La défense des droits des marins

Commission Mer et Littoral de EELV – Fiche Thématique – décembre 2001

 

 

Cette fiche est issue du travail des militants d’Europe-Ecologie-Les Verts et a été validée par la Commission Mer et Littoral de EELV. Il ne s’agit néanmoins pas de la position officielle d’EELV sur le sujet.

 

Etat des lieux

Après l’Erika, on a beaucoup parlé de l’outil : “ le navire poubelle ”. A entendre certains, il suffirait d’éliminer les navires en mauvais état pour qu’il n’y ait plus d’accidents ni de pollutions. Mais sur les navires il y a des hommes et il faut parler des conditions de travail du personnel à bord. Un navire n’est un “ bon navire ” que si l’équipage est compétent, en nombre suffisant, bien traité.

On constate une réduction constante des effectifs à bord des navires. Ainsi 17 marins seulement sur des navires à gros tonnage qui devraient en compter 25. Deux officiers de passerelle seulement sur les plus petits navires, ce qui amène ces hommes à assurer le quart 12 heures par jour. Cinq hommes seulement sur des chalutiers français alors qu’un espagnol du même tonnage en compte douze.

Il y a en conséquence une diminution de la capacité à assurer une veille efficace et réelle.

Et il faut ajouter à cela le fait que sur des navires où la veille de nuit est assurée légalement par deux hommes il est courant d’être tout seul à la passerelle pour la veille.

Par ailleurs, le transport maritime est gangrené par la complaisance. Un pavillon de complaisance, c’est le pavillon d’un Etat qui accepte d’immatriculer un navire, moyennant finance, en laissant le propriétaire, qui n’est pas résident de l’Etat en question, faire quasiment ce qu’il veut à bord, sans contrôle.

Face à une flotte mondiale ainsi cancérisée par les pavillons de complaisance, la plupart des Etats maritimes, en particulier en Europe, ont cru trouver la solution, avec la mise en place d’un 2ème registre.

Ainsi en France il y a un pavillon national 100% français, qui concerne les navires immatriculés dans les ports des départements français, pour lesquels toutes les lois de la république sont applicables, en particulier la législation sociale. Et il y a un autre registre , le “ pavillon bis ” des navires immatriculés dans les TAAF (terres australes et antarctiques françaises), principalement dans le territoire des Kerguelen.

A bord des navires du second registre, un accord prévoit qu’un pourcentage de marins (25 à 35 %) seront français, mais la loi impose cette règle seulement pour le capitaine et le second. Les lois sociales ne sont pas applicables. Les relations de travail sont régies par le seul contrat.

L’immatriculation de navires aux “mers lointaines ” ne date pas d’aujourd’hui. Cette pratique a été longtemps marginale. Mais, à la demande des armateurs, un système légal permettant aux industriels du transport maritime de faire des économies en embarquant des marins du tiers monde sous-payés a été mis en place lorsque Jacques Chirac était premier ministre en 1986. D’abord limité aux navires vraquiers, ce système a été entendu, petit à petit, aux divers secteurs du transport maritime.

Sous pavillon Kerguelen, on trouve des français aux postes importants, mais généralement en CDD, et des étrangers, dont les contrats ne sont valables que pour la durée de l’embarquement.

Les marins qui embarquent sous pavillon de complaisance, y compris celui des Kerguelen, sont recrutés localement par des agences qui les rançonnent, n’ont aucune garantie de l’emploi, et ne disposent pas des droits sociaux pourtant reconnus par l’Organisation Mondiale du Travail.

Mais l’état des lieux, c’est aussi le constat que certains syndicats ont soutenu ou accepté le pavillon de Kerguelen comme un moindre mal. Une erreur qu’ils reconnaissent en partie, en apportant leur soutien au syndicat international des marins, ITF, qui intervient pour défendre les intérêts des marins embarqués sous pavillon de complaisance.

Débat en cours et analyse critique

Les choses avancent au niveau Français et international puisqu’une commission de coopération France-BIT a été mise en place, et que l’on peut lire dans un relevé de conclusions signé le 21/11/01 entre le directeur du BIT et 4 ministres français un long paragraphe sur le soutien à la mise en œuvre du programme “ travail décent dans le transport maritime ”. Ce programme porte principalement sur la formation d’inspecteurs qualifiés.

La commission Mer et Littoral a tenu deux colloques durant l’année 2001, à Brest et Marseille, sur la complaisance et le facteur humain. Diverses pistes de réflexion ont été avancées.

Il apparaît clairement tout d’abord que la pratique du “ toujours moins cher ” ne permet pas aux registres bis d’être de bonne qualité. Il est donc nécessaire de trouver d’autres alternatives pour lutter contre le système de la complaisance, tout en venant en aide aux marins qui en sont victimes.

Il semble bien que l’armateur n’a pas intérêt à privilégier la qualité, puisque la plus grande partie des dommages sont supportés par les assureurs (et les victimes). Une étude du coût d’emplois supplémentaires, par rapport à un accident amènerait peut-être les assureurs à prendre des mesures.

