Erwan Lecoeur – Arguments écologistes contre l'extrême droite https://antifn.eelv.fr Arguments écologistes contre l'extrême droite Mon, 04 May 2015 12:54:35 +0200 fr-FR hourly 1 Faut-il en finir avec le front républicain ? Le compte-rendu de notre forum aux JDE d’EELV 2014 https://antifn.eelv.fr/cratelierfr/ Sun, 14 Sep 2014 17:10:50 +0000 http://antifn.eelv.fr/?p=2656 Le Front national est aujourd’hui en mesure de gagner seul des cantons, des circonscriptions, des villes… et après ? Cette « irrésistible ascension » ébranle les stratégies des états-majors politiques : tout un pan de l’électorat ne répond plus à l’appel au « front républicain ». Face au FN, la victoire des partis de gouvernement n’est plus systématique. ...]]>

Le Front national est aujourd’hui en mesure de gagner seul des cantons, des circonscriptions, des villes… et après ? Cette « irrésistible ascension » ébranle les stratégies des états-majors politiques : tout un pan de l’électorat ne répond plus à l’appel au « front républicain ». Face au FN, la victoire des partis de gouvernement n’est plus systématique.

Entre rejet de « l’UMPS » et stratégie de victimisation, le FN a su tirer parti de sa mise à l’écart. Le « front républicain », longtemps solution miracle, n’est-il donc pas devenu un leurre ? 

Animation :

  • Marine TONDELIER, conseillère municipale d’opposition à Hénin-Beaumont, membre du Bureau exécutif d’EELV

Intervenants :

  • Joël GOMBIN, politologue, auteur d’une thèse sur le vote FN (son site).
  • Erwan LECOEUR, sociologue, auteur du Dictionnaire de l’Extrême-droite
  • Bernard STIEGLER, philosophe, auteur de Pharmacologie du Front national

Compte-rendu des débats :

L’idée de cet atelier a émergé sur la liste de discussion du groupe de travail d’EELV de lutte contre l’extrême droite.
Lors des précédentes élections, la question de ne pas avoir de candidats dès le 1er tour dans certaines villes, cantons ou circonscription s’est posée. Le débat a également lieu dans certaines régions pour 2015 et certains commencent même à expliquer qu’il faudrait, pour faire barrage au front national, soutenir le candidat socialiste dès le 1er tour en 2017.
A Hénin-Beaumont, les municipales ont démontré que l’alliance PS/PC/EELV au premier tour n’avait pas suffit à « faire barrage ». Pire, elle aurait contribué à faire gagner le FN dès le 1er tour, beaucoup de nos électeurs respectifs n’ayant pas souhaité se déplacer car étant froissé par la présence de tel ou tel logo sur le bulletin de vote.
Au fond, le front républicain serait un peu comme des digues que l’on construirait contre la montée des océans: elle peuvent êtres rassurantes à court terme mais ne sont pas efficaces à long terme.
Pour commencer, Joël Gombin est revenu sur les origines du front républicain, qui remontent à la IIIème République. A l’époque, il s’agissait de faire barrage à la droite monarchistes en s’alliant au candidat de gauche le mieux placé.
Dans les années 30, la menace fascite a ensuite donné lieu à la création du Front populaire en France puis en 1956, suite à l’échec de Pierre-Mendès France sur la question coloniale et la montée du poujadisme, les législatives donnerontt lieu à une coalition électorale de centre gauche, que Jean-Jacques Servan-Schreiber nommera dans l’Express Le Front Républicain.
Depuis le 21 avril 2002, le Front républicain est à entendre dans le sens de l’opposition électorale au Front National
Pour Erwan Lecoeur, le Front Républicain n’a en fait jamais vraiment existé en tant que tel. Le Front républicain, c’est en fait le piège du lepenisme. Il y a en réalité pas « un » front national mais 11 tendances (la tendance lepen, les royaliste, les bonapartistes, etc). Le terme « front républicain » est donc un mot valise pas très efficace puisqu’il donne l’impression qu’il y a un ennemi, unifié, homogène, ce qui n’est en réalité pas le cas.
Le FN a été en tête au second tour dans 403 cantons en 2011, et dans 61 circonscriptions en 2012.
On constate que l’accès du FN aux poste va souvent de pair avec leur déradicalisation. En ce sens, la proportionnelle semble donc une bonne solution pour les combattre à long terme.
Pour Bernard Steigler, nous vivons le drame d’une société qui va mal, et qui risque d’aller de plus en plus mal. Nous sommes dans l’obligation de fonctionner avec un modèle industriel d’automatisation généralisée pour faire face à l’accroissement démographique. Les entreprises les plus rentables sont aujourd’hui automatisées (voir Bill Gates, Amazone, Foxconn). L’automatisation touche également les consommateurs et les individus en général dans nos comportements quotidiens. Cela conduit à une accélération du processus marxiste de prolétarisation accrue, du fait de l’automatisation.
Selon lui, le problème n’est pas la fin du travail mais la fin de l’emploi et le début du travail. Il faudrait préférer un revenu contributif qui développe les capacités des gens au sens d’Amartya Sen. La vraie question est celle de la redistribution du pouvoir d’achat.

