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Photo de Sophie Bassouls

On dirait bien que tu es née dans la politique, tu es une vraie apparatchik en fait ?

Si tu veux dire par là que je milite depuis que j’ai l’âge de 15 ans, c’est juste. J’ai attrapé le virus des mobilisations militantes, des assemblées générales, des prises de parole en public assez tôt. Mes parents eux-mêmes sont politisés. J’étais au lycée Maurice Ravel dans le 20e à Paris, j’ai rejoint les troupes de la FIDL, au sein de laquelle j’ai rapidement pris des responsabilités. Mais pour revenir sur le terme apparatchik, je crois que je ne l’aime pas beaucoup parce qu’il sent la bureaucratie verrouillée. Cela dit, j’assume le fait d’avoir aujourd’hui une certaine expertise des organisations humaines, associations ou parti politique. Il n’y a rien de dégradant à savoir s’organiser pour revendiquer des droits, des nouveaux usages, une plus grande égalité…

A 15 ans, tu passes donc ton temps à rédiger et distribuer des tracts, quand tes copains vont boire des bières ?

C’est pas faux, mais tu oublies qu’il y avait beaucoup de joies, beaucoup de rencontres dans notre façon de militer. Et qu’on buvait aussi des bières ! Je n’ai jamais été dans le sacrifice en politique, il faut revendiquer du plaisir à vouloir transformer notre société. C’est d’ailleurs ça qui manque tant aujourd’hui et qui tient à l’écart des organisations militantes une bonne partie de la jeunesse. Nous devons trouver des modes d’action qui permettent aux militants -ponctuels ou plus récurrents- d’être gratifiés, de prendre du plaisir. La politique, ça doit changer nos vies tout de suite, même si on construit sur du long terme.

 

Tu es donc tombée dans le chaudron politique lycéen, puis étudiant. Tu aurais dû te retrouver assez mécaniquement dans le mouvement de jeunesse d’un parti. Mais en fait non. Tu fais surface médiatiquement quelques années plus tard comme présidente d’Act Up alors que tu es une femme de 25 ans, hétérosexuelle et séronégative. Qu’est-ce-qui t’a amené dans cette histoire difficile et a priori loin de ton vécu ?

Aujourd’hui, avec les trithérapies, on a un peu oublié d’où l’on vient. A l’époque (je parle du début des années 90), c’était l’hécatombe. Les malades du sida mourraient presque systématiquement. Des pans entiers de notre société étaient décimés. J’ai été confrontée à cette urgence de vivre, de militer, de gagner du terrain sur l’indifférence. C’est cela Act Up pour moi, une organisation radicale qui ne se paye jamais de mots et qui veut des résultats tout de suite. Quand tu as 25 ans, c’est un beau cadeau que d’assumer de telles responsabilités. Là encore, il y avait énormément de fraternité parmi nous. On était accueilli chez Act Up, on avait un parrain qui nous suivait au début. Bon c’était aussi une bonne façon de se draguer pour les mecs… (rire) Il faut imaginer les réunions hebdomadaires du mardi, comme un mélange invraisemblable de joie, de profonde tristesse, de sentiments d’urgence. On faisait le compte des copains décédés et en même temps on prévoyait les actions à venir. Tout cela dans un bordel assez inédit, mais avec une organisation étrangement efficace. Je vois ce moment comme un accélérateur de particules politiques. J’y ai aussi noué des amitiés solides, j’y ai appris beaucoup, j’y ai passé presque tout mon temps. Et nous avons connu quelques victoires.

Et il t’est arrivé de travailler parfois ?

Tu sais, j’ai beaucoup travaillé durant ces années militantes, gagnant sur le sommeil, apprenant à rédiger vite, à prendre la parole de façon synthétique. Le militantisme comme formation continue, c’est franchement pas mal. Mais tu voulais dire avoir un emploi pour gagner sa vie et payer son loyer ?

Oui, c’est ça, un peu comme 99,99% des gens…

Bien sûr que oui, je ne suis pas rentière ! J’ai été ce qu’on appelle aujourd’hui une « intello précaire ». Pendant que je préparais ma thèse (que je n’ai pas soutenue), j’ai enseigné à la fac de droit de Paris XII. Puis, j’ai basculé du côté du journalisme en 2002. D’abord chez Têtu, puis ensuite au magazine Regards. J’en suis devenue rédactrice en chef. Mon quotidien était toujours fait de politique, d’engagement, d’analyse de notre société, mais autrement, avec les nécessités économiques et humaines d’un organe de presse. J’ai bien aimé ce besoin de pragmatisme.

