Le projet MAGEO en concertation publique : Bonne question. Mauvaise réponse !

Par Christophe Porquier

La concertation publique est ouverte pour le projet MAGEO (Mise Au Gabarit Européen de l’Oise) jusqu’à la fin du mois de février 2012.

Cette mise à grand gabarit « consiste à approfondir la rivière Oise pour garantir un mouillage de 4 mètres (contre 3 mètres aujourd’hui), et à adapter le chenal pour permettre le passage de convois à grand gabarit européen Vb (4 400 tonnes, 180 mètres de long, 11,40 de large) entre l’écluse de Creil et l’aval du pont ferroviaire de Compiègne. Le projet porte sur un linéaire continu de 37 km (…) et s’étend sur 26 communes du département de l’Oise. » (extrait du document de présentation du projet de VNF).

Ce projet s’inscrit dans la liaison Seine-Escaut et il est donc présenté comme un complément du projet de Canal Seine Nord Europe visant à raccorder les ports belges et néerlandais au bassin versant de la Seine.

Il est présenté comme un projet de développement économique pour les ports de l’Oise, intégrant une dimension environnementale (risque d’inondations, traitement des berges) en renforçant le trafic fluvial, dont l’aspect écologique en comparaison du camion est mis en avant.

Mais comme pour le projet de Canal Seine Nord Europe, si le paquet cadeau est séduisant avec quelques mots magiques, le contenu réel et détaillé pose davantage de problèmes qu’il ne semble en résoudre, tant au plan écologique qu’économique et social. Il s’agit ici d’engager 200 millions d’argent public pour creuser le lit de l’Oise, modifier l’équilibre des eaux de surface, changer totalement les usages de navigation sur l’Oise avec un impact économique et social sur toute sa vallée et au-delà. Il est donc légitime d’y regarder de près car le « développement durable » n’est pas un sésame qui doit exonérer de tout regard critique au prétexte de belles orientations générales.

Tout ceci ne peut même se concevoir sans avoir par ailleurs une réflexion plus globale sur le transport de marchandises, l’évolution du transport fluvial et le modèle économique dans lequel ils trouvent leur place. Globalement, ce projet occulte une réflexion alternative qui devrait être menée indépendamment du Canal Seine Nord Europe sur l’amélioration de la navigabilité de l’Oise entre Compiègne et Creil.

Bref : le projet MAGEO pose une question intéressante, mais sa réponse unique semble déraisonnable. Pour se faire une idée de la présentation générale du projet, je vous renvoie vers le site de VNF (Voies navigables de France) consacré à la consultation publique http://www.mageo-concertation.fr

Je vais m’attarder ici sur cinq questions sur ce projet :

1 – Le financement.

Un projet à 200 millions et peut-être plus, mais il en manque 100

Ce projet est estimé à près de 200 millions d’euros. C’est une belle somme mais il s’agit de savoir si les dépenses sont correctement évaluées, et où en sont les recettes. Commençons par les recettes : Les régions Picardie et Ile-de-France avaient prévu de le financer à hauteur de 100 millions environ dans leurs contrats de projet Etat-Région respectifs. Reste 100 millions à trouver. Il ne fait nul doute que des fonds européens seront sollicités, mais sans garantie aucune sur le montant que l’Union Européenne pourrait dégager, qui n’excédera pas 25% du montant total (soit 50 millions au maximum). Reste 50 millions en suspension, non financés, alors même que le projet en est en consultation publique. C’est peu sérieux, et ça l’est doublement en période de restriction budgétaire. La méthode du docteur Coué semble avoir encore quelques adeptes. Examinons maintenant les dépenses.

Le deux tiers du budget sont consacrés au terrassement et aux modifications apportée sur les berges. Ceci inclut notamment le creusement du lit de l’Oise et le traitement des boues polluées. Les mesures compensatoires (4% du budget) concernent des aménagements paysagers mais surtout un site d’écrêtement des crues. En revanche, rien n’est prévu pour compenser l’impact en amont sur les vallées de l’Oise et de ses affluents alors que le prélèvement en eau sera accru. Nous allons y revenir plus loin en détail, mais nous pouvons déjà observer que l’impact écologique des travaux et sur l’hydrographie en amont semblent sous évaluées dans le projet.

2 РUne mise au gabarit europ̩en sur 37 km, et dont la moiti̩ est trop ̩troite et serait donc en circulation altern̩e.

La mise au gabarit européen empêche le croisement de porte-conteneurs de grande taille, dont la largeur est de 11m45. Des zones d’alternat sont donc envisagées pour faire passer les bateaux dans un sens ou dans l’autre en trafic alterné, donc en attendant leur tour. Ce système concerne 4 tronçons sur une distance totale d’environ 20km, soit la moitié du projet MAGEO.