Approfondir : 

Vote FN aux européennes : une nouvelle assise électorale, par Joël Gombin (Observatoire des radicalités politique, Fondation Jean Jaurès)

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Le FN et l’écologie en NPdC https://antifn.eelv.fr/le-fn-et-lecologie/ Thu, 03 May 2012 08:48:19 +0000 http://antifn.eelv.fr/?p=2194 En matière d’écologie comme d’immigration, Marine Le Pen fait appel en permanence au « bon sens » pour légitimer ses constats et ses remèdes. Elle entend répondre aux politiques publiques jugés absurdes et embrouillées des « technocrates ». Ainsi le programme du Front national se revendique plus écolo que les écolos mais réduit l’écologie à une gestion du patrimoine paysager, qui consiste à laisser la place aussi propre en partant qu’on ne l’a trouvée en naissant. ...]]>

En matière d’écologie comme d’immigration, Marine Le Pen fait appel en permanence au « bon sens » pour légitimer ses constats et ses remèdes. Elle entend répondre aux politiques publiques jugés absurdes et embrouillées des « technocrates ». Ainsi le programme du Front national se revendique plus écolo que les écolos mais réduit l’écologie à une gestion du patrimoine paysager, qui consiste à laisser la place aussi propre en partant qu’on ne l’a trouvée en naissant.

 

 

La défense du patrimoine naturel

 

Au terme « biodiversité », le FN préfère celui de « patrimoine naturel », ce qui résume bien toute l’opposition conceptuelle entre l’idéologie frontiste et l’écologie politique. Pour le FN : « le respect des lois de la nature […] participent de la défense de l’identité nationale » (programme 2012). Bref, si un arbre doit être protégé, c’est avant tout parce qu’il est Français.

Alors que la nature ne connaît pas de frontières et que le métissage y est la règle, le FN entend au contraire la segmenter artificiellement et la rendre statique : on exalte la grandeur de nos montagnes, la beauté de nos paysages ruraux, la finesse de nos côtes. La logique frontiste ignore donc que ces paysages sont par essence éphémères et qu’ils sont un bien commun de l’humanité : préserver la biodiversité ça n’est pas figer la nature, c’est au contraire maintenir les conditions pour qu’elle puisse se renouveler, se recréer, et nous surprendre.

 

Le flou du programme : l’exemple de l’énergie

 

Il ne faut pas creuser longtemps le programme du Front national pour voir que l’écologie n’y est qu’un vernis très superficiel.

Sur l’énergie, le programme annonce l’objectif d’une sortie à terme du nucléaire, sans aucune indication sur l’échéance et la transition. Dans le même temps, sur les énergies renouvelables, le FN indique que « l’objectif est de couvrir à terme 10 à 15% de nos besoins énergétiques ». A terme ? Quand on sait que l’hydraulique, l’éolien, le photovoltaïque et la biomasse représentaient déjà 12,9% de la consommation finale d’énergie en 2010, et que la loi fixe comme objectif de parvenir à 23% en 2020, on s’interroge. Ce qui est présenté comme un objectif raisonnable, de « bon sens », est en réalité une régression brutale.