Il faut que dans nos ports les inspecteurs effectuent le contrôle des temps de travail et de repos. Il ont la possibilité de refuser le départ d’un navire si les hommes qui doivent assurer la première veille n’ont pas eu un repos suffisant (respect de la convention STCW-95). Un point positif en France, la mise en place récente d’un corps d’inspecteurs du travail maritime, issus du corps des inspecteurs du travail, donc formés à cette mission. Mais, fin 2001, ils ne sont que deux !

Les marins étrangers embarqués sur des navires étrangers, faisant escale dans un port français, doivent pouvoir obtenir auprès des tribunaux français le respect de leur contrat de travail. Certains tribunaux français se déclarent incompétents. Aux Etats-Unis, le tribunal juge au niveau du contrat et dans la juridiction du lieu. Il faut modifier la législation, afin qu’elle prévoit clairement que les tribunaux français sont compétents pour juger ces différents, ainsi que l’application des règles minimales de l’OIT (article 10 proposition de loi déposée après le naufrage de l’ERIKA).

Certaines associations de défense des marins demandent la mise en place dans les ports de structures d’accueil permettant au marin d’avoir quelques services comme le téléphone, et de rencontrer des personnes avec lesquelles il pourra évoquer, éventuellement les problèmes qu’il rencontre.

Il a été noté dans le débat qu’une aide aux syndicats qui visitent les navires pourrait économiser le coût d’une structure, et également que c’est le travail de l’inspecteur maritime. Mais le débat a indiqué aussi que les marins ne se confient pas facilement, surtout à bord du navire, même si les conditions de vie sont très mauvaises.

Lutter contre la complaisance, c’est aussi rechercher des mesures pour éviter que les navires sous pavillon français aillent à l’étranger pour des raisons fiscales. Il est évoqué la prime au tonnage, réclamée par les armateurs, avec le soutien ou l’accord de la plupart des acteurs du monde maritime français, dont les syndicats : dans la plupart des autres pays l’armateur paie un impôt par rapport au tonnage. En France on paie en fonction de son chiffre d’affaires. Notre position pourrait être de soutenir le principe de la prime au tonnage, mais dans le cadre du 1er registre (le vrai pavillon français).

Beaucoup de pays européens ont par ailleurs une fiscalité particulière pour les marins, qui diminue le différentiel entre le coût du marin local et le coût du marin du tiers monde surexploité.

Une proposition vient régulièrement, la création d’un pavillon européen. Mais celui-ci n’apportera aucun progrès, ni pour la sécurité, ni pour les marins, si le but est de faire au moins cher pour tout, un pavillon tirant vers le moins disant, ne reprenant pas le point de vue des syndicats.

Mais c’est aussi la question du coût du transport maritime qui est posé. La politique du toujours moins cher joue contre la sécurité, alors que le transport d’une bouteille de vin de Californie vers la France coûte le prix d’un bouchon. Si le prix est doublé nous aurons de bons navires, en bon état, avec des marins correctement traités.

 

Position officielle des Verts sur ce sujet

Dans les “ 25 propositions pour en finir avec les Erika ”, Les Verts demandent la suppression du “ pavillon Kerguelen ”.

Les Verts proposent également, pour lutter contre l’exploitation des marins, que l’Europe édicte : l’interdiction d’escale aux navires dont l’équipage ne serait pas couvert par un contrat de travail garantissant l’application des normes des conventions internationales du Bureau International du Travail ; l’interdiction d’appareillage aux navires dont les membres de l’équipage, y compris le capitaine et ses adjoints n’ont pas pris le temps réglementaire de repos prévu par la convention internationale STCW ; l’obligation pour l’armateur d’un navire qui compte entrer dans la Zone Economique Exclusive d’envoyer aux services maritimes, suffisamment à l’avance, une liste d’équipage avec les brevets et diplômes de l’équipage, la date et le lieu où ces diplômes ont été délivrés, et toute information permettant de vérifier les compétences de l’équipage.

Enfin Les Verts demandent que la loi française soit modifiée pour indiquer clairement que les tribunaux français sont compétents pour juger des différents entre les marins d’un navire étranger en escale et l’armateur du navire. La même loi doit indiquer que les règles applicables par le juge ne sauront être inférieures aux règles du Bureau International du Travail.

 

Autre prise de position proposée par la commission

Suite aux colloques de 2001, la commission se prononce par ailleurs pour la mise en place de toutes mesures fiscales rétablissant des conditions acceptables de concurrence entre le pavillon français et le pavillon de complaisance. En particulier mesures d’imposition des marins semblables ) ce qui se pratique dans les principaux pays européens.

Par ailleurs, la commission considère que les inspecteurs dans les ports doivent mieux contrôler les conditions de vie et de travail des marins

 

Les acteurs de la société impliqués dans ce débat

Syndicats maritimes

ITF

CCAF

 

Rédacteur (s) de la fiche

Jean-Paul Declercq

EELV Pays-de-la-Loire

 

Personnes ressource ou expert sur le thème

Observatoire des Droits des Marins – Patrick CHAUMETTE

ITF – James Smith

 

Slogans de campagne

Non à l’exploitation des marins du tiers monde

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