Accord de partenariat UE / Russie : l’intervention de Danielle Auroi

Mesdames, Messieurs, chers Collègues,

 

 

En ma qualité de Présidente de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, je suis ravie que des occasions comme celle qui nous réunit aujourd’hui nous permettent d’échanger sur des sujets d’intérêt commun. Parmi ces centres d’intérêt commun, le partenariat Union européenne/Russie est bien évidemment une question qui m’interpelle particulièrement.

Comme vous le savez, les relations entre l’Union européenne et la Russie sont juridiquement basées sur l’Accord de partenariat et d’association de 1997. Cela fait donc aujourd’hui une quinzaine d’années que ce cadre institutionnel a été défini, et l’on peut constater que ces relations sont maintenant solidement ancrées dans le temps.

L’objet de cet Accord est très large, puisqu’il a prévu un dialogue politique, des échanges commerciaux bilatéraux, la libéralisation des investissements, et une coopération dans les domaines sociaux, économiques, financiers et culturels. Ceci témoigne de la volonté de l’Union européenne et de la Russie de jeter les bases d’une coopération durable et étendue à de très nombreux secteurs.

Nos États ont d’ailleurs manifesté le souhait d’approfondir encore cette coopération, puisque des négociations pour la conclusion d’un nouveau traité ont été ouvertes, lors du Sommet de Khanty-Mansiysk en 2008. L’Union européenne travaille actuellement toujours avec la Russie à l’élaboration de ce nouvel Accord destiné à remplacer celui de 1997, afin de prendre en compte les nombreux changements qui ont caractérisé l’évolution des deux parties depuis cette date, ainsi que les nouveaux défis liés à la mondialisation.

Entre‑temps, des « Espaces communs » ont été conçus en 2003, et se sont concrétisés à partir de 2005. Ces « Espaces communs » sont des domaines de coopération approfondie dans des secteurs clés. Quatre « Espaces communs » ont été définis : l’Espace commun de liberté, de sécurité et de justice, l’Espace économique commun, l’Espace commun de recherche et d’enseignement et l’Espace commun de sécurité extérieure.

À partir de 2005 également, ont eu lieu des consultations semestrielles sur les droits humains. Les dernières réunions dans ce cadre ont eu lieu en juillet et décembre 2012.

Par ailleurs, un « Partenariat pour la modernisation » a été conclu lors du Sommet de Rostov en 2010, afin de soutenir les réformes économiques entreprises par la Russie. Ce partenariat est actuellement mis en œuvre, les domaines prioritaires de coopération ayant été identifiés et repris dans des plans de travail. Ces priorités comprennent l’investissement, le commerce, la promotion des PME, l’alignement des réglementations et des normes techniques, la recherche et le développement, la promotion du bon fonctionnement du système judiciaire et le renforcement de la lutte contre la corruption, ainsi que le dialogue avec la société civile.

Enfin, il convient de rappeler que régulièrement ont lieu des Sommets Union européenne/Russie, et que le 30ème Sommet a réuni les 20 et 21 décembre 2012 à Bruxelles le Président Vladimir POUTINE et les dirigeants de l’Union européenne.

Tel est donc, Mesdames et Messieurs, le cadre institutionnel dans lequel s’inscrit aujourd’hui notre coopération Union européenne/Russie, et je crois qu’il était important de le rappeler, car il témoigne de notre volonté commune de fonder un partenariat durable.

Dans le domaine de nos échanges économiques, où en sommes‑nous aujourd’hui ?

Le bilan de nos relations commerciales est très positif, même si évidemment on peut toujours souhaiter l’améliorer encore. La Russie effectue la moitié de ses échanges commerciaux avec l’Europe. Nous nous réjouissons qu’elle soit devenue le troisième partenaire de l’Union européenne (après les États-Unis et la Chine) pour l’importation de marchandises sur le territoire européen, et que l’Union européenne représente le plus grand marché d’exportation pour les produits russes, principalement les ressources naturelles.

La Russie est ainsi le premier fournisseur de produits énergétiques fossiles de l’Union : pétrole, produits pétroliers, gaz, uranium et charbon. Elle couvre plus de 25% de la consommation européenne de pétrole et de gaz. L’Union européenne représente pour sa part 88% des exportations totales de pétrole russe, 70% des exportations de gaz et 50% des exportations de charbon russe.

Je pense qu’il était important de rappeler ces quelques chiffres qui résument très bien les convergences d’intérêt entre Européens et Russes à maintenir notre partenariat économique, mais aussi à veiller au maintien d’un environnement favorable à sa poursuite. J’espère que nous pourrons également développer plus avant nos partenariats, y compris pour favoriser les énergies renouvelables, une question cruciale pour notre devenir à tous !