A l’autre extrémité, en région Nord-Pas-de-Calais, le gabarit maximal sur les canaux est de 3 000 tonnes. Si le Canal Seine Nord se réalisait, les barges de 4 400 tonnes ne pourraient y circuler et devraient transborder leurs marchandises.

La pertinence du grand gabarit européen est donc posée ? Faut-il adapter la rivière à des gabarits aussi importants alors que les conditions de circulation en amont sont limitées même avec la construction du canal Seine-Nord, d’autant que la circulation sera alternée sur la moitié du parcours.

En résumé : Faut-il adapter la rivière aux bateaux ? ou faut-il adapter les bateaux à la rivière et au voies navigables telles qu’elles sont ?

3 – Navigation à Grand Gabarit, tourisme fluvial, activités de pêche, …

Des conflits d’usage insolubles

La navigation de plaisance et de loisirs peut-elle coexister avec de barges géantes de 3 000 à 4 000 tonnes qui circulent sur le fleuve ?

Des ports de plaisance ou des zones de loisirs existent déjà (Jaux) ou sont en projet (Creil). Ces infrastructures sont soutenues par les collectivités mais leur pérennité est-elle compromise si la nature du trafic sur l’Oise est bouleversée ?

VNF n’apporte pas de réponse. Il évoque des pistes de réflexion sur le transport de voyageurs, évoque de façon littéraire le tourisme vert et des usages touristiques à préserver sans apporter d’éléments concrets sur les conséquences pour les embarcations de petites tailles : vagues des porte-conteneurs, conditions de navigation assurant leur sécurité. Interrogé lors d’une audience au Conseil régional de Picardie, VNF nous a déclaré que « chacun est libre de naviguer en toute sécurité mais en respectant la cohabitation des uns et des autres. »

Pédalo contre Barge de 3 000 tonnes. Le flou laisse penser que l’utilisation libre de la voie d’eau laissera chaque usager s’adapter à la situation. Bon courage à eux !

4 – Les eaux de surface

Un impact important sur la quantité d’eau disponible et sur les écosystèmes en amont

La mise à au gabarit européen va augmenter la capacité en eau de l’Oise. Ceci viendrait s’ajouter au prélèvement en eau projeté avec le Canal Seine Nord (estimé à 20 millions de m3 – pour le remplir – puis plusieurs millions de m3 par an). Le projet Mageo intègre le risque d’inondations dans la vallée de l’Oise, avec un bassin à hauteur de Verneuil-en-Halatte destiné à l’écrêtage des crues.

Le seul risque envisagé est donc celui de l’excès d’eau. Pourtant , les études prospectives de Météo France envisagent un stress hydrique dans les prochaines années du fait du réchauffement climatique qui est en train de s’opérer (Baisse des précipitations et du nombre de jours de fortes pluies en été de 15 % environ, en hypothèse moyenne, à horizon 2050). L’impact de la mise à grand gabarit sur la ressource en eau, que ce soit avec le canal Seine-Nord ou la vallée de l’Oise, n’est pas sérieusement évalué, notamment l’impact sur les zones humides.

5 – Un projet annexe au Canal Seine Nord , est-ce bien raisonnable ?

Le Canal Seine-Nord, reliant la région parisienne aux ports de Rotterdam et Anvers, est aujourd’hui le projet qui semble justifier à lui seul le projet MAGEO. La méthode Coué qui prévaut à VNF pour faire comme si le canal était un projet évident et inéluctable ne saurait masquer qu’il reste aujourd’hui très incertain, non seulement pour des raisons techniques et écologiques (1) , mais aussi et surtout parce qu’un projet de 4,3 milliards minimum est une vue de l’esprit en période de crise économique et budgétaire entraînant une sérieuse crise du crédit.

En clair, le projet MAGEO est adossé à un chimérique Canal dont il souligne le gigantisme, ce qui écarte de facto tout projet plus raisonnable d’amélioration de la navigation sur cette partie du fleuve. Pourtant, si on mettait de côté ce surdimensionnement, la question de l’aménagement de la partie navigable de l’Oise reste pertinente. Elle mériterait un examen sur des bases moins coûteuses (donc plus réalistes), écologiquement moins impactantes et mieux connectées aux réseaux de transports du nord de la France (autres canaux, rail, route, ports…). Ceci nécessite de sortir du dogme du « Tout Canal Seine Nord » – projet de la globalisation économique – pour évoluer vers un projet territorial. Une réflexion reste donc à mener pour un projet alternatif. Chiche !

(1) – articles sur le CSNE sur le site de Novo-ideo :

(a) http://www.novo-ideo.fr/Questions-autour-d-un-projet-le

(b) http://www.novo-ideo.fr/Questions-et-problemes-autour-du

(c) http://www.novo-ideo.fr/CSNE-un-projet-qui-n-a-pas-de-prix

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