat membre, pour tenter de trouver un juste équilibre entre la rémunération et la protection de la création et de l’innovation d’une part, le partage de la connaissance et les libertés publiques d’autre part. Un immense chantier auquel participeront les écologistes».

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Le Conseil Constitutionnel vide de son sens la loi créant la future Carte d’identité à puce https://numerique.eelv.fr/2012/03/22/le-conseil-constitutionnel-vide-de-son-sens-la-loi-creant-la-future-carte-didentite-a-puce/ Thu, 22 Mar 2012 17:19:20 +0000 http://numerique.eelv.fr/?p=1863 Voici la bonne nouvelle du jour. La loi est vidée de son sens, on n'utilisera pas nos cartes d'identité pour le commerce électronique et le fichier des gens honnêtes n'existe plus : ...]]>

Voici la bonne nouvelle du jour. La loi est vidée de son sens, on n’utilisera pas nos cartes d’identité pour le commerce électronique et le fichier des gens honnêtes n’existe plus :

Loi relative à la protection de l’identité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ;

Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ;

Vu les observations du Gouvernement en réponse à la saisine ainsi que ses observations complémentaires produites à la demande du Conseil constitutionnel, enregistrées le 15 mars 2012 ;

Vu les observations en réplique présentées par les sénateurs requérants, enregistrées le 20 mars 2012 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les députés et sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la protection de l’identité ; qu’ils contestent la conformité à la Constitution des dispositions de ses articles 5 et 10 ;

– SUR LES ARTICLES 5 et 10 :

2. Considérant que l’article 5 de la loi déférée prévoit la création, dans les conditions prévues par la loi du 6 janvier 1978 susvisée, d’un traitement de données à caractère personnel facilitant le recueil et la conservation des données requises pour la délivrance du passeport français et de la carte nationale d’identité, destiné à préserver l’intégrité de ces données ; que, parmi celles-ci, figurent les données contenues dans le composant électronique sécurisé de la carte nationale d’identité et du passeport dont la liste est fixée à l’article 2 de la loi, qui sont, outre l’état civil et le domicile du titulaire, sa taille, la couleur de ses yeux, deux empreintes digitales et sa photographie ;

3. Considérant que cet article 5 permet que l’identification du demandeur d’un titre d’identité ou de voyage s’effectue en interrogeant le traitement de données à caractère personnel au moyen des données dont la liste est fixée à l’article 2, à l’exception de la photographie ; qu’il prévoit également que ce traitement de données à caractère personnel peut être interrogé au moyen des deux empreintes digitales recueillies dans le traitement, en premier lieu, lors de l’établissement des titres d’identité et de voyage, en deuxième lieu, pour les besoins de l’enquête relative à certaines infractions, sur autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction, et, en troisième lieu, sur réquisition du procureur de la République aux fins d’établir, lorsqu’elle est inconnue, l’identité d’une personne décédée, victime d’une catastrophe naturelle ou d’un accident collectif ;

4. Considérant que l’article 6 de la loi déférée permet de vérifier l’identité du possesseur de la carte d’identité ou du passeport à partir des données inscrites sur le document d’identité ou de voyage ou sur le composant électronique sécurisé ; qu’il permet également que cette vérification soit effectuée en consultant les données conservées dans le traitement prévu à l’article 5 « en cas de doute sérieux sur l’identité de la personne ou lorsque le titre présenté est défectueux ou paraît endommagé ou altéré » ;

5. Considérant que l’article 10 permet aux agents individuellement désignés et dûment habilités des services de police et de gendarmerie nationales d’avoir accès au traitement de données à caractère personnel créé en application de l’article 5, pour les besoins de la prévention et de la répression des atteintes à l’indépendance de la Nation, à l’intégrité de son territoire, à sa sécurité, à la forme républicaine de ses institutions, aux moyens de sa défense et de sa diplomatie, à la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger et aux éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et des actes de terrorisme ;