L’Union européenne a confiance dans la volonté de la Russie d’accepter les règles du jeu international, elle en a montré des preuves au cours de ces derniers mois. Elle a rejoint l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en août 2012. Elle fait partie, comme l’Union européenne, du G20, dont elle exerce la présidence en 2013.

Stimuler des investissements, renforcer la transparence sur les marchés, garantir la confiance, telles sont les priorités de la présidence russe du G20, a souligné le 24 janvier dernier le Président POUTINE, lors d’une cérémonie de remise des lettres de créance par des ambassadeurs étrangers. Ce sont autant de messages très positifs délivrés par la Russie à l’encontre de la communauté internationale.

Cependant, force est de noter que, malgré un dialogue permanent et tout à fait encourageant entre l’Union européenne et la Russie, certains désaccords ralentissent les discussions sur le futur Accord de partenariat, pourtant ouvertes depuis 2008.

Les Européens souhaitent que la Russie renforce l’État de droit, continue à lutter contre la corruption, ce qui faciliterait les investissements des entreprises occidentales sur le marché russe. A ce sujet, on ne peut qu’espérer que les zones d’ombre sur l’affaire dite Magnitski, et notamment sur la recherche des responsables de son décès en prison, soient rapidement levées, ce qui rassurerait beaucoup les investisseurs étrangers. Vous pourrez peut-être partager avec nous  les informations éventuelles dont vous disposez sur l’avancée de cette enquête ?

Sur la question des droits humains, l’affaire dite des « Pussy Riot », par exemple, a suscité de l’incompréhension, et a même suscité une certaine émotion dans plusieurs États européens… Peut-être pourrez-vous nous communiquer les informations dont vous disposez quant aux conditions de détention et à l’état de santé des jeunes femmes incarcérées ? Je sais que très récemment – le 25 janvier – la Douma a adopté une proposition de loi, critiquée par des militants des droits humains en Russie, qui craignent que sa formulation imprécise permette de condamner des personnes manifestant pour les droits des homosexuels : peut‑être allez‑vous nous rassurer sur ce point ? Comme vous le savez, c’est un sujet sensible pour nous, députés français, qui venons de consacrer plusieurs jours de débat au projet de loi ouvrant à toutes et tous le droit au mariage, dans un but d’égalité entre citoyens et de renforcement de la lutte contre les discriminations.

J’ajouterais également, en ma qualité de députée écologiste, que je suis particulièrement sensibilisée au problème de la destruction de la forêt de Khimki et au sort des opposants à ce projet. J’aimerais avoir des précisions, si vous pouvez m’en apporter, sur cette question. De la même manière, des inquiétudes se font jour quant aux conséquences environnementales des grands travaux menés pour accueillir les futurs Jeux olympiques de Sotchi. Vous pourrez peut-être nous rassurer sur ce point également.

De façon plus générale, lors des consultations semestrielles de 2012 sur les droits humains, l’Union européenne a fait part d’un certain nombre de préoccupations quant à des questions précises, y compris des questions concernant les droits de l’opposition, la liberté d’expression et la liberté des médias, dont les médias en ligne, les droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles, la liberté de religion ou de conviction (notamment la mise en œuvre de la législation visant à lutter contre l’extrémisme), ainsi que la persistance des intimidations et de l’impunité, en particulier dans des affaires impliquant des défenseurs des droits humains (par exemple Natalia Estemirova), des journalistes,  et des avocats dans le Caucase du Nord. Les deux parties ont convenu que des précisions seraient fournies sur certaines affaires préoccupantes. Peut-être pouvez aujourd’hui nous apporter des indications sur l’évolution de ces questions ?

Je rappelle d’autre part que le Parlement européen a adopté le 13 décembre 2012 une Résolution, contenant des recommandations sur les négociations du nouvel Accord Union européenne/Russie, dans laquelle l’accent est mis sur la nécessité de considérer le respect des droits humains et des principes démocratiques « comme une condition sine qua non pour la signature d’un Accord Union Européenne‑Russie ».

Le Parlement européen a chargé son Président de transmettre, pour information, cette Résolution au gouvernement de la Fédération de Russie et à la Douma russe. Ce texte liste un certain nombre de préoccupations concernant notamment les droits de l’homme.

Je profite donc de l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui pour vous demander si vous avez déjà eu l’occasion de prendre connaissance de ce texte, et, dans l’affirmative, quelles réponses votre pays envisage d’y apporter.

Côté russe, nous savons que vous avez également des revendications et que le Président Vladimir POUTINE, qui réclame la suppression des visas pour les citoyens qui voyagent dans l’Union européenne, n’a toujours pas obtenu satisfaction, bien que cette question ait été discutée lors du Sommet Union européenne/Russie de décembre 2012.