 

Tu as donc l’air d’une fille équilibrée, qui gagne sa vie, qui a des amis, pourquoi décides-tu de rentrer en politique, dans sa forme-parti ?

Je sens une pointe d’ironie dans ta question… Sérieusement, je crois que j’avais besoin de prendre part plus directement à la décision publique et que des gens étaient prêts à m’accueillir. Pendant des années dans des syndicats, des associations, des journaux, j’ai rencontré beaucoup d’hommes et de femmes politiques. J’ai travaillé avec eux, lutté contre leurs décisions, analysé leurs options. Il était temps pour moi de prendre mes responsabilités. C’est aussi un engagement générationnel. Je fais partie des enfants des « baby-boomers », nous devons à notre tour construire notre société. Et puis, du côté des écologistes, il y a eu le formidable appel d’air de 2009 et 2010 avec la création d’Europe-Ecologie Les Verts associée à la campagne historique des Européennes portée par Dany Cohn-Bendit. Enfin un parti qui ouvrait ses portes, parlait de fond, trouvait un écho dans la société !Voilà ce qui m’a attirée. J’ai été ainsi élue aux Régionales de 2010 en Ile-de-France.

Tout ton parcours semble pourtant assez éloigné de l’écologie en fait. Non ?

Oui, ça a été un reproche qu’on a pu me faire. Ca dépend surtout de ce qu’on entend par écologie. C’est vrai que je ne viens pas des luttes environnementalistes, bien que j’y attache beaucoup d’importance en tant que citadine. Mais l’écologie politique, c’est bien plus large que cela, c’est un faisceau de traditions et d’histoires militantes. Ce sont des luttes autonomes, féministes par exemple. L’opposition au nucléaire et à son modèle économique. Les solidarités internationales. Le combat contre la malbouffe et pour un autre modèle de production. Les réflexions sur un nouveau modèle pour l’école, la consommation, le logement. La sauvegarde des biens communs, les alertes contre la pollution ou l’exploitation des ressources finies. La lutte contre le dérèglement climatique. Pour tout cela, je faisais partie de l’immense majorité des écologistes dans notre pays, ceux qui sont hors parti.

 

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Mais tu es à présent la secrétaire nationale du parti qui est connu pour être champion de France des divisions internes. Ca te va ?

Je crois qu’il y a d’un côté beaucoup de délectation dans la presse à raconter nos divergences et que, d’autre part, nous pourrions parfois être un peu plus rassemblés. Cela dit, c’est naturel et sain que des différences stratégiques s’expriment. Il faut avoir en tête que nous sommes un parti de tradition libertaire, pas une émanation du bonapartisme. C’est aussi une qualité. Par ailleurs, sur le fond, nous sommes sans doute le parti de gauche dont les militants ont la culture commune la plus forte. Regardez au PS entre les différents courants ou parmi les organisations du Front de Gauche. Les écolos sont une grande famille qui aime bien s’engueuler et discuter. Mais viens par exemple à nos journées d’été, tu verras des femmes et des hommes rassemblés autour de luttes communes, dans des ateliers de formation ou des fêtes, loin des querelles d’égo. Ma ligne est simple : dans la famille, chacun a sa place à table, on peut casser des verres, mais on reste ensemble et on garde toujours une assiette pour un nouvel arrivant.

Tu as autre chose à déclarer ? Emploi fictif, compte caché, amant à scooter, talents particuliers ?

Euh… je risque d’être assez décevante sur le côté people… L’essentiel de mon temps, je suis Vice-Présidente du Conseil Régional d’Ile-de-France. Je m’y occupe du logement depuis 2010. Nous avons tenté de construire une politique écologiste pour cette délégation structurante. En Ile-de-France, se loger est un combat ou un effort quotidien pour des centaines de milliers de gens. Ne plus avoir froid malgré une facture de chauffage importante, pouvoir accéder à un logement décent, favoriser la mixité sociale : c’est tout cela que j’ai voulu mettre en œuvre depuis 5 ans. Côté perso, ma déclaration de patrimoine est connue et sincère. Je vis avec mon compagnon, Denis Baupin, député écologiste. Nous avons des jumeaux, j’essaie de passer un maximum de temps avec eux. J’aime le rubgy, le chocolat noir, le vin du sud-ouest. Et tout cela avec des amis.

Entretien réalisé par Sarah Laffon