6. Considérant que, selon les requérants, la création d’un fichier d’identité biométrique portant sur la quasi-totalité de la population française et dont les caractéristiques rendent possible l’identification d’une personne à partir de ses empreintes digitales porte une atteinte inconstitutionnelle au droit au respect de la vie privée ; qu’en outre, en permettant que les données enregistrées dans ce fichier soient consultées à des fins de police administrative ou judiciaire, le législateur aurait omis d’adopter les garanties légales contre le risque d’arbitraire ;

7. Considérant, en premier lieu, que l’article 34 de la Constitution dispose que la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ainsi que la procédure pénale ; qu’il appartient au législateur, dans le cadre de sa compétence, d’assurer la conciliation entre, d’une part, la sauvegarde de l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, toutes deux nécessaires à la protection de principes et de droits de valeur constitutionnelle et, d’autre part, le respect des autres droits et libertés constitutionnellement protégés ; qu’il lui est à tout moment loisible d’adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, dès lors que, dans l’exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles ;

8. Considérant, en second lieu, que la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée ; que, par suite, la collecte, l’enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d’intérêt général et mis en oeuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif ;

9. Considérant que la création d’un traitement de données à caractère personnel destiné à préserver l’intégrité des données nécessaires à la délivrance des titres d’identité et de voyage permet de sécuriser la délivrance de ces titres et d’améliorer l’efficacité de la lutte contre la fraude ; qu’elle est ainsi justifiée par un motif d’intérêt général ;

10. Considérant, toutefois, que, compte tenu de son objet, ce traitement de données à caractère personnel est destiné à recueillir les données relatives à la quasi-totalité de la population de nationalité française ; que les données biométriques enregistrées dans ce fichier, notamment les empreintes digitales, étant par elles-mêmes susceptibles d’être rapprochées de traces physiques laissées involontairement par la personne ou collectées à son insu, sont particulièrement sensibles ; que les caractéristiques techniques de ce fichier définies par les dispositions contestées permettent son interrogation à d’autres fins que la vérification de l’identité d’une personne ; que les dispositions de la loi déférée autorisent la consultation ou l’interrogation de ce fichier non seulement aux fins de délivrance ou de renouvellement des titres d’identité et de voyage et de vérification de l’identité du possesseur d’un tel titre, mais également à d’autres fins de police administrative ou judiciaire ;

11. Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’eu égard à la nature des données enregistrées, à l’ampleur de ce traitement, à ses caractéristiques techniques et aux conditions de sa consultation, les dispositions de l’article 5 portent au droit au respect de la vie privée une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi ; que, par suite, les articles 5 et 10 de la loi doivent être déclarés contraires à la Constitution ; qu’il en va de même, par voie de conséquence, du troisième alinéa de l’article 6, de l’article 7 et de la seconde phrase de l’article 8 ;

– SUR L’ARTICLE 3 :

12. Considérant que l’article 3 de la loi déférée confère une nouvelle fonctionnalité à la carte nationale d’identité ; qu’aux termes de cet article : « Si son titulaire le souhaite, la carte nationale d’identité contient en outre des données, conservées séparément, lui permettant de s’identifier sur les réseaux de communications électroniques et de mettre en oeuvre sa signature électronique. L’intéressé décide, à chaque utilisation, des données d’identification transmises par voie électronique.
« Le fait de ne pas disposer de la fonctionnalité décrite au premier alinéa ne constitue pas un motif légitime de refus de vente ou de prestation de services au sens de l’article L. 122-1 du code de la consommation ni de refus d’accès aux opérations de banque mentionnées à l’article L. 311-1 du code monétaire et financier.
« L’accès aux services d’administration électronique mis en place par l’État, les collectivités territoriales ou leurs groupements ne peut être limité aux seuls titulaires d’une carte nationale d’identité présentant la fonctionnalité décrite au premier alinéa du présent article » ;