 

Le grand écart électoraliste : l’exemple de la dignité animale

 

On le voit, le débat de fond intéresse peu le Front national qui se complait dans l’énumération de propositions vagues propres à agréger des électorats potentiels sur leurs candidats. Il est vain de chercher une cohérence dans ce discours qui ne vise qu’à atteindre un certain nombre de cibles électoralistes. La thématique de la souffrance animale est en un bel exemple.

D’un côté, Marine le Pen entend défendre mieux que quiconque la dignité animale, forte du soutien de Brigitte Bardot. De l’autre on peut lire dans un communiqué de son « conseiller politique à la Chasse », Guillaume Vouzellaud : « Pour le renouveau de la chasse populaire, le 22 avril, chasseurs défendez-vous, votez Marine ! ». Mieux, un tract de mars 2012 s’adresse spécifiquement aux chasseurs, et énonce : « [la chasse] permet de faire vivre dans la nature les valeurs de la tradition, du patrimoine, de l’écologie, de la liberté et de la responsabilité », dénonçant au passage « l’ukase des écolos » sur la chasse.

Ce qui intéresse Marine le Pen chez l’animal, ça n’est pas l’entassement dans des hangars hors sol, pas plus que la chasse qui décime certaines espèces. Non, son intérêt se porte sur l’abattage, et plus particulièrement l’abattage rituel qualifié de barbare. Bref, le FN ne se préoccupe pas le moins du monde de réduire la souffrance animale mais cherche par ce thème à associer les musulmans à des tortionnaires d’animaux.

 

L’insoluble équation du Front national : l’exemple de l’artificialisation des sols

 

Le FN souhaite donc réduire la souffrance animale en développant la chasse, sortir du nucléaire avec 15% d’énergies renouvelables. Plus généralement, les militants frontistes jonglent entre protection d’un patrimoine naturel magnifié et croissance économique soutenue par une énergie abondante et des règles environnementales assouplies. Tout cela ressemble à la quadrature du cercle.

Dans un entretien au site internet Campagne en Nord, Eric Dillies, conseil régional Nord Pas de Calais et secrétaire fédéral du FN de Flandre Métropole décrit la journée type d’un citoyen qui vivrait sous la présidence de Marine Le Pen. Outre le cauchemar que cela représente pour quiconque est attaché à la liberté, l’entretien illustre des propositions contradictoires du programme du Front national, que l’on peut répartir en deux catégories :

 

Propositions écolos        Propositions démagos

– Une agriculture intégralement bio.

 

– Une production locale pour une consommation locale.

 

– La préservation des paysages (patrimoine naturel).

– La baisse de la TIPP, et donc l’augmentation de la consommation de pétrole.- La construction de nouvelles routes pour réduire les embouteillages.- La destruction des « cités » remplacés par des pavillons de deux étages maximum.- La construction de dix grandes villes à 150 kilomètres de Paris pour désengorger la capitale.- La relance démographique par une politique nataliste : au 5e enfant, la maison est offerte.

 

Or aujourd’hui, avec une démographie maitrisée et un habitat urbain parfois très dense, 600 km² (la superficie de Lille Métropole) sont artificialisés chaque année en France, et donc pris aux terres agricoles et aux espaces naturels pour devenir des lotissements, des routes, des zones artisanales ou commerciales, etc. Et la progression des surfaces artificialisées est 4 fois plus rapide que la croissance démographique. A ce rythme, la France sera recouverte de bitume en 2500.

Le FN est donc pris en pleine crise schizophrénique : d’un côté le soutien à une démographie galopante que l’on étale sur le territoire (refus de l’habitat collectif) en toujours plus de lotissements, entourés de toujours plus de routes ; de l’autre de plus en plus de bouches à nourrir, mais en bio français, donc nécessitant d’au moins préserver les espaces agricoles existants.  On ose à peine aborder la préservation du patrimoine naturel après ça.

