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Analyse : La Tour Triangle ne créera pas d’emplois, mais les déplacera

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Les emplois de la Tour Triangle sont-ils « utiles » ?

Par Jacqueline LORTHIOIS

Urbaniste Socio-économiste,

Expert en emploi, travail, territoire

« Les gratte-ciel ne sont pas la seule expression d'une intelligence architecturale. Mais ils démontrent que, dans la compétition internationale des grandes capitales, Paris n'a pas abdiqué toute audace, tout désir d'innovation architecturale, toute capacité de réinventer son propre paysage. » Éditorial du Monde 26/04/2012.

Après l'édification de la tour Montparnasse en 1976, les IGH ont été bannis du paysage parisien, avec des règlements d'urbanisme limitant strictement la hauteur maximale des constructions. Le débat a été réouvert voici une dizaine d'années par Bertrand Delanoé, aux motifs de manque de terrains à bâtir et de prix du foncier.

La Tour Triangle est un édifice pyramidal de 180 m de haut (tour Montparnasse : 210 m) qui doit voir le jour vers 2017. Elle se situe dans le 15e arrondissement de Paris, entre les deux boulevards du périphérique et des Maréchaux, sur les terrains du parc des expositions de la porte de Versailles. Conçu par les architectes suisses Herzog et de Meuron, le projet est porté par la société Unibail-Rodamco, exploitant le parc des expositions de la porte de Versailles.

Le bâtiment a une forme de pyramide avec une largeur de 35 m à la base et de 16 m au sommet. D'une surface de 88000 m2, il est destiné à des bureaux, des salles de congrès et de réunions, des commerces sur rue, un atrium et un restaurant panoramique.

Le green washing n'a pas été oublié : capteurs solaires et géothermie, certification HQE, jardin public de 8000 m2. Un bilan CO2 qui émet 4 fois moins d'émissions qu'un bâtiment conventionnel.

L'argument « emploi » qui est avancé est tout à fait fallacieux.

La tour Triangle accueillerait 5000 employés. Or, le 15ème arrondissement possède déjà une pléthore d'activités : avec 165 000 emplois pour 128 000 actifs habitants (y compris les chômeurs), le 15e est en tête des pôles d'emploi de Paris intra-muros, devant des arrondissements qui composent ce qu'on appelle le « quartier central d'affaires » (QCA) comme le huitième ou le 9ème arrondissement. Il représente notamment une forte concentration de grands établissements publics (hôpital Georges Pompidou, siège de la Poste, préfecture de Paris, services des ministères essaimés du 7ème arrondissement, « Pentagone » de la place Balard, parc d'exposition de la Ville de Paris, etc..), des sièges sociaux d'anciens établissements publics privatisés comme France Télécom, Air France... Un pôle d'emploi situé lui-même dans la ville de Paris qui cumule 1,8 millions d'emplois pour 1,2 millions d'actifs dont 1,08 million de travailleurs occupés. Rajouter des activités à ce pôle d'emploi déjà en sureffectif dans une ville qui cumule la plus grosse concentration d'emplois de la région Île-de-France revient à « faire grossir les gros » et « arroser là où il pleut ».

Seulement 50000 actifs résidants du 15ème travaillent sur place, soit 30,7% des emplois. En rajoutant 28 000 habitants venant exercer leur activité d'un autre arrondissement parisien (17%), on constate que moins de la moitié (47,6%) des travailleurs du 15ème habitent la capitale.

Ainsi, le 15e arrondissement n'est pas un pôle d'emploi principalement parisien, mais d'abord le plus gros pôle d'emploi de banlieue localisé à Paris, siphonnant chaque jour une main-d'oeuvre de 86 400 banlieusards. Rajouter dans ces conditions 5000 employés aggrave la gabegie représentée par ces 173 000 flux quotidiens domicile-travail, avec les coûts correspondants en finances et en temps perdu dans les déplacements. Un véritable tonneau des Danaïdes qui réclame des infrastructures de transport toujours plus nombreuses et chères, pendant que des communes de banlieue restent cantonnées à une fonction résidentielle dominante, voire « dortoir », peinant à financer des services aux populations résidantes et à implanter des activités dans ces zones peu attractives.

Sur le tableau joint, on constate que 33 communes de banlieue essentiellement Sud et Ouest fournissent plus de 400 travailleurs au pôle du 15ème arrondissement, certaines assez éloignées ou mal desservies, ne représentant que 17% des emplois. Ce qui signifie une énorme dispersion de l'attraction du 15ème pour les 58 000 actifs de banlieue restants, non comptabilisés dans le tableau.

Au vu de ces chiffres, il est irresponsable de vouloir faire grossir le pôle d'emplois du 15ème arrondissement, aggravant de 6% le déséquilibre Actifs-Emplois déjà considérable.

Pour plus de détails sur les chiffres : MigParis15

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