13. Considérant que, selon l’article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques et l’état et la capacité des personnes ; qu’elle détermine également les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales ; qu’en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services dans la vie économique et sociale, les conditions générales dans lesquelles la carte nationale d’identité délivrée par l’État peut permettre à une personne de s’identifier sur les réseaux de communication électronique et de mettre en oeuvre sa signature électronique, notamment à des fins civiles et commerciales, affectent directement les règles et les principes précités et, par suite, relèvent du domaine de la loi ;

14. Considérant que l’article 3, d’une part, permet que la carte nationale d’identité comprenne des « fonctions électroniques » permettant à son titulaire de s’identifier sur les réseaux de communication électroniques et de mettre en oeuvre sa signature électronique et, d’autre part, garantit le caractère facultatif de ces fonctions ; que les dispositions de l’article 3 ne précisent ni la nature des « données » au moyen desquelles ces fonctions peuvent être mises en oeuvre ni les garanties assurant l’intégrité et la confidentialité de ces données ; qu’elles ne définissent pas davantage les conditions dans lesquelles s’opère l’authentification des personnes mettant en oeuvre ces fonctions, notamment lorsqu’elles sont mineures ou bénéficient d’une mesure de protection juridique ; que, par suite, le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence ; qu’il en résulte que l’article 3 doit être déclaré contraire à la Constitution ;

15. Considérant qu’il n’y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d’office aucune autre question de conformité à la Constitution,

D É C I D E :

Article 1er.- Sont déclarées contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi relative à la protection de l’identité :

– les articles 3, 5, 7 et 10 ;
– le troisième alinéa de l’article 6 ;
– la seconde phrase de l’article 8.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

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Eva Joly: contre Acta, pour une société du partage https://numerique.eelv.fr/2012/03/15/eva-joly-contre-acta-pour-une-societe-du-partage/ https://numerique.eelv.fr/2012/03/15/eva-joly-contre-acta-pour-une-societe-du-partage/#comments Thu, 15 Mar 2012 15:19:54 +0000 http://numerique.eelv.fr/?p=1855 Tribune également disponible sur slate.fr L'accord commercial anti-contrefaçon ne se résume pas à la question du droit d'auteur ou à celle de l’Internet, il renforce les droits des monopoles dans le domaine du vivant. ...]]>

Tribune également disponible sur slate.fr


L’accord commercial anti-contrefaçon ne se résume pas à la question du droit d’auteur ou à celle de l’Internet, il renforce les droits des monopoles dans le domaine du vivant.

L’élection présidentielle qui arrive sera décisive pour une échéance inconnue de la majorité des Français, mais qui peut changer le monde.

Alors que la campagne tourne essentiellement autour de la France et du débat national, une partie de notre avenir est en train de se décider au niveau mondial. Le traité Acta, «accord commercial anti-contrefaçon», fait partie de ces grandes décisions.

Comme à la fin des années 1990 avec l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) les citoyens peuvent changer la donne. Le président qui sera élu le 6 mai a la possibilité de refuser de ratifier cet accord. Plus de 2,5 millions de personnes dans le monde, dont 250.000 en France, ont signé la pétition d’Avaaz contre Acta. Il est de notre responsabilité d’élargir la mobilisation commencée depuis plusieurs semaines et d’obtenir que la prochaine majorité qui sera élue s’engage dès maintenant à sortir la France de cet accord.

Ce traité négocié dans le plus grand secret entre l’Union européenne, les États-Unis et une vingtaine d’autres pays a été initié par les multinationales. Acta présenté comme un outil de lutte contre la contrefaçon constitue en réalité un véritable cadeau aux lobbys les plus importants: pharmaceutiques, agroalimentaires et du divertissement, soit ceux qui influencent directement nos vies en façonnant notre environnement, notre santé et notre accès à la culture.

Il y a trente ans, ces lobbys faisaient de la notion de «propriété intellectuelle» le fer de lance de leur action conjointe pour accroître leurs pouvoirs. Aujourd’hui, Acta poursuit cette logique d’amalgame et en illustre les dangers en mettant droits d’auteurs, brevets, marques dans le même panier, quand ces droits très différents renvoient à des situations qui ne sont pas comparables et ne peuvent être traités de la même façon.