Peut-être la solution du FN serait-elle de raser les 29% de forêts que compte la France métropolitaine ? C’est sûrement dans cette logique que le groupe Front national s’oppose au Conseil régional Nord Pas de Calais au Plan Forêt porté par Emmanuel Cau. On pouvait lire dans leur communiqué du 16 février 2011 : « Les résultats seront de toute manière lamentables, puisqu’une fois plantées les nouvelles forêts, on ne tardera certainement pas à les raser pour construire de nouvelles zones pavillonnaires ». Le double langage a de l’avenir.

 

Le discours écologiste du Marine Le Pen est donc une vaste supercherie. Comme le dit à juste titre Erwan Lecoeur : « Elle met du vert sur du marron, et cela donne un motif militaire ».

 

Laurent Ozon, l’idéologue écolo du FN

 

Cette volonté de verdir le discours frontiste vient d’un homme, Laurent Ozon, propulsé au bureau politique (l’instance de direction du FN) lors du Congrès de Tours (janvier 2011) sur la seule volonté de Marine Le Pen. Laurent Ozon se dit écologiste, mais version néo-droitière. Il appartient d’ailleurs au courant identitaire de l’extrême-droite dont le projet politique repose sur le triptyque « langue – sol – sang ».

Laurent Ozon faisait partie des experts que le FN souhaite mettre en avant pour crédibiliser son image. Faisait, car son passage aura été fulgurant, puisqu’il a du démissionner le 14 août 2012, un mois après avoir écrit sur son compte twitter au sujet des attentats d’Oslo : « Expliquer le drame d’Oslo : de 1970 à 200, x58 d’immigrés d’origine afro-orientale. Vers la guerre civile ? ». Encore une fois, le FN est tiraillé entre la quête d’une respectabilité et des déclarations sulfureuses. Le passage de Laurent Ozon au Front national aura été fulgurant.

 

Quand Marine Le Pen confond OGM et hybride

 

Rarement une délibération du Conseil régional n’aura autant défrayé la chronique. Le 31 janvier 2011, Marine Le Pen attaquait Jean-Louis Robillard, vice-président EELV en charge de l’agriculture, l’alimentation et la ruralité, sur les endives rouges, accusant la majorité de subventionner discrètement des OGM. Les écologistes du Nord Pas de Calais seraient donc à la solde de Monsanto, promoteur du gène Terminator ?

Rassurez-vous, la région Nord Pas de Calais est résolument engagée contre les OGM. Les endives rouges sont une espèce hybride, en l’occurrence un croisement entre chicorée rouge et endive. Les hybrides ne sont pas des OGM, à moins que le FN nous démontre qu’un mulet, hybride stérile engendré depuis des siècles par un âne et une jument, est un OGM. La logique de Marine Le Pen est toujours la même : faire peur, distiller le doute et créer des amalgames.

 

Quand le FN défend la « pêche durable »

 

Le 21 octobre 2011, le groupe Front national présentait en Séance plénière une motion de soutien à la pêche artisanale. On pouvait y apprendre que le FN « ne cesse de plaider pour une pêche durable, inscrite dans des circuits courts, pour une consommation au plus près des lieux de pêche ». Cette motion aux accents écologistes était un prétexte à l’opposition entre pêche artisanale française et pêche industrielle étrangère (en l’occurrence belge et néerlandaise).

Un mois plus tard, le Front national s’abstenait en Commission permanente sur une délibération en faveur de l’Association France Pêche Durable et Responsable. Pour la cohérence, on attendra.

 

 

Ils ont voté contre au Conseil régional Nord Pas de Calais

 

Le groupe Front national s’oppose systématiques au financement de deux organismes :

– La MRES (Maison Régionale de l’Environnement et des Solidarités), qui compte une centaine d’associations intervenant dans les domaines de la nature, de l’environnement (protection, sensibilisation, éducation), des solidarités et des droits de l’Homme.

– Le CERDD (Centre Ressource du Développement Durable), dont la mission est de promouvoir les dynamiques territoriales durables et de sensibiliser au développer durable dans la région Nord Pas de Calais.

Ils s’abstiennent ou s’opposent quasi systématiquement aux délibérations Environnement, et, chose étrange, ont même voté contre une évaluation de la lutte contre le changement climatique en février 2012 !