Lors de ce sommet de décembre 2012, ont été évoquées également les divergences sur Gazprom : principal fournisseur de gaz en Europe, Moscou a mal compris l’enquête lancée par l’Union au sujet du géant russe Gazprom – contrôlé à plus de 50% par le Kremlin ‑ pour entrave à la concurrence, cependant que pour le Président de la Commission européenne, José Manuel BARROSO, les règles européennes doivent s’appliquer à tous les acteurs du marché présents sur le territoire de l’Union. Or Gazprom, qui produit et transporte un quart du gaz consommé dans l’Union, multiplie les nouvelles voies d’acheminement de son gaz, tout en souhaitant échapper à ces règles. Ainsi après Nord Stream, via la mer Baltique, le groupe vient de lancer la construction de South Stream, à travers la mer Noire, et votre ministre de l’Énergie, M. Alexandre NOVAK, réclame que les règles de concurrence ne s’appliquent pas à ces deux gazoducs. Cette position paraît difficilement acceptable du côté de l’Union européenne qui a elle‑même un projet de gazoduc (Nabucco) depuis la mer Caspienne et qui souhaite le maintien des règles de concurrence.

D’autre part, malgré l’adhésion récente de la Russie à l’OMC, il semble que subsistent certaines entraves au commerce dénoncées par le Commissaire européen M. Karel DE GUCHT : le principal conflit porte sur les taxes pour le recyclage des voitures, plus élevées pour les véhicules importés de l’Union européenne que pour les voitures russes.

Cette mesure discriminatoire touche le principal flux d’exportation de l’Union européenne vers la Russie, c’est pourquoi il est difficile de l’accepter…

Néanmoins, ce sont là des points sur lesquels, par la poursuite du dialogue entre États, nous pourrions sûrement arriver à progresser.

Un autre sujet sur lequel nous avons à coopérer est la situation financière de Chypre, compte tenu de l’implication de la Russie dans l’économie chypriote. Comme vous le savez des négociations sont actuellement en cours au sein de l’Union sur un projet d’assistance financière à Chypre. Il me semble important que la Russie soit associée à ces discussions. La France s’est d’ailleurs déjà exprimée dans ce sens.

Sur les questions internationales, également, des divergences ou des incompréhensions se sont parfois fait jour. L’annonce par le Président POUTINE de la possible création d’une « union eurasienne », confédération d’États susceptibles de rivaliser avec l’Union européenne et les États-Unis, a un temps suscité des interrogations. L’Union européenne et la Russie n’ont pas soutenu la même position sur la Syrie et la Russie fait usage de son droit de veto au Conseil de Sécurité. Mais en sens inverse, il faut souligner que la Russie n’a pas apposé son veto sur l’intervention en Libye. Il faut noter l’ouverture de M. Dimitri MEDVEDEV au Sommet de l’OTAN de Lisbonne, en novembre 2010, sur la défense anti-missiles, bien que des tensions diplomatiques sur ce même sujet aient été enregistrées ensuite. Là encore, il faudra lever les incompréhensions.

Enfin, sur ces questions internationales, je terminerai en saluant le soutien de la Russie au projet de déploiement d’une force africaine en vue de stabiliser la situation au Mali.

 

 

En conclusion, mes chers Collègues, je ne peux que me réjouir d’une réunion comme celle que nous tenons aujourd’hui. Je rencontre très souvent, en ma qualité de présidente de la commission des affaires européennes, d’autres députés des vingt-sept États de l’Union, mais il est rare que j’aie l’occasion de rencontrer des parlementaires et personnalités politiques russes. Très sincèrement je le regrette.

Le partenariat entre l’Union européenne et la Russie existe mais il pourrait sûrement être renforcé. La France est convaincue de la nécessité d’approfondir le partenariat avec la Russie, avec l’objectif, à l’horizon de dix-quinze ans, d’arriver à constituer un espace économique, humain et de sécurité commune, sur le fondement de complémentarités évidentes. Il nous faut dépasser les avancées sectorielles déjà réalisées pour parvenir à ce partenariat global. Je suis persuadée que par des échanges tels que ceux que nous avons aujourd’hui, nous pouvons parvenir à mieux nous connaître et à mieux nous comprendre.

Nous pouvons ainsi contribuer, à notre échelle, à l’entretien d’un environnement et d’une réflexion favorables au développement de ce partenariat et, de façon beaucoup plus générale, au renforcement des liens d’amitié entre l’Union européenne et la Russie, auquel personnellement je suis très attachée.

Je vous remercie pour votre attention.

Remonter