Un «Hadopi» au niveau global

Acta mettra en place une instance technocratique, non-élue, qui va favoriser l’adoption de législations suivant le modèle «Hadopi» au niveau global. Mais, régentant les échanges de biens matériels comme immatériels, ce traité donnera aussi des pouvoirs quasi sans limite aux douanes mises au service d’intérêts privés.

Loin de se résumer à la question du droit d’auteur ou à celle de l’Internet, Acta renforce les droits des monopoles dans le domaine du vivant.

Ce traité représente ainsi une menace pour les agriculteurs et la biodiversité. Après avoir tenté de mettre sous tutelle les paysans avec les OGM, les firmes agroalimentaires récidivent. Elles visent à imposer la «propriété intellectuelle» sur les semences ou sur les cultures et les savoirs traditionnels. Un agriculteur pourrait voir ses semences exportées bloquées sur l’ordre de Monsanto, un paysan du Sud pourrait se trouver redevable auprès de la multinationale ayant obtenu un brevet sur son savoir-faire hérité de plusieurs générations.

Ce traité est une menace pour notre santé. Toujours sous le prétexte de lutter contre la contrefaçon, le traité pourrait également restreindre l’accès aux médicaments génériques. Le prix du médicament est aujourd’hui établi sur la base de ce que les marchés occidentaux acceptent de payer, sans aucune logique de santé ou de préoccupation pour le patient.

Acta servira aux gros groupes pharmaceutiques pour lutter contre la concurrence des producteurs de génériques. Ainsi, des médicaments à faible coût fabriqués en Inde pourront être bloqués aux frontières, au prétexte d’un possible non respect des brevets, comme ce fut le cas pour des médicaments contre le sida, restés à la frontière des Pays-Bas sans raison valable.

Faire des biens communs un bénéfice à la portée de chacun

Après avoir imposé la logique de la finance et de l’hyper-rentabilité à toute l’économie, les multinationales veulent à travers ce traité mettre en place un nouveau régime mondial. Il s’agit d’encourager une économie de la rente, dans laquelle un groupe tirera les bénéfices non plus de sa production et de son travail, mais de sa capacité à capter l’innovation.

Mais ce modèle d’économie n’est pas une fatalité; nous pouvons au contraire créer une société de l’accès, dans laquelle la culture et le savoir ne sont pas abordés avant tout comme des marchandises privées, mais comme des biens communs.

Les écologistes revendiquent depuis leur origine une société fondée sur des modèles de partage et d’accès égal aux biens communs. A l’âge des réseaux, la transition écologique que je défends peut compter sur des pratiques renouvelées qui favorisent l’émergence des usages démocratiques que nous prônons.

Nous voulons faire de ces biens communs un bénéfice à la portée de tous et que chacun peut contribuer à enrichir; une société dans laquelle l’artiste, le créateur, l’inventeur sont reconnus et valorisés, et non pas les otages de lobbies ou de grands groupes. Nous voulons préserver les espaces de liberté et protéger la diversité des mondes naturels. On ne peut accepter de se résigner à ce que quelques-uns s’accaparent les ressources, les idées et les richesses.

C’est au nom de ces valeurs que je me suis engagée en politique et que je suis candidate à l’élection présidentielle, parce que mon expérience m’a appris que lorsqu’un petit nombre s’arroge le pouvoir, apparaît la corruption. Lorsqu’un petit nombre s’approprie les ressources naturelles, elles deviennent enjeux de convoitise, sont pillées et s’épuisent. Nous ne pouvons pas laisser quelques grands groupes et hauts fonctionnaires régenter Internet, les échanges de biens matériels et immatériels, la création et la liberté.

C’est donc au nom de la démocratie, de la liberté et de la justice qu’il est de notre responsabilité citoyenne de refuser Acta. Parce que ça n’est pas dans leur monde que nous voulons vivre.

Eva Joly

Les intertitres et les liens hypertexte sont de la rédaction de Slate.fr

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