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Le vote Front National chez les classes populaires https://antifn.eelv.fr/le-vote-front-national-chez-les-classes-populaires/ Wed, 27 Jul 2011 09:40:29 +0000 http://antifn.eelv.fr/?p=2234 La quantité d’études sur le FN depuis maintenant plusieurs décennies ont poussé les analystes à avouer leur incapacité à trouver LA cause permettant d’expliquer son succès. D’abord, parce que cela reviendrait à limiter à un seul aspect la réussite de ce mouvement, sur le long terme. Comment également ne pas voir dans ces positions aussi éloignées l’expression des tiraillements internes, entre les différents courants. ...]]>

La quantité d’études sur le FN depuis maintenant plusieurs décennies ont poussé les analystes à avouer leur incapacité à trouver LA cause permettant d’expliquer son succès. D’abord, parce que cela reviendrait à limiter à un seul aspect la réussite de ce mouvement, sur le long terme. Comment également ne pas voir dans ces positions aussi éloignées l’expression des tiraillements internes, entre les différents courants.

Les évènements pouvant expliquer le succès des thèses du FN sont divers : la crise économique et sociale et ses corolaires, la victoire des socialistes, le 11 septembre. Dès lors, il ne s’agit pas de fournir la « meilleure » explication, mais d’essayer de privilégier les hypothèses pouvant permettre de donner du sens à l’essor d’un courant politique spécifiquement français, qui a également des caractéristiques communes à de nombreux autres partis européens.

 

Un monde en crises

 

En 1973. Le choc pétrolier met à mal les économies d’Europe et d’Amérique, et la fin des Trente Glorieuses impose un brutal retour à la réalité (particulièrement vrai en France). Si le monde occidental est en crise, celle-ci n’est toutefois pas qu’économique. La remise en question du rôle de l’Etat-Nation, l’explosion des inégalités, le sentiment de déclin de la civilisation européenne sont autant d’aspects qui servent généralement à expliquer le terreau dans lequel le FN germe.

La crise est donc également politique, social, culturelle… D’ailleurs, selon Edgar Morin, cet emploi multiplié du mot crise vient de la multiplication des symptômes « crisiques ». Et ces symptômes résultent, je pense, principalement de ce qu’Alain Bihr appelle une crise de sens.

Cette hypothèse, certes vague mais structurelle, permet d’expliquer l’échec des solutions simplistes qui, pour faire disparaître le FN, se borneraient à essayer de venir à bout des problèmes que celui-ci met en avant (insécurité, chômage, immigration, etc.) Pour Alain Bihr, les sociétés contemporaines sont incapables de fournir un système de références qui permettrait de donner un sens stable et cohérent à l’existence des individus qui les composent. Non pas que ces sociétés soient vides de sens ; ce serait plutôt l’inverse : la foire au sens. Dans un univers où chacun à la possibilité de déterminer librement son appartenance, comment peut-on encore donner une dimension collective à l’existence.

 

Parce que l’identité collective est bien à la base de toute société,  l’ensemble des crises qui secouent aujourd’hui la France, mais aussi l’Occident, peut être analysé comme suit.

La fin de la religiosité a énormément affecté nos vies. Par l’ensemble des règles qu’elles édictent, les religions prétendent offrir les moyens d’assurer le Salut dans l’au-delà,  donnant d’une certaine manière un sens à l’existence des individus. La volonté des Lumières, et continuée depuis, de créer un monde basé sur la rationalité, en opposition aux dogmes religieux, a contraint à l’abandon du postulat de la vie après la mort. Subsiste pourtant un enracinement anthropologique de la religion, expliquant la persistance de comportements qui lui sont affiliés, sans pour autant que ces actes gardent leur symbolique originel : bien qu’en déclin et en ayant beaucoup perdu de sa connotation religieuse, le mariage garde une valeur symbolique. La religion a perdu sa capacité à organiser la vie.

De façon plus globale, c’est l’ensemble des institutions socialisatrices qui sont en crise. L’état-providence connait lui aussi une remise en cause particulièrement forte de sa légitimité du fait de la mondialisation. Durkheim avait analysé le passage d’une solidarité mécanique à une solidarité organique. La division du travail ayant bouleversé l’organisation du lien social en imposant une spécialisation des individus, la famille ne pouvait plus apparaitre comme un cadre pertinent. En parallèle, l’édification de l’état-providence a accompagné cette évolution, la solidarité s’opérant désormais principalement au niveau national. Mais la création de la nation a nécessité l’établissement d’un ensemble de symboles (langue commune, Marseillaise, etc.), qui fondent l’identité collective.

C’est pourquoi, lorsque le Front National brandit la préférence nationale, il nous oblige à nous interroger sur la manière dont nous pensons la solidarité entre les individus, et le cadre dans lequel celle-ci doit être mis en place. L’Europe apparait alors comme l’entité la plus à même de se substituer aux états pour assurer à une échelle plus grande certaines politiques, alors que les peuples ne semblent pas près à déléguer trop de pouvoir à l’Union Européenne. La faible popularité de celle-ci réside dans son maniement des symboles. L’Euro est associé à la hausse des prix, ‘’l’ode à la joie’’ n’a pas dans le cœur des citoyens la même résonance que les hymnes nationaux et l’absence d’une langue commune rend complexe la création d’une identité collective.

 

Le FN, parti symbole

 

« Comme toujours et plus que jamais, la politique [est] d’abord et avant tout une guerre de langage, une guerre des signes, une guerre des modèles, des symboles. » Jean-Marie Le Pen

 

Dans son utilisation des symboles, le Front National emprunte beaucoup à la religion catholique. D’abord, parce que ce courant a une influence, encore aujourd’hui, au sein du parti frontiste, mais aussi parce que la religion participe à la catégorisation des individus dans le discours de l’extrême-droite. La différenciation ethnique peut aussi s’appuyer sur une différenciation religieuse. Et bien que le discours de Marine Le Pen sur la religion soit différent de celui de son père, l’islamophobie pointe derrière une laïcité instrumentalisée, avec pour objectif tout de même de faire plaisir à son électorat. Même si tous les électeurs du FN ne se disent pas pratiquants, beaucoup ne démentent  pas un attrait pour le religieux. Brigitte Orfali est une psychologue qui a rencontrée de nombreux adhérent du FN. Elle affirme avoir discuté avec des interlocuteurs qui, bien que  se disant non-pratiquant, lui demandait de dire d’eux qu’ils sont « à la recherche d’une nouvelle foi » (que le FN pourrait incarner ?)

 

Jean-Marie Le Pen apparait comme un guide pour ces militants. Le terme de « Chef », lorsqu’il est utilisé par les adhérents frontistes à une véritable connotation religieuse. Si les différents mouvements, parfois très opposés les uns des autres, soutiennent encore le FN, c’est grâce à sa capacité à fédérer, à rassembler, à transcender le parti. En effet, pour les électeurs du Front National, Jean-Marie Le Pen est indissociable du parti : il est le parti. Il est celui qui cristallise toutes les haines, celui qui personnifie la contestation. La marque Le Pen a plus de succès que le parti lui-même. C’est en PACA et dans le NPDC que l’extrême-droite fit ces meilleurs scores lors des régionales de 2009, avec respectivement Jean-Marie et Marine comme tête de liste. La visibilité médiatique du Front National repose principalement sur leur habileté. Toutefois, la communication du parti ne repose pas que sur eux.

Disposant d’ateliers spécifiques (les ateliers de « propagande »), le FN dispose d’une capacité de diffusion de tracts qui est sans commune mesure avec les autres partis. La famille frontiste se reconnait dans le militantisme, activité qui a quelque peu disparut des partis traditionnels. Le militant y est d’ailleurs considéré comme un « soldat politique » avec une mission définie, celle de participer à la victoire du Front National. Depuis plusieurs décennies, le parti a réussi à imposer un ensemble de symboles dont les références sont puisées de l’idéologie de l’extrême-droite :

-La flamme du MSI italien parle aux nationalistes révolutionnaires

-Le nom du parti fait écho au combat pour l’Algérie Française auquel Jean Marie Le Pen a participé en créant en 1957 le Front National de Combattants

-La figure de Jeanne D’Arc parle aux catholiques.

 

Enfin, le sentiment que la période que nous vivons serait celle de la fin de l’histoire renforce l’extrême-droite. Affirmer que la victoire la démocratie-libérale est absolue et qu’il n’existe aucune autre alternative à quelque chose de particulièrement aliénant. Dès lors, en étant la seule aujourd’hui à s’approprier certains thèmes aux yeux du plus grands nombres (sortie de l’Euro, lutte contre l’immigration, protectionnisme, etc.), Marine Le Pen joue le rôle préféré de son père, celui du candidat antisystème. En refusant le consensus, elle incarne un choix, radicalement différent, et pas seulement d’un point de vue politique. En 1993, dans un entretien au Monde, Marc Augé affirmait : « L’illusion idéologique est du côté de ceux qui disent aujourd’hui : voilà, tout est accompli. »

 

 

Vote protestataire ? Ou vote d’adhésion ?

 

Comme Jean Viard l’analyse dans ces études, les électeurs du Front National sont ceux qui se sentent le moins capables de maitriser les évolutions économiques, technologiques et sociales : « Le populisme est d’une certaine façon, la réaction de ceux qui n’ont pas accès à ce monde nouveau qui s’organise si brutalement. [1]». Ce ne sont fondamentalement pas les plus pauvres qui votent pour l’extrême-droite, mais plutôt ceux qui ont quelque chose à perdre. Les individus, faiblement dotés en capital culturel, qui ne peuvent compter que sur leur force de travail souffrent le plus des modifications du marché du travail. La monté du Front National coïncide avec la « fin de l’ascenseur social ». Le chômage, l’importance des loisirs et le désir de réduction du temps de travail remettent violement en cause une société où l’intégration par le travail, et le sens que celui-ci pouvait donner à la vie, était primordial.

 

Si le repli identitaire que représente le vote FN peut également être vu comme un vote contre l’évolution de la société, c’est parce que celui-ci a réussi à créer un flou autour des véritables aspects de son programme. Le Pen, et sa fille aujourd’hui, ont établi le succès du FN en briguant le ministère de la Parole, en se plaçant systématiquement du côté des mécontents et des déçus, en arrivant par un assemblage de symboles disparates à apparaitre comme les seules à même de s’opposer à la marche du monde. Dès lors, il est faux d’affirmer que l’extrême-droite, parce qu’elle n’est composé que d’un seul parti ne connait pas de division idéologique (sur la notion de race, de nation, etc.)

Le succès peut alors s’expliquer par la capacité des Le Pen à balayer le débat pour se placer au centre d’une bataille opposant deux groupes en guerre (les bons/les méchants, les français/les étrangers). Plus que des solutions politiques concrètes, ils ont développé une représentation du monde où le combat est la seule solution, parce que la lutte implique de désigner un ennemi contre lequel il faut rester souder (solidaire). Voter Le Pen, c’est participer au combat et pour certains utiliser la dernière arme qu’ils leur restent.

 

 

Conclusion

Face à la perte des repères, de « sens » dit Erwan Lecoeur, le vote Le Pen se présente comme une solution. Le Front National peut-être considéré comme un parti famille, dans lequel il existe une solidarité, dans lequel les membres appartiennent à une même communauté. Dans les années 90, le FN reprend les fonctions du PCF des années 50, ou celui-ci participait à la vie du quartier. Cet engagement au sein du parti devient place social et participe à forger l’identité des individus qui y milite.

La capacité de l’écologie politique à redonner un sens à la société est forte, il faut néanmoins que le message écologiste puisse atteindre l’ensemble des couches de la population afin de pouvoir toucher toute la population. La complexité de l’écologie et des solutions qu’elle propose pour résoudre les problèmes que nous traversons doivent digérés puis transformer en messages simples et accessibles à tous, sans pour autant tomber dans l’excès inverse du simplisme qui inonde le discours politique actuel, à commencer par le Front National.

 



[1]              Jean Viard, Aux sources du national-populisme, l’Aube, Paris

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